Aux Presses du réel, Yannick Butel publie Le gai théâtre, essai d’histoire sociale et politique du phénomène théâtral contemporain. Un diagnostic aigu sur le théâtre dans la société ultralibérale propre à la « postmodernie ». Une sensibilité frémissante, doublée de l’emportement d’une auscultation théorique étayée.

Yannick Butel est professeur en arts de la scène à l’université d’Aix-Marseille. En 2008, il fonde le site insense-scenes.net, où il est affirmé, sans ambages, que « le théâtre facile est objectivement bourgeois, le théâtre difficile est pour les élites bourgeoises, le théâtre très difficile est le seul théâtre démocratique ». Dans la foulée de ce stimulant paradoxe paraît son dernier ouvrage, le Gai Théâtre, sous-titré Pour un théâtre de la contre-addiction, avec, pour précision : Essai d’histoire sociale et politique du phénomène théâtral contemporain. On saisit d’emblée que l’auteur va passer au crible un diagnostic aigu – comme obtenu par scanner – sur un impensé d’assez longue date quant aux tenants et aboutissants du théâtre et de ses spectateurs, réels ou putatifs, dans la société ultralibérale propre à la « postmodernie ».

Au long cours d’une réflexion constamment dialectique, Yannik Butel, fort d’une culture philosophique fertile, dialogue à distance avec Olivier Neveux et Dany-Robert Dufour, à qui l’on doit, respectivement, Politiques du spectateur. Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui et le Divin Marché. La révolution culturelle libérale. Le livre tout entier est d’ailleurs placé sous le sceau d’un entretien infini où prennent part, à l’improviste, aussi bien Nietzsche que Bernard Noël, Jean-François Lyotard, Bernard Stiegler, Deleuze, Heiner Müller, Herbert Marcuse, Derrida, Foucault et tant d’autres fiers irréguliers de la pensée. Impossible, avec la meilleure volonté du monde, de rendre compte de façon exhaustive, en si peu d’espace, d’un ouvrage aussi dense, écrit d’une main sûre qui sait jouer sur les mots et qui, finalement, a valeur de manifeste, pour ne pas dire de brûlot.

Au sein de ce vaste panorama où s’analyse sans merci le rôle des industries culturelles dans le décervelage généralisé, Yannick Butel, fin critique, fait part de ses préférences de spectateur assermenté. Où l’on rencontre notamment le Théâtre du Radeau de François Tanguy, le groupe T’Chang de Didier-Georges Gabily, les Marchands de Joël Pommerat, Beckett, Claude Régy, Gatti, etc., ainsi que la figure essentielle d’Hamlet auquel il a jadis consacré une thèse mémorable. Une sensibilité frémissante, doublée de l’emportement d’une auscultation théorique étayée, caractérise ce livre, dont l’élaboration court au moins sur plus d’une dizaine d’années d’observations assidues, rapportées avec un ton de voix extrêmement personnel. Raison de plus de s’y confronter en toute spontanéité, en faisant fi de son apparente complexité. Jean-Pierre Léonardini
Le gai théâtre, Yannick Butel (Les Presses du réel, col. « Al Dante », 248 p., 18€). Un précédent ouvrage : Regard critique (Les solitaires intempestifs, 128 p., 13€).





