Sur grand écran, sort le long métrage On vous croit. Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys ont reconstitué une audience au sein du tribunal de la jeunesse de Belgique. Une plongée glaçante dans les rouages de la justice face à l’inceste, un film au réalisme troublant. Disponible sur le site de France Info, un article de Lison Chambe

Qui écoute les enfants ? Qui les écoute lorsqu’ils racontent des choses atroces, inimaginables ? Qui les croit quand leur récit est trop insupportable ? Peu à peu, le tabou qui pèse sur l’inceste se lève. En France, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a conclu en 2023 que dans 81% des cas de violences sexuelles sur mineur, il s’agit d’un membre de la famille de l’enfant, le plus souvent, le père, à 27%. Le même rapport souligne qu’une plainte n’est déposée que dans 12% des cas. Parmi celles-ci, seule 1 sur 100 aboutit à une condamnation de l’agresseur.

Le décor est planté, et la réalité difficile à ignorer. Alors dans un souci de réalisme presque documentaire, Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys exposent, dans On vous croit, ce pan méconnu de l’inceste : l’épreuve du passage au tribunal, dans un système judiciaire parfois traumatisant, où la parole des enfants est seule face à celle des adultes. Alice est nerveuse. Elle a les traits tirés, l’œil anxieux. Elle est mère de deux enfants : Lila, adolescente renfermée et colérique et Étienne, au comportement mutique ponctué d’excès de violence. Tous les trois sont convoqués au tribunal de la jeunesse de Belgique. Leur père réclame son droit de garde alors qu’Alice et ses enfants ont volontairement choisi de couper tout contact il y a deux ans.

Au cœur du film : une scène de 55 minutes, une audience à huis clos. Face à la juge de la jeunesse, la mère, le père, leurs deux avocates respectives ainsi qu’un troisième, représentant l’intérêt des enfants. À l’issue de cette audience, la juge devra trancher : les enfants seront-ils contraints de revoir leur père ? Pour Alice, c’est inimaginable : le père est un violeur. Il a abusé de leur fils, elle en est sûre.
Un récit naturaliste
Pour construire ce récit, Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys se sont appuyés sur plusieurs témoignages et sur les constantes qui en ressortaient : les procédures juridiques sinueuses, longues et faites d’allers-retours, les audiences à répétition, les questions traumatisantes quant aux récits des agressions, répétées encore et encore. Infirmière de profession, Charlotte Devillers s’est notamment appuyée sur son expérience personnelle d’accompagnement des patients. Le film touche du doigt une réalité que les réalisateurs ont voulu représenter dans les moindres détails. Aux côtés des acteurs belges Myriem Akheddiou (la mère) et Laurent Capelluto (le père), au jeu millimétré et d’une justesse impressionnante, des professionnels du barreau interprètent les rôles des avocats. Il en ressort une performance troublante, plus vraie que nature.

La mise en scène est minimaliste. Filmés sans profondeur de champ, les acteurs évoluent souvent seuls à l’écran, laissant apparaître la moindre expression de leur visage, la moindre rougeur dans leurs yeux. Derrière eux, les murs blancs, glaciaux et austères du tribunal de la jeunesse. Comme au théâtre, les protagonistes de l’audience prennent la parole à tour de rôle. Voici l’avocate du père défendant son client, qui prétend ne plus avoir de contact avec sa famille depuis deux ans. Il n’a rien fait, affirme-t-il, il n’a rien à se reprocher. Progressivement, dans le bureau de la juge, on accule Alice. On dresse le portrait d’une mère surprotectrice, paranoïaque. On fait d’Étienne un fils étouffé, manipulé par les psychoses de sa mère, qu’importe son témoignage pourtant éloquent. Un récit familial se tisse. La tension monte, comme un piège qui se referme sur la mère.
L’inversion de la faute
Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys parviennent à construire avec finesse l’inversion de la culpabilité, la mise en doute des victimes, quoi qu’elles disent, peu importent les preuves. « J’ai l’impression que la plupart des gens préfèrent croire que nous mentons, plutôt que de croire ce que nous avons vécu« , s’effondre Alice. D’une mère qui tente de protéger ses enfants, la défense fait une mère qui les détruirait. Pourtant court, le film est une longue traversée de l’enfer kafkaïen des procédures judiciaires dans les cas d’inceste, qui finissent par ajouter du traumatisme à une situation déjà à vif. Lison Chambe
On vous croit, Charlotte Devillers, Arnaud Dufeys : Drame, 1h18. Avec Myriem Akheddiou, Laurent Capelluto, Natali Broods (Belgique, sortie le 12/11).





