Avec sa dernière fiction sortie en salles, Dossier 137, le réalisateur Dominik Moll remonte la piste d’une bavure policière. Survenue au cours des mobilisations des Gilets jaunes en 2018, près des Champs-Élysées. Rencontre

Dominique Martinez – Dossier 137 est-il un film sur la police ou sur les Gilets jaunes ?
Dominik Moll – C’est un polar qui porte à la fois sur l’un et sur l’autre, une enquête policière assez documentée. Je voulais examiner l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, comme institution de contrôle démocratique. Le film explore la situation inconfortable des enquêteurs de l’IGPN. D’un côté, ils sont mal vus par la profession, qui considère leur travail comme discréditant, de l’autre, ils sont accusés par une partie du public et des médias d’être juges et parties, incapables d’enquêter de manière impartiale sur leurs collègues.
D.MA. – Comment vous y êtes-vous pris ?
D.MO. – Je reconnais la difficulté pour les forces de l’ordre d’être confrontées à des épisodes violents, mais refuse que l’on criminalise tous les manifestants. La majorité des Gilets jaunes, souvent novices en matière de mobilisation, avaient des revendications légitimes : défense des services publics, dénonciation des inégalités territoriales, volonté de participer à la vie démocratique… Beaucoup ont été blessés et stigmatisés. Après la crise du Covid, j’ai eu le sentiment que cette période était tombée dans l’oubli, alors que les fractures sociales persistaient. J’ai imaginé les Girard, une famille de Gilets jaunes venue de Saint-Dizier, en Haute-Marne. Je cherchais une ville peu identifiable et proche de Paris. Ancienne cité métallurgique en déclin, proche de Commercy – lieu de la première assemblée des Gilets jaunes –, Saint-Dizier incarne la fracture entre les centres de pouvoir et les petites villes de province, souvent délaissées. Suivre le regard d’une enquêtrice de l’IGPN originaire de là-bas me permettait d’explorer les liens sociaux et géographiques entre manifestants et policiers.

D.MA. – L’autre regard est celui d’une femme de chambre noire…
D.MO. – Oui, parce qu’elle travaille dans un palace parisien proche de la place de l’Étoile mais vit en banlieue, ce qui lui donne une connaissance directe des violences policières dans les « quartiers sensibles ». Elle est légitime pour reprocher à l’enquête de s’intéresser à l’affaire parce que la victime est blanche, alors que les violences contre les jeunes racisés de banlieue sont souvent ignorées. Des comportements racistes dans la police existent et je déplore leur tolérance par la hiérarchie. Et puis, le film joue aussi sur les contrastes entre Paris et sa périphérie, les lieux de pouvoir et les zones modestes.
D.MA. – Images de journalistes, de caméras de rue, de réseaux sociaux… Pourquoi avoir multiplié les sources ?
D.MO. – Lors de mon immersion à l’IGPN, j’ai vu les enquêteurs passer beaucoup de temps à analyser et recouper des heures de vidéos pour reconstituer les faits en cas de plainte. Ce travail minutieux et très cinématographique a inspiré la construction du récit. Les nombreux rushs [ensemble des documents originaux filmés, NDLR] journalistiques visionnés m’ont par ailleurs permis d’imaginer le parcours de la famille Girard, au cœur de l’enquête.

D.MA. – Vous avez laissé le mot de la fin à la victime, filmée face caméra…
D.MO. – Le film suit le regard de l’enquêtrice et suscite de l’empathie pour elle, il fallait donc rappeler que la véritable victime est le jeune Guillaume Girard, grièvement blessé et marqué à vie. Nombre de manifestants touchés ont le sentiment qu’on leur refuse même le statut de victimes, comme si leur présence justifiait les violences subies. C’est un déni terrible. Les autorités devraient pouvoir reconnaître que, dans cette séquence chaotique, des erreurs ont été commises. Propos recueillis par Dominique Martinez

Dossier 137, Dominik Moll : Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité. Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro. Avec Léa Drucker, Côme Peronnet, Guslagie Malanda, Mathilde Roehrich et Solan Machado-Graner (1h56, 2025).





