Les folies d’Olivier Py

Au théâtre du Châtelet, Olivier Py présente La cage aux folles. Une recréation de la comédie musicale d’après le musical new-yorkais, lui-même adapté de la pièce éponyme de Jean Poiret. 50 ans après, le spectacle n’a rien perdu ni de son irrévérence ni de son acuité.

Dans le hall du Théâtre du Châtelet, la foule se presse sous des éclairages stroboscopiques rose vif. Ouvreuses et ouvreurs portent à la boutonnière quelques plumes, probablement réchappées du boa de Zaza. Lorsque le rideau se lève sur le décor, somptueux, on devine que la Cage aux folles, revue par Olivier Py, sera à la hauteur d’une mise en scène qui va se révéler audacieuse, joyeuse et politiquement irrévérencieuse. Au tout début de l’histoire, il y a la pièce, écrite par Jean Poiret. Créée au Théâtre du Palais-Royal en février 1973, elle met en scène l’histoire d’un couple homosexuel, Albin à la ville, Zaza à la scène et Georges, interprétés par Michel Serrault et Jean Poiré. Ils tiennent un cabaret de travestis à Saint-Tropez et ont élevé, ensemble, le fils de Georges. Une pièce dans la pure tradition du théâtre de boulevard où l’homosexualité est prétexte à rire. Pourtant, derrière les rires boulevardiers, c’est bien l’homosexualité qui tient le haut de l’affiche. Pour le meilleur et pour le rire. Le succès est immédiat. En 1978, la pièce est adaptée au cinéma par Édouard Molinaro.

Un succès populaire jusqu’à Broadway

Le film explose le box-office et s’exporte dans le monde entier. L’histoire parvient aux oreilles du compositeur Jerry Herman, qui propose alors à Harvey Fierstein de l’adapter pour Broadway. Ce dernier hésite, finit par accepter, « à la seule condition de transformer l’œuvre en une revendication politique »La Cage aux folles, version comédie musicale, est créée en 1983. La chanson phare, I Am What I Am, popularisée par Gloria Gaynor, devient l’hymne de toutes les Pride qui, depuis 1970 aux États-Unis, célèbrent les émeutes de Stonewall en 1969, premier mouvement de contestation gay et lesbien à la suite d’une descente de police dans ce club de Greenwich Village, à New York. Mais l’apparition du sida au début des années 1980 marque la fin d’une époque, la fin de l’insouciance. L’Amérique reaganienne et homophobe stigmatise la communauté homosexuelle. En France, Jean-Marie Le Pen estime que « le sidaïque est une espèce de lépreux (…) contagieux par ses larmes, sa salive »…

Cinquante ans plus tard, Olivier Py remet sur le métier la Cage aux folles, d’après le livret du musical new-yorkais. Son adaptation tient du pur divertissement, mais un divertissement qui ne baisse pas la garde. Ne rien lâcher… Car si les mentalités ont évolué, la montée des populismes a des relents d’homophobie, alimentés par des discours virilistes et transphobes exacerbés depuis les Manif pour tous. Olivier Py, qui a le sens de la repartie et la plume toujours aussi aiguisée, ne les loupe pas. Les Dindon, future belle-famille bourgeoise tendance tradi dont le père est député du parti Tradition, Famille et Moralité, est joyeusement moquée, ridiculisée. Le grotesque est élevé au rang d’argument politique, le rire se métamorphose en un rire de combat. Les Cagelles, perchées sur leurs talons aiguilles, ne se contentent plus de lever les gambettes : derrière les plumes et les faux cils, elles sentent le danger et revendiquent leur liberté.

Flamboyance et démesure

La mise en scène jette un éclairage vif sur l’homoparentalité, passé dans les précédentes lectures de la pièce pour un argument mineur. Ce qui ne faisait pas sujet alors surprend aujourd’hui par son aspect visionnaire. Alban-Zaza et Georges sont tous deux les pères de ce garçon qui s’apprête à quitter le nid familial. Interprétés par Laurent Lafitte et Damien Bigourdan, ils forment un duo chic et choc qui échappe à la caricature pour jouer la sensibilité sans pleurnicherie, la féminité loin des clichés efféminés, l’amour et les chagrins qui rythment la vie de tout couple. Pendant deux heures et demie, on nage dans la flamboyance, dans la démesure, à tout point de vue, l’émotion à fleur de larmes. Les décors, somptueux, de Pierre-André Weitz, tournent et nous projettent tour à tour au cœur du cabaret, dans les loges, les coulisses, l’appartement familial ou sur un bord de mer totalement kitsch avec des paysages peints sur toile de Saint-Tropez. Weitz a aussi dessiné les costumes, qui ruissellent de paillettes et de strass.

Si l’on ajoute les chorégraphies au cordeau d’Ivo Bauchiero, les lumières virevoltantes de Bertrand Killy, le chœur des Tropéziennes et Tropéziens et la présence vibrante de l’orchestre des Frivolités parisiennes sous la baguette de Christophe Grapperon, tous les ingrédients de la réussite sont là. Les tableaux s’enchaînent avec grâce et magie. Ils, elles et iels nous font rire et pleurer. Olivier Py signe une Cage aux folles exubérante, délurée, joyeuse et émouvante. Marie-José Sirach

La cage aux folles, Olivier Py : jusqu’au 10/01/26, du mardi au vendredi à 20h, les samedi et dimanche à 15h et 20h, le 25/12 à 15h, le 31/12 à 15h et 20h. Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet, 75001 Paris (Tél. : 01.40.28.28.40).

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