Les beaux jours de Winnie

Au théâtre du Petit Saint-Martin (75), jusqu’en janvier 2026, Alain Françon met en scène Oh les beaux jours. Une pièce emblématique de Samuel Beckett. Avec Dominique Valadié, étonnante et réjouissante dans ce personnage à vif.

Bien calée dans son trou, enfoncée jusqu’à la taille, Winnie domine le monde. Enfin au moins tout son univers. C’est-à-dire pas grand-chose. Quelque part, en dessous, Willie, son époux, dort puis lit le journal. Débute une nouvelle journée. Oh les beaux jourspièce de Samuel Beckett, a été donnée pour la première fois en septembre 1961 à New York. La version française, de la main même de l’auteur, est jouée en 1963 à l’Odéon avec Madeleine Renaud dans le rôle de Winnie. Ce sera, pour la comédienne disparue en 1994, un des rôles essentiels de sa carrière. Elle avait 86 ans la dernière fois. Classée pièce maîtresse du théâtre de l’absurde, cette aventure mêle humour et désespoir. Personne n’écoute, personne ne répond, mais le reflet de la vie, celle d’avant sans doute, brille toujours. Dans cette nouvelle mise en scène que signe Alain Françon, Dominique Valadié est Winnie et Alexandre Ruby, Willie.

Au début, et quelques fois ensuite, une sonnerie métallique retentit. Inquiétante. Seul le public semble l’entendre. Les deux personnages ne sont déjà plus au présent. D’ailleurs, ils s’enfoncent dans le sable, à moins que ce ne soit dans des détritus. Quand débute chaque jour, le soleil est déjà chaud et Winnie fait l’inventaire du sac qui recèle sa fortune faite de petits riens. Voilà une ombrelle, un mouchoir, des lunettes, un tube de dentifrice, une brosse à dents « en véritable soie de porc », un revolver… Avec une accélération imperceptible au fil des heures, Winnie gère le temps, elle entretient le feu tiède du dialogue. Willie n’est pas au mieux de sa forme, elle le pense mort parfois mais la vie continue. Comme sur une toile d’araignée, Dominique Valadié glisse d’un instant à l’autre, avec un naturel éblouissant. Elle donne au texte une fraîcheur, une verdeur mise en lumière. La langue de Beckett est crue parfois, et alors Winnie n’est pas ou plus cette caricature de clocharde, de paumée repliée dans son monde intérieur. Voilà une femme qui a vécu, qui se souvient, du spirituel comme du charnel. Fidèle, forcément, aux choix du metteur en scène, ce vieux jeune homme de quatre-vingts ans qu’est Alain Françon.

Dans son océan jaune de poussière sableuse avec à l’horizon peut-être la mer, ou un cours d’eau ou bien juste l’âpreté de la sécheresse définitive, Winnie poursuit son combat contre la fin inexorable. Pour donner au genre humain, malgré tout, l’envie de cheminer encore un peu. Parallèlement, aux Bouffes Parisiens jusqu’au 31/12, dans un esprit finalement pas si éloigné, le metteur en scène propose la Séparation de Claude Simon, avec là aussi une distribution étincelante, notamment Léa Drucker et Catherine Hiegel. Il s’agit de la désagrégation d’une famille déjà mal en point. Depuis bien longtemps en fait, Alain Françon nous a habitués à son artisanat subtil sur le plateau. Gérald Rossi, photos Jean-Louis Fernandez

Oh les beaux jours, Alain Françon : jusqu’au 17/01/26, du mercredi au dimanche à 19h. Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, 75010 Paris (Tél. : 01.42.08.00.32).

Poster un commentaire

Classé dans Les flashs de Gérald, Littérature, Rideau rouge

Laisser un commentaire