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Gaza, la mort

L’actrice Leïla Bekhti s’est engagée auprès des équipes de l’Unicef pour alerter le monde sur le sort des enfants dans la bande de Gaza. Depuis le début de la guerre, plus de 12 300 d’entre eux sont morts. Paru dans le quotidien L’Humanité, un article d’Hayet Kechit.

« Je suis Leïla Bekhti et je m’engage aujourd’hui pour l’Unicef. » En plan serré, dans une vidéo d’une minute et demie sous-titrée en anglais publiée le 17 avril, la comédienne Leïla Bekhti explique, le ton grave et en quelques mots simples, les raisons qui l’ont poussée à rejoindre l’Unicef « pour les enfants de Gaza » et à médiatiser cet engagement. « La situation là-bas est tragique. Les enfants en sont les premières victimes », déclare l’actrice, César 2011 du meilleur espoir féminin pour son rôle dans le long-métrage Tout ce qui brille.

Gaza, l’endroit au monde le plus dangereux pour les enfants

Bombardements incessants, famine, destruction des hôpitaux, des maternités, des écoles, peur permanente… Leïla Bekhti pose les mots sur la tragédie en cours depuis le 7 octobre et la réplique israélienne contre l’enclave palestinienne, après l’attaque du Hamas. Pour l’actrice, « il faut que ça s’arrête. Plusieurs milliers d’entre eux sont séparés, non accompagnés ou orphelins ». « Le nombre de bébés et d’enfants blessés, tués, amputés ou malades est alarmant », alertant sur ce constat déjà formulé par l’ONU : « Gaza est devenu l’un des endroits au monde les plus dangereux pour les enfants. »

Face à cette situation humanitaire catastrophique, l’aide des ONG reste entravée par l’armée israélienne malgré la pression internationale insistante. Elle est pourtant « essentielle » et ses restrictions ont des conséquences meurtrières, alors que « les enfants et les populations civiles ont désespérément besoin d’avoir accès à la nourriture, à l’eau potable et à du matériel médical », pointe l’actrice qui invoque la nécessité pour l’Unicef de « continuer à agir pour pouvoir protéger chaque enfant à court et à long terme ».

12 300 enfants morts depuis le début de la guerre

Dans un rapport publié le 3 mars, l’Unicef avait déjà sonné l’alarme sur leur sort, appelant à un sursaut international pour éviter une famine généralisée, dont les enfants sont d’ores et déjà les premiers à payer le prix. Plus de 12 300 enfants sont morts depuis le début de la guerre à Gaza, qui a tué plus d’enfants en quatre mois qu’en quatre ans de conflits à travers le monde entier, selon l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). Hayet Kechit

« À défaut de liquider le Hamas, la campagne israélienne a détruit la bande de Gaza comme espace de vie, dans tous les sens du terme, avec un bilan humain qui correspondrait, à l’échelle de la population française, à plus d’un million de tués, dont plus de QUATRE CENT MILLE ENFANTS. Ce champ de ruines, sur lequel la haine ne peut que prospérer, sera un terreau fertile à une résurgence de l’islamisme armé, d’autant plus que le Hamas dénoncera la passivité arabe et internationale pour mieux se disculper de sa responsabilité directe dans un tel désastre« . Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po (Le Monde, 28/04/24).

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Nicolas Philibert, un cinéma de relation

Avec la sortie en mars et avril d’Averroès et Rosa Parks et de La Machine à écrire et autres sources de tracas, Nicolas Philibert pose à nouveau sa caméra sur le monde de la psychiatrie. Un an après Sur l’Adamant, qui a décroché l’Ours d’or à Berlin.

Pauline Porro – Après La Moindre des choses et Sur l’Adamant, vous réalisez à nouveau deux documentaires sur la psychiatrie. Pour quelles raisons ?

Nicolas Philibert – J’ai tourné La Moindre des choses en 1995 à la clinique psychiatrique de La Borde, qui incarne le courant de la psychothérapie institutionnelle selon lequel, pour prétendre soigner les personnes, il faut aussi soigner l’institution. À travers ce film, je vais apprendre à apprivoiser, un peu, un monde sur lequel on a tous beaucoup de préjugés. Je vais découvrir que, dans leur immense majorité, les patients en psychiatrie sont surtout des gens effrayés et angoissés. Bien des années plus tard, j’ai eu envie de retrouver ce monde, parce que, au fond, je n’en suis pas complètement revenu. Cela a continué à m’habiter, car on y rencontre des personnes qui nous déroutent, qui nous poussent à nous questionner sur la société, qui nous ouvrent à une certaine poésie… Beaucoup de gens que je rencontre en psychiatrie me renvoient à moi-même et à mes propres vulnérabilités.

P.P. – Comment parvient-on à filmer dans un tel environnement ?

N.P. – J’ai fait ces films d’une manière très improvisée. Quand je me rends au centre de jour L’Adamant, je n’ai pas de programme, pas de plan de travail. J’arrive humblement avec l’idée d’inventer le film jour après jour, au gré des rencontres. Mon cinéma repose sur la relation. J’essaye de faire en sorte que les gens qui sont là aient envie de me raconter des choses devant une caméra, mais je ne force jamais les portes.

P.P. – Après avoir filmé ce centre de jour, vouliez-vous donner une image plus complète de la psychiatrie en filmant un hôpital ?

N.P. – Au début, je ne souhaitais faire qu’un seul film mais, de fil en aiguille, je vais aller à l’hôpital pour y rendre visite à certains des patients rencontrés sur l’Adamant. Petit à petit, ces visites se transforment en repérage et l’idée d’un deuxième film à l’hôpital émerge,  fondé principalement sur des entretiens entre soignés et soignants. En parallèle, j’apprends que des soignants bricoleurs font des visites à domicile pour épauler des patients dans leurs problèmes domestiques. J’accompagne deux d’entre eux et cela me donne envie de continuer. Mais ces films sont trois aspects différents d’une même psychiatrie. Les patients n’en sont pas tous au même point. À l’hôpital, ils traversent un moment de plus grande fragilité. Mais il s’agit dans tous les cas d’aider les uns et les autres à tisser un lien avec le monde. C’est le cas à travers les ateliers sur l’Adamant, les entretiens dans Averroès et Rosa Parks, ou quand on vient réparer une machine à écrire chez un patient.

 P.P. – Les soignés évoquent le manque de moyens dont souffre la psychiatrie. Comment cela se manifeste-t-il ?

N.P. – Aujourd’hui, il existe une psychiatrie déshumanisée, qui ne prend plus le temps car cela coûte cher. On a ainsi supprimé des dizaines de milliers de lits et de très nombreux postes au cours de ces vingt dernières années. Quand on n’a plus le temps de s’occuper des patients, ils sont livrés à eux-mêmes, et ceux dont on se dit qu’ils sont agressifs, on aura vite fait de les enfermer. Lorsqu’on ne peut plus exercer son travail dignement, on finit par déserter, donc on fait appel à des intérimaires qui sont mieux payés, mais qui ne sont pas investis de la même manière. Ce n’est pas lié à la seule psychiatrie, et c’est tout le monde de la santé qui va mal. Entretien réalisé par Pauline Porro

Les films de Nicolas Philibert : 1990, La Ville Louvre. 1997, La Moindre des choses. 2002, Être et avoir. 2007, Retour en Normandie. 2013, La Maison de la radio. 2018, De chaque instant. 2023, Sur l’Adamant. 2024, Averroès et Rosa Parks et La Machine à écrire et autres sources de tracas.

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Le réel, vu de Marseille

Jusqu’au 25 mai à Marseille (13), sous l’égide du Théâtre de la Cité, se déroule la Biennale des écritures du réel. Du théâtre de la Joliette au centre hospitalier Valvert, en 23 lieux de la ville, un festival qui mêle cirque et sciences, théâtre et danse, littérature et arts de la rue pour laisser voir et entendre les secousses du monde.

Sur la scène de la Joliette, superbe théâtre au cadre enchanteur dirigé par Nathalie Huerta, un homme harnaché dans un curieux accoutrement… Masque et tenue bleue-blanche, bloc opératoire ou salle d’abattoir ? Assommé de fatigue, tentant de maîtriser son puissant jet d’eau à haute pression, il nettoie, blanchit, efface le sang qui glisse sur les murs, pulvérise les lambeaux de chair et de carcasse encore accrochés. Sa mission ? Faire place nette et aseptisée, avant la prochaine journée de découpe… Des relents de mort au quotidien, un champ de bataille nauséabond, hauts de cœur et puanteurs, des cadavres par milliers tranchés à la chaîne, « À la ligne » désormais selon le jargon post-moderne !

Sous la direction de Michel André, directeur du Théâtre de la Cité et fondateur avec Florence Lloret de la Biennale des écritures du réel qui fête sa septième édition en ce mois d’avril 2024, le comédien Julien Pillet s’est emparé avec justesse et gravité des mots du romancier Joseph Ponthus, trop tôt disparu. Un spectacle d’une incroyable puissance dramatique, qui donne corps et force à la manifestation marseillaise. Alors que d’aucuns prêchent depuis deux décennies la disparition de la classe ouvrière, alors que s’étalent à la une des médias l’arrogance et l’impudence des profits boursiers, le monde des prolétaires, intérimaires et exclus du « ruissellement financier », fait entendre sa vérité et la dureté de son quotidien. « Écrire le réel, c’est pour nous se tenir au plus près des êtres et des vies », commente le metteur en scène, « c’est percevoir l’inépuisable complexité de ces vies, en acceptant de ne jamais pouvoir les résumer ni entièrement les saisir ». Le ton est donné, la biennale porte bien son nom !

L’enjeu d’un tel événement ? Décloisonner pratiques et démarches artistiques, faire dialoguer monde des arts et mondes des sciences par exemple, inventer de nouvelles formes en de nouveaux lieux de telle sorte que tous les habitants des quartiers et des cités se sentent concernés et invités. L’enjeu ? Jouer de la proximité pour désacraliser la citoyenneté culturelle ! Centres sociaux, collèges, cinémas, librairies et cafés sont investis en autant de traversées artistiques, déclamations poétiques ou cris des luttes, à la découverte des contradictions du monde contemporain, de l’autre exploité dans les usines mexicaines de Tijuana à la frontière des États-Unis ou dépossédé de son Droit du sol en terre de Bure où l’on projette d’enfouir les déchets nucléaires.

Réveiller ou bousculer les consciences, du plaisir de la représentation au désir d’une société à réenchanter, « agir en son lieu et penser avec le monde », proclamait en d’autres termes le regretté Édouard Glissant, le romancier-philosophe et poète de la mondialité contre la mondialisation, de l’être en relation contre l’homme systémique. La Biennale des écritures du réel ? « Un moment populaire, audacieux où beaucoup d’auteurs tentent de soulever cette foutue réalité qu’on subit souvent sans comprendre », témoignait en 2022 Nadège Prugnard, la directrice du Centre national des arts de la rue de Villeurbanne, « de l’éclairer en tissant poésie, politique, rire immense et tragédie pour faire résonner les enjeux de ce monde d’aujourd’hui ».

Du Rhinoceros d’Eugène Ionesco, superbement mis en scène par Bérangère Vantusso au Kheir inch’allah de la comédienne Yousra Dahry, un festival aux multiples facettes. Aux couleurs du monde, foncièrement bigarré et métissé. Yonnel Liégeois

La biennale des écritures du réel : Jusqu’au 25/05, sous la direction de Michel André. Théâtre de la Cité, 54 rue Edmond-Rostand, 13006 Marseille (Tél. : 06.14.13.07.49).      

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Verdun, morne destin

Jusqu’au 28/04, se tient à Fleury-devant-Douaumont l’exposition Destins de Verdun. Un parcours immersif ponctué par de poignants témoignages d’acteurs de l’effroyable bain de sang de 1916. Récités, entre autres, par Omar Sy, Sarah Biasini ou encore Mathieu Amalric. Des voix qui résonnent encore sur l’ancien champ de bataille.

Désormais, une forêt de feuillus, dense, épaisse, « une forêt mémorielle » selon les mots de Nicolas Barret, directeur du Mémorial… Plantée très vite après la Première Guerre mondiale, elle recouvre le champ de bataille de Verdun. Une forêt qui a poussé sur les lieux où, pendant trois cents jours, du 21 février au 18 décembre 1916, 2 millions d’hommes ont combattu. 300 000 morts, 400 000 blessés. Quelle connerie la guerre… Sur un périmètre de moins de quelques kilomètres qui s’étend du Mémorial au fort de Douaumont, de Froideterre au fort de Vaux, la forêt ne parvient pas à masquer un sol cabossé, un sol troué d’obus (on en a tiré plus de 60 millions). On traverse les ruines de Fleury-devant-Douaumont, village détruit, « mort pour la France » selon l’expression consacrée. Des bornes indiquent l’ancien tracé des rues, l’emplacement de certains commerces. Quelle connerie la guerre…

La terre a tremblé à Verdun

Visiter Verdun, ce n’est pas rendre hommage à la guerre, c’est prendre la mesure de ses horreurs ; c’est imaginer la souffrance de ces hommes, leur courage aussi. De cette guerre-là, tous en sont revenus meurtris. La terre a tremblé à Verdun. On pouvait mourir enlisé dans la boue. On crevait de soif. Des deux côtés, français comme allemand, les hommes étaient relayés tous les huit jours avec le sentiment, quand ils quittaient le front, de quitter l’enfer. Gueules cassées, cœurs brisés, les poilus n’en sont pas revenus indemnes. Elle devait être la Der des ders… L’exposition Destins de Verdun est un retour aux sources, « aux intentions originelles » de l’objet même du Mémorial, selon les mots de son directeur, avec la volonté de raconter l’histoire à hauteur d’hommes et de femmes. Tout a commencé via les réseaux sociaux, avec la publication chaque semaine du destin d’un des protagonistes de cette bataille.

Fort du succès de cette initiative, plus d’un million de vues, sous la houlette de Florence Guionneau-Joie, historienne de l’art, et de Nicolas Czubak, historien et formidable passeur de cette histoire, l’équipe a décidé de consacrer une exposition hors les murs du Mémorial, sur les lieux mêmes du champ de bataille. Un dispositif numérique – scanner un QR code – permet d’écouter, aux pieds du fort de Douaumont ou de l’ouvrage de Froideterre, les récits des 20 témoins. Quatre minutes de témoignages, tous bouleversants.

Omar Sy, parrain de l’exposition, prête sa voix à Moussa Dansako, tirailleur sénégalais comme on appelait indifféremment tous les soldats africains enrôlés par l’armée française. Avec son bataillon, dans le brouillard d’octobre 1916, Dansako a repris le fort de Douaumont, ce qui lui vaudra une citation. Mais 86 de ses camarades y ont laissé leur vie. « Était-il malien, sénégalais, burkinabé, nigérien, guinéen ? Son nom même a-t-il été bien retranscrit par le recruteur français ? ». Omar Sy, qui était venu présenter le film Tirailleurs à Verdun il y a un an, a découvert cette histoire. Prêter sa voix à Moussa Dansako, « c’est incarner, humaniser une histoire collective tragique. Ces ” petites histoires ” qui font la grande histoire et nous permettent (…) de nous connecter à ces hommes, de mieux les connaître et de s’en souvenir », dit-il dans un texte qui accompagne l’exposition.

Le combat de Fernande Herduin

Clotilde Hesme raconte le combat de Fernande Herduin… Veuve du lieutenant Henri Herduin, fusillé le 11 juin 1916, accusé d’abandon de poste pour avoir mis à l’abri son régiment, déjà pas mal décimé, condamné par l’armée française sans aucun procès. Fernande, sa femme, portera plainte contre l’officier qui a ordonné l’exécution, le colonel Bernard, pour assassinat. Outre le soutien de la Ligue des droits de l’homme, elle aura l’appui de deux députés communistes, Berthon et Morucci, qui vont interpeller, en avril 1921, le ministre de la Guerre sur le sujet. Face à « la Grande Muette », Fernande Herduin va se battre jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on inscrive sur la tombe de son époux « mort pour la France ». Elle obtiendra gain de cause. Son combat contribuera à la réhabilitation de tous les soldats fusillés par l’armée lors de cette guerre.

Sarah Biasini évoque le destin tragique de Benno Hallauer, médecin obstétricien allemand, déjà connu pour ses travaux novateurs afin de réduire la douleur des femmes lors de l’accouchement. Il est affecté au fort de Douaumont. Deux jours après son arrivée, le 8 mai 1916, de violentes explosions à l’intérieur de la bâtisse font trembler le fort. Des centaines de morts, entre 700 et 800 compte-t-il, provoquées par l’explosion d’un stock d’obus entreposé là. Après la guerre, le médecin va se consacrer à la lutte contre le cancer. En 1933, Hitler arrive au pouvoir. Déporté, il meurt en 1943 avec sa femme, à Auschwitz. « Il avait pourtant servi son pays… »

Plus d’un siècle a passé. Ces trois témoignages, parmi les 20 présentés, participent de cette volonté de raconter l’histoire à hauteur d’hommes et de femmes. Derrière les chiffres, terribles, terrifiants, on y entend l’horreur de la guerre. D’hier à aujourd’hui, quelle connerie la guerre ! Marie-José Sirach

Exposition « Destins de Verdun » : Jusqu’au 28/04, tous les jours de 9h30 à 18h30. Mémorial de Verdun, 1 avenue du Corps européen, 55100 Fleury-devant-Douaumont (Tél. : 03.29.88.19.16).

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Zazie, l’effrontée du métro

Du Havre (76) à Liège (Belgique), puis d’Antibes (06) à Fribourg (Suisse), Zabou Breitman redonne du peps à Zazie dans le métro. Une mise en scène, façon comédie musicale, de l’œuvre truculente et drôle de Raymond Queneau, parue en 1959 chez Gallimard.

Pas de chance. Elle se faisait une fête de prendre le métro, pour une fois qu’elle venait à Paris. Mais « y a grève », explique son tonton Gabriel. « Ah les salauds, ah les vaches, me faire ça à moi », réplique la jeune demoiselle aux longues nattes, dépitée. Elle n’a pas la langue dans sa poche, cette donzelle délurée comme pas un. Et c’est ainsi que débute Zazie dans le métro, œuvre sensible, drôle et malicieuse que Raymond Queneau publia en 1959 chez Gallimard. Ce roman très dialogué qui associe sous ses aspects fantasques quelques belles matières à penser sur le genre, les bonnes manières, la domination des mâles, et en même temps les évolutions de la société, est certes un peu daté. D’ailleurs, on ne côtoie plus guère aujourd’hui – et c’est dommage – cet écrivain, poète et dramaturge.

Zazie dans le métro fut son premier succès populaire. Sorti en 1960 avec entre autres Philippe Noiret, le film de Louis Malle y contribua incontestablement. Cette fois, c’est Zabou Breitman qui s’y attelle. La metteure en scène a non seulement adapté le texte, mais elle l’a porté sur le plateau d’une comédie musicale. L’idée est excellente, il faut le souligner : Zazie redevient moderne, pleine de vie et de joie de vivre. Du haut de ses 10 ou 12 ans, la gamine rencontre le petit monde d’un Paris qui marie poésie et quotidien des hommes et des femmes qui peuplent avec modestie la ville magique. Et elle n’a rien perdu de la verdeur de son langage.

Grossière, jamais vulgaire

Pour autant, « elle peut être grossière, jamais elle n’est vulgaire », souligne Zabou Breitman, à qui l’on doit aussi l’écriture des chansons, lesquelles sont bien façonnées, dans le jus des années soixante, ce qui rend l’ensemble limpide et permet de suivre le déroulé et les méandres de l’intrigue. Reinhardt Wagner a composé des musiques souvent jazzy, douces aux oreilles actuelles tout en conservant un parfum des chansons réalistes d’alors. Autrement dit, cette belle adaptation n’a pas un seul moment imaginé s’arrimer à quelques musiques actuelles. C’est tant mieux. Cette Zazie, découverte le soir de sa première à la maison de la culture d’Amiens, a conquis haut la main son public de plusieurs centaines de personnes, de tous les âges et tous les sexes.

Sur la scène, à demi dissimulés et encadrant un décor mobile représentant le plus souvent des quartiers de la capitale, voilà les musiciens Fred Fall, Ghislain Hervet, Ambre Tamagna, Maritsa Ney, Scott Taylor et Nicholas Thomas, qui méritent d’être salués. Tout autant que les comédiens chanteurs, Franck Vincent (Tonton Gabriel), Gilles Vajou, Fabrice Pillet
, Jean Fürst, Delphine Gardin, Catherine Arondel, sans oublier Zazie, autrement dit Alexandra Datman. Cette dernière ne manquera pas de répliquer, si l’on fait un peu trop de bruit : « Alors quoi, merde, on peut plus dormir ? » Surtout, elle cherchera à comprendre les histoires et autres aventures que vivent les grandes personnes. Mais attention, si chez Queneau on se marre, il faut toujours regarder ce qui se cache derrière les mots.

Histoires de grandes personnes

La pièce démarre sur l’odeur que véhiculent les voyageurs dès le matin dans les gares parisiennes, mais il est rappelé, en lever de rideau, que « dans le journal, on dit qu’il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bains, en 1959 ». La critique sociale est claire. Par chance, Tonton se parfume avec « Barbouze de chez Fior », c’est, dit-il, « un parfum d’homme ». Son pote Charles fait le taxi, un boulot de mec, tout comme le sien d’ailleurs, Tonton se dit veilleur de nuit. D’ailleurs, il quitte le domicile et sa Marceline d’épouse tous les soirs pour aller au chagrin. Mais Marceline, qui n’est autre, finalement, que Marcel, n’ignore rien de son véritable turbin. Tonton Gabriel danse dans un cabaret travesti. Alors Zazie insiste : « Tonton Gabriel, tu m’as pas encore espliqué si tu étais un hormosessuel ou pas. Réponds donc. » Ceci dit dans la plus normale des normalités.

Et pour l’époque, ce n’est pas rien. Plus de soixante ans après, les droits des personnes LGBTQIA +, comme l’on ne disait pas à l’époque de Raymond Queneau, subissent toujours en France et plus rudement encore dans certaines parties du monde une violence qui s’affiche publiquement. Finalement, la gamine repartira avec sa « manman » par « le train de six heures soixante ». Après avoir remis quelques pendules à l’heure. Ça fait du bien. Gérald Rossi

Zazie dans le métro, Zabou Breitman : les 3 et 4/04 au Havre, du 10 au 13/04 à Liège (Belgique), du 16 au 18/04 à Antibes. Ensuite Fribourg (Suisse), Anglet, La Rochelle, Villeurbanne… L’ouvrage est disponible chez Folio-Gallimard.

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McCoy, des chevaux et des hommes

Les 15 et 16/02, au Théâtre de Caen (14) se joue On achève bien les chevaux. Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra du Rhin, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, de la Compagnie des Petits Champs, mettent en selle le roman d’Horace McCoy pour 32 danseurs et 8 comédiens. Impressionnante cavalcade

Il est étonnant que, jusqu’à présent, aucun chorégraphe n’ait porté au plateau ce roman noir, publié en 1935 et redécouvert grâce au film de Sidney Pollack, They Shoot Horses Don’t They ?,  en1970. Sujet idéal pour mêler, comme chez Pina Bausch, théâtre et ballet, il met en scène un de ces marathons de danse organisés à travers les Etats-Unis, au temps de la Grande Dépression. Suite la crise financière de 1929, et son cortège de chômage et de misère, ces concours qui pouvaient durer des semaines, voire des mois, permettaient aux participants de gagner quelques dollars ou, du moins, d’obtenir des repas gratuits tant qu’ils tenaient le coup au rythme infernal imposé à ce « bétail humain ». Horace McCoy (1897-1955) situe On achève bien les chevaux en Californie, et y parle des figurants prêts à tout, dans l’espoir d’être remarqués et de décrocher un contrat auprès d’éventuels producteurs de cinéma présents dans le public. L’écrivain et scénariste, écorne ici le rêve américain, exacerbé par le mirage de Hollywood.

Pour cette création très attendue, le trio de réalisateurs est parti du seul roman. « Nous avons d’abord déterminé des plans-séquences, puis inséré les dialogues. Peu de texte, la danse est privilégiée et le rôle principal, c’est le groupe ». 40 interprètes déboulent sur le plateau de l’amphithéâtre, aménagé comme un gymnase. Un peu perdus, houspillés par Socks, directeur et animateur du show, et Rocky son adjoint, ils cherchent un coin où se poser, avec leurs maigres bagages. Le temps d’entendre le règlement et les voilà partis pour danser jusqu’à perdre haleine. De cette petite foule, émergent des individus dont les destins croisés seront le fil conducteur de la pièce. Au milieu des couples, Robert et Gloria, venus seuls, s’apparient par nécessité, dans le même désir de sortir du lot. Leur histoire tragique dessine la trame principale de la pièce.

Danseurs et comédiens se fondent dans le même mouvement narratif, difficile de distinguer qui appartient au Ballet de l’Opéra du Rhin et qui à la compagnie des PetitChamps. Ils se glissent dans la peau des différents personnages, se distinguant les uns des autres par leurs gestuelles et leurs costumes. Les pauses, trop courtes, sont l’occasion de brefs échanges. Une danseuse tente un solo classique… Au fil des styles de danse, des derbys éliminatoires, d’une fête de mariage, de moments d’abattement ou de révolte, la fatigue s’inscrit dans les corps… Certains abandonnent, d’autres s’effondrent. Sous les yeux d’un public à la fois voyeur et complice, attisé par Socks, Daniel San Pedro en inépuisable bateleur à la solde de ce show de bas étage.

Quatre musiciens donnent le tempo : rock, blues, swing… Leur entrain contraste avec l’épuisement des danseurs. Ils citent et détournent avec talent des tubes intemporels. On reconnaît des airs du film Le Magicien d’Oz ou la chanson de Louis Armstrong What a Wonderful World… Marquant le pas, eux aussi, ils sont parfois relayés par des musiques enregistrées… Le petit orchestre reste présent tout au long du ballet, découpé en séquences ponctuées par les ambiances urbaines de la bande son avec le passage d’un métro. Des annonces égrènent le temps qui s’écoule, 63 jours et 1 500 heures de danse, puis le marathon est interdit, suite à une plainte de la Ligue des Mères pour le Relèvement de la Moralité Publique. En 1937, c’est le suicide d’une danseuse, à Seattle, qui mit fin à ces spectacles dignes des jeux du cirque romain.

Dans le cadre enchanteur de Châteauvallon, le 6 juillet 2023, la première mondiale avait subi les aléas du plein air. Les artistes ont courageusement fait face à une pluie torrentielle qui a inondé le plateau. Comme dans On achève bien les chevaux, « the show must go on », ils se sont remis en piste après vingt minutes d’interruption, encouragés par un public resté stoïque sous l’orage. Difficile dans ces conditions de reprendre la course. Mais ce galop d’essai fut plus que prometteur. Le chorégraphe et les metteurs en scène voient dans leur projet des résonnances avec nos crises contemporaines, « avec de lourdes conséquences pour les artistes indépendants ». Le spectacle rend aussi hommage à l’engagement physique des danseurs en remettant la fatigue au cœur même de leur pratique. Mireille Davidovici, photos Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux, d’après They Shoot Horses, Don’t They? d’Horace McCoy. Adaptation, mise en scène et chorégraphie de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro : Les 15 et 16/02, au Théâtre de Caen. Du 07 au 10/03, à La Filature de Mulhouse. Du 02 au 07/04, à l’Opéra de Strasbourg. Les 11 et 12/04, à la Maison de la culture d’Amiens.

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Sauve qui peut, la révolution !

Jusqu’au 10/02, au théâtre de L’échangeur à Bagnolet (93), Laëtitia Pitz présente Sauve qui peut (la révolution). Une adaptation du roman de Thierry Froger, dont le titre fait référence à Sauve qui peut (la vie), le film de Jean-Luc Godard. Une formidable proposition artistique, un spectacle éminemment politique.

C’est sans conteste une formidable proposition artistique que nous offre Laëtitia Pitz avec son Sauve qui peut (la révolution)Sa proposition, sa réalisation scénique, sont parfaitement abouties jusque dans leurs moindres détails, avec même une réelle bien que très discrète méticulosité. Nous sommes au-delà d’un simple travail théâtral, le sous-titre du spectacle précise d’ailleurs qu’il s’agit d’« une série théâtrale et musicale en 4 épisodes », et il convient d’inclure dans l’appellation de théâtre le travail scénographique avec la lumière et celui concernant la vidéo, sans parler de la direction d’acteurs. Lapalissade ? Pas vraiment au vu du résultat. Quant aux quatre épisodes, ils correspondent à quatre mouvements d’une heure chacun que l’on peut saisir séparément, mais on y perdra alors le grand mouvement d’ensemble, toutes les subtilités renvoyant de l’un à l’autre comme dans toute grande œuvre musicale.

Un roman, un film, une pièce…

Le travail de Laëtita Pitz est inspiré de l’étonnant roman (aussi bien dans son propos que dans sa composition) de Thierry Froger paru en 2016 et dont elle a gardé le titre qui fait référence au film de Jean-Luc Godard, Sauve qui peut (la vie). De Godard donc, il est clairement question dans le livre de Thierry Froger, c’est même lui, peut-on penser, le personnage principal, mais dans un subtil dispositif renvoyant à la parenthèse : la révolution. Soit la préparation du Bicentenaire de la Révolution française en 1988, et la volonté du ministère de la Culture et de son responsable Jack Lang ainsi que de la Mission du bicentenaire de commander au cinéaste un film sur le sujet non pas dans un esprit de commémoration, mais pour donner « une vision moins convenue de l’événement, impertinente même » (sic)… Acceptation de Jean-Luc Godard et début de la préparation d’un film qui ne devrait finalement, après acceptation de toutes les parties, voir le jour que 4 ans plus tard : le projet s’intitulera logiquement « Quatre-vingt-treize et demi », référence faite à la date envisagée de sa sortie !

Passons sur les nombreuses péripéties qui parsèment le parcours du cinéaste le menant auprès d’un ami, Jacques, connu autrefois durant leur « période mao », vivant désormais à Chalonnes-sur-Loire, sur la relation, le « contact », qu’il va établir avec sa fille, Rose, tout juste bachelière, sur le fait aussi que l’ami en question est devenu un historien reconnu et travaille sur la figure de Danton, mais soulignons simplement que le lien avec la parenthèse du titre du roman est ainsi parfaitement établi. Il est bien question – de manière oblique ? – de révolution, celles d’hier et d’aujourd’hui jusqu’à sa commémoration. Soulignons aussi que la composition du livre est très particulière qui entremêle différents thèmes, fonctionne par courtes séquences qui se distinguent même typographiquement : cette composition Laëtitia Pitz, dans son adaptation, la reprend à son compte. Ce qui, bien sûr, ne l’empêche en aucune manière de la transformer en lui restant fidèle, et d’y apporter ses propres aménagements et sa propre touche. À cet égard son adaptation est d’une rare intelligence. Elle conserve la liaison entre le XVIIIsiècle, celui de Danton et autres Robespierre ou Saint-Just et le XXe siècle, celui de Godard, tout en nous renvoyant à notre aujourd’hui du XXIsiècle qui est présent en filigrane. En ce sens ce spectacle est éminemment politique, bien plus que ceux qui d’emblée annoncent cette appartenance dans l’air du temps.

D’une déambulation à l’autre

Ces jeux d’une époque à l’autre, d’une révolution à l’autre qui ne dit pas forcément son nom, s’opèrent dans un constant jeu de variations qui s’établit dans une aire de jeu aménagée par Anaïs Pélaquier également présente sur le « plateau » comme si dans ses déplacements souvent muets elle venait en mesurer toute la pertinence et la matérialité. De ce point de vue ses « déambulations » acquièrent une particulière importance, alors que, bien sûr, les spectateurs sont amenés à focaliser leur attention sur les deux comédiens, Camille Perrin et Didier Menin, absolument présents dans les différentes figures, hommes ou femmes, qu’ils présentent (pour rester dans une note brechtienne) et incarnent. Pour que cela puisse advenir, il suffit de quelques tables de classe mises bout à bout et dont la disposition variera selon les épisodes, soulignant la volonté de l’équipe du Roland furieux (c’est le beau et très pertinent nom de la compagnie) de faire varier l’axe du regard des spectateurs qui d’ailleurs ont changé de place durant les intermèdes entre les épisodes.

Quelques livres sur les tables donc, des papiers (manuscrits ou textes du spectacle), des ordinateurs, et ce sera tout pour faire théâtre, encore qu’à y regarder de près la « nudité » de l’aire de jeu est savamment calculée, et c’est bien plutôt la vision d’un studio de travail avec ses micros, ses projecteurs, ses écrans, ses baffles qui imprègne notre vision. La fresque visuelle que le travail sonore (la composition sonore et musicale sont signées par Camille Perrin) présent et cependant discret, c’est-à-dire ne venant pas, comme c’est souvent le cas, envahir l’espace, durant toute la durée des épisodes. Il y a là un dosage et une rythmique parfaitement maîtrisés, et dès lors c’est un véritable régal de voir les deux comédiens principaux assumer, je l’ai dit, tous les rôles des nombreux protagonistes, avec bien sûr quelques morceaux de choix comme par exemple les dialogues entre Marguerite Duras et Jean-Luc Godard ou encore les lettres échangées entre les protagonistes.

Une belle jouissive aisance

L’intrusion de personnalités que tout le monde connaît, Marguerite Duras donc mais aussi Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, et bien d’autres…, dans la trame même de l’intrigue nous promène du réel à la fiction, et inversement de la fiction au réel. Ainsi le jeu se développe-t-il vraiment entre fiction et réalité. Toutes les gammes narratives sont sollicitées et c’est un prodige de voir les comédiens passer d’un registre à l’autre sans coup férir et avec une belle jouissive aisanceSauve qui peut (la révolution), dans le triste paysage théâtral d’aujourd’hui, apparaît bien comme une très réjouissante exception. Jean-Pierre Han

Sauve qui peut (la révolution), mise en scène de Laëtitia Pitz : jusqu’au 10/02, le jeudi et vendredi à 19h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Théâtre de L’échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, 93170 Bagnolet (Tél. : 01.43.62.71.20). 

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La culture, pour que la guerre cesse

Le dimanche 19 novembre, 14h à Paris, à l’initiative du collectif « Une autre voix », plus de 500 personnalités du monde de la culture appellent à une « marche silencieuse, solidaire, humaniste et pacifique ». Pour que « cesse immédiatement » la « guerre fratricide » entre Palestiniens et Israéliens.

L’actrice Lubna Azabal, présidente du collectif « Une autre voix »

Parmi les signataires : Simon Abkarian, Isabelle Adjani, Pierre Arditi, Ariane Ascaride, Aure Atika, Jacques Audiard, Nathalie Baye, Pauline Bayle, Charles Berling, Juliette Binoche, Sami Bouajila, Laure Calamy, Marilyne Canto, Isabelle Carré, Marion Cotillard, Jean-Pierre Darroussin, Arnaud Desplechin, Nasser Djemaï, Stéphane Goudet, Christophe Honoré, Agnès Jaoui, Michel Jonasz, Claude Lelouch, Jalil Lespert, Anne-Laure Liégeois, Alex Lutz, Ibrahim Maalouf, Nicolas Mathieu, Sylvain Maurice, Kad Merad, Sabrina Ouazani, Bruno Podalydès, Elie Semoun, Leila Slimani, Bérangère Vantusso, Régis Wargnier, Elsa Wolinski…

« Le 7 octobre 2023, le monde s’est réveillé éventré. Les viscères de son humanité entre les mains. Le 7 octobre 2023, les vies de 1450 civils Israéliens ont été broyées, exterminées, détruites, assassinées, un massacre perpétré par les milices terroristes du Hamas. Le 7 octobre 2023, 240 civils israéliens ont été kidnappés et demeurent introuvables (…) Depuis le 7 octobre 2023, le sang ne cesse de couler, depuis, des milliers de civils palestiniens meurent à leur tour, ils meurent toutes les heures, tous les jours sous les bombardements de l’armée israélienne.

(…) Depuis le 7 octobre 2023, l’horreur et la souffrance déchirent Palestiniens et Israéliens selon une mathématique monstrueuse qui dure déjà depuis longtemps. Cette guerre fratricide nous touche toutes et tous, et peu importent nos raisons ou affinités de part et d’autre du mur, nous souhaitons qu’elle cesse immédiatement et que les deux peuples puissent enfin vivre en paix.

(…) Aujourd’hui le monde est dramatiquement divisé. Aujourd’hui nos rues sont divisées. Une vague immense de haine s’y installe peu à peu et tous les jours actes antisémites et violences en tous genres surgissent dans nos vies. Les mots « choix » et « clan » nous sont imposés : « Choisis ton clan ! » Mais quand la mort frappe, on ne pleure ni ne se réjouit en fonction de son lieu de naissance.

(…) À cette injonction de choisir un camp à détester, il est urgent de faire entendre une autre voix : celle de l’« union ». La voix de l’union, c’est la voix multiple, polyphonique, vivante, c’est la preuve du lien si puissant qui existe en France entre les citoyens juifs, musulmans, chrétiens, athées et agnostiques (…) C’est la voix qui est à l’unisson de nos cœurs et plus que jamais il est urgent de la faire entendre. Ensemble. Urgent que cette voix-là se mette en marche et retisse maille à maille les tissus déchirés de nos rues.

Cette voix forte et unie n’a pas besoin de parler parce que le silence, nos visages et nos corps côte à côte sont la plus belle réponse aux vociférations de tous les extrêmes. C’est pourquoi nous organisons une marche silencieuse, solidaire, humaniste et pacifique qui s’ouvrira avec une seule longue banderole blanche. Pas de revendication politique, ni de slogan. Drapeaux blancs, mouchoirs blancs sont les bienvenus…

Rejoignez-nous le dimanche 19 novembre à 14 heures. Nous partirons de l’Institut du monde arabe vers le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme pour aller vers les Arts et Métiers ».

Le collectif « Une autre voix » : Lubna Azabal (présidente), actrice. Arnaud Antolinos, secrétaire général du Théâtre national de La Colline. Clémentine Célarié, actrice et réalisatrice. Vito Ferreri, auteur et scénariste. Julie Gayet, actrice, scénariste, réalisatrice. Christelle Graillot, agent artistique. Baya Kasmi, scénariste et réalisatrice. Wajdi Mouawad, auteur et metteur en scène. Jamila Ouzahir, attachée de presse.

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Justine Triet, en chute libre

Palme d’Or au Festival de Cannes 2023, sort Anatomie d’une chute. Un film de Justine Triet qui sonde les rapports de force dans un couple et les liens parents-enfants : plongée vertigineuse dans l’intimité d’une famille, portrait d’une femme forte, cheminement vers une vérité impénétrable.

Sandra, Samuel et Daniel, leur fils malvoyant de 11 ans, vivent isolés à la montagne. Un jour, Samuel est mystérieusement retrouvé mort au pied de leur chalet : une enquête est ouverte, Sandra inculpée. S’est-il suicidé comme elle le prétend, ou bien l’a-t-elle tué en le poussant du deuxième étage ? Plus tard, Daniel assiste au procès qui le plonge dans les méandres du couple d’intellectuels que formaient ses parents. Avant la radiographie qu’en fera le procès, la première scène du film montre Sandra confortablement installée dans son salon et occupée à répondre aux questions d’une étudiante venue interviewer l’écrivaine. Il y est question des ressorts de la création littéraire mais aussi d’une subtile séduction. Du premier étage émane une musique trop forte qui les perturbe et finit par les obliger à suspendre la conversation. Samuel jalouse le succès de Sandra, il se sent dans l’ombre alors qu’elle brille. Chargé de l’éducation de leur fils à la maison pour pallier son handicap, il n’est plus qu’un prof qui ne trouve ni inspiration ni temps pour écrire.

Justine Triet campe d’abord une femme complexe, puissante, qui assume sa liberté. Dans une scène violente et magnifique de dispute, le couple s’affronte. Quel don de soi, quels renoncements ? Quel engagement, quelle liberté ? Et, concrètement, quel temps reste-t-il ? Pour qui, pour quoi ? Dans une vertigineuse séquence de reconstitution, dont seule la bande son est entendue lors du procès, les deux parents s’affrontent sur l’inégalité du partage des tâches. Habilement, la cinéaste a retourné les rôles et a attribué au père la place traditionnellement dévolue à la mère : celle où les femmes sacrifient leur carrière et nombre de leurs aspirations personnelles pour l’équilibre de la cellule familiale. Loin d’être manichéenne, la plongée dans l’intimité du couple brasse les questions de culture, de culpabilité, de jalousie, de rapports de force.

Mais l’a-t-elle pour autant tué ? Le procès est un lieu où les points de vue se mêlent, se recoupent, se contredisent. La parole de l’un contre la parole de l’autre. En l’absence de preuves tangibles suffisantes, les récits deviennent tout-puissants. Surtout celui que chaque spectateur se raconte au gré des révélations. Ce qui compte, c’est la force du récit qui va appuyer l’innocence ou la culpabilité. En ce sens, la mise en scène montre le procès comme un nouveau lieu de lutte rhétorique, une scène de théâtre où il s’agit aussi de confronter le mode de vie d’une femme libre et moderne au regard de la société française contemporaine. Un exercice auquel Justine Triet ajoute sciemment une nouvelle couche de complexité en convoquant deux cultures et trois langues à la barre : Sandra est allemande, elle s’exprime en anglais (la plupart du temps), elle est jugée en français.

Anatomie d’une chute est le quatrième long métrage de Justine Triet. On peut le lire comme l’aboutissement d’un parcours. La bataille de Solférino, en 2013, racontait déjà l’affrontement d’un couple pour la garde de ses enfants sur fond de précarité et d’instabilité socio-politique. En 2016, Victoria faisait le récit des tribulations d’une jeune avocate et mère célibataire de deux jeunes enfants. En 2019, co-écrit avec Arthur Harari, Sibyl retraçait l’affranchissement douloureux d’un amour passionnel vécu par une psychanalyste et romancière qui soigne, en même temps qu’elle la manipule, une jeune comédienne en détresse sur un tournage… Depuis le départ, Justine Triet s’attache à montrer des personnages féminins se débattant avec leurs aspirations et leurs difficultés, courant après un épanouissement professionnel, personnel, intime. La question du couple est centrale, celle du poids des responsabilités parentales aussi. Les enfants étaient jusqu’ici des personnages secondaires, périphériques, car encore trop petits. Anatomie d’une chute marque, au contraire, la fin de l’enfance de Daniel. Et d’un aveugle, paradoxe, l’avènement du regard. Dominique Martinez

Anatomie d’une chute, de Justine Triet (2h32). Avec Sandra Hüller, Milo Machado Graner, Samuel Theis, Swann Arlaud.

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Prissac, le village aux trois musées

Machinisme agricole, facteur rural, espace Gutenberg : trois musées regroupés sur un même lieu, le village de Prissac (36). Dans le parc naturel de la Brenne, voilà un site qui mérite le voyage. Et même plusieurs, tant est riche le contenu de ces expositions.

Trois musées ? À vrai dire, il faudrait peut-être nommer le site les quatre musées ! La salle d’accueil, ouverte en 2019 et située dans une maison traditionnelle berrichonne, vaut bien plus qu’un rapide coup d’œil. Au rez-de-chaussée, sont présentés une multitude d’objets du quotidien, utilisés en partie fin du XIX ème et début du XX ème siècle. Lit, poussette, machine à coudre, phonographe, torréfacteur de café, cuisinière, coiffes, vaisselle… On ne compte plus tous ces témoins d’un autre temps ! Le voyage se poursuit à l’étage où sont placés les outils des sabotiers et plusieurs modèles de sabots. Dans les pièces attenantes, une scène de traite de vache a été reconstituée ainsi que le nécessaire pour la fabrication du fromage.

Le tour de l’habitation accompli, les visiteurs sont invités à traverser la cour. Qui accueille deux belles sculptures en bois, un homme au chapeau et une tête de chien, taillées à la tronçonneuse par Patrick Van Ingen, exploitant agricole à la retraite. D’autres créations de l’artiste, tel un ours impressionnant, trônent dans le village de 586 habitants. En quelques pas, se franchit le passage qui conduit aux musées, regroupés dans une immense bâtisse.

Celui du machinisme agricole, le plus ancien ouvert en 1986, est le fruit du travail d’un habitant du village. Pierre Cotinat, mécanicien agricole à partir de 1948, a récupéré des pièces destinées à la casse. L’objectif ? Montrer aux nouvelles générations les matériels utilisés par le passé. Environ 500 pièces sont visibles. Un ensemble exceptionnel constitué, notamment, par 47 tracteurs aux marques emblématiques : Mac Cormick, Massey Fergusson, Deutz, Renault. Commercialisés pour l’essentiel aux premières décennies du XX ème siècle, ils succèdent aux moyens plus rudimentaires : charrues tirées par des bœufs ou des chevaux. Viennent ensuite les ancêtres des moissonneuses batteuses. Des machines actionnées par la force animale, comme cette trépigneuse fonctionnant au pas d’un cheval. C’est une véritable immersion au cœur des techniques qui ont conduit aux futurs équipements modernes.

Place ensuite au service public de la poste avec son fidèle représentant, le facteur, sans doute le plus apprécié de la population ! Personne indispensable dans les campagnes, il est présent dans tous les esprits. Il fut immortalisé par Jour de fête, le film de Jacques Tati tourné dans l’Indre en 1949 à Sainte-Sévère, est-il rappelé sur le site. François Würtz et André Ballereau, deux postiers de la Direction départementale de l’Indre, ont eu l’idée de dédier un musée au facteur rural (…) Ils ont regroupé véhicules, sacoches, boîtes aux lettres, documents (affiches, photos, instructions) et divers matériels. Depuis 1994, date de la création de la première salle d’exposition, l’association Les amis du facteur rural poursuit le travail de collecte.

En 1997, un espace consacré à la création et aux progrès de l’imprimerie est ajouté aux deux précédents musées. Outre la collection de grosses machines, démonstration à l’appui, les techniques primaires d’assemblage des signes sont expliquées aux visiteurs qui mesurent ainsi tout l’apport de l’invention de Gutenberg en 1450 : une révolution dans la reproduction de textes, jusque-là confiée aux moines copistes payés à la lettre. Tout comme l’impact de la linotype utilisée jusqu’en 1997. D’un musée à l’autre, forts d’un accueil et d’un parcours à l’esprit convivial, les visiteurs éprouvent un authentique plaisir à contempler tous ces objets et matériels, témoins de l’évolution des modes de vie. Philippe Gitton

Musées de Prissac : de 14h30 à 18h les mercredi-jeudi et vendredi, de 10h à 12h et 14h à 18h les samedi et dimanche. Avec animations chaque samedi d’août, de 10h30 à 11h30. 33 Route de Bélâbre, 36370 Prissac (Tél. : 02.54.25.06.85, ou mairie de Prissac : 02.54.25.00.10). Courriel : museesdeprissac@gmail.com

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D’Avignon à Hollywood, paroles de femmes

Au Festival d’Avignon, les spectacles se conjuguent au féminin. Plus loin, de l’autre côté de l’océan, à Los Angeles, l’actrice Fran Drescher a donné le top d’une grève historique des acteurs américains. Là-bas comme ici, les femmes prennent la parole.

La programmation de la 77 e édition du Festival d’Avignon s’annonçait féminine et féministe. Julie Deliquet est la deuxième femme à être programmée dans la Cour d’honneur, le lieu emblématique du Festival depuis sa création. D’autres femmes sont présentes : Pauline Bayle, la Brésilienne Carolina Bianchi, la Canadienne Émilie Monnet, Anne Teresa De Keersmaeker, Bintou Dembélé, Clara Hédouin, la Polonaise Marta Gornicka, Rébecca Chaillon, Patricia Allio, Maud Blandel… L’Antigone de Milo Rau est interprétée par l’actrice et activiste autochtone Kay Sara. À Hollywood, la prise de parole de Fran Drescher qui annonce la grève historique des acteurs états-uniens fait trembler les nababs des studios, de Los Angeles à New York. En Iran, en Afghanistan, les femmes ne renoncent pas, malgré la mort qui les guette.

À mi-parcours du Festival, les bruits du monde ne s’arrêtent pas au pied des remparts d’Avignon. Tous les soirs, des milliers de familles se promènent dans les rues de la ville, assistent aux spectacles rue de la République, achètent pour les gamins des ballons de baudruche qui clignotent, des glaces de toutes les couleurs et croisent des amateurs qui courent au théâtre. Les rues comme les salles font le plein. Il y a ceux qui y vont et ceux qui n’y vont pas, qui n’y vont pas encore. Mais qui sont là, quand même. « Courage », est-il écrit au fronton de la Maison Jean Vilar. Ne pas baisser les bras, ne pas renoncer face aux divisions, face à une extrême droite dont la parole est omniprésente, envahissante, trolle les réseaux sociaux. On coupe son smartphone et on court voir le film, magnifique, de Nanni Moretti Vers un avenir radieux. Parce qu’il est des films, comme des pièces, qui vous redonnent du courage.

On a vu l’Écriture ou la vie au Théâtre des Halles, adaptée du livre éponyme de Jorge Semprun, mise en scène par Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre. On est embarqué par la puissance des mots, par la pensée en alerte de Semprun. On a vu Tomber dans les arbres, de et mise en scène par Camille Plocki. Elle raconte la vie, l’engagement de son grand-père, qui n’était autre que l’historien Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle du Vél’d’Hiv, fondateur de l’Observatoire des libertés publiques. Formidable spectacle, joyeux, frondeur, un hommage à ce grand-père qui détestait la police, « comme tout le monde, non ? » s’amuse-t-elle à dire, et ravive ses idéaux révolutionnaires. Le spectacle s’est joué jusqu’à ce dimanche à la Factory. Il sera repris à Paris aux Déchargeurs, nous y reviendrons plus longuement.

On a vu Angela (a Strange Loop) et All of It. Deux propositions, différentes, qui mettent en scène chacune l’itinéraire d’une femme. L’Angela de Susanne Kennedy est un pur produit des réseaux sociaux, une influenceuse qui s’exhibe et parle à ses followers. Elle a basculé dans un autre univers, totalement virtuel, où le réel s’est dissous dans les limbes d’un monde aux contours factices. À ses côtés, un frère, une mère. Les mots sont rares, les voix robotiques (les acteurs parlent en play-back sur leur propre voix préenregistrée), un petit peuple de plastique – on songe au Plastic People de Frank Zappa – qui vit dans un appartement en Formica made in Ikea. Un doudou-loup, d’une voix calme et posée, intervient par écran interposé tout du long. Cela dit le narcissisme poussé jusqu’à son paroxysme, la perte d’humanité. Spectacle étrange, ésotérique même s’il ne laisse pas indifférent.

Alistair McDowall s’est glissé dans la pensée la plus intime de trois femmes et a composé trois monologues mis en scène par deux membres du Royal Court Theatre de Londres, Vicky Featherstone et Sam Pritchard. All of It est un spectacle d’une grande tenue, d’une très grande sobriété, porté par une actrice au jeu impressionnant, Kate O’Flynn. On est happé par cette histoire qui déroule la vie d’une femme, à travers le temps, avec des mots simples qui racontent son émancipation, son désir de vivre. All of It remet le théâtre au centre, la parole, la pensée, au féminin, singulier et pluriel. Marie-José Sirach

All of It : jusqu’au 23/07, à 19h00, Théâtre Benoît XII, 12 rue des teinturiers, 84000 Avignon.

Antigone in the Amazon : jusqu’au 24/07, à 21h30. L’Autre Scène du grand Avignon – Vedène, avenue Pierre de Coubertin, 84270 Vedène.

L’écriture ou la vie : jusqu’au 26/07, à 11h00 (relâche les 13 et 20/07). Théâtre des Halles, 22 rue du Roi René, 84000 Avignon (Tél. : 04.32.76.24.51).

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Trois femmes à la hauteur

Aux éditions Le Clos Jouve, Michel Sportisse publie Yannick Bellon, toute une tribu d’images. Une captivante monographie, d’une écriture chaleureuse et empathique, sur l’œuvre et la vie de la cinéaste et féministe. Avec de beaux portraits de famille, ceux de la sœur et de la mère, Loleh et Denise.

Quand Yannick Bellon (1924-2019) devient cinéaste dans les années 1950, on compte sur les doigts d’une main les femmes derrière la caméra. Il y a Nicole Védrès, laquelle a tourné en 1948 Paris 1900 (Yannick Bellon était son assistante), puis Agnès Varda, dix ans plus tard, avec son film la Pointe courte. Michel Sportisse, historien du cinéma, publie sous le titre Yannick Bellon, toute une tribu d’images, une captivante monographie sur celle qui, élève de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec), finira par totaliser quelque quinze courts métrages de qualité, huit longs métrages marquants et quantité d’émissions exigeantes pour la télévision, sans compter ses travaux de monteuse, sa formation initiale.

Michel Sportisse analyse précisément, une à une, les œuvres de son héroïne, toutes inscrites dans l’ardent souci du réel de la documentariste ( Goémons, d’une durée de 23 minutes, sorti en 1949, fruit d’un filmage ardu dans une île perdue de Bretagne, fut couronné d’un grand prix à Venise), qu’on retrouve dans ses œuvres de fiction de longue haleine, dont la Femme de Jean (1974), Jamais plus toujours (1976), l’Amour violé (1978), l’Amour nu (1981), la Triche (1984) ou encore les Enfants du désordre (1989)… « L’enracinement réaliste » qu’évoque l’auteur va de pair avec un féminisme inspiré en exact rapport avec l’époque de la réalisatrice, qu’il s’agisse du couple, du cancer, du souvenir, du viol, de l’homosexualité ou de l’adolescence délinquante.

Remarquablement informé, d’une écriture chaleureuse et empathique, l’ouvrage brosse de surcroît un beau portrait de famille où sont dépeintes Loleh, la sœur magnifiquement actrice, et la mère, Denise, pionnière de la photographie, tendrement honorée dans le Souvenir d’un avenir. Et l’on croise, dans ces pages érudites et émues, les frères Prévert et le groupe Octobre, l’oncle Brunius, surréaliste impénitent, Jean Rouch, Claude Roy, Jorge Semprun, Henri Magnan, hommes à des moments aimés, tout un bel épisode de la vie intellectuelle et artistique de Paris où ont évolué ces trois femmes à la hauteur dûment ressuscitées. Jean-Pierre Léonardini

Yannick Bellon, toute une tribu d’images : Michel Sportisse, avec une préface d’Éric Le Roy, archiviste au Centre national du cinéma (CNC). Aux éditions Le Clos Jouve où sont déjà parus, du même auteur, des ouvrages sur les réalisateurs italiens Ettore Scola et Mauro Bolognini.

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Alice Guy, pionnière du cinéma

L’année 2023 est l’année du 150ème anniversaire de la naissance d’Alice Guy-Blaché. Pamela B.Green lui rend hommage avec Be natural, le film qui conte l’histoire de la première femme cinéaste. Un nom gommé des mémoires du cinéma, enfin sorti de l’oubli.

Au début, sa vie est « un beau roman, une belle histoire… », comme le dit la chanson. Alice Guy naît à Saint-Mandé (94) le 1er juillet 1873 et commence sa carrière comme sténo-dactylo chez Léon Gaumont en 1894. C’est avec lui qu’elle découvre, l’année suivante, la première projection organisée par les Frères Lumière. Gaumont, très intéressé, souhaite développer le procédé. Le cinématographe n’étant alors qu’un divertissement pour amateurs, il accepte  la proposition d’Alice de créer des petits films. « C’est un métier pour jeunes filles », affirme-t-il. Elle y excelle très rapidement, trouvant là une vraie vocation. Sa Fée aux choux, en 1896, est de fait le premier film de fiction au monde. Elle ne s’arrête pas en si bon chemin, des centaines d’autres suivent, près de mille  selon Martin Scorsese ! Elle sait tout faire (scénariste, réalisatrice, décoratrice, costumière), elle gère toute la production. Elle aborde tous les styles, comique ou sentimental, elle tourne des westerns et invente le « clip musical » avec les chansonniers de l’époque, Mayol ou Dranem. Point d’orgue en 1906, elle tourne La vie du Christ. Un film de 35 mn, une durée exceptionnelle à l’époque, en 25 tableaux, sans doute son chef d’œuvre !

À l’origine de nombreuses innovations technologiques, comme la colorisation et le chronophone (ancêtre du parlant), elle les introduit aux États-Unis où elle suit son mari Herbert Blaché en 1907. Léon Gaumont l’encourage à partir, craignant peut-être que son talent protéiforme ne lui fasse ombrage… Elle crée sa propre société de production à Fort Lee dans le New Jersey, la Solax, qui restera le studio de cinéma le plus important de toute la période pré-hollywoodienne et fera d’elle la première femme directrice de studio. Elle travaille d’arrache-pied, la maternité ne freine pas sa passion. Elle tourne avec les stars de l’époque, mais aussi avec des acteurs noirs, elle révolutionne sur bien des aspects ce que l’on appelle alors la « photoscène ». À savoir la mise en scène : apparition des gros plans, sonorisation et direction d’acteurs résolument moderne avec pour seule consigne « Be natural »… À l’avant-garde quant aux thèmes de ses films souvent teintés d’humour, elle aborde le féminisme et parfois des sujets aussi graves que la maltraitance des enfants ! Plus étonnant pour l’époque, elle tourne en 1916 un film sur le planning familial, Shall the parents decide.

Après des années d’intense activité et d’un large succès, les  choses se gâtent : une partie de ses studios est la proie d’un incendie, elle est en instance de divorce. Alice Guy-Blaché décide de regagner l’hexagone avec ses deux enfants mais la France l’a oubliée et elle ne trouve pas de travail. Dans les premiers ouvrages relatant l’histoire du cinéma, elle constate que son nom n’apparaît pas. Pire, certaines de ses œuvres sont attribuées à d’autres qu’elle a fait travailler, comme Louis Feuillade ! Elle tombe dans les oubliettes, même dans l’histoire de la maison Gaumont : Léon Gaumont promet une correction pour la seconde édition de l’ouvrage, mais il meurt en 1946, ce n’est qu’en 1954  que son fils Louis rétablit l’« oubli ». Alice Guy décide alors de s’attaquer à sa propre réhabilitation. Elle cherche à retrouver ses films, non sans mal. Sans copyright ni générique, ils sont déjà égarés ou disséminés chez les premiers collectionneurs…. Découragée, elle entreprend alors d’écrire ses mémoires, Autobiographie d’une pionnière du cinéma qui, refusée par les éditeurs, ne sort qu’en 1976 chez Denoël : à titre posthume, elle meurt en 1968. À noter que Daniel Toscan du Plantier lui-même, directeur de la maison Gaumont de 1975 à 1985, ignorait son existence !

Comme l’explique l’historienne Laure Murat, « encouragée par Léon Gaumont qui sut lui confier d’importantes responsabilités, objet d’hommages appuyés signés Eisenstein ou Hitchcock, Alice Guy n’a pas tant été victime « des hommes » que des historiens du cinéma. Son effacement est l’exemple même d’un déni d’histoire ». En 1916, l’un de ses derniers films a pour titre Que diront les gens ? Ceux qui verront le documentaire de Pamela B.Green applaudiront à la découverte de ce personnage méconnu. Selon l’aveu de la réalisatrice, reconstituer la vie et l’œuvre d’Alice Guy nécessita un véritable travail d’enquête qu’elle mena en France et aux USA pendant près de dix ans pour dénicher des bobines, des documents, des correspondances, des photos d’époque et glaner des témoignages de son épopée américaine. On y découvre notamment celui de sa fille Simone et, plaisir suprême, deux interviews d’Alice Guy (1957 et 1964) où la vieille dame toujours élégante évoque ses souvenirs. La masse d’informations recueillies est telle que le format du film (103mn) n’y suffit pas. Parfois, on s’y perd un peu sans que l’intérêt ne faiblisse pour ce documentaire exceptionnel.

Sorti en 2019 aux États-Unis et depuis dans plusieurs pays, non sans peine le film trouva enfin un distributeur en France. La Covid 19 coupa le souffle au film, lors de sa sortie nationale… Sans tarder, courez voir Be natural, Alice ne peut sombrer à nouveau dans le jardin de ses merveilles ! Chantal Langeard

Be Natural : L’Histoire cachée d’Alice Guy-Blaché, de Pamela Green. Avec la voix de Jodie Foster (durée : 1h42). Sur Youtube, quelques films d’Alice Guy. Notamment Les résultats du féminisme de 1906, une audacieuse inversion des rôles de genre.

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L’établi de Mathias Gokalp

Après Rien de personnel, une première comédie satirique où il critiquait l’hypocrisie du système de management des cadres, le cinéaste Mathies Gokalp persiste et signe L’établi. L’adaptation, sobre et réussie, de l’ouvrage éponyme de Robert Linhart.

Dominique Martinez – Quarante-cinq ans après la publication de L’établi, pourquoi avoir décidé d’adapter au cinéma l’ouvrage de Robert Linhart ?

Mathias Gokalp – J’ai découvert le livre lorsque je faisais mes études. Le sujet, l’embauche d’un intellectuel à l’usine Citroën en tant qu’ouvrier, m’intéressait. L’ouvrage m’a beaucoup touché, je partageais complètement son point de vue sur le travail. Né dans un milieu bourgeois, j’ai pu faire des études longues et choisir le métier dont j’avais envie. Passé le bac, j’ai un peu plus découvert le monde et pris conscience de ce statut privilégié. Autour de moi, beaucoup de jeunes ne pouvaient pas faire d’études, devaient travailler sans choisir leur métier et entraient dans la vie active de façon contrainte. Pour de nombreuses personnes, la vie professionnelle n’est pas un acte émancipateur mais bien une façon d’assurer sa subsistance. Cette aliénation au travail dont parle Linhart dans son livre me touche.

D.M. – Au point de vouloir en faire un film ?

M.G. – L’autre chose fondamentale, pour l’étudiant en cinéma que j’étais ? La qualité littéraire du texte. Le fait qu’une œuvre militante puisse être d’une telle portée esthétique, c’était une direction qu’on me donnait. Je la mentionnais souvent, tant et si bien que mes producteurs s’y sont intéressés et m’ont fait remarquer la situation dramatique de ce personnage qui dissimule sa véritable identité au sein de l’usine : ce pouvait être le point de départ d’une fiction. J’avais peur mais c’était bon signe, j’avais envie de défendre ce texte et d’entamer un dialogue avec lui.

D.M. – Quel fut votre parti pris pour l’adaptation ?

M.G. – L’important pour moi était de pouvoir partager le point de vue de Robert Linhart. Quand je l’ai rencontré, j’ai compris que c’est ce qu’il attendait. L’intention première du livre est de transmettre un point de vue politique et social, le film servirait donc à faire entendre ces idées. Sur le plan esthétique, je n’ai pas essayé de transposer le style de Robert, un texte n’est pas mécaniquement transposable à l’image. La seule chose à laquelle je croyais, c’était de donner envie de lire son texte. C’est pour cette raison que j’ai gardé en voix off la voix de Robert.

D.M. – En tant que cinéaste, que pensez-vous de l’engagement des intellectuels auprès des classes populaires ?

M.G. – J’ai fait ce film pour reposer la question, cruciale selon moi. Je voulais pointer du doigt cette distance qui se creuse entre les intellectuels et les classes populaires. En tant qu’individu, les inégalités sociales me scandalisent et la lutte des classes me semble essentielle pour comprendre le monde dans lequel on vit. Ce statut de transfuge social ne résout pas tout, bien sûr, mais c’est un mouvement bénéfique qu’il est possible d’accomplir de bien des manières. Même si beaucoup de choses restent à inventer, la diversité des populations réunies dans les manifestations contre la réforme des retraites en est un exemple. Propos recueillis par Dominique Martinez.

Table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu’elles passent au montage, L’établi (éditions de Minuit, 192 p., 8€) est aussi le terme usité pour désigner un intellectuel d’extrême-gauche qui, dans les années soixante, se faisait embaucher à l’usine pour raviver le feu révolutionnaire.

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La syndicaliste, sur grand écran

Avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre, le film de Jean-Paul Salomé, La syndicaliste, est toujours à l’affiche. L’histoire vraie de Maureen Kearney, agressée et violée, alors qu’elle dénonçait un plan secret de transferts de technologie entre EDF et la Chine.

Secrétaire du Comité de groupe européen d’Areva, Maureen Kearney voulait dénoncer un plan secret entre EDF et le chinois CGNPC qui aboutirait à des transferts de technologies et in fine au démantèlement d’Areva. Elle est agressée chez elle quand elle demande la mise à l’ordre du jour de cette question. Dix ans après, les coupables courent toujours. La récente réédition de La syndicaliste*, une enquête de Caroline Michel-Aguirre parue au Livre de poche, se double désormais de la sortie en salle du film au titre éponyme de Jean-Paul Salomé où Isabelle Huppert interprète le rôle de Maureen Kearney.

Avocat du Comité de groupe européen d’Areva au moment des faits, Rachid Brihi se souvient des circonstances de cette agression. « En 2012, j’ai été interpellé par Maureen Kearney au sujet de contrats et négociations secrètes qu’Areva dissimulait aux représentants des travailleurs.  L’avant-projet d’un accord entre Areva, EDF et le groupe chinois CGNPC lui avait été transmis. Sans faire état du fait que nous possédions ce document, le Comité de groupe Européen me mandate pour annoncer à la direction que si elle persiste dans son refus de convoquer la consultation du Comité de groupe européen, nous saisirions la Justice. La Direction dément. Et le juriste de poursuivre : « Je présente alors un projet de résolution à faire voter par les membres du Comité de Groupe européen d’Areva, qui est la dernière tentative pour éviter le contentieux. Or, malgré cette résolution, le PDG Luc Oursel fait la sourde oreille.  Et c’est là qu’arrive le deuxième document… ».

La preuve par la photo       

Maureen Kearney reçoit une photo sur laquelle figurent ensemble le patron d’EDF, Henri Proglio, celui d’Areva, Luc Oursel et He Yu, patron du groupe chinois CGNPC en train de célébrer la signature de l’accord. « J’envoie un recommandé de mise en demeure à Luc Oursel et c’est à ce moment précis qu’arrive la catastrophe : Maureen Kearney, la responsable syndicale de la CFDT, est agressée chez elle. Le procès que voulait intenter le Comité de groupe n’aura jamais lieu ». Alors que la chronologie des faits est plus que troublante, l’agression du 17 décembre 2012 laissera une femme désemparée, dont la parole sera sans cesse remise en cause, jusqu’à être accusée d’avoir été l’auteure d’une mise en scène. Une violence individuelle qui se cumule avec un désastre industriel : « Nous soupçonnions qu’il y avait des transferts de technologies de la filière nucléaire française dans cet accord. Et aujourd’hui, on voit que les Chinois fabriquent des réacteurs nucléaires qui sont revendus en Europe ! », se désole l’avocat.

Sollicité  par la victime, Rachid Brihi demeure choqué par ce drame jusqu’à se demander si ce n’est pas sa mise en demeure auprès du PDG qui aurait été l’élément déclencheur de l’agression. Expert des Comités de groupe européen, l’avocat explique à Maureen qu’elle doit prendre un avocat pénaliste pour cette affaire qui dépasse le champ du droit social. Et il le concède, on arrive ici aux limites des compétences des institutions représentatives du personnel : « Nous avons des outils juridiques qui permettent d’encadrer ou surveiller l’intérêt des travailleurs quand les entreprises capitalistes développent leurs activités. Maintenant, soyons lucides ! D’un point de vue juridique, on peut embêter ceux qui voudraient s’affranchir des prérogatives consultatives mais au final, rien ne remplace la mobilisation des salariés ! ». Propos recueillis par Régis Frutier

*La syndicaliste, une enquête de Caroline Michel-Aguirre (Le livre de Poche, 262 p., 8€40). La syndicaliste, un film de Jean-Paul Salomé avec Isabelle Huppert, Yvan Attal, Marina Foïs, Grégory Gadebois, François-Xavier Demaison, Pierre Deladonchamps (2h02).

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