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Rhinocéros, Ionesco revisité

Au Théâtre Silvia Monfort (75), en partenariat avec le Mouffetard (Centre national de la Marionnette), Bérangère Vantusso présente Rhinocéros. La metteure en scène transpose la pièce d’Eugène Ionesco dans le monde actuel, cerné par la montée des populismes. Une adaptation du texte, signée Nicolas Doutey, réduisant le nombre de scènes et de personnages pour trouver une nouvelle dynamique.

Un Rhinocéros traverse la ville à grand renfort de bruit et poussière. Au café où Bérenger sirote un verre avec son ami Jean qui le chapitre sur son manque de sérieux, c’est l’émoi. Bientôt, l’animal exotique ne suscite plus trop d’inquiétude alors que l’espèce prolifère, piétine chats et chiens, démolit l’escalier du bureau où travaille Bérenger. Le jeune homme voit les gens de son entourage s’accoutumer peu à peu à la présence des pachydermes puis se joindre à la horde sauvage, emportés par « la rhinocérite », une maladie contagieuse qui n’épargne personne et que rien n’arrête. Son ami Jean, pourtant épris d’ordre et de justice, se rallie à eux, tout comme ses collègues de travail les plus opposés. Jusqu’au Logicien, un intellectuel fumeux maniant les faux syllogismes… Même l’amour ne retiendra pas Daisy auprès de Bérenger. Il demeure, seul, à résister : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! ».

Eugène Ionesco, qui a vécu de près la montée du nazisme en Roumanie, s’en prend à la passivité et à l’inaction des gens, face aux idéologies totalitaires. En cela, Rhinocéros ne paraît pas si absurde, en dépit de ses personnages outrageusement caricaturaux. « Rhinocéros est surtout une pièce contre les hystéries collectives et les épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées », écrit-il dans sa préface. À la demande de Bérangère Vantusso, directrice du CDN de Tours depuis 2023, le dramaturge Nicolas Doutey a adapté le texte pour la jeune troupe du théâtre, réduisant le nombre de scènes et de personnages. La pièce trouve ainsi une nouvelle dynamique. Devant l’impressionnant décor qui barre la scène, les six comédiens enfilent leurs costumes à vue, au gré des personnages, et, sur une musique rock, adoptent une gestuelle un peu mécanique, conforme au langage stéréotypé du texte. Parmi eux, Bérenger, garçon bohème (Thomas Cordeiro) et Jean, le donneur de leçons (Simon Anglès), paraissent plus authentiques. Les musiques enlevées d’Antonin Leymarie ponctuent les séquences et font entendre en sourdine la présence inquiétante des monstres, qui se manifestent aussi par des chants séduisants et des fumigènes.

Un mur fait de cubes de céramique blanche délimite les espaces privés : café, bureau, boutiques, appartements de Jean ou de Bérenger. De l’autre côté, cavalcadent et barrissent les dangereux pachydermes, menaçant la fragile cloison d’écroulement. Loin de protéger les humains, ce décor écrasant symbolise la prolifération implacable de la « rhinocérite ». Des briques se brisent violemment au sol, des trous apparaissent dans l’édifice puis la paroi, tel un monstre, avance dangereusement en dévorant les personnages au passage. La scénographie imposante de Cerise Guyon est un terrain de jeu idéal pour la marionnettiste Bérangère Vantusso. Les cubes blancs, manipulés par les comédiens, deviennent, pour les besoins de la narration, chat, lit, miroir ou pavés que l’on s’envoie à la figure… Malgré le coup de jeune impulsé par cette nouvelle version scénique et l’énergie déployée par les interprètes, Rhinocéros reste un peu daté. La pièce semble avoir perdu l’impact qu’elle pouvait avoir à l’époque de sa création, en 1960 par Jean-Louis Barrault.

Il n’empêche, Bérangère Vantusso veut alerter sur une menace réelle. « Au moment où l’Europe replonge dans les eaux sombres du nationalisme, j’ai été saisie par la terrible modernité de Rhinocéros qui déconstruit avec minutie les mécanismes de propagation des idéologies et nous tend un miroir suffisamment déformant pour que nous puissions y réfléchir ». La pièce figure régulièrement au programme des lycées et collèges, les jeunes générations trouveront sans doute les clefs pour entrer dans cette œuvre de 1959, où l’auteur mettait en garde sur le retour de « la bête immonde » et appelait à la résistance, via le personnage de Bérenger. « Si l’on s’aperçoit que l’histoire déraisonne (…), si l’on jette sur l’actualité un regard lucide, cela suffit pour nous empêcher de succomber aux « raisons » irrationnelles, et pour échapper à tous les vertiges », écrit Ionesco, toujours dans sa préface de 1964. Mireille Davidovici, photos Yvan Boccara

Rhinocéros : jusqu’au 14/12, les jeudi et vendredi à 20h30, le samedi à 20h. Théâtre Sylvia Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris (Tél. : 01.56.08.33.88).

Les 13 et 14/02/25 au 140, Bruxelles (Belgique). Les 20 et 21/03 à l’ABC, Scène nationale de Bar-Le-Duc. Le 03/04 au Carreau, Scène nationale de Forbach. Les 16 et 17/04 au Théâtre d’Auxerre. Les 23 et 25/04 à la Maison de la culture d’Amiens. Le 23/05 au Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon.

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Les doléances des sans voix

Le 16 novembre 2024, ce fut grande affluence au théâtre des Amandiers (92) pour Ouvrir les cahiers de doléances ! Cinq auteurs, à la demande du directeur Christophe Rauck, se sont penchés sur ceux écrits par les habitants de Nanterre. Leurs pièces lèvent le voile sur des revendications populaires encore jamais rendues publiques et nous replongent dans le mouvement mal éteint des Gilets jaunes.

La lecture de ces pièces s’est accompagnée de débats avec des historiens et journalistes et d’un film documentaire, Les Doléances, d’Hélène Desplanques.

Des dizaines de milliers de pages, couvertes de mots manuscrits, de slogans, de déclarations, signées ou anonymes : près de 20 000 cahiers enfouis dans les archives départementales ou nationales, le plus grand sondage de l’histoire avec plus de 600 000 contributeurs… Noham Selcer, dans 2937W60raconte sa visite aux archives par un froid après-midi d’hiver. « Le bâtiment des archives des Hauts-de-Seine a été inauguré le 2 avril 1979. Il s’agit d’une construction d’un étage accolée à une construction de sept étages, les deux reliés par une sorte de passerelle. Le public, c’est-à-dire moi quand je m’y suis rendu n’a accès qu’au bâtiment d’un étage où se trouve la salle de consultation […] J’ai demandé aux archivistes de m’apporter le document 2937W60 : Cahier du grand débat national de la commune de Nanterre 2019 et me suis assis sur une chaise bleue […] De l’autre côté de la passerelle, 24km d’archives rangées dans des classeurs de tailles variables. Plusieurs personnes travaillent chaque jour à cet ordonnancement et cette conservation […] Elles refusent de vous donner l’accès à certains documents si vous n’avez pas votre dérogation ». Et pour les cahiers de doléances, il en fallait une. Noham Selcer nous dévoile ce qu’il a exhumé – du meilleur comme du pire – avec une précision d’archiviste, un brin d’humour, beaucoup de surprises et d’émotions : « On s’attend à certaines choses. On désire lire certaines choses. On espère lire certaines choses […] Pas vrai ? »

De gauche à droite : Constance de Saint-Rémy, Christophe Pellet, Claudine Galea, Noham Selcer, Penda Diouf. Phot. © Géraldine Aresteanu

Les cahiers prennent la parole

Dans Et toi, tu y étais sur les ronds-points ?, Penda Diouf fait parler un de ces papiers : « Les archives, c’est un peu le mouroir, la voie de garage. J’aurais imaginé une fin plus festive, plus animée comme l’ambiance sur les ronds-points. Mais c’est dans le silence épais qu’on nous a installés […] Peu connaissent notre existence, au milieu de ces étagères de documents. […] On nous regarde avec déférence. Une lettre au Père Noël sans étoile qui brille dans les yeux/ Sans l’espoir d’être un jour exaucé ». Une colère sourde s’exprime dans la phrase titre, qui revient comme un leitmotiv sous la plume incisive de l’autrice, des mots d’après tempête : « Je demande /Je propose/ Mais qu’est-ce que je reçois ? » Et, dans le dernier chapitre, s’entend « La révolte » : « Ma rage est combustible/ Il suffirait d’une allumette, d’un briquet/ Pour tout recommencer/ Et toi, tu y étais sur les ronds-points ? »

Comme en réponse à Penda Diouf, Christophe Pellet met en scène, dans La Fin d’un Gilet jaune, les retrouvailles d’un groupe de personnes liées par cette lutte passée. Sont-ils prêts à repartir sur les ronds-points ? Laurent, ouvrier, 59 ans ne voit pas le bout du tunnel : « Il y a quelque chose de bloqué. Je ne sais pas si j’aurais envie d’y revenir ». Son fils, 22 ans, sans espoir d’un avenir meilleur, s’est tourné vers l’extrême-droite. Fabien, 30 ans, lui, se dit toujours d’attaque : « C’est là, en moi. Toutes ces images, elles bouillonnent à l’intérieur de moi. Ce que nous avons vécu est plus important que ce que je croyais ». Quant à Sarah, professeure à la retraite, elle milite aux Soulèvements de la Terre. Cette pièce en demi-teinte donne un nom et une épaisseur existentielle à celles et ceux qui se sont engagés ensemble malgré leurs différences. 

Constance de Saint-Rémy va droit au but : Le Jeu démocratique met face à face un député et une auxiliaire de vie en fin de carrière. Se considérant comme une citoyenne trahie, elle a séquestré le jeune élu dans sa cuisine, pour qu’il l’écoute et l’entende enfin : « Pourquoi suis-je à découvert le 15 du mois sans un excès, un écart, un plaisir ? J’ai passé ma vie à me casser le dos et à m’occuper des autres. Pourquoi se tuer au travail quand ce travail ne rapporte ni rentabilité, ni sécurité, ni dignité ? » Comment renouer le dialogue entre « représentants » et « représentés », se demande l’autrice dans ce coup de gueule salutaire, écrit au nom de tous ceux dont elle a lu les doléances et qui n’ont pas été entendus. À travers cette femme, c’est la colère et le dépit d’un peuple qui s’exprime en direct.

VIOLENCES (La vie est à nous) de Claudine Galea, inspiratrice de cette commande aux auteurs, est un tête-à-tête poignant entre deux femmes. L’une (le peuple en colère) a rédigé ses doléances, l’autre (l’écrivaine) est chargée de les rapporter. « Qu’est-ce que vous pouvez en faire ?/ j’ai fait quoi de mes mots ?/ ils ont fait quoi de mes mots ? », dit la première. « Qu’est-ce qui NOUS reste ? Nos cris nos poings nos ongles nos dents notre fureur ? Vous voudriez gommer la violence ? Vous avez une grande gomme ? Une gomme vaste comme la colère comme l’injustice comme le mépris comme l’insulte comme la boue comme la haine comme le reniement ? » « Quand je vous lis, je suis émue et en colère », lui réplique la femme de lettres. « Nous ne sommes pas du même côté, je n’ai pas fréquenté les ronds-points […] QUI JE SUIS pour parler de vous sans être à votre place pourquoi j’ai envie de parler de vous ? Nous vous regardons vous nous regardez vous ne nous regardez plus ça ne sert à rien nos regards sur vous vos regards sur nous vous n’avez plus confiance en nous et moi je n’ai plus confiance dans ma confiance ». De part et d’autre des barrières sociales, comment partager ? Telle est la question que doivent se poser le théâtre et ses artistes.

Rendez les doléances !

Pour Rémy Goubert, président de l’association Rendez les doléances !, la confiscation de l’expression populaire est « un gâchis terrible » : « Beaucoup de gens disent “je propose, je demande“ et, d’une doléance à l’autre, se construit un espace commun de dialogue ». Étudiant en droit, il milite pour que ces écrits soient rendus publics. Même combat pour Fabrice Dalongeville, fil rouge du documentaire d’Hélène Desplanques, Doléances. Lassé d’attendre une publication qui ne vient pas, le maire du village d’Auger-Saint-Vincent, dans l’Oise, prend la route avec la réalisatrice. Cela les mènera en Creuse, en Meuse, en Gironde, et même jusqu’à l’Assemblée nationale… Une enquête en forme de road movie où l’on rencontre auteurs de doléances et collectifs de citoyens qui se battent pour que ces textes soient enfin reconnus. Seront-ils finalement entendus ?

Affiche du film Les Doléances d’Hélène Desplanques

Romain Benoit-Levy, historien et membre d’un collectif de recherche sur les cahiers de doléances de la Somme pointe « la distance considérable des gens avec les élus. Ils parlent de l’État en connaissance de cause, avec des données précises. C’est un matériau politique d’une richesse époustouflante. Il y a dans ces cahiers, comme en 1789, l’imaginaire d’une révolution à venir ». Si l’on recoupe toutes les propositions qui sont faites, ajoute-t-il, il y aurait de quoi élaborer un programme consensuel : « Rétablissement de l’ISF. Augmentation réelle du SMIC et des bas salaires. Plus de justice sociale. Indexation des retraites sur le coût de la vie. Référendum d’initiative citoyenne. Pas de mépris, du respect pour le peuple ». Il souligne que les questions migratoires arrivent largement derrière les autres. Penda Diouf, Claudine Galea, Christophe Pellet, Constance de Saint-Rémy, et Noham Selcer ont injecté de l’humain à ces mots lancés comme bouteilles à la mer et restés en souffrance. Mireille Davidovici

Créations présentées au théâtre des Amandiers, 7 Avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre (Tél. : 01.46.14.70.00) :
2937W60 – Noham Selcer
Et toi, tu y étais sur les ronds-points ? – Penda Diouf
La Fin d’un Gilet jaune – Christophe Pellet
Le Jeu démocratique– Constance de Saint-Rémy
VIOLENCES (La vie est à nous) – Claudine Galea
Les Doléances – film d’Hélène Desplanque

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Rebotier, six pieds sous ciel

Au théâtre de la Colline (75), Jacques Rebotier présente Six pieds sous ciel. La captation des rumeurs du monde, restituées par trois « musiciennes parlantes ». Une étrange symphonie parlée où l’on retrouve la verve et la fantaisie de ce grand amoureux de la langue.

Jacques Rebotier, l’homme de théâtre poète et compositeur, s’est amusé à capter les rumeurs du monde environnant et les restitue ici dans une partition pour trois « musiciennes parlantes ». Elles apparaissent coiffées de cerveaux protubérants, corps imbriqués les uns dans les autres, monstre à six pieds et trois têtes au babil de nourrisson affamé. Une boite vocale, en guise de maman, leur propose biberon et câlin : à condition d’appuyer sur la bonne touche. Cette étrange figure se défait, laissant apparaître un trio clownesque aux habits colorés. La bleue, la jaune et la verte, mais c’est d’une seule voix qu’elles enchainent des bribes de phrases. À ce « langage cuit » selon l’expression de Robert Desnos, composé de paroles banales glanées au hasard des cafés, des trottoirs, du métro, des réseaux sociaux ou sur une plage de Normandie, se superpose une bande-son : extraits d’émissions télévisées et reportages sportifs, hauts-parleurs de gare, annonces du métro, slogans publicitaires, jingles d’ordinateur et sons de téléphones mobiles. Entre les séquences, organisées autour de diverses thématiques, les interprètes circulent sur le plateau avec des valises à roulettes.

Leurs déplacements erratiques, parfois un peu longs, apportent des respirations dans ce trop-plein sonore. Jacques Rebotier est parti à la « chasse aux phrases », les a montées et moulinées à l’aune d’une musique sortant d’une seule et multiple bouche. Il a transcrit en notes et rythmes ces interpellations ruminations, bribes de dialogues ou pensées intérieures. « Y’a d’la viande, dans le poisson », « J’aime bien la musique mais j’aime pas l’écouter », « Et le bien-être animal des chiens qui s’ennuient ? », « Offre soumise à condition… », « Validez votre panier. », « Tournez à gauche puis tournez à gauche. » (…) Vous avez atteint votre destination ». Dans ce cadavre exquis d’idiotismes, générés par l’I.A. ou les humains, la langue de bois des politiques trouve sa place. Les déclarations d’Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Bruno Le Maire ou de Rachida Dati nous paraissent dérisoires, mises sur le même plan que réclames, commentaires sportifs, instructions de boites vocales, de GPS… Dans un bruit de vaisselle brisée, on entend que « La France est un magasin de porcelaine, il faut la protéger… ». Plus loin, « J’ai sauvé l’économie française, j’ai sauvé les usines, j’ai sauvé les restaurateurs, j’ai sauvé les hôteliers, … J’ai sauvé Renault, j’ai sauvé Air France …». Où il est question aussi des naufragés en Méditerranée : « Les gardes-côtes tunisiens, si ce sont des noirs, ils ne se déplacent pas… ».

Machines parlantes et bruits de la nature

Parmi ces voix multiples, proférées à l’unisson par les interprètes ou enregistrées, au milieu de ces machines parlantes, nous parviennent d’abord faiblement, puis de plus en plus fort, les bruits de la nature, et les rumeurs animales : chants d’oiseau, feulement, grognement… L’humain n’est-t-il pas qu’une espèce parmi les autres ? Et les trois interprètes trouveront enfin au repos, couchées sous les nuages, à l’écoute de toutes ces bêtes. On se souvient que, dans Contre les bêtes, Jacques Rebotier dénonçait avec humour l’hypocrisie devant l’effondrement de la biodiversité et prenait la défense de la cause animale. Un spectacle qui, depuis sa création en 2004 à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon n’a cessé d’être présenté au public. Dans Six pieds sous ciel, ce n’est plus le sujet central : il s’en prend ici à notre environnement artificiel et aux machines qui ont envahi nos vies jusqu’à nous décerveler. Tels des robots, Anne Gouraud, Aurélia Labayle, Émilie Launay Bobillot, toutes musiciennes, débitent une langue morte. Elles sont toujours parfaitement synchrones, drôles et touchantes.

En chef d’orchestre inspiré, Jacques Rebotier a dirigé ce chœur au métronome, portant attention au grain de la langue, aux intonations, jusqu’à l’échelle des syllabes et des phonèmes. Dans cette étrange symphonie parlée d’1h15, on retrouve la verve et la fantaisie de cet amoureux de la langue, grand Prix de la poésie Sacem en 2009. Après des études de composition musicale au Conservatoire national à Paris, il fonde en 1992 la compagnie VoQue, « ensemble de musique et compagnie verbale ». Il a depuis signé de nombreux spectacles au théâtre et à l’opéra, publié une trentaine de livres dont Litaniques, Le Dos de la langue et Description de l’omme aux éditions Gallimard… Il n’hésite pas aussi à mettre en lumière d’autres poètes, telle l’Ode à la ligne 29 de Jacques Roubaud, mis en scène en 2012 au théâtre des Bouffes du Nord. Mireille Davidovici

 Six pieds sous ciel : jusqu’au 24/11, du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h, le jeudi 21/11 à 14h30 et 20h. Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris (Tel. : 01.44.62.52.52). Du 22 au 24/01/25, à Châteauvallon-Liberté – Scène nationale de Toulon (83). Le théâtre de Jacques Rebotier est édité aux Solitaires intempestifs.

Dernière heure : les 20 et 21/11, le CDN de Montluçon (03) présente Port-au-Prince&sa douce nuit. Une pièce de l’auteure haïtienne Gaëlle Bien-Aimé, mise en scène par Lucie Berelowitsch. Un couple pris dans les tourments d’une ville et d’un pays au bord du chaos : un texte puissant, une sublime interprétation. La pièce sera reprise du 06 au 22/03/25 au Théâtre 14 (75), les 15 et 16/04 à Bayonne (64), les 24 et 25/04 à Vire (14). Yonnel Liégeois

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Balzac, la descente aux enfers

Au théâtre de la Tempête, le Nouveau Théâtre Populaire propose Notre comédie humaine. Un triptyque audacieux, et décoiffant, d’après Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes d’Honoré de Balzac. Du vrai théâtre populaire qui fait du grand romancier notre contemporain.

Lucien, jeune provincial sans fortune, rêve de monter à Paris pour y atteindre la gloire littéraire. Balzac raconte ses aventures dans deux romans clef de la Comédie Humaine, Illusions perdues (publié entre 1837 et 1843) et Splendeurs et Misères des courtisanes (paru entre 1838 et 1847). Le collectif Nouveau Théâtre Populaire (NTP) présente l’épopée de Lucien dans trois mises en scène de styles différents, mais dans une scénographie unique qui évolue au cours des événements. Ce qui donne lieu, si l’on veut assister à l’intégralité, à six heures trente de théâtre, dont 1h d’intermèdes et 1h d’entr’acte. Le premier spectacle correspond au début d’Illusions Perdues, Les deux poètes, qui prend la forme légère d’une opérette : Les Belles Illusions de la jeunesse. Le deuxième est une satire politico médiatique, récit des tribulations de Lucien dans la jungle parisienne, tiré du deuxième chapitre du roman, Un grand homme de province à Paris. Enfin Splendeurs et Misères, adaptation de Splendeurs et misères des courtisanes, est un sombre drame policier sur fond de spéculations financières.

En préambule, et lors des deux entr’actes, le public est invité à partager des intermèdes en résonnance avec les trois pièces. Les comédiens jouent, chantent, déambulent avec des textes de Balzac ou d’autres auteurs de l’époque. Une traversée onirique de l’œuvre qui accompagne les dérives de Lucien dans la jungle de Paris. Il est peut-être préférable de voir cette trilogie dans sa continuité chronologique, mais chaque pièce, opérette, comédie, tragédie fonctionne de manière indépendante.

Les Belles illusions de la jeunesse adaptation et mise en scène d’Émilien Diard-Detœuf

La troupe nous accueille en chanson devant le décor en carton pâte d’un petit théâtre de province : « Soyez les bienvenus dans nôtre co co co comédie humaine (…)  Le ciel est un théâtre et le monde une scène. Nous faisons des chansons des livres les plus longs… ». Honoré de Balzac, sous les traits de Frédéric Jessua, vient situer l’action et les personnages de son roman. Nous sommes à Angoulême, en 1821, au temps de la Restauration. Perchée sur son rocher, la ville haute abrite la noblesse et le pouvoir, en bas, au bord de la Charente, chez les roturiers, on fait du commerce et de l’argent. En haut, la belle Madame de Bargeton (Elsa Grzeszczak ) s’ennuie auprès de son vieux mari (Joseph Fourez) entourée de quelques courtisans : le fat et hypocrite Sixte du Châtelet (Flannan Obe), et une cohorte de médisants interprétés par Francis du Hautoy, Kenza Laala et Morgane Nairaud. Entichée de littérature, elle cherche à jouer les muses. Lucien (Valentin Boraud) deviendra son protégé.

En bas, le poète en herbe, enrage de ne pouvoir percer dans le monde : il est pauvre et sa mère, née de Rubempré, a perdu sa particule en épousant le pharmacien Chardon. Il trouve un soutien moral auprès de son ami David Séchard (Émilien Diard-Detœuf), imprimeur et inventeur et de sa sœur Eve (Morgane Nairaud), blanchisseuse. Accompagné par Sacha Todorov au piano, ce petit monde va nous faire vivre, en chansons, une double idylle : Anaïs de Bargeton s’enfuit à Paris avec Lucien Chardon espérant l’aide d’une cousine, la Marquise d’Espard ; Eve épouse David. La musique de Gabriel Philippot met en valeur la finesse des paroles. Les arrangements puisent aux sources de l’opérette d’Offenbach à Gershwin. Le compositeur a aussi dirigé les chanteurs et le chœur des Angoumoisins, friands de qu’en dira-t-on, la ville d’Angoulême étant, comme Paris par la suite, une composante de cette histoire. Le metteur en scène signe un livret habile et malicieux. Derrière une apparente légèreté, avec Balzac, il critique férocement une société désuète, engluée dans ses préjugés de classe.

Illusions perdues adaptation et mise en scène de Léo Cohen-Paperman

Changement de décor : débarrassé de son petit théâtre provincial, le plateau se résume à des gradins. En haut de la pyramide, trône la noblesse, en la personne de la Marquise d’Espard (Kenza Laala), entourée de ses courtisans dont Madame de Bargeton et Sixte du Châtelet. Honoré de Balzac prend ici l’habit d’un cuisinier de gargote et observe son héros dans l’arène du monde littéraire et médiatique. L’auteur de La Comédie humaine sait de quoi il parle, pour avoir fréquenté les milieux qu’il évoque de sa plume impitoyable : salons mondains, cénacles littéraires, cercles libéraux ou royalistes. Le Balzac cuisinier expose en quelques mots la situation politique sous Louis XVIII, c’est le règne du « en même temps » : les Libéraux correspondent pour nous à la Gauche, et les Monarchistes, la Droite. Autour de lui, s’agite une multitude de personnages, comme dans une fourmilière : éditeurs, écrivains, auteurs dramatiques, actrices…

Le fils du pharmacien, pour défaut de particule, sera rejeté par la cousine de Madame de Bargeton et relégué dans une mansarde, en attendant qu’un décret du Roi lui rende le titre de noblesse de sa mère: de Rubempré. Sûr de son talent, Lucien va se battre et trouvera succès et fortune dans le journalisme. Le provincial idéaliste aura tôt fait de se déniaiser et d’apprendre les ficelles d’un métier corrompu. Grâce à la toute puissance de la presse, on peut arriver à ses fins, à condition de n’avoir aucun scrupule. Il rencontre le succès, l’amour de la belle Coralie, qui triomphe au théâtre. Mais cela n’aura qu’un temps, « Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude », écrit Balzac, « il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine ». Plus dure sera la chute et, ayant tout perdu, il ne restera à l’ambitieux qu’à mettre fin à ses jours. Suite au prochain spectacle…

Par son esthétique, la pièce nous plonge dans le monde contemporain, avec ses couleurs criardes, son amour du fric, son culte de la jeunesse, ses lumières aveuglantes et ses musiques électroniques assourdissantes. Sous l’œil amusé et les commentaires cinglants du Balzac vendeur de frites, le héros navigue entre plusieurs milieux : on reconnaît dans ses voisins d’infortune – qu’il finira par trahir- les gauchistes d’aujourd’hui, la salle de rédaction pourrait être celle du journal Libération… Mais il n’atteindra jamais les hautes sphères de la société présidées par la Marquise d’Espard. Une juste et divertissante traduction de notre comédie contemporaine. 

Splendeurs et Misères adaptation et mise en scène de Lazare Herson-Macarel

Ce troisième volet commence par la fin d’Illusions perdues : Lucien va se jeter à l’eau quand sort de l’ombre un mystérieux personnage, Carlos Herrera. On apprendra à la fin qu’il s’agit d’un ancien forçat déguisé en prêtre espagnol, mieux connu des lecteurs de Balzac sous le nom de Vautrin. L’abbé lui promet de retrouver gloire et fortune à Paris, s’il lui obéit aveuglément. Un pacte luciférien liera désormais leur destin. Et c’est en enfer que ce Méphisto entraine Lucien. « En 1824, au dernier bal de l’Opéra, plusieurs masques furent frappés de la beauté d’un jeune homme qui se promenait dans les corridors et dans le foyer ». C’est sur ce bal masqué que s’ouvre Splendeurs et misères des courtisanes. Lucien y tombe amoureux d’Esther, sublime courtisane. Manipulée par l‘abbé Herrera, qui cherche de l’argent pour son protégé, elle se sacrifiera en vendant ses charmes au Baron de Nucingen. Une lutte à mort s’engage entre les hommes de main du Baron et ceux de Carlos Herrera, pour mettre la main sur l’argent de la prostituée. Après avoir cédé aux avances de Nucingen, Esther se suicide quand elle apprend le mariage de son amant avec une fille de bonne famille. Lucien et Carlos sont arrêtés, soupçonnés de l’avoir assassinée. Lucien se pend aux barreaux de sa cellule. Le vieux forçat, lui, court toujours….

La pièce se déroule dans la pénombre du plateau complètement dépouillé. Les comédiens, telles des ombres, traversent ce Paris fantomatique. Réduite à l’os, l’intrigue de Splendeurs et misères des courtisanes se concentre sur quelques personnages, le roman en compte 273 ! Sans commentaires ni détours anecdotiques, l’action se résume à de courts dialogues entrecoupés d’affolantes courses poursuites, de violents règlements de compte, de sauvages étreintes amoureuses… Kenza Laala incarne une Esther quasi mystique, enflammée par l’amour et le désir d’expier pour sa mauvaise vie. N’est-ce pas le sort réservé par les écrivains de l’époque à leurs héroïnes ?  Magnifique performance à fleur de peau, comme celle de Philippe Canales en Vautrin ou de Valentin Boraud (Lucien Chardon de Rubempré). Dans cet univers de film noir, Clovis Fouin joue le dindon de la farce : l’obscur Frédéric de Nucingen. Pour l’ambiance, un personnage – la mort ? –  interprète une complainte de Kurt Weill « Au fond de la Seine, il y a de l’or, /Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes. /Au fond de la Seine, il ya des morts. Au fond de la Seine, il ya des larmes (…) Belle trouvaille. Par une mise en scène très visuelle et chorégraphiée, Lazare Herson-Macarel a voulu traduire une « descente aux Enfers » à travers les différentes couches de la société parisienne, en référence à La Divine Comédie de Dante, dont Balzac a détourné le titre pour sa Comédie humaine.

Le Nouveau Théâtre Populaire, qui fait sa première apparition sur une scène parisienne, ravit le public par son approche cohérente de l’œuvre, passant du  kitsch d’époque à une fable tragique où les personnages ne sont plus que les fantômes d’un cauchemar. La troupe est née à l’été 2009 dans un jardin de Fontaine-Guérin, village de mille habitants au cœur du Maine-et-Loire. Elle y construit un théâtre de plein air pour y monter en peu de temps des grands classiques de la littérature dramatique, en pratiquant un tarif unique (5€ la place). En 2020, elle décide de faire une première création « hors les murs » avec une trilogie de Molière Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché). Aujourd’hui, une soixantaine de créations plus tard, le NTP compte 21 membres permanents, au fonctionnement démocratique stipulé dans son manifeste : « Nous prenons les décisions collectivement : par consensus, vote à bulletin secret ou à main levée… Nous présentons toujours plusieurs pièces, mises en scène par différents membres de la troupe… Tous les membres de la troupe participent à plusieurs spectacles ». Mireille Davidovici, photos Christophe Raynaud de Lage

Notre comédie humaine : jusqu’au 24/11, du mercredi au vendredi à 20h, l’intégrale les samedi et dimanche à 15h. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manœuvre, 75013 Paris (Tél. : 01.43.28.36.36). Du 11 au 14/12, Le Quai-CDN d’Angers (49). Du 29/01/25 au 01/02, Théâtre de Caen (14).

Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché) : du 15 au 18/01/25, Le Trident-Scène nationale de Cherbourg (50). Du 22 au 25/01, Théâtre de Caen (14). Du 5 au 8/02, La Commune-CDN d’Aubervilliers (93).

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Katharsy et ses avatars

Transposant au théâtre un jeu vidéo, Alice Laloy propose Le ring de Katharsy où deux adversaires s’affrontent via des avatars pilotés en direct. Un match où les danseurs acrobates, marionnettes humaines, sont manipulés par des joueurs omnipotents. Une fascinante performance créée au TNP de Villeurbanne.

Après Pinocchio (live) où, à l‘inverse du conte de Carlo Collodi, des corps vivants d’enfants étaient transformés en pantins et Death Breath Orchestra, Alice Laloy poursuit, avec sa chorégraphe Stéphanie Chêne et le compositeur Csaba Palotaï, une recherche sur « la qualité corporelle et sonore de présences hybrides mi-humaines, mi-marionnettes ». Dans Le ring de Katharsy, six interprètes deviennent les avatars de deux joueurs acharnés, soumis à leurs pulsions guerrières. « Stéphanie et moi, nous avons mis au point les règles du jeu, qui ont été notre principe d’écriture, notre filtre poétique, permettant d’accueillir un langage visuel, sonore, atmosphérique et des figures », dit Alice Laloy. En piste, une chanteuse-cheffe d’orchestre (Katharsy), deux acteurs-chanteurs (les joueurs), un porteur et six circassiens,  contorsionnistes, acrobates et/ou danseurs (les avatars).

« Bienvenue au Ring de Katharsy » s’inscrit en lettres lumineuses, en fond de scène. Le gril du théâtre abaissé au ras du sol se lèvera dans un grincement mécanique marquant le début de la partie. Sur le plateau gris règne une légère vapeur quand deux comédiens apportent une collection de pantins de taille humaine sur des chariots, corps avachis et enveloppés de vêtements grisâtres. Ils les manipulent avec précaution, tels les soigneurs d’un match de boxe. Ces images ne sont pas sans rappeler les œuvres monochromes aux gris irréels du plasticien belge Hans Op de Beeck, un univers à la fois mélancolique et déshumanisé où les images reflètent l’absurdité tragicomique de notre condition postmoderne.

Un jeu diabolique

Une fois sur pied, ces humanoïdes s’animent sous les ordres cinglants de deux joueurs : « avance, recule, prend, attaque, tourne, pivote, esquive, frappe… », martèlent-ils, de plus en plus excités au fil des cinq manches de ce match effréné. Commence un ballet sidérant. Les pions se déplacent comme des automates, corps marionnettiques, visages impavides. Leurs gestes saccadés sont rythmés par les voix des champions, les scores lumineux et sonores s’affichent sur les écrans de chaque adversaire. Une immense figure juchée sur une estrade, au lointain, préside le jeu. Telle une divinité, majestueuse et mystérieuse, elle règne sur le ring, annonce les sets, compte les points et encourage les joueurs de ses chants éthérés.

 « Black Friday », clame la diva et, tandis que s’inscrivent les noms des « pions » de chaque camp, des oripeaux tombent des cintres. C’est à qui s’en emparera et s’en revêtira le premier, tout en empêchant ses ennemis de mettre la main dessus. Ce qui donne lieu à de joyeuses bagarres où les danseurs acrobates s’emberlificotent bras et jambes dans les vêtements. Vision ironique des pulsions consuméristes. Deuxième épreuve, « Click and collect » : les deux équipes se disputent avidement le contenu d’un même colis. Dans la session « Living room », c’est la mêlée pour s’asseoir sur un grand fauteuil qui ne contient que cinq personnes, le sixième restera en rade… D’autres meubles tombent du ciel puis, au fil du jeu, de nouveaux objets à se disputer.

Effet de miroir

Plus le duel avance, plus la tension monte entre les joueurs jusqu’à l’hystérie, plus leurs avatars sont à la peine et deviennent maladroits, parfois au bord de la révolte… On sent le système prêt à se détraquer. L’atmosphère se tend aussi du côté du public, captivé par l’action menée avec une précision extrême par des interprètes virtuoses. Difficile de ne pas se prendre au jeu. Cruels, drôles et décalés, ces comportements prêtés aux humains et à leurs avatars sont comme un miroir tendu à notre société, par le prisme duquel s’opère une critique de la société de consommation, de l’exploitation capitaliste, du totalitarisme. On pense à l’esclavage du travail à la chaine décrit dans les Temps modernes de Charlie Chaplin. Surtout, en la personne des champions, on voit les maitres absolus d’un bataillon qui obéit aux ordres sans rechigner. Les avatars eux-mêmes sont manipulés de telle sorte qu’ils sont prêts à s’accaparer manu militari tout ce qui leur tombe sous la main.

En déplaçant la catharsis propre au théâtre vers celle que peut susciter le jeu vidéo, Alice Laloy laisse entendre que quelque chose pourrait bien déborder, si un grain de sable venait gripper la machine. Sous le joug de leurs manipulateurs omnipotents, les avatars rompront-ils leurs chaines ? Cette question, sans trêve, nous tient en haleine pendant une heure trente. Mireille Davidovici, photos Simon Gosselin

Le Ring de Katharsy : Le 14/11, Le Bateau-Feu-Scène nationale de Dunkerque. Du 20 au 29/11, Théâtre national de Strasbourg. Du 5 au 16/12, T2G–Théâtre de Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris. Les 9 et 10/01/25, La rose des vents–Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq. Du 26/02 au 01/03, Théâtre Olympia-CDN Tours. Les 13 et 14/03, Malakoff-Scène nationale, Festival Marto. Les 20 et 21/03, Théâtre d’Orléans–Scène nationale. Les 3 et 4/04, Théâtre de l’Union-CDN du Limousin. Les 9 et 10/04, La Comédie de Clermont-Ferrand-Scène nationale. Du 23 au 26/11, Théâtre de la Cité-CDN Toulouse Occitanie.

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Plus dure, la chute !

Au théâtre de l’Essaïon (75), Jean-Baptiste Artigas met en scène et interprète La Chute. Une adaptation, signée Jacques Galaup, du roman d’Albert Camus. La saveur d’un spectacle qui incite à (re)lire cette perle de la littérature contemporaine.

Comment rendre la densité et la complexité d’une telle œuvre au théâtre, même si elle se prête à la mise en scène grâce à sa forme orale et monologuée ? L’adaptation respecte la chronologie de La chute, ce court roman publié en 1957 peu avant la mort accidentelle d’Albert Camus. Il nous fait entrer dans les méandres d’un cerveau torturé qui expie, dans l’exil, une faute originelle. On ne saura le fin mot de l’histoire que dans la deuxième partie du spectacle. Un narrateur, Jean-Baptiste Clamence, prend à partie le client d’un bar d’Amsterdam, le Mexico City, et se confesse à lui en cinq temps sans laisser l’autre placer un mot. Une posture qu’on trouvait déjà dans L’Étranger (1941) et qui nous enferme dans un récit univoque. Seul en scène devant un fauteuil vide (présence-absence de son interlocuteur), Jean-Baptiste Artigas se saisit de ce personnage inquiétant, un habitué de ce bar qui se dit « juge-pénitent ».

Il se met volontiers au piano pour ponctuer les épisodes de cette Chute sur des airs de Thelonious Monk, Fats Waller, Duke Ellington, ou encore de Jacques Prévert et Joseph Kosma avec Les Feuilles mortes… Jean-Baptiste Clamence, un ancien avocat parisien à succès, homme à femmes impénitent, est tombé de haut quand, un soir, une jeune femme croisée sur un pont de Paris s’est jetée à la Seine, sans qu’il soit intervenu. Alors, commence son inexorable « chute » : il prend lentement conscience de l’inanité de son comportement passé et se réfugie dans les brumes nordiques, le monde interlope des bars à marins et les vapeurs de genièvre. Le début de la pièce s’attarde trop sur les années glorieuses du personnage mais le comédien endosse avec brio son égoïsme bravache. Il faut attendre la deuxième partie pour entrer dans le vif du propos d’Albert Camus, teinté de culpabilité judéo-chrétienne et d’un âpre jugement sur l’indifférence générale aux souffrances du monde.

Dans sa mise en accusation de l’homme moderne, préoccupé de lui-même, en « juge pénitent » Clamence clame dans le désert. « Le portrait que je tends à mes contemporains devient un miroir. Couvert de cendres, m’arrachant lentement les cheveux et disant “j’étais le dernier des derniers”. Alors, je passe du “JE” au “NOUS”. Plus je m’accuse et plus j’ai le droit de vous juger ». Derrière son héros, Albert Camus fustige ses « confrères parisiens » et humanistes professionnels en réponse à leurs critiques mais chacun de nous, humains du XXIème siècle, en prend pour son grade… Jean-Baptiste Artigas accompagne son personnage jusqu’au bout de sa chute : du freluquet sûr de lui au repenti cynique, il rend parfaitement l’humour glacial du texte où Camus allège le procès à charge de l’auteur contre lui-même et son milieu.

Nous entendons aussi la saveur de cette prose, en particulier les paysages qui reflètent les états d’âme du narrateur. Des rues de Paris au crépuscule où « le soir tombe sur les toits bleus de fumées, le fleuve semble remonter son cours », au no man’s land du Zuyderzee : «  Une mer morte, perdue dans la brume, on ne sait où elle commence, où elle finit (…). Voilà n’est-ce pas, le plus beau des paysages négatifs ! Voyez à notre gauche ce tas de cendres qu’on appelle ici une dune, la digue grise à notre droite, la grève livide à nos pieds et devant nous la mer couleur de lessive, le vaste ciel où se reflètent les eaux blêmes. Un enfer mou, la vie morte, l’effacement universel ».

Sourd l’envie du spectateur à (re)lire cette perle de la littérature contemporaine ! Mireille Davidovici

La chute, d’après Albert Camus : jusqu’au 06/01/25, le dimanche à 18h, le lundi à 19h. L’Essaïon, 6 rue Pierre au lard, 75004 Paris (Tél. : 01.42.78.46.42).

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Peau d’âne et peau de chagrin ! 

Au Théâtre public de Montreuil (93), Hélène Soulié présente Peau d’âne-La fête est finie. Sous forme de procès fait aux pères abusifs, la plume de Marie Dilasser revisite le conte de Charles Perrault. Avec une volonté trop explicite qui rompt le charme.

Nous avons découvert Hélène Soulié avec MADAM, une trilogie au féminin entre fiction et documentaire. Membre active du mouvement H./F. en région Occitanie prônant l’égalité professionnelle dans les arts et la Culture, elle poursuit son engagement militant avec une version actualisée du conte de Perrault. Dans l’intérieur froid et propret de la maisonnée, une famille « normale » : le père, la mère et leur petite fille. Lui, perruque blanche, bon chic bon genre, est éditeur. Son épouse, femme au foyer tirée à quatre épingles, confectionne des cakes d’amour en fredonnant la recette chantée par Catherine Deneuve dans Peau d’âne, le film de Jacques Demy.  Leur enfant ne se fie qu’à la voisine, chez qui elle va soigner les animaux, et à Bergamotte, son inséparable âne en peluche… Quand la mère déserte le foyer (sans raison apparente), le père reporte ses désirs sur sa fille, « joue à la sieste » avec elle, la pare de vêtements féminins, la retient prisonnière et invite son ami, l’auteur libidineux du Roi porc, à reluquer sa jeune proie. C’est l’ogre dévorateur, le loup des contes de fée.

L’enfant n’en dort plus, s’affaiblit mais ne dit rien. Elle arrive pourtant à s’enfuir à la recherche de sa mère. La pièce bascule alors dans le féérique ! La petite roule en auto tamponneuse avec l’âne doudou, devenu Francis, une créature hybride et transgenre, figure de la fée providentielle. Dans la forêt, ici réduite à un maigre bosquet, ils rencontrent la Belle au bois dormant (Laury Hardel), qui milite pour sauver les arbres… Elle se joint à eux et le trio poursuit joyeusement sa route. La gamine, libérée de sa peur et de sa culpabilité, trouve auprès de ses amis les mots pour dénoncer son père prédateur. La mère sera retrouvée et tout est bien qui finit bien par un procès où les choses seront dites, l’inceste reconnu et le père condamné…

À la lumière de #metoo-inceste, Marie Dilasser et Hélène Soulié, tout en respectant la structure de Peau d’âne, vilipendent aussi le contenu de nos fictions séculaires ! Les frères Grimm, Charles Perrault mais aussi Jacques Demy en prennent ici pour leur grade. Et plus généralement, le patriarcat. L’esthétique glaçante de la première partie nous laisse un peu à la porte, malgré accessoires et meubles apparaissant et disparaissant, comme par enchantement. Le jeu distancié des six interprètes, tous excellents, rompt heureusement avec le réalisme du quotidien familial et apporte une inquiétante étrangeté à l’histoire. La deuxième partie séduit par son onirisme farfelu : tous les coups sont permis pour dénoncer le sort des petites filles maltraitées, sauvées par les fées et des princes charmants, le destin des reines qui meurent en abandonnant leurs filles à des marâtres, la pléthore de figures masculines monstrueuses qui peuplent les contes d’antan. Pour proposer des contre-modèles amusants : hybrides, trans, princesses racisées… sont les personnages d’un nouveau monde non-patriarcal !

Las, le charme de cette fable moderne « trouée de réel » est rompu par une volonté d’être trop explicitePeau d’Âne-La fête est finie donne la parole aux victimes et il est important de nommer un chat, un chat. Mais pourquoi le faire avec tant d’insistance ? Un tel didactisme est-il nécessaire quand, à cette matinée scolaire, les enfants réagissaient au quart de tour sans besoin de commentaire devant les épreuves subies par l’héroïne ? Mireille Davidovici

Jusqu’au 22/10 au Théâtre Public de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, 93100 Montreuil (Tél. : 01.48.70.48.90). Du 27 au 29/11, au Théâtre de Lorient (56). Du 22 au 25/01/25, à la MC 93 de Bobigny (93).  Du 22 au 25/05, au Théâtre Nouvelle Génération de Lyon (69).

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Cornucopia, une fable rétro-futuriste

Au TNP de Villeurbanne (69), Joris Mathieu et Nicolas Boudier proposent Cornucopia. Placée sous le signe de l’innovation scénique, cette contre-utopie déjantée, destinée à tout public, évoque la survie d’une humanité avide de consommer dans un monde aux ressources limitées. Un album d’images envoûtantes.

Depuis neuf ans à la tête du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) – CDN de Lyon, Joris Mathieu a mis, en compagnie du collectif Haut et Court, la jeunesse au cœur de ses préoccupations artistiques. Son engagement citoyen l’a, par ailleurs, amené à accueillir, conjointement avec le TNP, une troupe de femmes afghanes en 2021, à la suite de la prise de pouvoir par les Talibans. On se souvient aussi qu’en 2022, après avoir dénoncé les « coupes massives de subventions en cours d’exercice », infligées à la culture par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le TNG a subi une baisse de subvention de 149 000 euros (6% de son budget). Raison pour glisser dans l’annonce humoristique d’un « homme rideau de théâtre », en ouverture du spectacle, que, faute de moyens, il n’y aura, dans le spectacle, pas autant d’acteurs que de rôles. Avec son fidèle scénographe qui signe aussi les lumières, le metteur en scène a initié le cycle D’autres mondes possibles, où il convoque l’émergence de nouvelles formes d’utopies face aux dérives de nos sociétés. Le premier épisode, La Germination, abordait, sur un mode interactif, la difficulté d’agir des humains face à l’avenir, tandis que Cornucopia nous emmène dans un monde post-apocalyptique.

Le mythe de l’abondance

« Pour croire qu’une croissance matérielle infinie est possible sur une planète finie, il faut être fou ou économiste », écrivait dans les années 1960 le penseur anglais Kenneth Boulding, égérie de la décroissance (1910-1993). Partant de ce constat, Joris Mathieu invente une humanité nouvelle. Après les grandes migrations climatiques, ayant engendré une « correction démographique significative », le monde d’après s’est policé autour d’un credo commun. Les Cornucopiens  obéissent à un oracle selon lequel des pierres d’oxygène, surgies du fond des océans, seraient une source magique d’énergie et d’abondance éternelles. Il faut pour cela procéder à des sacrifices, limiter la natalité (un mort pour une vie), pratiquer le troc « encadré » (le prix de l’abondance, c’est la mesure et l’équilibre)… Cornucopia, c’est l’histoire d’une nouvelle–née qui, sortie de sa couveuse, va prêter serment d’allégeance sur l’Agora, devant le peuple. En échange, un homme accepte de mourir pour lui laisser sa place sur terre.

Installé dans un amphithéâtre circulaire clos, le public est immergé dans des images projetées autour de lui. En face, une scène tournante, coiffée d’un silo central qui monte et qui descend, occultant les changements de décor. Ceux-ci se font, ainsi que certaines entrées et sorties des comédiens (par ailleurs acrobates), depuis les cintres. Le tout est piloté automatiquement en régie, effet magique assuré. Cet espace hybride renvoie à l’agora grecque, associée à l’idée de démocratie, au praxinoscope, ancêtre du cinéma, ou encore au carrousel… Et sur ce petit manège qui tourne indéfiniment, le jeu des trois comédiens est rythmé par les éclairages. Au sol, un revêtement phosphorescent renvoie la lumière quand les scènes ne sont pas directement éclairées par les projecteurs.

L’imagerie au centre de la fiction

L‘alternance de lumière directe et réfléchie donne un caractère irréel au monde de Cornucopia et les flashes qui ponctuent chaque séquence semblent être la manifestation de cet oracle invisible, mais omniprésent par sa voix, une divinité d’un genre nouveau qui n’est pas sans rappeler l’IA… Le vert et le violet, couleurs complémentaires, apportent une touche rétro-futuriste à cet univers de science-fiction. À cet environnement hypnotique répondent les étranges costumes de Rachel Garcia, comme celui d’un « homme enceinte », sorte de nourrice affublée d’un haut-parleur, un champignon à corps humain, ou une créature métamorphosée en végétal. Dans cet univers surréaliste digne d’un Lewis Carroll, la scénographie joue au même titre que les comédiens, prenant même parfois le pas sur eux.

Au final, la jeune née, à peine son serment de fidélité prononcé devant le peuple, transgresse la loi et part à la recherche des pierres magiques qui donneraient, selon l’oracle, accès à toutes les richesses. Elle découvre que ces cailloux ne sont que des matériaux inertes et que toute croyance en une providence supérieure est un leurre. Dans le titre Cornucopia, corne d’abondance en latin, on peut aussi entendre, phonétiquement, « utopie biscornue » ! Libre à chacun de lire cette fable comme la recherche d’un monde idéal, la critique du consumérisme, une dénonciation du totalitarisme religieux ou de la pensée magique. « Le problème, c’est que les Cornucopiens n’ont pas abandonné la chimère de l’abondance », dit Joris Mathieu. Reste un spectacle fascinant. Mireille Davidovici

Au TNP de Villeurbanne, dans le cadre de la saison du Théâtre Nouvelle Génération, jusqu’au 19/10. La Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche, du 4 au 6/12. Les 2 Scènes – Scène nationale de Besançon, du 8 au 10/01/25. Le Lieu unique – Scène nationale de Nantes, du 30/01 au 01/02/25. Le Théâtre – Scène nationale de Saint-Nazaire, du 4 au 6/02/25.

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Festival de l’Hydre, un chantier ouvert !

Au Moulin de l’Hydre, à Saint-Pierre d’Entremont (61) les 6 et 7/09, la Fabrique théâtrale a tenu son troisième festival. Un événement à l’initiative de la compagnie Le K et des Bernards L’Hermite. Au programme, spectacles et concerts dont Molière et ses masques, la nouvelle pièce de Simon Falguières.

Au creux de la vallée du Noireau, affluent de l’Orne, l’ancien Moulin des Vaux autrefois filature puis usine d’emboutissage, renait. L’association les Bernards l’Hermite a coutume de s’installer dans des lieux désaffectés pour les transformer en espaces de création artistique (dernièrement La Patate sauvage à Aubervilliers). Ici, elle investit le site, rebaptisé Moulin de l’Hydre par Simon Falguières, membre et directeur artistique des Bernards l’Hermite. Sur un grand terrain boisé, idéal pour la culture potagère et l’installation d’un camping, s’élèvent deux corps de bâtiment. D’un côté, les anciens bureaux de l’usine ont été transformés en un lieu d’habitation. En face, ce qui fut l’usine a été rénové en espaces de répétition, de montage et de stockage de décors. Ils deviendront à terme un théâtre « pour faire des créations de grandes taille, hiver comme été » selon Simon Falguières, le rêve ouvrant sur les champs et la forêt. L’inauguration de cette « fabrique théâtrale », réunissant tous les métiers du spectacle, est prévue dans cinq ans

Un théâtre de proximité

La compagnie Le K organise des ateliers d’écriture et pratique théâtrale amateur, avec l’appui des communes avoisinantes : Cerisy-Belle-Étoile, Saint-Pierre d’Entremont et Flers, la ville la plus proche. Écoles et collèges y participent. Beaucoup d’habitants des villages alentour adhèrent au projet, certains collaborent au chantier pour construire un muret ou donner un coup de main pour les manifestations. 80 bénévoles ont contribué cette année à la bonne marche du festival : accueil, cuisines, parking, bar… Le centre dramatique national, Le Préau de Vire, a commandé cette année à Simon Falguières une pièce pour son « festival à vif » articulé avec le travail que mène la compagnie Le K auprès des lycéens de Nanterre et un chœur d’habitants de cette région vallonnée qui lui vaut le nom de Suisse normande. La Comédie de Caen va recevoir la dernière production de la compagnie, Molière et ses masques. Les artistes du Moulin souhaitent créer un réseau avec les festivals de Normandie… Le chantier de la décentralisation reste ouvert !

Pour le festival en extérieur, des gradins confortables ont été montés face à une grande scène adossée au mur de briques de l’usine. Aux fenêtres, la nuit, s’allument des projecteurs. Un deuxième espace de jeu a été aménagé dans le jardin attenant … Bravant la pluie normande, le public, nombreux, assiste à ces deux jours. Le prix d’entrée est libre, il vaut adhésion à l’association des Bernards L’Hermite. Les habitants de la région aiment raconter l’histoire de ce lieu qui a marqué des générations, ils se réjouissent de le voir revivre en apportant de la culture au pays. Les six membres permanents de la compagnie déterminent collectivement le menu des festivités. Simon Falguières y présente une création chaque année et veille à la mixité, n’hésitant à accueillir « des femmes avec des paroles relatives à leur combat ». Mireille Davidovici

Le moulin de l’Hydre, 660 Chemin du vieux Saint-Pierre, 61800 Saint-Pierre d’Entremont (Tél. : 09.80.91.56.44). lesbernardslhermite@gmail.com

 SILLAGES

BEAUFILS et RICORDEL

Sillages, un court spectacle de cirque a ouvert le festival. Quentin Beaufils et Léo Ricordel acrobates trampolinistes, accompagnés en live par la musicienne Zoé Kammarti se déploient sur une piste circulaire. Ils bondissent avec élégance, se croisent, grimpent sur les épaules l’un de l’autre ou poursuivent une trajectoire solitaire. Pendant qu’ils tournent en rond, mêlant portés, danse et acro-danse, des voix viennent donner sens à leurs déambulations. On entend des réflexions d’adultes sur le sens de l’existence et les traces que laisseront leurs vies. S’y mêlent celles d’enfants enregistrées à l’école élémentaire de Cerisy. Ils répondent à des questions : qu’est-ce que grandir ? Être vieux ? Que souhaiteraient-ils ? Certains aimeraient « une fête tous les jours à la cantine », « une piscine dans l’école » ou « avoir de super pouvoirs pour soigner les blessés ». Présents dans le public, les bambins réagissent à ces paroles. De fil en aiguille, la musicienne, munie de son violon, rejoint les circassiens sur leur agrès. À trois, la navigation se complexifie entre confrontation et échappées solitaires… M.D.

Créée en 2020, la Cie Nevoa présentait ici ce premier spectacle de 30mn, étoffé par la suite en une forme longue dédiée au plateau.

 VA AIMER !

DE et PAR EVA RAMI

Dans ce troisième « Seule en scène » (après, Vole ! et T’es toi), Va aimer !, l’autrice comédienne convoque de nouveau son double : Elsa Ravi. Au rythme effréné des aventures de cet alter ego, elle incarne une multitude de personnages. On y retrouve père, mère, grands-mères mais aussi l’institutrice ou ses meilleures copines. Depuis ses années d’école jusqu’à l’âge adulte, Elsa remonte vers les traumatismes de son enfance, trop longtemps tus. Le comique cède le pas à des scènes oniriques virant au cauchemar et, au fil de la sulfureuse traversée d’Elsa Ravi, Eva Rami peut rire de ses plaies. Venant du clown et du masque, elle excelle à changer de corps et de voix. Avec énergie et drôlerie, elle dénonce son viol et son inceste lors d’un faux procès qui fait écho à toutes celles qui osent aujourd’hui prendre la parole. Selon l’artiste, ce spectacle n’est pas la suite des deux premiers et révèle une facette plus intime de son Elsa. M.D.

Après un Molière et le festival d’Avignon, Va aimer ! est repris au théâtre de la Pépinière à Paris du 23/09 au 11/11.

DANUBE

DE et PAR MATHIAS ZAKHAR

En 2017, dans le cadre des Croquis de Voyage initiés par l’Ecole du Nord où il est élève-comédien, Mathias Zakhar suit le fil du Danube et de son histoire familiale. Un mois durant, il traverse l’Europe – Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Serbie et Roumanie – en train, en bateau, en stop… De la source à l’embouchure (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd »), il compose un récit rythmé comme La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars, avec des échappées poétiques à la Paul Celan : « L’Europe est un masque de papier qui porte le Danube en sourire ». Il retrouve au passage sa famille paternelle, hongroise : « Mon grand-père attend Dieu, assis dans les abeilles, et il chante ». Il plonge au cœur de cette Mitteleuropa aux langues et nationalités enchevêtrées : « Sarajevo, ses mosquées qui se frottent à ses églises, qui se frottent à ses synagogues, qui se frottent à mes mains (…) La rivière coule rouge, de tout le sang versé. (…) Et mon impuissance. Je suis un petit jouet de l’histoire dans une boîte. (…) Je comprends que je ne suis rien, je suis vide, prisonnier de la puissance du monde ». Au terme du périple, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer après 2.882 kilomètres, « Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas », conclut-il. À l’heure où l’Europe vacille, l’histoire des peuples meurtris par des totalitarismes passés et à venir a nourri une nouvelle version de Danube. A partir de son texte initial, Mathias Zakhar a pris des chemins un peu hasardeux, il n’a pas encore trouvé le juste rythme de ce carnet de voyage mais il a encore le temps de le peaufiner ! M.D.

Tournée itinérante, organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre (92), du 27/01/25 au 02/02.

MOLIERE PAR LES VILLAGES

« Une farce rêvée », Simon Falguières

En 1h20mn, avec Molière et ses masques, Simon Falguières brosse « La vie glorieuse et pathétique du célèbre Molière. Une vie romancée, inventée, mensongère sur ce que nous inspire le plus connu des chefs de troupe français. Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même ». Six comédien.ne.s jouent, sur d’étroits tréteaux, sans effets de lumière, dans des costumes de tous styles  puisés par Lucile Charvet dans les stocks de la compagnie. Les rideaux blancs qui flottent au vent sont les voiles d’un radeau imaginaire. La première partie de cette farce reconstitue douze ans de vie errante, quand la seconde récapitule, devant le dramaturge mort en scène dans le Malade imaginaire, les épisodes de sa carrière parisienne aux prises avec les aléas de la condition courtisane : « Fini la liberté, l’artiste de théâtre mange dans les mains du pouvoir ».  D’un bout à l’autre, alors que Molière lorgnait vers la tragédie, c’est la comédie qui l’emporte.

Simon Falguières a le don de décortiquer en de brèves saynètes avec masques et perruques l’Étourdi ou les contretemps, premier succès de la troupe : il le réécrit et le met en scène façon commedia dell’arte. Dans l’Etourdi, Victoire Goupil mène un train d’enfer à ses camarades en Mascarille, et sera tout au long de la pièce l’éternel valet impertinent, apportant la contradiction à ses maîtres, sur scène comme à la ville. Quand Jean-Baptiste chasse ses masques pour monter Nicomède de Pierre Corneille – un fiasco -, il les rappelle à l’entracte, afin de sauver par une comédie, un spectacle donné devant le roi et toute la cour. Simon Falguières s’en donne à cœur joie dans une version burlesque tournant en ridicule l’intrigue politique et les personnages de Corneille. On aura aussi droit à une brève leçon d’histoire de France, depuis Henri lV jusqu’à Louis XIV.. Avec, en supplément de la farce, quelques petits coups de griffes aux puissants d’hier et d’aujourd’hui comme savait déjà en donner Molière.

Changements de rôles et de costumes ne ralentissent pas le rythme trépidant et, aux côtés de ses partenaires multicartes, Anne Duverneuil est un Molière dynamique, ambitieux mais aussi l’amoureux de la jeune Armande qui se moque de lui-même en vieillard jaloux dans l’Ecole de femmes, ou encore l’homme celui qui restera fidèle à Madeleine jusqu’à son dernier souffle. Ses déboires amoureux et politiques se traduisent par une courte tirade du MisanthropeVoici une pièce courte enjouée, conçue pour l’itinérance ! La compagnie Le K envisage une tournée par les villages. Au printemps, la troupe se rendra à pied du Moulin de l’Hydre jusqu’à Caen, décor sur une carriole tirée par des chevaux. Elle jouera à toutes les étapes, en plein air ou à couvert en cas de pluie. M.D.

Du 25 au 28/09 : Transversales – Scène Conventionnée de Verdun. Novembre 2024 / Printemps 2025 : département de l’Orne, département de l’Eure, Flers Agglo, Bernay, SNA 27, Comédie de Caen … (à suivre)

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Sarah Bernhardt, sacrée destinée

Jusqu’au 22/12, au théâtre du Palais Royal (75), Géraldine Martineau présente L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt. Une pièce qu’elle a écrite et met en scène, avec Estelle Meyer dans le rôle-titre qui brûle les planches. Une joyeuse troupe de sept comédiens chanteurs accompagne les aventures de la diva.

Un vrai roman populaire que cette vie, même si c’était mal parti pour la petite Sarah : loin de sa famille, parmi les bonnes sœurs, à 14 ans elle se montre déjà impertinente et mutine ! Sa mère, une demi mondaine, veut la marier. Plutôt le couvent que dépendre des hommes. Et pourquoi pas le Conservatoire ? Ses débuts à la Comédie-Française sont catastrophiques, son attitude rebelle débouche sur sa démission. Mais à l’Odéon, la voilà bientôt en haut de l’affiche malgré chagrins d’amour, démêlés familiaux et un enfant qui nait sans père… On voit George Sand lui donner une leçon de diction, Victor Hugo lui confier le rôle de la Reine dans Ruy Blas : un triomphe. Elle devient alors la star internationale passée à la postérité, en témoigne le film de ses funérailles projeté discrètement en fond de scène. 400.000 personnes y assistent. Au-delà de l’icône, du « monstre sacré » selon Jean Cocteau, la pièce nous plonge dans l’intimité d’une femme non- conformiste, en lutte contre les préjugés de son temps.

Une femme en rupture avec son époque

La pièce dépeint aussi une époque où, peu avant le cinématographe, le théâtre était encore l’art populaire par excellence où les acteurs s’écharpaient pour un rôle, où le public sifflait, huait ou s’enflammait pour une actrice, comme pour une vedette de la pop aujourd’hui. Le théâtre du Palais Royal, avec ses ors et ses cramoisis, nous en rappelle l’ambiance. Cette Extraordinaire destinée brosse surtout le portrait d’une femme libre, qui voulait s’affranchir du joug patriarcal. Sans compter son engagement politique. Elle transforme l’Odéon en hôpital miliaire pendant le siège de Paris par les Prussiens en 1870, n’hésite pas à se produire sur le front devant les poilus en 1914- 1918 malgré sa récente amputation. Elle s’engagera dans la lutte contre l’antisémitisme au moment de l’affaire Dreyfus… Il y a l’envers du décor : déconvenues amoureuses, grossesse non désirée, famille dysfonctionnelle, perte de sa mère et de ses deux sœurs, fils joueur et fantasque. Des blessures d’amitié aussi, notamment avec son amie Marie Colombier qui, à l’issue d’une tournée théâtrale de huit mois aux Etats Unis et au Canada, écrit deux pamphlets, dont Les Mémoires de Sarah Barnum, grossièrement antisémite. Un scandale à l’époque.

L’air de rien, Géraldine Martineau révèle la modernité de son héroïne : « Sarah est une femme forte, ambitieuse, libre et jusqu’au-boutiste. Elle ne s’est pas construite grâce aux hommes ou dans l’ombre d’un homme. Elle n’est pas devenue une icône, parce que les hommes se la sont appropriée. Elle l’est devenue parce qu’elle a travaillé́ sans relâche toute sa vie, qu’elle a pris des risques et qu’elle s’est constamment réinventée. Elle a toujours refusé qu’on la contraigne ou qu’on l’enferme. » Après un préambule un peu malvenu, la pièce trouve son allure de croisière dès la première scène avec un joli trio pour chanter les funérailles d’une belette : « Ma petite belette est tombée sur la tête/ (…) morte d’un coup sec … ». Forence Hennequin (violoncelle) et Bastien Dollinger (piano et clarinette), omniprésents, rendent sensible l’atmosphère des différents tableaux, comme avec les mélodies klezmer, lors du mariage de Sarah Bernhardt, rappelant les origines juives de la comédienne. Simon Dalmais et Estelle Meyer signent la musique, l’actrice est aussi autrice compositrice interprète. Elle joue le rôle titre dans le Dracula de l’Orchestre National de Jazz dont elle a écrit le livret avec Milena Csergo (2019). À partir de ses chansons, elle a créé un spectacle aux Plateaux sauvages en 2019. Et en 2023, elle crée Niquer la fatalité, chemin(s) en forme de femme, un spectacle mis en scène par Margaux Eskenazi.

Un casting à la hauteur

En courts tableaux et une heure cinquante, Estelle Meyer nous entraine avec élan dans la vie tumultueuse de son héroïne. D’abord elle campe une jeune première empruntée, à la voix incertaine, puis elle prendra de l’aisance jusqu’à nous faire entendre quelques morceaux de bravoure, dont une tirade de l’Aiglon d’Edmond Rostand. Sans singer son modèle, la comédienne porte avec vigueur ce personnage éruptif, volontaire dont la devise reste « Quand même », titre d’un des songs du spectacle. Mais elle ne manque pas de nuances quand elle chante la mort de sa cadette « Ma petite sœur mon amour mon cœur… ». À ses côtés, la présence discrète d’Isabelle Gardien en fidèle gouvernante apporte un contrepoint. Il faut saluer l’habileté des sept comédiennes et comédiens qui se déploient autour d’elle, se partageant une trentaine de rôles dans les somptueux costumes de Cindy Lombardi. Quelques éléments de décor et accessoires rapidement déplacés suffisent à la scénographe Salma Bordes à situer les différents épisodes, aidée par des projections vidéo suggestives.

Géraldine Martineau confirme ici ses talents d’autrice et de metteuse en scène. Dès 2018, elle jouait à la Nouvelle Seine Aime-moi, son premier texte, écrivait et réalisait La Petite Sirène d’après Andersen à la Comédie Française (Molière du Jeune Public). Elle intègre le Français en tant que pensionnaire en 2020, où elle adapte, met en scène et joue La Dame de la Mer d’Ibsen. Avec l’Extraordinaire destinée, elle rend grâce à celle qui « a visité les deux pôles, qui de sa traîne a balayé de long en large les cinq continents, qui a traversé les océans, qui plus d’une fois s’est élevée jusqu’aux cieux » selon Tchekhov. Mireille Davidovici

L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhard, Géraldine Martineau : jusqu’au 22/12, du mardi au dimanche, en alternance avec la pièce Edmond à partir du 11/10. Le texte de la pièce est publié à L’Avant-Scène théâtre.Théâtre du Palais-Royal, 38 rue de Montpensier, 75001 Paris (Tél. : 01.42.97.40.00).

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Le poids des fourmis

Jusqu’au 21/07, à la Manufacture d’Avignon (84), Philippe Cyr propose Le poids des fourmis. Que faire lorsque les menaces semblent nous dépasser, dans un monde qui marche sur la tête ? À cette question, répond le texte à l’humour ravageur de David Paquet, dans une mise en scène sur fond de système scolaire en crise. 

Le directeur du collège annonce « la semaine du futur », comme on lancerait une campagne publicitaire, dans un décor style club Med. Affalé sur une chaise longue, bermuda et chemise hawaïenne, il propose des élections aux élèves. Seront-elles l’occasion pour Jeanne et Olivier de changer le cours des choses ? La jeune fille est en colère : la cantine offre des lasagnes sans fromage, les cours du bourrage de crâne et une publicité dans les toilettes vante shampoings et produits de beauté. « Fuck you ! Je suis déjà belle », s’écrie l’adolescente en vandalisant le panneau. Espérant désamorcer sa révolte par le canal de la « démocratie », le chef d’établissement lui propose de se faire élire au conseil étudiant. Olivier, lui, ne se remet pas d’un cauchemar, on lui offrait « la Terre morte » en cadeau d’anniversaire. Que faire quand la planète brûle et que le système capitaliste attise l’incendie ? Les adultes ne proposent aucune solution à son « éco-anxiété »,  sauf une libraire farfelue qui lui recommande l’Encyclopédie du savoir inutile. Il y trouve matière pour se présenter lui-aussi aux élections.

Les petits devenus des poids lourds

Jeanne en pasionaria et Olivier en doux rêveur s’affrontent à grand renfort de discours. Las, ils seront coiffés au poteau par une troisième candidate qui promet des pizzas gratuites à tous… Élections, trahisons, tel est l’amer constat. Il n’empêche, nos deux héros ouvrent les yeux et s’allient pour aller plus loin, l’union fait la force. « Le Poids des fourmis est un appel à la solidarité. L’entraide, c’est contagieux et ça mobilise. Réunir les petits, c’est devenir des poids lourds« , conclut David Paquet. L’auteur québécois n’y va pas par quatre chemins. Dans ce texte destiné aux collégiens et lycéens, il se pose en lanceur d’alerte et prône l’indignation. « Si l’on pense à Rosa Parks, Martin Luther King Jr., Emma Gonzalez ou Greta Thunberg, c’est ce désir d’avoir un impact sur la société qui est au cœur du Poids des fourmis ».

Philippe Cyr s’empare de ce brûlot pour en faire une comédie acide, poussée jusqu’à l’outrance. Les acteurs jouent le jeu à fond, dans un décor des plus kitch et nous enchantent avec les accents chantants de la Belle Province. Les adultes, en costume de plage de mauvais goût, vivent dans une prospérité illusoire, sous un ciel d’incendie dans un îlot : autour, flotte une marée noire prête à les engloutir. Gaétan Nadeau est irrésistible en directeur flemmard et rusé, en patron crapuleux. Nathalie Claude fait la paire en poussant la caricature d’une mère écervelée ou d’une candidate vulgaire façon Donald Trump. Face à ces guignolades, Élisabeth Smith (Jeanne) a des élans de sincérité à la Greta Thunberg et un culot monstre, tandis que Gabriel Szabo (Olivier) compose un personnage timide et lunaire. 

Le rire est au rendez vous, grinçant parfois mais nécessaire. Comment résister ? À la commande passée par le Théâtre Bluff, producteur de ce spectacle avec le CDN des Îlets, écrivain et metteur en scène y répondent par un réjouissant pamphlet. « Avec Le Poids des fourmis, je ne creuse pas un sillon, je mitraille l’horizon ! » proclame l’auteur. À voir, avec ou sans enfant.  Mireille Davidovici

Le poids des fourmis, Philippe Cyr : jusqu’au 21/07 à la Patinoire, 10 h. Navette à 9 h 45 au Théâtre de la Manufacture, 2 rue des Écoles, 84000 Avignon (durée 2h trajet en navette inclus).  Spectacle vu le 24/06, en avant-première au Théâtre Paris-Villette.

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Jaulin, en tracteur par les villages

Jusqu’au 24/07, de la Vendée au Poitou-Charentes, Yannick Jaulin et les musiciens du Projet Saint-Rock battent la campagne. Un concert joué sur une scène mobile et repliable, remorquée par un tracteur. Un voyage au cœur de parlers oubliés.

Le comédien et conteur Yannick Jaulin revendique haut et fier ses origines poitevines et le parlanjhe dit aussi poitevin saintongeais,une langue d’oïl comme le gallo ou le picard. Lui qui n’a découvert le français qu’en arrivant à l’école se bat pour garder sa langue vivante, ainsi que tous les parlers en voie d’extinction sur ce territoire ou ailleurs. Ses créations s’inspirent librement de collecte des musiques, chants, danses et contes populaires. Dans Ma langue maternelle va mourir, il dénoue les fils de la domination que cache l’histoire des langues non nationales. Des parlers estampillés minoritaires et méprisés, des oralités menacées de mort annoncée.  « Toute sa vie, mon grand-père a baissé sa casquette devant son maître, un noble loqueteux et dégénéré », dit-il. « Adolescent, je n’étais qu’un belou de la campagne, avec mes pat’d’éph et ma Flandria, sans aucune réflexion critique. On disait : « C’est d’même qu’ol aet », c’est comme ça ». La langue est donc devenue son cheval de bataille face aux langues dominantes qui, comme le soulignait Pierre Bourdieu, symbolisent un pouvoir qui ostracise l’autre. Il réinvente les classiques du conte populaire, interroge l’actualité et aborde des thèmes comme la mort (J’ai pas fermé l’œil de la nuit), les religions (Comment vider la mer avec une cuiller), la domination culturelle (Le Dodo), et plus récemment Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour.

Une ferme pour jardiner la langue

Le Projet Saint Rock a choisi d’entamer La Tournée mondiale locale à Saint-Jean de Monts, dans le marais Nord Vendéen chez de vieux complices de l’artiste : l’association A.R.EX.C.PO, depuis les années soixante-dix s’est attelée à la collecte des langues et traditions du Marais Breton pour constituer un patrimoine vivant. Elle dispose aujourd’hui d’une bibliothèque de 12 000 ouvrages et 9 800 heures d’enregistrements sonores, 2400 heures de films ainsi que de fonds d’autres régions (Flandres françaises, Jura) … Un fond énorme qu’on peut trouver sur internet ! Yannick Jaulin a conduit son gros tracteur vert et déplié son plateau mobile à la Ferme du Vasais, rescapée du lotissement voisin. Les bâtiments ont été rénovés par des bénévoles, dans le cadre d’un partenariat avec la Mairie. Une belle écurie transformée en salle de conférence ou de spectacle, des granges et des annexes neuves permettent à A.R.EX.C.PO d’abriter ses collections et de mener ses activités : spectacles, cinéma, concerts, bals, initiation à la langue maraichine. 

Comme à chaque étape de la tournée, une causerie autour de l’artiste précède le concert. Ici, elle est animée par les membres d’A.R.EX.C.PO. Il est question « la survie de la culture maraichine face à l’économie touristique ». Là où les « ébobés » demandent de la couleur locale, il faut proposer une culture vivante, loin de la caricature du paysan, dit Jean-Pierre Bertrand, l’un des fondateurs de l’association. « Pour qu’une culture existe sur un territoire, il faut de la création et non de la reproduction folklorique », acquiesce l’artiste : « I’est à vous de vous laisser crever ou pas ; si vous ne transmettez pas, vous êtes criminels, vous tuez votre langue ».

Il ne prêche ici que des convaincus : « Il faut que les patois portent sur des problèmes contemporains : foncier, luttes sociales, etc. », dit l’un d’eux. Car l’association s’acharne à créer des « cafés patois », proposer des comptines dans les écoles, à diffuser des jeux de la région, baptiser les rues de noms locaux, établir des lexiques… Depuis plusieurs années, Yannick Jaulin, lui, accompagne et parraine une nouvelle génération de conteurs et conteuses qui explorent d’autres formes de l’oralité. Il a, entre autres, fondé le Nombril du Monde, célèbre festival du conte de Pougne-Hérisson. Il se présente parfois comme faisant du « stand-up mythologique ». Un mélange de légèreté et d’érudition, de rappels historiques et d’anecdotes amusantes, hymne à la diversité et à la différence.

Une gueroée de musiciens et quelques parsouneïs

Jaulin et le Projet Saint Rock, sur leur tracteur-scène nous offrent un savoureux tour de chant d’une heure, qui oscille entre le folk, le rock, et le blues. Pascal Ferrari à la guitare électrique ou acoustique, Nicolas Meheust aux claviers et accordéon, ils développent un gros son qui laisse la part belle aux paroles de Yannick Jaulin, dans sa langue maternelle. En préambule, il se moque de ceux qui disent « Mais je ne vais rien comprendre !!! » et leur rétorque que personne ne se pose la moindre question en allant écouter du rock en anglais, langue mondiale et dominante.

Avec force diphtongues, il martèle les paroles répétitives de Faire la fête, réitérationsde sonorités d’un autre temps, à la façon du parler croquant des comédies de Molière. Après une transition à propos du SRAS (Syndrome Répétitif d’Attitude de Soumission), l’artiste se lance dans un Blues du beucheur de mougettes en hommage aux Maraichins de Vendée qui ont émigré dans les Deux-Sèvres pour travailler dans les plantations de haricots blancs. Les mots se glissent en douceur dans les mélodies, non sans rappeler les airs du répertoire québécois des années 70. Pas étonnant quand on sait que le saintongeais et le poitevin ont fortement influencé l’acadien, le cadien ou le québécois. « Le français de France se parle sphincter serré », plaisante Yannick Jaulin, « il n’est pas fait pour chanter le rock’n roll ! ». I’ame, (J’aime) passe en revue avec tendresse les petits et les grands bonheurs de l’amour et de la vie, et le chanteur nous explique que, dans sa langue il n’y a pas de « je » ni de « nous » pour conjuguer les verbes. Le poitevin se contente d’un « i » qui signifie il, elle, je et nous… Toute une mentalité.

L’universel, c’est le local moins les murs

Il y a dans ces chansons, tous les mots « qui ne voulons pas mourir » et que le projet Saint Rock sauve de l’oubli, quand le poitevin saintongeais est répertorié, dans l’Atlas Unesco, parmi les langues en danger dans le monde. Ce spectacle redonne une fierté à ceux qui ont dû faire un trait sur leur patois et leur culture, avec les résultats que l’on sait dans ces périphéries abandonnées des services publics. Dans une ambiance chaleureuse, baignée par la fraicheur des grands arbres, chacun d’où qu’il vienne se souvient qu’il a des racines. « L’universel, c’est le local moins les murs », disait l’écrivain portugais Miguel Torga (1907-1995). Pour lui, au-delà de tout localisme, c’est au sein d’une fraternité faite de convictions et d’échanges que naît la culture. Une philosophie que ces généreux artistes partagent avec le public, le temps d’un soir d’été. Mireille Davidovici

La tournée se poursuit jusqu’au 24 juillet (Informations, dates et réservations sur la page La Tournée). Livre CD : Jaulin et le Projet saint Rock (manuel de résistance en langue rare).

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Boris Charmatz, la danse du stade

Le 09/07, au stade de Bagatelle d’Avignon (84), Boris Charmatz propose Liberté Cathédrale. Après la cathédrale de Neviges en Allemagne, puis le théâtre du Châtelet à Paris, le chorégraphe libère son ballet en plein air. L’art au ras de la pelouse, sans crampons.

En septembre 23, Boris Charmatz, le nouveau directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch a présenté sa première création avec la compagnie, placée sous le signe de la liberté. La cathédrale de Neviges, en Allemagne, a été l’espace de jeu de vingt -six danseurs. Pour faire connaissance avec la troupe qui porte en héritage le répertoire de Pina Bausch, le chorégraphe a invité huit de ses interprètes familiers à la rejoindre – dont Ashley Chen et Tatiana Julien –  rassemblés dans son projet Terrain, afin de créer un « précipité » entre les corps. L’architecture « brutaliste » de l’église a dicté musiques et silences et une danse au style dépouillé et à l’énergie brute. « Le silence bruissant des lieux transforme toute action en chorégraphie », dit Boris Charmatz. « Un peu de silence dans Liberté Cathédrale… et beaucoup de musique et de sons nous traversent. Celui des cloches, des grandes orgues. Et les chants dans les architectures résonnantes des églises percent les corps et l’air ».

Présentée ensuite au Théâtre du Châtelet, la pièce se compose de cinq morceaux distincts, marqués par des musiques contrastées. En ouverture, Opus :  les vingt-six interprètes se précipitent en grappe sur le plateau, chantant à l’unisson, a capella, les notes du deuxième mouvement de l’Opus 111 de Beethoven… Chœur désordonné, ils s’arrêtent et font silence, puis reprennent leur course et leurs « la la la »  accompagnent cavalcades ou convulsions au sol… Un exercice vocal impressionnant que le chorégraphe a vécu avec Somnole, un solo magique d’un corps devenu musique. « Aux moments principaux de ce chanté-bougé où le souffle est étiré au maximum », dit-il, « la danse reste attachée à la voix tant qu’un peu de souffle nous reste ». Pendant les vingt minutes de Volée, les corps se balancent sur un concert de cloches. Sons profonds ou carillons allègres impulsent aux danseurs des mouvements saccadés et ils nous emportent dans leurs élans forcenés… Le chorégraphe a laissé libre cours à l’improvisation pour chaque artiste, comme pour les volets suivants. Dans Silence, les interprètes retrouvent leur concentration sur l’envoûtante partition pour orgue de Phill Niblock, jouée en direct par Jean-Baptiste Monnot. Ils nous offrent un beau moment d’intériorité en rupture avec la transe de Volée. Enfin, Toucher clôt ces 90 minutes, avec des figures acrobatiques et un joyeux amalgame des corps enfin rassemblés.

Le noir et le silence font le lien entre ces pièces discontinues. La Mariendom de Neuviges, architecture austère en béton brut, se prêtait sans doute mieux au recueillement du public. Ici, malgré l’énergie et l’engagement des danseurs, la liberté qui leur a été accordée ne semble pas toujours maîtrisée. Ce spectacle s’inscrit, pour Boris Charmatz « dans des expérimentations chorégraphiques sans murs fixes. Une assemblée de corps en mouvement, réunissant public et artistes ». Liberté Cathédrale, réalisée dans cet esprit, peut aussi être dansée en plein air. « La pièce pourrait se déployer un jour à ciel ouvert, « église sans église » ! Y serons-nous plus libres, ou moins libres ? », s’interroge le chorégraphe.  Au public d’en juger en Avignon, sans crampons ! Mireille Davidovici

Liberté Cathédrale, Boris Charmatz : le 09/07, 21h30. Stade de Bagatelle, chemin de la Barthelasse, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.27.66.50).

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De ruines en périls

Jusqu’au 21/07, au 11*Avignon (84), Bertrand Sinapi présente Après les ruines. Échoué dans un pays dont il ne comprend pas la langue, un homme demande l’asile. Un dialogue de sourds issu de rencontres avec des réfugiés, des travailleurs sociaux ou des gens croisés au hasard des rues. Pour parler frontières géographiques et mentales.

Metz, où la compagnie Pardès Rimonim s’est implantée il y a dix-neuf ans, est une terre d’asile où se sont installés de nombreux réfugiés. Les artistes, engagés à éveiller les consciences, axent aujourd’hui leurs créations sur des collectes de paroles qui viennent nourrir une « écriture de plateau ». Dans ce contexte, ils présentent un diptyque sur l’exil dont le premier chapitre À Vau l’eau est tiré du roman éponyme de Wejdan Nassif. L’écrivaine syrienne, réfugiée à Metz, mêle à la sienne les histoires de ses voisins du quartier Borny où elle a pris racine : ils sont koweïtiens, irakiens, marocains, pakistanais, soudanais, afghans, syriens… Amandine Truffy, que l’on retrouve dans Après les ruines, y incarne l’autrice et se fait la passeuse de leurs récits, en construisant au sol un décor miniature et en dessinant une carte du monde. Ce premier spectacle joué dans les écoles ou les centres sociaux, a été la matrice d’Après les ruines.

Le second volet s’ouvre sur l’un des récits d’À Vau l’eau, en voix off et arabe surtitré : l’histoire cauchemardesque d’un homme naufragé qui en a réchappé avec sa femme et son fils, il ne sait comment… Suivra une série de questions posées par les trois comédiens. Quel asile et quel secours, fuyant guerre et misère, trouvent dans nos riches contrées ceux qui ont tout quitté ? Comment sont-ils accueillis en Europe ? Que peut faire le simple citoyen ? Pourquoi criminaliser ceux qui portent secours aux migrants ? Que ferions-nous à la place de ces fugitifs ? Le monde est-il en train de tomber en ruine ?

Et comment en parler au théâtre ? « Les témoignages affluent, abondent, se ressemblent … nous savons », dit Bertrand Sinapi. « Nous les avons déjà entendus, ou nous choisissons de les ignorer et poursuivre nos vies. Depuis nos territoires, comme au fond de la caverne de Platon, nous apercevons les ombres du monde ». Dans cette caverne, une boîte aux parois immaculées, les ombres des acteurs se projettent, s’allongent ou disparaissent grâce un savant jeu de lumières créé par Clément Bonnin.  Amandine Truffy, la narratrice, nous adresse des salves de questions, en marge des errances d’un réfugié (Bryan Polach) aux prises avec les absurdités administratives d’un pays dont il ne comprend pas la langue et ne connait pas la culture. L’employée qui le reçoit (interprétée en allemand par Katharina Bihler) ne peut pas faire grand chose pour l’aider. La comédienne venue d’outre-Rhin nous rappelle par ailleurs que le traitement de l’immigration dans son pays n’est pas le même qu’en France. Une bonne leçon pour nos édiles !

Le metteur en scène a apporté un grand soin à la scénographie et aux éclairages. Dans un espace épuré où les ombres jouent à cache-cache avec la lumière, un décor miniature se construit au fil de la pièce : assemblage de cubes, grilles, maquettes d’immeubles et d’arbres au ras du sol… Le contrebassiste allemand Stefan Schreib accompagne les comédiens avec une grande sensibilité, à ses notes se mêlent les compositions du Luxembourgeois André Mergenthaler enregistrées au violoncelle et les paroles d’exil égrenées en voix off tout au long du spectacle. Las, dans cet environnement sonore et esthétique cohérent, la trame dramatique reste peu lisible et les éléments, assemblés au plateau à partir d’improvisations, sont comme posés en vrac. Malgré ses imperfections, ce spectacle transnational (France, Allemagne, Luxembourg) reflète la volonté d’artistes européens d’aller sur le terrain pour faire du théâtre autrement…

Après les ruines interroge notre capacité à nous projeter, ou non, dans l’altérité. Quelles seraient nos réactions face à la brutalité de l’arrachement, aux procédures administratives complexes ? « C’est parce que nous ne l’affrontons pas que l’Histoire ne change pas », disait James Baldwin dans Je ne suis pas votre nègre, un documentaire du réalisateur haïtien Raoul Peck (2016). Mireille Davidovici

Après les ruines : Jusqu’au 21/07, à 13h55. Le 11*Avignon, 11 boulevard Raspail, 84 000 Avignon (Tél. : 04.84.51.20.10).  À Vau l’eau est publié aux éditions Ile et Lettres de Syrie, sous le pseudonyme de Joumana Maarouf, aux éditions Buchet-Chastel.

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Grumberg, mère et fils

Jusqu’au 21/07, à la Scala d’Avignon (84), Noémie Pierre met en scène Moman-Pourquoi les méchants sont méchants ?La pièce de Jean-Claude Grumberg nous embarque dans les questions sans fin d’un fils à sa mère, dans une langue ingénue servie par des acteurs de haut vol. Sans oublier, jusqu’au 10/07, An irish story, l’histoire irlandaise de Kelly Rivière.

Le petit Louistiti (Clothilde Mollet) folâtre et assaille sa Moman (Hervé Pierre) de « pourquoi ? ». Elle n’a pas réponse à tout mais beaucoup d’amour. Elle l’élève seule, Popa s’est évaporé au coin d’un bar et ne paye plus la facture de l’“électrique“. Les voilà dans le noir mais ce n’est pas grave, la vie continue. Du matin au soir, leur tête à tête est une salve de répliques. La pièce se découpe en dix saynètes, débutant chacune par « Moman ! ». Grand dialoguiste, au théâtre comme au cinéma, Jean-Claude Grumberg fait sonner la langue populaire de son enfance en distordant légèrement les mots, l’accent de ceux à qui la grammaire est restée étrangère.

Le savoureux parler des faubourgs

On pense aux expressions de la Zazie de Raymond Queneau, en plus soft. L’auteur de L’ Atelier s’amuse avec le parler savoureux des faubourgs : « Il pleut des ronds de chapeau carrés », « Point à la ligne, terminus on descend »… Assommée par les pourquoi de son « Chipounet chéri », Moman biaise avec la vérité. L’est où Popa ? C’est comment la guerre ? Pourquoi ton Popa se cachait ? Pourquoi les méchants sont méchants ? Est-ce que tu es heureuse ? Autant de questions existentielles ou un peu moins (Pourquoi je m’énnuie ? Pourquoi on est pas comme les autres ? Pourquoi on a pas un cœur de pierre ?).

Dans cette relation mère-enfant intemporelle, on peut lire en filigrane, derrière les réponses sibyllines de Moman, la réalité que cache au petit Jean-Claude sa vraie maman. Sauvée par miracle de la rafle de 1942 à Paris, elle est restée seule à élever ses gosses. L’écrivain a vu son père et ses grands-parents embarqués devant lui. Son père a été déporté vers Auschwitz par le Convoi n°49, en date du 2 mars 1943… Il en restera marqué à jamais. Moman, comme l’ensemble de son œuvre, laisse entendre une sourde inquiétude. « Ma vraie maman à moi avait eu peur elle-aussi d’être expulsée à cause des loyers pas payés« , dit-il, « et de se retrouver avec ses fistons sur les bras, sans logis, « sous les ponts », comme elle disait ».

Un humour naïf et malin

La peur, que sublime un humour à la fois naïf et malin, court sournoisement entre la mère et l’enfant. Hervé Pierre et Clothilde Mollet font ressortir la saveur de cette écriture. Sans forcer le trait, ils s’amusent à incarner, lui, une dame plutôt bonasse mais à la répartie cinglante, elle, un gamin qui n’a pas la langue dans sa poche. Et dans ce petit théâtre en forme d’arène, placé au plus près des acteurs, le spectateur accepte très vite la convention théâtrale proposée par cette distribution atypique, il se trouve happé par l’énergie du jeu et du texte.

Noémie Pierre est plasticienne, elle signe ici sa première mise en scène, elle a aussi conçu la scénographie. Dans un espace réduit, à la fois appartement exigu et chambre avec dessins enfantins, les acteurs vont et viennent, disparaissent, se découpent en ombres chinoises. Les parois deviendront draps de lit, fantômes de méchants postés dans le noir, parure pour Moman dans un timide essai de coquetterie…

Entre jazz et goualante des fifties

Une inventivité de tout moment dans l’interprétation, un fragile théâtre de toile à taille humaine, l’utilisation du décor et de l’espace soulignée par la musique discrète de Thomas O’Brien. Quelques notes d’ambiance bien senties, pour marquer les transitions, entre jazz et goualante des fifties, entre bruitage et mélodie, aux accents contemporains du synthétiseur. « Moman, t’es méchante. — Je sais. C’est fait exprès. Pour t’adurcir mon fils. Pour vivre heureux faut s’adurcir ». Ce n’est pas qu’une chanson douce que servent les artistes, mais rires et tendresse l’habitent. Et l’on s’émeut, quand les rôles s’inversent, au dernier tableau qu’on aura la surprise de découvrir. Du théâtre, du vrai, direct et sans chichi ! Mireille Davidovici

Moman-Pourquoi les méchants sont méchants ?, mise en scène Noémie Pierre : Jusqu’au 21/07, à 10h15, relâche les lundis.. La Scala, 3 rue Pourquery de Boisserin, 84000 Avignon (Tél. : 04.65.00.00.90). Moman 10 fois est publié chez Actes-Sud, la version jeune public dans la collection Heyoka jeunesse.

Une balade irlandaise

Il était une fois… une histoire irlandaise, An irish story, qui pourrait fort bien être espagnole, portugaise, italienne ou autre, à l’heure où des hommes et des femmes, fuyant la misère de leur existence et de leur pays, tentent d’aller voir ailleurs si plus verte est la vallée ! Mêlant les langues et jouant des accents, tantôt volubile tantôt secrète, toujours volontaire dans sa quête du grand-père mystérieusement disparu entre l’Irlande et l’Angleterre, Kelly Rivière s’inspire d’une authentique histoire familiale. Entre joies et frustrations au détour de ses recherches, elle nous entraîne avec ravissement et conviction à la quête de ses racines. La saga joliment contée d’une génération l’autre entre exil et mémoire, la reprise d’un spectacle à la tendresse infinie et à l’émotion retenue. Entre humour et authenticité, seule sur scène pour donner vie à pas moins de vingt-cinq personnages, une performance artistique d’une rare qualité, à ne vraiment pas manquer ! Yonnel Liégeois

An Irish Story – Une histoire irlandaise : Jusqu’au 10/07, à 18h20, relâche les lundis. La Scala, 3 rue Pourquery de Boisserin, 84000 Avignon (Tél. : 04.65.00.00.90).

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