Ami intime des elfes et lutins, fées et séraphins, Pierre Dubois est un éminent elficologue reconnu par ses pairs. Raconteur d’histoires entre l’Écosse et l’Islande, des terres bretonnes aux mines du Nord, il bouscule de son imaginaire un possible avenir de notre univers. Un auteur d’incroyables encyclopédies pour petits et grands ! Un beau cadeau pour inaugurer la nouvelle année entre rêve et espérance.
Velu, poilu, ventru, barbu, grandu, chevelu… Croisé à l’orée d’un bois ou au mitan du jour, ressemblant plus à un ogre qu’à un séraphin, l’homme a de quoi faire peur ! Heureusement, il a cet œil complice qui vous scrute avec malice, et surtout cette voix puissante mais chantante qui vous emmène ailleurs, au pays des légendes et des contes. Tout habillé de noir, Pierre Dubois, ce grand garçon qui en impose de sa carrure, est ravi d’être demeuré ce « petit d’homme » fidèle à l’imaginaire de son enfance.
Un pays de l’ailleurs, celui des rêves, qu’il arpente tout petit à cause d’une scarlatine le clouant de longues semaines au lit ! « Pas question d’aller à l’école, à cause des risques de contagion, je me suis alors plongé dans les livres. L’histoire de Bayard, de Napoléon et d’autres… C’est ainsi que le livre est devenu pour moi un bien aussi précieux ». Le gamin Dubois avait déjà connu une rupture douloureuse. Lui, l’enfant de la forêt, le natif des Ardennes, « c’est là que j’ai pris racine, je ne l’oublie pas », quitte alors Charleville-Mézières pour rejoindre le Nord. Ses parents, famille modeste, trouvent là du travail. « Face à la perte de mon environnement habituel, il m’a fallu partir à la découverte de ces paysages intérieurs qui, seuls, me restaient familiers. Avec cette chance de passer le quotidien de mon enfance dans la buanderie : un lieu d’ombres et de lumières, où les ustensiles projetaient sur les murs leurs images fantomatiques, menaçantes ou rassurantes au fil du jour ! C’est là, en ce lieu et entre les allées de notre petit jardin, que s’est forgé mon imaginaire ». Désormais, le poète et savant « es elficologie » le sait très bien : la nuit, le noir, l’inconnu ? Dès les premiers âges, l’homme devenu sorcier a eu besoin de trouver une explication aux phénomènes qui lui échappaient, de peupler de mots et de formes ce qu’il ne comprenait toujours pas.
De ses petites classes scandées par les contes et leçons de morale, l’enfant en garde un souvenir ébloui. De la maîtresse, surtout, qu’au fond de sa prunelle il voit déjà comme une fée… Un temps béni que celui des culottes courtes, alors qu’approche celui du lycée et de la haine des profs : ne lui ont-ils pas dit que les animaux n’ont pas d’âme, et les bien-pensants, un peu beaucoup cathos, que la nature devait se soumettre à l’homme ? « Une grave erreur, il nous faut écouter nos compagnons Elfes et Lutins, Fées et Séraphins ! Toutes leurs histoires, que l’on nomme contes ou légendes, nous disent le contraire et nous mettent en garde : mon frère l’Humain, n’oublie jamais que c’est moi qui suis la caverne, l’océan ou la montagne. Tant que tu me respectes, je te protégerai et resterai ton ami, attention à mes colères si tu désobéis ». Et maître Dubois de sourire, « depuis des millénaires elles nous ont averti, nous n’écoutons plus les petites voix de notre imaginaire, regardons ce qui se passe aujourd’hui ».
Si corsaires et pirates ont mis les voiles à l’heure de ses humanités, Dubois le bidasse se prend à rêver tout éveillé aux trois coups de ses classes : le permissionnaire y fait la rencontre, extraordinaire, de Claude Seignolle, natif de Périgueux et grand conteur devant l’Éternel ! Comme lui, il se met alors à collecter les histoires enfouies dans les campagnes et la mémoire des anciens. Pour les raconter ensuite à la radio, avant de poursuivre sa route en Bretagne, dans le sillage de Michel Le Bris, le futur créateur à St Malo de l’emblématique festival « Étonnants voyageurs »… « Ainsi va ma route, surtout des histoires de rencontres sur les chemins de traverse », confie Pierre Dubois, « d’où mon soutien accordé aux jeunes créateurs : sans la confiance bienveillante des anciens à mon égard, que serai-je devenu ? La seule colère qui m’aiguillonne encore aujourd’hui ? Celle que j’éprouve de longue date à l’encontre de Perrault qui a transformé la féerie en « Précieuse ridicule »… À ne jamais oublier : sans imaginaire ni rêve, l’enfant devient un homme incomplet, voire handicapé ».
De sa « Grande encyclopédie des Fées » à celles desElfeset des Lutins, l’éminent baroudeur ne cesse de nous faire voyager. Sans balai, ogre ou sorcière, mais avec humour et poésie, dans l’univers des « Dragons et chimères ». Yonnel Liégeois
Mon dictionnaire du merveilleux : tel est le titre de l’ouvrage, nouvellement paru, signé de notre elficologue patenté Pierre Dubois, « seul français connu exerçant cette profession, dont il est l’inventeur », précise Jean-Luc Porquet, notre éminent confrère du Canard enchaîné ! En plus de 700 pages, l’inénarrable raconteur d’histoires, contes et légendes, nous décrit par le menu, de A à Z, sa rencontre avec les fées, les elfes et lutins. Et de nous brosser aussi le portrait de ceux qui l’ont précédé sur le chemin de l’imaginaire : de la suédoise Selma Lagerlöf à Walt Disney, de Lewis Carroll à Henri Pourrat et son « Trésor des contes »… Illustré de sa main, un dictionnaire qui ravira petits et grands, « un hommage vibrant à l’imaginaire, à la magie du mystère avec cette conviction que les contes, les figures fantastiques et les récits anciens continuent de nous parler », précise l’éditeur. Un grand coup de baguette magique, un petit clic de carte bleue et le bouquin se retrouvera illico dans la hotte du Père Noël ! Y.L. (Philippe Rey, 720 p., 27€).
Avec sa dernière fiction sortie en salles, Dossier 137, le réalisateur Dominik Moll remonte la piste d’une bavure policière. Survenue au cours des mobilisations des Gilets jaunes en 2018, près des Champs-Élysées. Rencontre
Dominique Martinez – Dossier 137 est-il un film sur la police ou sur les Gilets jaunes ?
Dominik Moll – C’est un polar qui porte à la fois sur l’un et sur l’autre, une enquête policière assez documentée. Je voulais examiner l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, comme institution de contrôle démocratique. Le film explore la situation inconfortable des enquêteurs de l’IGPN. D’un côté, ils sont mal vus par la profession, qui considère leur travail comme discréditant, de l’autre, ils sont accusés par une partie du public et des médias d’être juges et parties, incapables d’enquêter de manière impartiale sur leurs collègues.
D.MA. – Comment vous y êtes-vous pris ?
D.MO. – Je reconnais la difficulté pour les forces de l’ordre d’être confrontées à des épisodes violents, mais refuse que l’on criminalise tous les manifestants. La majorité des Gilets jaunes, souvent novices en matière de mobilisation, avaient des revendications légitimes : défense des services publics, dénonciation des inégalités territoriales, volonté de participer à la vie démocratique… Beaucoup ont été blessés et stigmatisés. Après la crise du Covid, j’ai eu le sentiment que cette période était tombée dans l’oubli, alors que les fractures sociales persistaient. J’ai imaginé les Girard, une famille de Gilets jaunes venue de Saint-Dizier, en Haute-Marne. Je cherchais une ville peu identifiable et proche de Paris. Ancienne cité métallurgique en déclin, proche de Commercy – lieu de la première assemblée des Gilets jaunes –, Saint-Dizier incarne la fracture entre les centres de pouvoir et les petites villes de province, souvent délaissées. Suivre le regard d’une enquêtrice de l’IGPN originaire de là-bas me permettait d’explorer les liens sociaux et géographiques entre manifestants et policiers.
D.MA. – L’autre regard est celui d’une femme de chambre noire…
D.MO. – Oui, parce qu’elle travaille dans un palace parisien proche de la place de l’Étoile mais vit en banlieue, ce qui lui donne une connaissance directe des violences policières dans les « quartiers sensibles ». Elle est légitime pour reprocher à l’enquête de s’intéresser à l’affaire parce que la victime est blanche, alors que les violences contre les jeunes racisés de banlieue sont souvent ignorées. Des comportements racistes dans la police existent et je déplore leur tolérance par la hiérarchie. Et puis, le film joue aussi sur les contrastes entre Paris et sa périphérie, les lieux de pouvoir et les zones modestes.
D.MA. – Images de journalistes, de caméras de rue, de réseaux sociaux… Pourquoi avoir multiplié les sources ?
D.MO. – Lors de mon immersion à l’IGPN, j’ai vu les enquêteurs passer beaucoup de temps à analyser et recouper des heures de vidéos pour reconstituer les faits en cas de plainte. Ce travail minutieux et très cinématographique a inspiré la construction du récit. Les nombreux rushs [ensemble des documents originaux filmés, NDLR] journalistiques visionnés m’ont par ailleurs permis d’imaginer le parcours de la famille Girard, au cœur de l’enquête.
D.MA. – Vous avez laissé le mot de la fin à la victime, filmée face caméra…
D.MO. – Le film suit le regard de l’enquêtrice et suscite de l’empathie pour elle, il fallait donc rappeler que la véritable victime est le jeune Guillaume Girard, grièvement blessé et marqué à vie. Nombre de manifestants touchés ont le sentiment qu’on leur refuse même le statut de victimes, comme si leur présence justifiait les violences subies. C’est un déni terrible. Les autorités devraient pouvoir reconnaître que, dans cette séquence chaotique, des erreurs ont été commises. Propos recueillis par Dominique Martinez
Dossier 137, Dominik Moll : Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité. Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro. Avec Léa Drucker, Côme Peronnet, Guslagie Malanda, Mathilde Roehrich et Solan Machado-Graner (1h56, 2025).
Jusqu’au 1er décembre, se tient à Montreuil (93) la 41e édition du Salon du livre et de la presse jeunesse qui ouvre ses portes sous le signe de l’empathie et de « L’art de l’autre ». Rencontre avec Alain Serres, auteur et fondateur des éditions Rue du monde.
En 2026, Rue du monde fêtera ses 30 printemps. Maison consacrée à la littérature jeunesse, elle publie inlassablement, malgré les zones de turbulence qu’une maison d’édition indépendante rencontre, des albums illustrés, des récits historiques, des livres scientifiques, de la poésie, des contes, des romans… Avec 650 titres à son actif, elle n’hésite pas à faire appel à des auteurs et autrices, des illustrateurs et illustratrices du monde entier. Certains livres sont devenus des classiques, des incontournables de la littérature jeunesse.
Marie-José Sirach – « Les oiseaux ont des ailes, les enfants ont des livres ! », peut-on lire sur la page d’accueil de votre site. Une phrase qui résume votre projet éditorial ?
Alain Serres – La formule magique nous accompagne depuis que nous sommes sortis de l’œuf, en 1996. Le défi était de bâtir une maison indépendante autour de l’enfant considéré comme être social, acteur et rêveur. Faire des livres nourris de chacun des droits des enfants, dont celui de tout découvrir, l’art et les sciences, le monde naturel et l’histoire… plus l’imagination et la pensée critique, ces vitamines que l’école néglige tant dans ses programmes. Je suis convaincu que, dans la tourmente déstabilisante de ce siècle, le compagnonnage des livres et des enfants est la chance de leur liberté, tout autant que la nôtre. Alors on s’applique encore…
M-J.S. – Dès le départ, vous avez mis en place un réseau qui passe par les bibliothèques et les librairies, les enseignants et les éducateurs. Pourquoi ce choix ?
A.S. – J’aime déjà l’idée que les enfants se tissent des petits réseaux de livres qui résonneront longtemps en eux, loin des pièges de ces autres réseaux prétendument sociaux. Je n’ai jamais perdu de vue l’« Apoutsiak » de Paul-Émile Victor, de mes 5 ans : le petit Inuit m’aide toujours à regarder les autres. Et, un peu en miroir, oui, les réseaux professionnels de l’enfance, de la culture et de l’éducation populaire ont été décisifs pour nous. On a pu commencer à dérouler notre rue de papier grâce à un millier d’écoles et de bibliothèques, qui ont préacheté les premiers livres, les rendant possibles. Ça coûte cher de faire des albums de belle facture. Et je voulais faire du beau.
M.-J.S. – Comment se porte cette chaîne du livre aujourd’hui ?
A.S. – Tant de bonheurs éditoriaux ! Des centaines de rencontres, de débats, de sourires. Mais, aujourd’hui, la situation est violente.… La chaîne du livre bat de l’aile. Quand on touche à la culture, aux services publics, forcément des chaînons se disloquent et les enfants trinquent. Même si, dans ces domaines, les plaies ne se voient pas immédiatement.
M.-J.S. – Comment le vivez-vous au quotidien ?
A.S. – Il faut éliminer, s’empêcher de réimprimer, lutter pour surnager… Dans les familles, il y a beaucoup moins de moyens pour acheter des livres, il y a tellement plus urgent. Les ventes globales en librairies se tassent donc, mais les chiffres dissimulent une autre réalité. Les piles de titres très séducteurs invisibilisent de plus en plus de livres audacieux. Désormais certains livres naissent mort-nés. Et ce sont peut-être les meilleurs ! Les écoles et les bibliothèques manquent aussi dramatiquement de moyens, de formation, de perspectives… Pourvu que les bonnes librairies tiennent le choc, que les auteurs survivent, que les professionnels de l’enfance, dès la crèche et la maternelle, ne désespèrent pas !
M.-J.S. – Des maisons comme la vôtre ont-elles la force de résister ?
A.S. – Nous sommes nombreux à ne tenir qu’à un fil. Comment accepter que l’on ne touche pas aux trésors accumulés des grandes fortunes et qu’on pioche dans les menus trésors culturels que les enfants ont en poche, le passe culture, par exemple ? Comment tolérer que des bulles opaques comme les holdings puissent légalement détourner les richesses produites par nos intelligences vers des placements financiers stériles ? Et, oui, Rue du monde est en danger. Mais on sait que l’on peut compter sur beaucoup d’énergies, le public, mais aussi des syndicats, des associations, des personnalités. On va tout faire pour tenir alors que débute l’année de nos 30 ans !
M.-J.S. – Vous êtes partenaire du Secours populaire. Depuis 2003, 125 000 ouvrages ont été offerts aux enfants. Vous êtes aussi associé au Printemps des poètes. En quoi ces initiatives sont-elles constitutives de votre ligne éditoriale ?
A.S. – J’ai grandi dans une modeste famille de cheminots, mais il y avait toujours un billet pour le Secours populaire ou une petite ambulance à vendre pour aider le peuple vietnamien. Alors, aujourd’hui, Rue du monde tient naturellement sa place côté solidarité, et avec le Secours populaire qui a toujours inclus les droits culturels des enfants parmi leurs nourritures vitales. Quant à la poésie, elle est un point fort de notre maison. Avec, chaque année, trois ou quatre nouveautés, au printemps. Comment les enfants pourraient-ils espérer vivre libres et heureux sans apprendre à ouvrir cette porte en eux ?
M.-J.S. – Vous publiez des livres devenus des classiques, des signatures incontournables comme Daeninckx, Siméon, Pef, Place, Zaü, et de nombreux auteurs venus d’Argentine, du Japon… C’est un signe d’hospitalité offerte au monde ?
A.S. – Notre Rue veut être celle des rencontres heureuses. On dit aux jeunes, et à leurs familles, voilà ce qui se crée là-bas en Finlande, en Iran… Ça te ressemble et tu ne t’en doutais pas. On a même un livre-CD qui fait découvrir 20 langues. Si Trump l’avait lu, gamin, peut-être que ça l’aurait sauvé !
M.-J.S. – Le Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil est un rendez-vous incontournable pour le public mais aussi les professionnels. En quoi est-il un marqueur de l’édition jeunesse ?
A.S. –C’est la plus grande manifestation publique en Europe autour du livre jeunesse, pour tous les dévoreurs de bouquins, mais aussi pour ceux qui ne savent pas encore qu’ils vont le devenir. C’est festif, revigorant. On y parlera aussi beaucoup de ce qui nous tire vers le bas, cette année. Au-delà de nos grandes signatures, nous recevons Gee-eun Lee, venue de Corée, et le duo Romanyshyn-Lesiv, de Lviv, en Ukraine, pour la sortie de leur documentaire événement « Tout le monde se parle ! », qui raconte en images l’aventure de la communication chez les humains et les espèces vivantes.
M.-J.S. – Si vous aviez trois livres à conseiller ?
A.S. – Sûrement Loup noir, loup blanc, la haine et la bienveillance qui s’opposent dans le monde et parfois en nous. Les images d’Aurélia Fronty nous transportent aux sources cherokees de ce conte. C’est puissant, et important d’en parler ensemble. Peut-être aussi ces Fables pour le pays de Demain !, toutes écrites au futur et réalisées pour les 80 ans du Secours populaire, avec le peintre Laurent Corvaisier. À apporter à l’école… pour rafraîchir La Fontaine ! Et, pour les plus petits,la Cité des lettres, un album signé par deux jeunes architectes suédois qui transforment chaque lettre de l’alphabet en une maison ouverte aux mille découvertes. Un bel ouvrage qui donne envie d’apprendre à lire et à créer, à son tour. Là encore, c’est aussi la force de la littérature jeunesse. Propos recueillis par Marie-José Sirach
41ème Salon du livre et de la presse jeunesse, 400 éditeurs – 2000 auteurs et illustrateurs, du 26/11 au 01/12 (entrée libre, avec présentation obligatoire d’un billet) : Paris Montreuil expo, 128 rue de Paris, 93100 Montreuil.Les éditions Rue du Monde, 5 rue de Port Royal, 78960 Voisins-Le-Bretonneux (Tél. : 01.30.48.08.38).
Une quadruple sélection
– Mais qui est donc Naruhito Tanaka ? Autrefois ancien samouraï, désormais arboriculteur bonsaïka, sa reconversion est le fruit d’une prise de conscience : trop de morts sur les champs de bataille. L’ancien guerrier devient jardinier pacifiste, sculpte désormais les bonzaïs à l’aide de son katana. Sa réputation parvient aux oreilles de l’empereur… À partir de photographies d’intérieurs miniatures, Thierry Dedieu reconstitue chaque scène avec un soin précieux et sculpte personnages et objets, en pâte à modeler. Un album photo très zen.
Naruhito Tanaka, de Thierry Dedieu. Seuil jeunesse, 14€. À partir de 4 ans.
– Un livre poème dédié à « tous les enfants rêveurs et aux bénévoles du Secours populaire ». Trente petites fables écrites au futur et à lire au présent, un pied de nez salutaire et joyeux à tous les racistes et obscurantistes. Quand l’amitié, la fraternité et la solidarité l’emportent sur la bêtise, la violence et la peur… Les mots d’Alain Serres font mouche et les dessins, vifs et colorés, de Laurent Corvaisier participent de cet enchantement. Un album à lire en famille.
Fables pour le pays de demain, Alain Serres-Laurent Corvaisier. Rue du monde, 16€. À partir de 6 ans.
– Le troll hante les forêts et attaque les promeneurs solitaires ; le phooka est un gnome qui dévore les enfants mais épargne les nains et les elfes ; le korrigan est un lutin qui vit dans les dolmens et danse jusqu’au bout de la nuit ; le farfadet, un esprit malin qui adore faire des blagues ; le dyona se transforme en monstre et dévore les hommes, mais le djinn, lui, peut vous rendre heureux… Depuis la nuit des temps, ces créatures hantent les légendes. Imaginés et dessinés par Nadja, ces monstres constituent un bestiaire passionnant et même amusant. À lire pour conjurer toutes les peurs.
Le Livre des créatures, de Nadja. Actes Sud jeunesse, 25€. À partir de 6 ans.
– Dans la ville grise, un rayon de soleil : le bus jaune, celui qui transporte les enfants à l’école, emmène les anciens se balader à la campagne. Un jour, on le remise à l’écart de la ville ; plus tard, on le laisse encore plus loin, aux pieds des montagnes. Cette histoire réserve de belles surprises. Jamais le bus jaune n’est abandonné à son sort, il va servir d’aire de jeu pour les gamins, de refuge aux sans-abri, aux animaux… Les dessins au crayon, réalisés à partir de maquettes minutieuses, évoquent tous les paysages de ce conte fantastique et fantaisiste, illuminés par le jaune vif du bus.
Le Bus jaune, de Loren Long. HongFei, 16,90€. À partir de 5 ans.
À titre posthume,les éditions P.O.L. publient Mes meilleures années, le onzième et ultime tome du Journal de Charles Juliet. Il évoque ses lectures, ses rencontres, revient sur son parcours et surtout sur l’histoire douloureuse de sa vocation littéraire qui a fait de lui un auteur majeur. L’écrivain et poète est décédé le 26 juillet 2024.
« Charles Juliet en avait décidé le titre : Mes meilleures années. Nous publions aujourd’hui ce volume qui était encore en chantier avant sa disparition. Avec les textes inédits qu’il avait sélectionnés, qui peuvent être lus aujourd’hui comme sa volonté de rencontrer « ce qui appartient à tous, là où j’ai chance d’accéder au permanent, à l’intemporel », écrivait-il ». Les éditions P.O.L.
Pour l’occasion, Chantiers de culture remet son portrait en ligne, brossé lors de l’adaptation théâtrale de ses pudiques Lambeaux : la bouleversante déclaration d’amour à sa mère disparue. Ancien enfant de troupe, l’homme a surmonté doutes et affres de l’existence avant de publier en 1989 L’année de l’éveil, son premier texte. Un écrivain singulier, un auteur discret pour qui intimité et vérité se conjuguaient entre les lignes. Une rencontre fort marquante avec un être d’une profonde humanité, d’une extrême écoute de l’autre. Yonnel Liégeois
À vingt-trois ans, c’est la rupture. Irrémédiable, terrible de conséquences. Un acte insensé, un pari de fou qui hypothèque à jamais l’avenir devant une vie toute tracée : en 1957, en pleine guerre d’Algérie, l’ancien enfant de troupe décide de quitter l’école du Service de santé militaire de Lyon. Alors qu’il n’a pour ainsi dire encore jamais ouvert un livre, sinon des ouvrages scolaires, le jeune Charles Juliet réussit à se faire réformer, sous couvert d’une intime conviction : écrire, écrire, consacrer sa vie à l’écriture !
Un pari fou et insensé pour l’homme désœuvré qui se retrouve alors sans revenu et sans travail, sans perspective. Qui ne compte plus les heures devant la feuille blanche sans aligner un mot ou, insatisfait et désemparé, déchire le lendemain ce qu’il a laborieusement couché sur le papier la veille… « Je passais le plus clair de la journée à rattraper le temps perdu : lire, lire. J’étais pris d’une véritable boulimie de lecture, entrecoupée de moments d’errance et de doute profond sur mes capacités à tenir la plume ». Et de poursuivre : « en ces années-là, je vivais dans l’insatisfaction permanente, vraiment dans le dégoût de moi-même. Entre immense confusion et désespoir absolu. Ce qui m’a sauvé ? Le bon sens et une bonne santé, physique et mentale ! ».
Une vérité au relent suicidaire que Charles Juliet exprime aujourd’hui avec une lucidité et une sincérité étonnantes. À n’en pas douter, au sortir d’une épreuve vitale au sens fort du terme, l’homme semble avoir conquis une sérénité intérieure presque déroutante pour son interlocuteur. Rencontrer Charles Juliet, ce n’est point seulement s’entretenir avec un écrivain et poète à la plume singulière, c’est aussi et surtout, avant tout peut-être, dialoguer avec un être d’une humanité à fleur de peau, d’une attention extrême à l’écoute de l’autre, l’enveloppant d’un regard profond et libérant sa parole d’une voix comme surgie des profondeurs. « Comme l’aveu d’une infinie précaution à l’instant d’approuver ou de dénier, une intime prudence devant l’idée, prudence nourrie de longues années d’incertitude, d’inquiétude, d’exigence dans l’ajustement de la pensée », commente Jean-Pierre Siméon dans l’ouvrage* qu’il consacre à l’auteur de L’année de l’éveil, L’inattenduou Attente en automne. Pour quiconque revient de l’enfer, il est vrai que goûter enfin au bonheur de la vie, et de l’écriture, relève presque du miracle !
Anne de Boissy dans Lambeaux, mise en scène de Sylvie Mongin-Algan. Photo Lorenzo Papace
Une vie en Lambeaux … Il suffit de lire l’ouvrage de Charles Juliet au titre éponyme pour saisir le sens et la portée du mot. À peine né et déjà séparé de sa mère qu’il ne connaîtra jamais, placé dans une famille d’accueil, l’adulte qui advient mettra longtemps, très longtemps, à se connaître et se reconnaître, à panser les maux et mettre des mots sur cette déchirure première. « L’écriture de ce livre fut décisive. Sans détour, je puis affirmer qu’il y a un avant et un après, jusqu’alors je m’interdisais d’être heureux ». Avec cette révélation surprenante : « douze ans d’intervalle séparent les vingt premières pages du manuscrit du point final. Il m’a fallu faire retour sur le traumatisme inconscient de cette rupture, me libérer de mon enfance et de mon éducation militaire pour qu’advienne cet inconnu que j’étais à moi-même ». Un ouvrage où le petit d’homme devenu grand chante l’amour de ses deux mères, l’inconnue dont il reconstruit le paysage intime avec des mots poignants et bouleversants et l’autre, cette paysanne à l’amour débordant pour l’enfant recueilli…
Fort d’une éblouissante maîtrise du verbe, l’auteur nous embarque sur ces flots insoupçonnés de l’inconscient où luit, au plus profond de la noirceur, l’étincelle de vie qui change tout. Celle de l’espoir. Auparavant, il en avait expérimenté quelques bribes. Au travers d’émois esthétiques et poétiques : la peinture de Cézanne et la rencontre du plasticien Bram Van Velde, la découverte des poètes Blas de Otero et Machado… Charles Juliet, un écrivain de l’intime ? Le diseur de l’insondable, plutôt. Pour s’en convaincre, il suffit de plonger dans L’année de l’éveil, un authentique récit d’initiation à la vie et à l’amour. L’auteur y conte ses longues années d’enfant de troupe, la dure loi de la vie en collectivité, les corvées et contraintes de la règle militaire, la découverte de la femme et de la tendresse.
Étonnamment, celui que l’on imaginait solitaire et contemplatif, l’écrivain à la plume si finement léchée et au verbe se jouant d’une si lancinante musique intérieure, Charles Juliet se révèle pleinement présent en son temps. Qui pose un regard acéré sur la vie de la cité, qui décrit avec justesse la société dans laquelle il est immergé. Obsédé par ces injustices dont il est témoin au quotidien, révolté par l’état de cette planète riche qui n’a jamais autant fabriqué de pauvreté, plaidant avec vigueur pour un sursaut de conscience et d’éthique…
« La question de la jeunesse me hante, me désespère parfois, elle ne me quitte jamais : qui peut se satisfaire de la vision d’une jeunesse perdue ?». Aussi, accepte-t-il fréquemment de dialoguer avec les lycéens. « Pour rejoindre leur angoisse et leur dire : étonnez-vous de vous-mêmes et de la vie, ne partez pas battus. Je souhaite aussi qu’ils comprennent que l’acte d’écrire n’est pas un geste dérisoire dans une société où règne la confusion la plus noire ». Éthique et morale ? Pas de vains mots pour un homme et un écrivain qui les couche chaque jour sur le papier en lignes de clarté. Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Mes meilleures années, Charles Juliet (éditions P.O.L., 160 p., 18€).L’année de l’éveil (Folio Gallimard, 273 p., 7€70). Lambeaux (Folio Gallimard, 160 p., 6€), Attente en automne (Folio Gallimard, 208 p., 6€), L’inattendu (Folio Gallimard, 240 p., 7€70).
* La conquête dans l’obscur, Charles Juliet, de Jean-Pierre Siméon (JMP éditeur, 126 p., 11€).
Quand la lumière s’éteint…
En 2020 paraissait aux éditions P.O.L. Le jour baisse, le dixième volume du Journal de Charles Juliet. Une œuvre de longue haleine, débutée en l’an 2000 avec Ténèbres en terre froide qui couvre la période 1957-1964 ! « Le jour baisse, dixième volume de mon journal, couvre quatre années, de 2009 à 2012. Dans les volumes précédents, je veillais à peu parler de moi. Ici, je m’expose davantage, parle de ce que j’ai longtemps tu : mon épouse, sa famille, mes rapports avec celle-ci. Je relate ce que fut mon année préparatoire aux études de médecine (…) Arrêt des études et engagement dans l’armée. Pendant cette année, à mon école d’enfants de troupe, j’ai eu des rapports difficiles avec un capitaine. Plus le rugby, plus une ardente faim de vivre, plus des tentations, plus un grand désordre dans la tête et dans le cœur. ».
Charles Juliet ? Un diariste à la plume singulière, qui récuse complaisance et nombrilisme, couchant ainsi sur le papier le particulier de sa vie et de son quotidien pour mieux atteindre l’universel. Une langue limpide au mot léché, où la prose sans relâche affinée sur le papier prend couleur poétique, où le phrasé finement ciselé devient gouleyante peinture pour celui qui chérit celle de Cézanne. Prix Goncourt de la poésie en 2013, en 2017 Grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, Charles Juliet est un auteur qu’il fait bon découvrir et rencontrer entre les lignes. Une sensibilité exacerbée par les soubresauts de l’existence, un homme aussi attachant que discret qui accompagne son lecteur dans les méandres les plus profonds de la conscience. Une grande plume se brise, une voix s’éteint. La mémoire est fidèle. Y.L.
Jusqu’au 06/12, en l’espace Com’Unity et à la médiathèque de Bezons (95), Abdallah Akar donne à voir ses créations. Il est l’invité d’honneur de l’exposition Mare Nostrum, la Méditerranée ! Entre littérature et spiritualité, lettres et volutes sur bois, tissu, fer et verre, le maître calligraphe décline son alphabet ! Une œuvre inspirée, pleine de grâce et de beauté.
Enfant des sables, natif de Tataouine en Tunisie et fils de la tribu Daghari, Abdallah Akar a vécu sa jeunesse entre dunes et pâturages. Berger de chèvres et moutons, comme tous les gamins de son âge la vie de semi-nomade fut son école : la beauté des paysages, la grandeur du désert, la découverte des mystères de la nature. Son plaisir pour vaincre l’ennui de longues journées à surveiller les bêtes ? Pister les traces des serpents et gerboises, les capturer… « Une enfance simple, agréable, avec l’essentiel pour vivre : figues, sucre, sel et piment », témoigne l’artiste.
L’accession au pouvoir du président Bourguiba, en 1957, transforme sa vie. Les portes de l’école lui sont ouvertes, il se prend d’amour pour la langue arabe et la poésie ! Plus tard, il rejoint son frère en France pour poursuivre des études scientifiques et décrocher une licence en physique. Au cœur de ce parcours scolaire puis universitaire, il fait alors une rencontre éblouissante. Percutante, étonnante qui va bouleverser sa vie : Léonard de Vinci ! C’est un copain qui lui a prêté un petit bouquin sur le génial italien. Subjugué par la démarche du maître, tant artistique que scientifique, il se met à le copier. La démarche classique pour tout néophyte avant de tracer sa propre voie, des plus anciens à Picasso tous ont emprunté le même chemin.
Obsédé par les images du résident d’Amboise, Abdallah Akar pousse la porte de la MJC (Maison des jeunes et de la culture) de La Courneuve, « en ce temps-là les banlieues parisiennes fourmillent de richesses insoupçonnées ! ». Il commence à manier gouaches et pinceaux, il s’inscrit à un atelier de sérigraphie où il s’initie à l’art du trait. La calligraphie s’invite en son univers mental et artistique, d’abord à la lecture d’un livre sur ce coup de plume si particulier, ensuite avec la rencontre d’un maître, un contemporain cette fois, le calligraphe irakien Ghani Alani, natif de Bagdad mais vivant en France.
Le grand maître par excellence, ses œuvres exposées dans toutes les grandes capitales du monde… Qui l’exhorte à percer les secrets de « la belle écriture », du grec kallos (beauté) et graphô (écrire) : le plein, le délié, le trait…. Plus tard, c’est la découverte d’un autre créateur en la matière, « le maître, l’artiste », Hassan Massoudy qui mêle calligraphie traditionnelle et style contemporain pour tracer un nouveau chemin à l’art de la calligraphie arabe. « Son art d’une profonde et sobre beauté devient comme un chant d’éternité qui ne nous quitte plus », témoignera Andrée Chedid, la grande poétesse. De confrontations en rencontres diverses, un cheminement naturel pour Abdallah le postulant aux belles lettres, il organise sa première exposition en 1986 à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis comme il se doit !
« Par ce lien fondamental avec la langue arabe, je crée mon monde intérieur, inspiré par les grandes œuvres littéraires », confesse Abdallah Akar, mêlant avec grâce et beauté textes sacrés et poésie. Délaissant de temps à autre le papier pour oser s’aventurer vers de nouveaux supports : le bois, le textile, le fer et le verre…
« Si j’avais su qu’il existait une chose telle que la calligraphie islamique, je n’aurais jamais commencé à peindre » Pablo Picasso
Ainsi, l’installation dans une église de Blois de quatre planches à peine équarries sur lesquelles se déploie la sourate XIX du Coran, celle consacrée à Marie, ainsi son Hommage aux Muallaqu’àt, les célèbres poèmes antéislamiques devenus sous sa plume « Poèmes suspendus » : de grand format, seize textiles calligraphiés ! Du grand art, quand le trait et le mot s’unissent en un grandiose mariage des formes et des couleurs.
« J’honore à ma façon le dialogue interreligieux et interculturel », commente Abdallah Akar d’une voix sage et douce, empreinte d’une sincère modestie. Ses Dormants d’Ephèse présentés à la Villa Médicis de Rome, exposant par-delà les frontières, des pays arabes aux grandes capitales européennes, il est à son tour reconnu grand maître en calligraphie ! Loué pour son esprit créatif, la magie de sa plume, la flamboyance de ses œuvres… Ainsi dansent, pleurent ou chantent les lettres sur la toile. De Mahmoud Darwich à Rimbaud, entre Orient et Occident, une invite inédite à partager la saveur de nos alphabets. Yonnel Liégeois, photos Salah Mansouri
Mare Nostrum, Abdallah Akar et 34 artistes : Biennale d’art contemporain Rev’Arts 2025, du 18/11 au 06/12.En l’espace Com’Unity, dans le cadre de l’exposition Mare Nostrum, chaque toile se fait fragment de Méditerranée, une traversée entre silence et parole, visible et invisible. « Elle n’est pas une mer qui sépare, elle relie et unit : elle est mémoire, langue et lumière partagée ». Chaque signe calligraphié contient le murmure des rivages et le souffle des peuples. Avec Abdallah Akar, la calligraphie respire, se déploie, se libère. Elle devient peinture, rythme, danse. Le noir de l’encre dialogue avec la lumière du papier, les couleurs éclatent comme des orages méditerranéens. Poète du visuel, Abdallah Akar invite à la méditation et au voyage intérieur.Espace Com’Unity, 1 rue Emile Zola, 95870 Bezons.
Calligraphies inédites, Abdallah Akar : jusqu’au 06/12.Peintre et poète, Abdallah Akar fait de la lettre un paysage, du mot un souffle. Entre tradition et modernité, son œuvre relie les cultures et les âmes, transformant la calligraphie en peinture, rythme et lumière. Dans le cadre de l’exposition REV’ARTS à la médiathèque, il présente un ensemble inédit en parfaite résonance avec le lieu du livre et des mots.La médiathèque Maupassant, 64 rue Édouard Vaillant, 95870 Bezons (Tél. : 01.79.87.64.00).
Jusqu’au 19/01/26, à la Villa Médicis de Rome, Abdallah Akar participe à l’exposition collective Lieux saints partagés, voyage entre les religions : une installation de sept tissus représentant les sept Dormants d’Ephèse ( extrait de la Sourate 18/ Al Kahf/La Caverne). L’exposition réunit des œuvres majeures issues des collections françaises, italiennes et vaticanes mises en dialogue avec des créations contemporaines. De Gentile da Fabriano à Marc Chagall en passant par Le Corbusier, elle s’attache à mettre en lumière à travers des œuvres d’art un phénomène religieux parfois méconnu mais très présent en Méditerranée : les sanctuaires partagés par des fidèles de religions différentes. Académie de France à Rome – Villa Médicis, Viale della Trinità dei Monti, 100187 Roma.
Le 29 octobre 1981, disparaissait Georges Brassens. En compagnie de Rémi Jacobs, coauteur avec Jacques Lanfranchi de Brassens, les trompettes de la renommée, une petite balade amoureuse dans l’univers du grand poète et chanteur populaire. Sans oublier les deux conférences musicales, le 15/11 et 06/12, initiées par Philippe Gitton, contributeur aux Chantiers de culture.
« Auprès de mon arbre », « Fernande », « La cane de Jeanne », « Le gorille », « Une jolie fleur » : pour l’avoir fredonnée un jour, qui ne connaît au moins une chanson du répertoire de l’ami Jojo ? De son vivant déjà, nombreux sont encore aujourd’hui les interprètes qui s’amourachent des rengaines finement ciselées de Brassens. Une pléiade de textes toujours d’actualité, vraiment pas démodés qui font mouche là où ils touchent : les cocus, les cons, les curés, les pandores, les juges… En décembre 2021, pour le centième anniversaire de sa naissance, Sète, la ville natale du poète, organisait de nombreux événements. En particulier sur le bateau du centenaire, Le Roquerols. Compositeur et interprète, Brassens a marqué son époque par son regard incisif sur notre société. Avec, en fil conducteur, deux mots qui lui étaient chers : fraternité et liberté !
« Je fréquente Brassens dès mon plus jeune âge », avoue Rémi Jacobs, « je me souviens encore du scandale que ma sœur déclencha à la maison le jour où elle rentra avec le 45 tours du « Gorille » en main ! ». Le ver est dans le fruit, à cette date et en dépit des interdits familiaux, le coauteur de Brassens, les trompettes de la renommée ne cessera d’écouter le signataire de la « Supplique pour être enterré à la plage de Sète ». C’est en cette bonne ville du Sud, marine et ouvrière, que Georges Brassens naquit en octobre 1921. D’une mère d’origine italienne et fervente catholique, d’un père maçon farouchement laïc et libre penseur : déjà un curieux attelage pour mettre le pied à l’étrier, une enfance heureuse cependant pour le gamin à cheval entre règles de vie et principes de liberté, qui connaît déjà des centaines de chansons par coeur (Mireille, Misraki, Trenet…). Une rencontre déterminante au temps du collège, celle d’Alphonse Bonnafé, son professeur de français qui lui donne le goût de la lecture et de la poésie, Baudelaire – Rimbaud – Verlaine, avant qu’il ne découvre Villon, Prévert et bien d’autres auteurs… « On était des brutes à 14-15 ans et on s’est mis à aimer les poètes, tu mesures le renversement ? » confessera plus tard à des amis « Celui qui a mal tourné ».
« Des auteurs qui nourriront l’imaginaire de Brassens et l’inspireront pour composer des textes splendides et indémodables », souligne Rémi Jacobs. « Une versification, une prosodie qui exigèrent beaucoup de travail, on ne s’en rend pas compte à l’écoute de ses chansons, et pourtant… Brassens, ce grand amateur de jazz et de blues, révèle une extraordinaire habilité à poser des musiques sur les paroles de ses chansons ». D’où la question au fin connaisseur de celui chez qui tout est bon comme « tout est bon chez elle », il n’y a « Rien à jeter » : Brassens, un poète-musicien ou un musicien-poète ? « Les deux, tout à la fois », rétorque avec conviction le spécialiste patenté ! « Brassens est un musicien d’instinct, qui a cherché ses mélodies et a parfois cafouillé, mais il est arrivé à un statut de compositeur assez original. Musicien d’abord ou poète avant tout : d’une chanson l’autre, le cœur balance, il est impossible de trancher. Historiquement, hormis quelques chansons, on ne sait pas ce qui précède, chez Brassens, du texte ou de la musique ».
« Sauf le respect que je vous dois », ne sont que mécréants et médisants ceux qui prétendent que Brassens se contentait de gratouiller son instrument… « De même qu’il a su créer son style poétique, il est parvenu à imposer un style musical que l’on reconnaît d’emblée. Il me semble impossible de poser d’autres musiques sur ses textes. Par rapport à ses contemporains, tels Brel ou Ferré, il m’apparaît comme le seul à afficher une telle unité stylistique. Hormis Nougaro peut-être, plus encore que Gainsbourg… Brassens travaillait énormément ses mélodies, fidèle à son style hors des époques et du temps qui passe. D’une dextérité extraordinaire à la guitare au point que ses partenaires musiciens avaient du mal à le suivre sur scène », note Rémi Jacobs.
Un exemple ? « La chanson « Les copains d’abord » dont nous avons retrouvé le premier jet de la musique. Très éloigné du résultat que nous connaissons, la preuve qu’il a cherché longtemps avant d’arriver à cette perfection ». Et le musicologue de l’affirmer sans ambages : « Les copains d’abord ? Le bijou par excellence où Brassens révèle tout son acharnement au travail pour atteindre le sommet de son art, où il révèle surtout son génie à faire accéder ses musiques au domaine populaire dans le bon sens du terme. Ses chansons ont pénétré l’inconscient collectif, elles y demeurent quarante ans après sa disparition, elles y resteront encore longtemps pour certaines d’entre elles, comme « Les copains » ou « L’auvergnat ». Des chansons finement ciselées, au langage simple à force de labeur sur le vers et les mots ».
D’où la censure qui frappa certaines de ses chansons, jugées trop subversives et interdites de diffusion. En attestent les « cartons » des policiers des Renseignements Généraux, notant cependant que ce garçon irait loin… Il est vrai que « Le Gorille » fait fort là où ça peut faire mal ! Libertaire, anarchiste Brassens ? « Il s’élève avant tout contre l’institution, toutes les institutions, le pouvoir, tous les pouvoirs : la justice, la police, l’armée, l’église. Il suffit de réécouter « La religieuse », un texte ravageur, destructeur… Un vrai scud ! », s’esclaffe Rémi Jacobs.
Celui qui célébra « Les amoureux des bancs publics » au même titre qu’il entonna « La complainte des filles de joie » est avant tout un humaniste, tolérant, défenseur du mécréant et de la prostituée. Avec, pourtant, des sources d’inspiration étonnantes parce que récurrentes dans son oeuvre (Dieu, la mort…) et l’appel au respect d’un certain ordre moral. « Brassens ? Un homme d’une grande pudeur, fidèle en amitié, pour qui la parole donnée est sacrée », affirme en conclusion notre interlocuteur, « un homme qui se veut libre avant tout, qui prend fait et cause pour les causes désespérées. à l’image de François Villon, le poète d’une grande authenticité et d’une grande liberté de ton qui l’inspira tout au long de sa vie ».
Georges Brassens ? Au final, un ami peut-être, un complice d’accord. Un copain d’abord qui, plus de quarante ans après, coquin de sort, nous manque encore ! Yonnel Liégeois
Le 15/11 à 16h, en la salle des fêtes de Mézières (36), Philippe Gitton et Sylvain Guillaumet proposent une conférence musicale en hommage à Georges Brassens : le rappel de quelques dates essentielles dans la vie de l’artiste par l’un, une douzaine de chansons interprétées par l’autre. Quarante-quatre ans après sa mort, le répertoire du Sétois suscite toujours autant d’intérêt y compris parmi les nouvelles générations. Grand prix de poésie de l’Académie française en 1967, Georges Brassens a mis en musique des poèmes de François Villon, Victor Hugo, Paul Verlaine, Francis Jammes, Paul Fort, Antoine Pol, Théodore de Banville, Alphonse de Lamartine ou encore Louis Aragon.
Le 06/12 à 16h30, à la salle polyvalente de la Résidence AVH, 64 rue Petit, 75019 Paris (Métro Ourcq, ligne 5). Philippe Hutet et Alain Martial interpréteront les chansons. Le rendez-vous musical est organisé par le GIPAA (Groupement pour l’Information progressiste des Aveugles et Amblyopes). Réservation indispensable auprès de Sylvie et Yves Martin (07.81.91.37.17).
Poète et musicien
Qu’il soit diplômé du Conservatoire de Paris en harmonie et contrepoint pour l’un, titulaire d’un doctorat d’histoire pour l’autre, les deux l’affirment : Brassens fut tout à la fois un grand poète et un grand musicien ! Avec Brassens, les trompettes de la renommée, Rémi Jacobs et Jacques Lanfranchi signent un ouvrage passionnant et fort instructif. Un livre à double entrée aussi, analysant successivement textes et musiques. Révélant ainsi au lecteur des sources d’inspiration littéraire inconnues du grand public (Musset, Hugo, Aragon, Montaigne…), au même titre que les filiations musicales de celui qui voulait bien « Mourir pour des idées », mais de mort lente : l’opérette qui connaissait encore un grand succès dans les années 30, les musiques de films, le comique troupier et surtout le jazz, celui de Sydney Bechet et de Django Reinhardt…
Un essai qui permet véritablement de rentrer dans la genèse d’une œuvre pour assister, au final, à l’éclosion d’une chanson. Deux autres livres à retenir, à l’occasion du 40ème anniversaire de la mort de Georges Brassens : Le libertaire de la chanson de Clémentine Deroudille qui narre par le menu la vie du poète, le Brassens de Joann Sfar qui illustre avec talent et tendresse le texte des 170 chansons écrites et enregistrées par celui qui souffla plus d’une « Tempête dans le bénitier ». Y.L.
Elle est à toi, cette chanson…
Diffusé en exclusivité à la Fnac, le coffret de quatre albums Georges Brassens, elle est à toi cette chanson… conçu par Françoise Canetti surprendra les oreilles de celles et ceux qui pensent avoir écumé l’ensemble de l’œuvre.
Le premier album permet, explique Françoise Canetti « de découvrir Brassens autrement, à travers ses interprètes », pour damer le pion à celles et ceux persuadé·es qu’avec Brassens, deux accords de guitare et un « pom pom pom » final suffisent. « Mon père disait que ceux qui pensaient ça avaient vraiment des oreilles de lavabo, sourit Françoise Canetti. C’était en fait un immense mélodisteet les arrangements jazz, rock ou encore blues d’Arthur H, Sandra Nkake, Olivia Ruiz, Françoise Hardy ou encore Nina Simone révèlent toute la force de ces mélodies. »
Le deuxième album est consacré aux années Trois baudets, ces fameux débuts dans lesquels Brassens doit être littéralement poussé sur scène par Jacques Canetti. « Mon père a créé le phénomène d’artistes-interprètes, poussant les auteurs de chansons à interpréter leurs textes, parce qu’il croyait en eux, explique Françoise Canetti. Brassens, Brel, Vian : tous étaient à la base très mal à l’aise de se donner en spectacle mais mon père les encourageait avec bienveillance, parce qu’il avait vu leur immense potentiel. C’était un accoucheur de talent, qui ne dirigeait pas ses artistes comme d’autres dans le show business mais préférait suggérer en posant des questions, du type : Georges, pensez-vous que cette chanson soit à la bonne tonalité ? De fait, Brassens, qui aimait donner des surnoms à tout le monde, l’appelait Socrate. » Dans cet album, au milieu des classiques sont intercalées des morceaux d’interviews de l’artiste particulièrement émouvants.
Le troisième album est consacré aux artistes des premières parties de Brassens (Boby Lapointe, Maxime Le Forestier, Barbara, Rosita…) pour souligner le grand sens de l’amitié du chanteur. « Il s’est toujours rappelé que Patachou en premier puis mon père lui avaient tendu la main vers le succès et a mis un point d’honneur à faire de même pour de nombreux artistes débutant en retour. » Quant au quatrième CD, il rend grâce à son inséparable meilleur ami, le poète René Fallet. Une série de textes amoureux inédits de l’homme de lettres, mis en musique, à la demande de Brassens, par la mère de Françoise Canetti Lucienne Vernet, sont interprétés par Pierre Arditi. Exquis ! Anna Cuxac, in le magazine Causette (21/10/21)
Au théâtre Hébertot (75), Charles Tordjman propose Douze hommes en colère. Une adaptation de la pièce du dramaturge américain Reginald Rose, signée Francis Lombrail. Captivante, poignante. Sans oublier Pauline&Carton, mise en scène de Charles Tordjman, avec la délicieuse Christine Murillo au théâtre de La Pépinière.
Les débats sont houleux, serrés, la sentence pourtant ne souffre aucun doute dans l’esprit de la majorité des jurés : la chaise électrique ! Des images sont gravées dans notre mémoire, celles du célèbre film de Sidney Lumet réalisé en 1957 avec Henry Fonda dans le rôle-titre. Sur la scène du théâtre Hébertot, point de salle des délibérations, juste une longue et large banquette… Au banc des accusés, un jeune noir, 16 ans, soupçonné du meurtre de son père. Les douze jurés se sont retirés pour statuer. Un jugement qui doit être rendu à l’unanimité : acquittement ou condamnation à mort.
Francis Lombrail et Charles Tordjman, l’adaptateur et le metteur en scène, en conviennent, il faut de l’audace pour s’intéresser à une œuvre dont tout le monde, aujourd’hui, connaît la fin ! Comment étonner, surprendre encore dans cette affaire de meurtre, si typique de la société américaine des années 50 : un jeune noir des ghettos déjà bien connu des services de police selon l’expression consacrée, un père truand patenté, un avocat commis d’office de piètre stature… « D’abord, je fus intrigué à l’idée que l’on adapte Douze hommes en colère de nos jours », reconnaît Charles Tordjman, « comme les trois quarts de l’humanité, je connaissais le film mais je ne pensais pas au théâtre ». Ce qui emporte l’adhésion des deux hommes ? En ce huis-clos serré dans une chaleur étouffante, plus que le débat juridique sur la place du « doute raisonnable » entre présomption d’innocence et preuves de culpabilité, la mise à nu des choix et convictions intimes de chacun des douze jurés ! En fait, d’hier à aujourd’hui, d’un film devenu un classique à la représentation théâtrale, l’illustration de toutes les composantes de nos sociétés décortiquées à vif.
Une société encore traumatisée par le soupçon mortifère du maccarthisme à l’heure où Réginald Rose écrit sa pièce et change de patronyme quand le couple Rosenberg est condamné puis exécuté, un peuple toujours fracturé par la ségrégation raciale, un pays où les préjugés de classe et de race ont force de loi… « Ce gamin a le crime dans les veines, ceux de sa race tous les mêmes », avance l’un des jurés. Inutile de perdre son temps en de longues conjectures et tous, petits Blancs de bonne fréquentation dans leur costume-cravate, d’acquiescer. Sauf l’un d’eux, ni meilleur ni plus juste que les autres, qui invite seulement ses partenaires à examiner plus en détail le dossier, les affirmations des deux témoins-clefs : l’arme du crime, la reconnaissance des voix, la claire vision du présumé coupable sur la scène de crime.
Les dialogues fusent, vifs et virulents. Les insultes et agressions verbales aussi, au point d’en arriver parfois presque aux mains… Chacun se confond en propos et arguments hérités de l’enfance, de l’éducation ou des convenances sociales, douze hommes affichent diversité et complexité avec leurs failles et blessures intimes. Une mise en scène sobre et toute en nuances, captivante et poignante quand s’immisce progressivement le doute dans les consciences. Qui ouvre petit à petit au dialogue, à l’écoute de l’autre quand tombent masques et préjugés. Au final, d’une main unanime, douze hommes paraphent leur colère contre la faillite d’un système judiciaire : non coupable ! Yonnel Liégeois
Douzehommes en colère, mise en scène de Charles Tordjman : les jeudi, vendredi et samedi à 19h. Le théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris (Tél. : 01.43.87.23.23).
CHRISTINE ET PAULINE
Derrière sa petite table de camping, elle batifole, joue l’ingénue, distille avec humour et générosité, surtout avec suprême talent, les petits et grands moments de la vie d’une célèbre comédienne. Christine (Murillo), l’espace d’une heure, devient Pauline (Carton), inoubliable vedette de la scène, complice de jeu aux belles heures de Sacha Guitry et belle amoureuse d’un poète genevois. Une petite boîte en carton, qui devient boîte à secrets et pépites, pour clamer et chantonner les souvenirs de feu sa consœur des planches. Une déclaration d’amour au théâtre superbement égrenée par une grande dame,Molière 2025 du meilleur « Seule en scène » ! Y.L.
Pauline&Carton, Charles Tordjman : jusqu’au 30/11, du samedi au lundi à 19h. La Pépinière, 7 Rue Louis le Grand, 75002 Paris (Tél. : 01.42.61.44.16).
Au Pôle culturel d’Alfortville (94), le 18 octobre, Agnès Bihl dévoile 25 ans de la vie d’une femme. Avec un nouvel opus de 18 titres pour chanter le temps qui passe, grandes joies et petites misères, l’amour enchanteur ou contrarié… Une artiste qui décoiffe dans le paysage chansonnier, des textes qui mêlent la rime poétique à l’incorrect politique, le romantique au mélancolique, l’adversité à la fraternité.
Franchise et convivialité ! En ce bistrot de Montmartre, l’enfant de la Butte est à son aise. Un lieu idéal pour laisser les mots s’envoler… « Après le bac, j’ai fait des tas de petits boulots, la galère, je connais », avoue la jeune femme sans une quelconque pointe d’amertume. Déjà, les vrais amours d’Agnès Bihl sont ailleurs : la fréquentation des poètes comme Aragon, Baudelaire et Musset, la chanson dans les bars où elle écume les titres du répertoire. Jusqu’au jour du « coup de foudre, le coup de cœur », elle découvre Allain Leprest dans une petite salle de la Butte aux Cailles. « Ce jour-là, je me dis que les grands de la chanson ne sont pas tous morts, j’en avais un sous les yeux. D’un coup, tout me paraît possible, le soir même je compose ma première chanson ». Pour se produire ensuite en divers cabarets, avant de faire les premières parties de Louis Chedid, Thomas Fersen, Brigitte Fontaine, La Tordue, Anne Sylvestre… Fait rare : des mois durant, Agnès Bihl assure la première partie des concerts de Charles Aznavour, lui qui refusa ce genre d’exercice pendant près de trente ans !
Pour celle qui n’a jamais cessé d’écrire, les chansons s’enchaînent. De La terre est blonde, son premier album jusqu’au dernier né 25 ans de la vie d’une femme, Agnès Bihl ne fait pas vraiment dans la guimauve. Plutôt dans le décapant, une tornade brune ou blonde à la chasse des enzymes plus cons que gloutons. « Qu’on ne se méprenne pas pourtant, ma démarche est artistique, je ne fais pas dans l’humanitaire. Quand Brassens chante Le gorille, il ne crée pas une association contre la peine de mort ! Je fonctionne à coups de mythologie, je m’inscris dans cette histoire de la chanson française, libertaire et contestataire ». Des cris et des rimes pour dénoncer les crimesde ce monde fou où Des millions d’gosses mangent de la viande juste quand ils se mordent la langue. S’élever contre la loi du plus fort mais croire, toujours et encore, qu’il existe des Gens bien… !
Elle l’avoue, elle le chante même, elle est chiante et méchante, surtout chiante, mais ça l’enchante la nana de la Butte ! Pas vraiment buttée sur l’image que l’on se fait d’elle et si le monde ne tourne pas rond, le détestant « comme une manif sans merguez », elle trouve le mot juste, la rime bien acérée pour le vilipender à sa façon. Sur des musiques bien léchées, de la contestation qui n’est ni tract ni propos béton où tendresse et passion se déclinent au diapason de l’humour et de la dérision. Entrez mesdames et messieurs, sous l’chapiteau du temps qui rêve, vous y attend une jolie fille qui minaude et musarde. Gare toutefois, en coulisses il y a de la dynamite, une nana qui décoiffe ! Qui s’empare de sujets tabous comme l’inceste, Touche pas à mon corps, la parole bouleversante d’une enfant à son papa trop aimant…
Femme, elle ne s’en laisse point conter sur la dureté de l’aujourd’hui, du quotidien de la vie, sur la galère de Madame Léonie… Mais aussi, la lassitude dans le couple, l’amour qui casse, le temps qui passe, la déprime… De La complainte de la mère parfaite à Dis, c’est quoi ce plan cul, elle sait aussi chanter avec force tendresse La plus belle c’est ma mère. Agnès Bihl ne se refuse aucune image, sur les lignes de mon visage, on peut bouquiner mon histoire, mes coups de foudre et mes orages, aucun éclat de voix… Prompte à monter au créneau pour toutes ces causes où riment les mots égalité et fraternité, la femme-l’étranger-le gréviste-le sans papiers. Une femme engagée, Agnès Bihl ? « Tout dans la vie est engagement : tenir une plume, ouvrir un journal, dire Je t’aime ». Des convictions scandées sur mesure entre rock et musette, de la chanson populaire bien troussée entre coups de cœur et coups de griffe, émotion et rébellion.
Allez-y, allez-y donc tous écouter la Bihl à l’occasion de la longue tournée qui débute. Elle vous attend, ni parfaite ni refaite, telle que la vie l’a faite… Entre poésie et mélancolie, humour et gouaille aussi, assurément vous serez séduit ! Propos recueillis par Yonnel Liégeois
25 ans de la vie d’une femme, Agnès Bihl : le 18/10, 20h30. Le POC (Pôle culturel d’Alfortville), Parvis des Arts, 94140 Alfortville (Tél. : 01.58.73.29.18). Le 23/10 au vent des Glottes, St Jean de Monts (85). Le 24/10 au vent des Glottes, St Hilaire de Riez (85). Le 26/10 au Kabellig Ruz, Lanloup (22). Le 04/11 au festival Chants d’Elles, Rouen (76). Le 10/11 au festival Chants d’Elles, St Ouen d’Attez (27).
Le 9 octobre, date symbolique, le Panthéon accueille la dépouille de Robert Badinter, avocat et ancien ministre de la Justice de 1981 à 1986. Ardent opposant à la peine de mort, le 17 septembre 1981, au nom du gouvernement, il présente à l’Assemblée Nationale le projet de loi prônant son abolition. Le texte est promulgué le 9 octobre 1981.Dans la nuit du 8 au 9 février 2024, Robert Badinter décède à Paris, à l’âge de 95 ans. Ce même jour de février 1943 où son père, arrêté à Lyon par la Gestapo de Klaus Barbie, est transféré à Drancy puis déporté au camp de Sobidor dont il ne reviendra jamais…
L’ancien Garde des Sceaux et Président du Conseil constitutionnel, alors sénateur des Hauts de Seine, nous accorda un long entretien en novembre 2000 à l’occasion de la sortie de son livre L’abolition.Un moment fort, passionnant, une rencontre mémorable qui marque durablement les consciences… D’une incroyable humanité, un regard d’une infinie tendresse sous ses sourcils abondants et broussailleux, Robert Badinter n’hésita point à prolonger le temps initialement imparti à notre entretien. Sans notes, une mémoire infaillible, un propos nourri de convictions, une foi inébranlable en la morale et la justice ! Un homme qui incarnait, respirait vraiment les valeurs humanistes.
En hommage à cette grande figure du droit, à ce sage et juste d’une haute stature éthique et politique, Chantiers de culture propose à ses lectrices et lecteurs ce temps du dialogue où les mots échangés conservent, 25 ans plus tard, toute leur saveur, leur force et vigueur.Yonnel Liégeois
Quand un abolitionniste passe aux aveux…
De l’affaire Buffet-Bontems en 1972 jusqu’à ce mémorable mois de septembre 1981 où l’Assemblée nationale vote la suppression de la peine capitale en France, Robert Badinter raconte dans L’abolition ses combats juridiques et politiques au quotidien. Un livre empreint d’émotion et de passion où l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand plaide en faveur d’une autre justice à instaurer partout dans le monde. Surtout et d’abord aux États-Unis, par la force symbolique que la décision recouvrerait.
Yonnel Liégeois – À la lecture de L’abolition, une certitude semble poindre : que l’exécution de Bontems, condamné à mort en 1972, hante toujours votre conscience.
Robert Badinter – Alors que Bontems ne fut pas reconnu d’assassinat mais seulement de complicité dans l’affaire de Clairvaux, celui qui n’avait pas tué et celui qui avait tué furent tous les deux condamnés à mort. Le Président Pompidou refusa sa grâce et j’escortai donc le condamné jusqu’à la guillotine. Ce jour-là, je compris ce que veut dire une justice qui tue et je me fis le serment, en quittant la prison de la Santé, d’accepter de défendre celui qui me le demanderait quel que soit le crime commis. Dès l’instant où il encourrait la peine de mort et tant que subsisterait cet archaïsme sanglant… Avant ces faits, j’étais un abolitionniste comme bon nombre d’intellectuels et de confrères de ma génération, comme plus généralement toute la gauche française. Mais être abolitionniste c’est une conviction, la mort de Bontems m’a transformé en un militant. C’est devenu pour moi une cause essentielle, voire la première des causes durant de nombreuses années jusqu’en 1981.
Y.L. – C’est ainsi que vous êtes devenu le plus célèbre avocat « pénaliste » de France ?
R.B. – Je ne l’ai jamais été ! J’étais spécialisé dans les problèmes de droit littéraire et artistique, je m’occupais beaucoup d’affaires de presse. L’un de mes collaborateurs m’a d’ailleurs fait remarquer qu’entre 1972 et 1981 j’ai dû plaider au maximum douze à quinze affaires en Cour d’assises. Ce n’est pas beaucoup.
Y.L. – Certes, mais ce ne sont pas n’importe lesquelles !
R.B. – Effectivement. J’avais un certain nombre de dossiers où se jouait réellement, pas symboliquement, la tête d’un homme. Et comme le public n’a retenu que ces affaires, je suis devenu « le » spécialiste. D’autant que je militais aussi ardemment par la plume. À partir de l’affaire Patrick Henry, j’ai véritablement incarné la lutte pour l’abolition parmi mes confrères du barreau. Après la disparition d’Émile Pollak, je suis apparu comme celui le plus en avant dans la tranchée.
Y.L. – Vous utilisez une formule « choc » pour stigmatiser la peine de mort. « Guillotiner, ce n’est rien d’autre », écrivez-vous, « que prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux ». Une image très réaliste, hors toute considération morale ou éthique ?
R.B. – Par tempérament, je ne suis pas un lyrique mais plutôt, comme on dit, un introverti. Je ne m’imaginais pas en Cour d’assises en train de raconter la marche vers la guillotine et décrire le supplice. Après l’affaire Buffet-Bontems et avant de plaider pour Patrick Henry, j’ai longtemps cherché. Je cherchais comment expliquer aux jurés de la façon la plus saisissante, et en même temps la plus sobre possible, ce qu’était réellement la guillotine. Cette expression, prendre un homme et le couper vivant en deux morceaux, m’est apparue la plus juste. J’ai vu d’ailleurs qu’elle avait absolument saisi les jurés. Bien des années plus tard, le hasard m’a permis de retrouver les origines de la phrase. Dans une lettre de Buffet adressée à Pompidou… J’ai compris alors pourquoi j’avais refoulé cette image, au sens propre du terme !
Y.L. – Venons-en à l’affaire Patrick Henry et au procès qui s’ouvre en 1977 aux assises de Troyes, devant cette même Cour qui condamna à mort Buffet et Bontems. N’est-ce pas celle qui représente pour vous le « summum », « l’exemplarité » de votre combat ?
R.B. – Ce fut véritablement « l’affaire », une grande affaire et dans la bataille en faveur de l’abolition un moment essentiel, pas suffisant mais essentiel. Rappelez-vous que médias et public étaient déchaînés, les ministres aussi, et que chacun considérait que Patrick Henry n’avait aucune chance. Si la guillotine devait fonctionner, au lendemain de cet odieux crime d’enfant, elle devait d’abord fonctionner pour lui ! C’est dans cet état d’esprit d’ailleurs que s’est déroulé le procès. Le retour à Troyes m’est apparu comme un signe négatif du destin, mais je n’ai pas hésité un seul instant lorsque le bâtonnier Bocquillon m’a sollicité pour le seconder dans les débats. Je ne pouvais pas me dérober. En sachant qu’une seule perspective s’ouvrait lors de mon retour cinq ans plus tard dans cette même salle d’audience, devant le même avocat général qui avait déjà requis la peine capitale : substituer le procès contre la peine de mort à celui de Patrick Henry. La voie était très claire : si l’on croyait à la peine de mort, le cas était tellement cité comme exemplaire qu’il ne pouvait y échapper, si l’on n’y croyait pas le moment était venu de mettre le verdict en accord avec sa conviction. Je reste convaincu, à ce jour, que c’était la seule chance de Patrick Henry, même si on m’a reproché d’avoir escamoté les débats en remplaçant un procès par un autre. Le verdict ? Condamnation à perpétuité, non à mort… Je savais qu’il pèserait dans la conscience collective, je savais aussi que ce n’était pas fini et que seule une décision politique imposerait l’abolition.
Y.L. – Vous livrez au public une image étonnante de l’avocat en pleine plaidoirie. Contrairement à l’homme serein, assis aujourd’hui en face de moi, vous apparaissez comme tétanisé par l’enjeu. Loin des effets de manche, tel un boxeur qui, au gong final, finit le combat, épuisé ?
R.B. – Je ne fabule pas, il en était ainsi. Demandez à Frédéric Pottecher ou à Josyane Savigneau, alors jeune journaliste au Monde. Je suis toujours demeuré pénétré, hanté, par ce qui était advenu à Bontems. Les jeunes avocats ne connaîtront plus jamais ça, il vous faut imaginer l’ambiance. Des heures et des heures d’audience face à un auditoire hostile, après les plaidoiries des parties civiles, écouter dans un climat de haine et dans une atmosphère de mort l’avocat général demander au sens propre du terme, parfois avec talent et passion, la tête de celui que vous défendez, celui-là même que vous entendiez respirer juste derrière vous… Et il ne vous reste que 35 ou 40 minutes de parole non seulement pour convaincre mais surtout renverser cette espèce de courant qui conduit tout droit à l’échafaud. La responsabilité était telle, si immense, l’angoisse de ce qui était en jeu si forte qu’il me fallait absolument m’ouvrir aux jurés. Non pas leur donner l’impression d’avoir un avocat devant eux, mais simplement un homme qui leur parlait. D’où la nécessité d’aller toujours plus loin à l’intérieur de vous pour trouver les mots qui ne vous identifient pas à ce qui relève de l’habilité professionnelle. Une tâche extraordinairement épuisante et difficile, de plus en plus épuisante et difficile d’un procès à l’autre. Plus je devenais connu, plus on attendait la « performance » de Badinter : la pire chose qui soit pour un avocat, dans ces conditions-là. Il me fallait à chaque fois casser cet engrenage pour revenir à une relation d’homme à d’autres hommes ou femmes. Hors toute éloquence et artifice, ne pas amener les jurés là où ils ne voulaient pas aller mais les conduire là où ils devaient aller : que ce n’est ni la Justice ni la Cour qui rend un verdict, qu’il relève de leur responsabilité et qu’ils devront assumer toute leur vie le fait d’avoir envoyé un homme à la guillotine. L’heure de vérité, une décision terrifiante. La tension, l’angoisse, le manque de sommeil…
Y.L. – À l’horizon d’une campagne présidentielle décisive, en janvier 1981, 63% des Français sont encore favorables à la peine de mort. Avez-vous douté un moment des choix de François Mitterrand ?
R.B. – Mitterrand, nécessairement, voulait gagner les élections. En outre, c’était sa dernière chance. En mars 81, rien n’était joué et il faut souligner là son courage politique lorsqu’il se prononce ouvertement en faveur de l’abolition en risquant de perdre les quelques centaines de milliers de voix qui avaient déjà fait la différence en 1974. « Dans ma conscience, dans la foi de ma conscience, je suis contre la peine de mort », répond-il à Jean-Pierre Elkabbach lors de l’émission Cartes sur table. À cet instant, j’ai frémi de joie : sans détour ni précautions oratoires, François Mitterrand se déclarait pour l’abolition ! Ce que je redoutais avant tout, c’était une phrase dont Mitterrand avait le secret et qui, dans la complexité du propos, aurait ouvert de multiples possibilités. Je frémissais, je me disais « pourvu qu’il se jette à l’eau » ! C’est aller au-delà de mes espérances, ce fut un grand geste de courage politique et j’étais convaincu que ça le servait. J’en suis persuadé, affirmer ses convictions est toujours valable en politique, mais je dois reconnaître que ce n’était pas le sentiment de beaucoup de ses amis et conseillers. Mitterrand est certes un personnage politique éminemment complexe, mais il reste une constante : il n’a jamais supporté, et de personne, qu’on lui dicte ce qu’il devait faire.
Y.L. – En septembre 81, Garde des Sceaux, vous présentez votre projet de loi avec cet article premier : « La peine de mort est abolie ». Une réforme acquise à l’Assemblée nationale mais, plus étonnant, au Sénat aussi ! Une décision surprenante ?
R.B. – Encore aujourd’hui, j’ai du mal à l’expliquer et à en déceler les raisons. Un vote étonnant. Je pense qu’il y a eu une influence importante de l’Église catholique. Ces hommes-là, profondément chrétiens, ont œuvré à pas feutrés, en coulisses, nous ramenant aux délices des discussions parlementaires de la IIIème République… De grands dirigeants de droite ont voté la loi : Chirac, Seguin, Stasi et le député Pierre Bas qui réclamait chaque année la suppression des crédits du bourreau lors du vote du budget.
Y.L. – De Pompidou à Giscard, en passant par leurs différents ministres de la Justice, vous n’êtes pas tendre avec ces personnalités qui se déclarent abolitionnistes jusqu’à la veille de leur élection.
R.B. – Dans sa jeunesse, Alain Peyrefitte avait écrit un livre contre la peine de mort. Je pensais sincèrement qu’il serait l’homme de l’abolition et là il y a une part indiscutable d’attente déçue… Pompidou ? Normalien, Jeunesses socialistes, homme de grande culture, ça me paraissait aller de soi qu’il soit l’homme de la situation… Giscard reste pour moi un sujet d’étonnement encore à ce jour. Jamais, jamais je ne comprendrai pourquoi il a fait exécuter Christian Ranucci. Je cite dans L’abolition le passage de son livre de mémoires où il déclare mettre son réveil à l’heure de l’exécution, ouvrir les rideaux de sa chambre puis se rendormir… C’est extraordinaire, sidérant. À la lecture du texte, je n’en croyais pas mes yeux ! Dans l’histoire de l’abolition, l’exécution de Christian Ranucci est un moment-clef au même titre que l’affaire Patrick Henry. Il n’a jamais cessé de clamer son innocence. S’il y a une affaire où la grâce s’imposait, s’il y a un homme qui n’a vraiment pas bénéficié de la clémence judiciaire, c’est bien Ranucci. Face à la peine de mort, il ne faut jamais cesser de souligner son caractère de loterie sanglante.
Y.L. – Vous militez en faveur de l’abolition de la peine de mort aux États-Unis. Même si 3700 condamnés attendent leur sort dans les couloirs de la mort, vous espérez encore et toujours ?
R.B. – Oui, je reste optimiste, même si 66% des citoyens américains se disent partisans de la peine de mort, même si au Texas on compte une condamnation à mort tous les onze jours ! Vous avez là-bas l’abominable inégalité sociale et ce racisme structurel qui encombre les couloirs de la mort des enfants des communautés noires et hispaniques, non par les fils des startups. Ils ont des avocats médiocres ou indifférents nommés par les juges. Enfin, la procédure accusatoire qui régit le fonctionnement de la justice américaine oblige à l’ouverture d’enquêtes et de contre-enquêtes qui coûtent très cher. Sur quoi se fonde mon optimisme face à cette réalité sordide ? Le fait que 12 états américains maintiennent leur position abolitionniste, que le taux de criminalité n’a pas augmenté chez eux contrairement aux états voisins, que l’étude de la Columbia University portant sur la totalité des condamnations à mort depuis 1977 révèle de nombreuses erreurs judiciaires… On parviendra à l’abolition par étapes, de moratoire en moratoire il se passera ce qui s’est produit en Angleterre et au Canada : au bout d’un moment, ils se rendront compte que le taux de criminalité sanglante n’a pas changé et la peine de mort tombera en désuétude. Certes, le processus va demander du temps et des efforts, aussi nous faut-il soutenir les initiatives qui vont dans ce sens. Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Le 08/10 à 20h40, LCP (la chaîne parlementaire) propose Les combats méconnus de Robert Badinter. Un documentaire de Dominique Missika et de Bethsabée Zarca , qui retrace les grandes batailles de l’ancien garde des Sceaux : de la dépénalisation de l’homosexualité au regard neuf sur la prison qui n’est pas « l’honneur de la France »… Haï par la droite conservatrice, il contribua aussi à poser les bases d’une justice pénale internationale.
Le 09/10, à partir de 17h15, France 2 retransmettra en direct la cérémonie de panthéonisation de Robert Badinter. Suivi à 21h10 du documentaire de Romain Icard, Robert Badinter la vie avant tout : le sens de la justice et la valeur de la vie humaine au cœur de son combat. Le portrait de la droiture morale faite homme. La soirée se poursuivra, à 22h50, avec le documentaire de Franck Johannès et Caroline du Saint : Badinter contre la peine de mort, le procès Patrick Henry. Servie par les acteurs de la Comédie Française, la reconstitution des assises de Troyes en janvier 1977 avec la fameuse plaidoirie de Badinter qui évitera à son client « la lame qui coupe un homme en deux » : bouleversante, une archive sonore historique !
L’abolition, la plume d’un juste
Après L’exécution, L’abolition… Le même souffle de l’homme juste, du citoyen de haute stature morale, irradie les deux ouvrages. Derrière l’image de l’éminent juriste et grande figure du barreau, L’abolition nous révèle surtout un homme à la personnalité attachante. Un personnage au caractère trempé, dont la froideur apparente masque les vraies émotions : doux et attentif à son interlocuteur, virulent et passionné dans les causes auxquelles il consacre la défense. Un homme peut-être convaincu du rôle essentiel qu’il a joué dans l’évolution de la justice française, un homme pourtant qui ne cache rien de ses faiblesses et de ses doutes, de sa lassitude et de ses hésitations sur ces chemins de l’histoire qui conduisent le fils d’un petit immigré juif de la prison de la Santé en 1972 jusqu’aux portes de la Chancellerie en 1981…
L’abolition ? Un témoignage émouvant et bouleversant, œuvre de mémoire face aux jeunes générations tentées d’oublier et de considérer comme une évidence la disparition de la guillotine. 8 pays abolitionnistes en 1948, 28 en 1981, 103 en l’an 2000, 113 en 2024, 145 si l’on ajoute ceux qui renoncent à l’appliquer en droit et en pratique : et demain ? D’une page à l’autre, Robert Badinter nous insuffle l’intime conviction que le temps de l’Histoire peut s’inscrire aussi dans le temps des hommes. Un livre à méditer, à offrir à tous, hommes et femmes qui désespèrent et croient leur cause perdue. Yonnel Liégeois
L’abolition, de Robert Badinter (Le livre de poche, 352 p., 8€90)
Au théâtre Berthelot de Montreuil (93), Kelly Rivière présente La vie rêvée. Un « seule en scène » qui se nourrit de moult personnages pour évoquer la vie de Kelly Ruisseau, une intermittente du spectacle… Avec tendresse et humour, les deux ingrédients qui ont nourri An Irish Story, son précédent spectacle et formidable succès. Entre rêve et réalité, rencontre avec une talentueuse comédienne.
« Rêver un impossible rêve, brûler d’une possible fièvre »… Suivre son étoile, peu importe les chances et le temps ? La quête hier du grand Jacques, Brel bien sûr, semble présentement s’apparenter pour beaucoup à celle de Kelly Rivière ! Une femme, des rêves pleins la tête mais qui, en dépit de la reconnaissance du public, paraît cultiver le doute en permanence… « Un héritage de jeunesse, probablement », avoue la comédienne avec bonhomie, détendue à la veille du grand départ pour une nouvelle saison artistique.
« Il faut que ça marche cette fois, autrement j’arrête, me suis-je souvent dit ! ». Celle qui rêvait d’être danseuse réalisera, encore gamine, qu’elle ne brillera jamais, étoile, dans un grand corps de ballet… « L’échec n’est pas chose aisée, demeure l’essentiel : oser rêver encore et toujours, ne jamais abandonner ses rêves, tel est le défi ». Des propos sincères, aujourd’hui Kelly Rivière constate qu’elle ne s’habitue toujours pas à capitaliser sur le succès, à la chaleur que le public lui témoigne, à la critique élogieuse devant son talent. Une réalité qui nourrit son nouveau « seule en scène » construit sur des résonances, des échos à sa propre vie : ses doutes face à l’avenir mais aussi sa découverte heureuse du théâtre, ses galères d’apprentie comédienne mais aussi le soutien d’une grand-mère aimante qui connut les douleurs de l’Assistance Publique… « Il est toujours difficile de passer de l’ombre à la lumière », reconnaît la jeune femme à La vie rêvée.
Du Cours Florent où elle apprend le métier jusqu’à ses premiers rôles, le chemin ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. « Je fus d’abord traductrice, j’ai fait des animations théâtrales, enfin je me suis mise à l’écriture avec An Irish Story, mon premier spectacle ». Formidable : seule sur scène pour donner vie à pas moins de vingt-cinq personnages, mêlant les langues et jouant des accents, tantôt volubile tantôt secrète, toujours volontaire dans sa quête du grand-père mystérieusement disparu entre l’Irlande et l’Angleterre ! La géniale franco-irlandaise s’inspirait d’une authentique histoire familiale pour nous entraîner avec ravissement et conviction à la quête de ses racines. Une performance d’une rare qualité qu’elle reconduit à Paris sur les planches du théâtre de la Scala. Plus fort encore, récemment le metteur en scène Philippe Baronnet lui passait commande d’une pièce, Si tu t’en vas, dont elle fut aussi l’une des interprètes : Mme Ogier, l’enseignante qui tente de convaincre un élève de poursuivre ses études ! Une belle écriture, un échange houleux entre les deux protagonistes qui oscille entre émotion et provocation.
Mère de deux enfants en pleine croissance, une vie bien chargée pour l’auteure-interprète qui s’investit intensément dans ce qu’elle entreprend, en ce qu’elle croit. Qui ne refuse jamais d’animer des ateliers en milieu scolaire. Toujours émerveillée de constater ce que de telles initiatives provoquent, au collège Robert Doisneau dans le XXème arrondissement de Paris par exemple : une meilleure ambiance de classe, des dialogues entre élèves d’une richesse incroyable, des jeunes qui retrouvent la confiance en eux… « Les comédiens ne songent pas qu’à leur nom en haut de l’affiche, nombre d’entre eux s’engagent dans un formidable travail de proximité ». D’où l’incompréhension, voire la colère de Kelly Rivière face aux coupes budgétaires qui fragilisent le secteur culturel. « Outre des compagnies en voie de disparition, des artistes et techniciens réduits au chômage, c’est tout ce qui se joue à côté et que les décideurs ne voient pas qui se retrouve en danger de mort : l’ouverture aux autres, l’éveil culturel, le partage de savoirs, le soutien et l’accompagnement des jeunes générations vers toujours plus de créativité ».
Des valeurs que la citoyenne trouve plaisir à partager sur Montreuil (93), sa ville d’adoption depuis seize ans maintenant… Foulant régulièrement la scène du théâtre municipal Berthelot, partie prenante du collectif local Créature dédié aux écritures contemporaines. « Jouer à Paris c’est bien, m’investir dans ma ville, travailler localement c’est pas mal ! ». De la parole aux actes dès l’ouverture de saison, « soucieuse de porter haut et fort le service public de la culture ! ». Yonnel Liégeois
Il était une fois… une histoire irlandaise, An irish story, qui pourrait fort bien être espagnole, portugaise, italienne ou autre, à l’heure où des hommes et des femmes, fuyant la misère de leur existence et de leur pays, tentent d’aller voir ailleurs si plus verte est la vallée ! Mêlant les langues et jouant des accents, tantôt volubile tantôt secrète, toujours volontaire dans sa quête du grand-père mystérieusement disparu entre l’Irlande et l’Angleterre, Kelly Rivière s’inspire d’une authentique histoire familiale. Entre joies et frustrations au détour de ses recherches, elle nous entraîne avec ravissement et conviction à la quête de ses racines. La saga joliment contée d’une génération l’autre entre exil et mémoire, la reprise d’un spectacle à la tendresse infinie et à l’émotion retenue. Entre humour et authenticité, seule en scène pour donner vie à pas moins de vingt-cinq personnages, une performance artistique d’une rare qualité, à ne vraiment pas manquer ! Yonnel Liégeois
An Irish Story, une histoire irlandaise, de et avec Kelly Rivière : le 04/10 à 19h, le 05/10 à 15h. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30). Le 09/10 : St Julien en Genevois. Le 16/10 : Théâtre Le Rayon Vert – St Valery en Caux. Le 17/10 : Fécamp. Le 06/11 : Salle Ermitage Compostelle – Le Bouscat. Le 11/12 : Centre culturel Jean Vilar de Marly-le-Roi. Le 20/01/26 : Le Galet – Pessac. Le 22/01 : ATP – Théâtre de Dax. Le 07/02 : Maisons-Alfort. Le 10/02 : Centre des bords de Marne – Le Perreux sur Marne. Les 12 et 13/02 : DSN – Dieppe Scène Nationale. Les 17 et 18/02 : L’Azimut – Antony. Le 20/02 : Ile de Ré. Le 10/03 : Théâtre des Sablons – Neuilly. Le 19/03 : Le Canal – Théâtre du Pays de Redon – Redon. Le 05/05 : Irigny. Le 07/05 : salle communale – Onex.
Montreuil en Avignon
Avec Kelly Rivière qui proposait La vie rêvée au 11-Avignon, on dénombrait pas moins de 18 compagnies de théâtre montreuilloises présentes en 2025 dans le festival OFF ! Depuis 2015, la ville de Seine-Saint-Denis les soutient sous diverses formes : inscription au catalogue du festival qui s’élève à près de 400€, prêt de matériels par les théâtres locaux (CDN et Berthelot), achat d’espaces publicitaires… Tant le maire Patrice Bessac qu’Alexie Lorca son adjointe à la culture et à l’éducation populaire, les deux édiles en sont convaincus, « les artistes et la création libre sont essentiels à nos vies, à notre humanité, aux transformations sociales et sociétales ». Six théâtres et 140 compagnies implantées sur le territoire : une preuve de la vitalité artistique sur la cité, de la place privilégiée que la municipalité accorde au spectacle vivant ! Y.L.
Du 24/09 au 04/10, à Limoges (87), les Zébrures d’automne fêtent la francophonie. Durant dix jours, la capitale du Limousin s’affiche comme la ville-monde de la planète francophone. De la Palestine aux Antilles, de l’Iran à la Tunisie entre créations théâtrales et débats littéraires, saveurs épicées et paroles métissées.
Il y a mille raisons de se rendre à Limoges : la découverte de la « ville rouge », lieu mythique de puissantes luttes ouvrières et siège constitutif de la CGT en 1895… La découverte de la ville d’art, reconnue mondialement pour ses émaux et sa porcelaine depuis le XIIème siècle… La découverte, enfin, de l’espace francophone imaginé il y a plus de quarante ans, sous l’égide conjuguée de Monique Blin et Pierre Debauche, alors directeur du Centre dramatique national du Limousin ! Reconnus aujourd’hui sur la scène théâtrale, de jeunes talents y ont fait leurs premiers pas : Robert Lepage, Wajdi Mouawad… Désormais rendez-vous incontournable à l’affiche de l’hexagone, le festival des Francophonies, « Des écritures à la scène », impose sa singularité langagière et sa richesse culturelle. De l’Algérie à la Nouvelle-Calédonie, de la Palestine à l’Irak, du Burkina Faso au Congo, du Liban à la Tunisie, de la Syrie au Maroc, de la Guyane à la Martinique, de l’Égypte à l’Iran, du 24 septembre au 04 octobre, ils sont venus, ils sont tous là !
« Qu’un grand rendez-vous destiné aux auteurs et autrices dramatiques des cinq continents d’expression francophone puisse se tenir hors Paris constituait déjà un exploit, qu’il s’impose au fil du temps comme une référence mondiale pouvait relever de l’utopie ! », témoigne avec fierté Alain Van der Malière, le président des Francophonies. Désormais, aux côtés de la nouvelle Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts et du réseau actif constitué avec la Cité internationale des arts de Paris et La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, « il est absolument nécessaire de protéger cette halte singulière qui nous apprend ou nous rappelle cette manière poétique d’être au monde » selon le propos de Felwine Sarr énoncé l’an passé. Aussi, pour les autochtones et tous les amoureux des belles lettres comme de la belle langue, aucune excuse ou faux alibi pour manquer ce rendez-vous d’automne : au menu rencontres, débats, expos, lectures, musique, cinéma et théâtre. Autant de propositions artistiques pour célébrer la francophonie et son pouvoir de création, de mots accouchés en mots bigarrés dans une riche palette multiculturelle !
Hassane Kassi Kouyaté, le directeur et metteur en scène, le souligne à juste titre, et sans fausse modestie, depuis plus de quarante ans et dans la grisaille d’aujourd’hui, « les Francophonies ont toujours refusé l’obscurantisme et le chauvinisme pour prôner les cultures du monde pour tout le monde« . Artistes venus de plus d’une vingtaine de pays, « l’écho des armes et les souffrances humaines résonnent, c’est assourdissant », constate avec douleur le maître burkinabè, descendant d’une famille de griots. « Ce festival est donc plus que jamais nécessaire. Il est un miroir tendu à l’humanité (…), un espace où les peurs peuvent être nommées et les espoirs, même les plus utopiques, peuvent éclore« . Qui, entre sagesse et folie, a composé encore une fois une programmation très riche, le regard tourné derechef vers le Moyen-Orient et le Maghreb : du formidable Kaldûn d’Abdelwaheb Sefsaf qui nous mène d’Algérie en Calédonie au Cœur ne s’est pas arrêté de François Cervantes en pleine guerre du Liban, du Bois diable d’Alexandra Guenin où croyances ancestrales et mémoire coloniale se rencontrent à Iqtibas de Sarah M. à l’heure où tremblement de terre et douleurs des sens se percutent, de Sogra d’Hatem Derbel en quête de la terre promise aux Matrices de Daniely Francisque quand les corps se souviennent de l’enfer esclavagiste.
En ouverture de cette 42ème édition des Zébrures d’automne, le 24/09 à 15h, trois conteurs (Halima Hamdane, Ali Merghache, Luigi Rignanese) nous offriront leurs Racines croisées. Trois voix métissées pour nous embarquer dans des histoires de voyages et de rencontres autour de la Méditerranée… Les créations théâtrales qui scandent les temps forts du festival se déploient de la Maison des Francophonies à l’Espace Noriac de Limoges, de l’auditorium Sophie Dessus d’Uzerche aux Centres culturels municipaux, du Théâtre de l’Union au théâtre Jean Lurçat d’Aubusson, de l’Espace culturel Georges Brassens de Feytiat à la Mégisserie de Saint-Junien. Le 04/10, en clôture du festival sur la scène du Grand théâtre de Limoges, résonneront chant et oud, cuivres et percussions, cultures yoruba et jazz : l’iranien Arash Sarkechik et son second opus Bazaari, la fanfare Eyo’Nlé dans l’héritage des musiques de rue, le Bladi Sound System qui mêle grooves-beats et mélodies d’un Orient réinventé ! Trois concert qui mélangent avec force et puissance, grâce et beauté, styles panafricains, accords orientaux et harmonies pop contemporaines.
Outre la remise du Prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) de la dramaturgie francophone et du Prix RFI Théâtre, parmi moult débats à l’affiche de cette 42ème édition, le directeur Hassane Kassi Kouyaté s’entretiendra avec Omar Fertat, maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne. Le thème ? Les enjeux de la création artistique autour de cette mythique mer Méditerranée qui lie les continents au passé, au présent et pour le futur. De cinq à vingt euros pour tous les spectacles, l’expérience initiée en 2024 est reconduite : les tarifs d’entrée sont libres, sans justificatif d’âge ou de ressources. En fonction des possibilités de chacun pour que toutes et tous, sans barrières ni frontières, puissent partir à la découverte d’autres horizons, osent emprunter ces chemins de traverse qui ouvrent à l’imaginaire, à l’autre, à l’ailleurs… Les Francophonies de Limoges ? Un hymne au Franc parler où l’on danse et chante le Tout-Monde selon le regretté Édouard Glissant, l’humanité créolisée et la fraternité partagée. Yonnel Liégeois
Les Francophonies, des écritures à la scène : du 24/09 au 04/10. Les zébrures d’automne, 11 avenue du Général-de-Gaulle, 87000 Limoges (Tél : 05.55.10.90.10).
« Le monde entier vient à Limoges pour créer de nouveaux espoirs en termes de création mais aussi d’ouverture des esprits et d’ouverture des cœurs (…) Limoges est le seul lieu de création théâtrale francophone (…) Notre objectif ? Que celles et ceux qui participent au festival en ressortent différents, qu’ils fassent toutes les découvertes qu’ils souhaitent. L’argent ne peut être un frein ».Hassane Kassi Kouyaté, metteur en scène et directeur
Le 20/09, sur France 2 à 20h30, c’est le retour des Rencontres du Papotin ! D’abord journal atypique, le Papotin est le fruit d’une aventure peu banale. Initié par l’éducateur Driss El Kesri, chaque semaine il donne la parole à de jeunes autistes de la région parisienne. Sans langue de bois, dans l’écoute et le respect.
Le Papotin ? Avant tout, un journal atypiquefondé par Driss El Kesri, éducateur à l’hôpital de jour d’Antony (92). Il y a plus de trente ans déjà que l’aventure a débuté… Aujourd’hui, la conférence de rédaction hebdomadaire rassemble des jeunes d’une quinzaine d’établissements de la région parisienne pour mener à bien, et dans la gaieté, l’accouchement de leur journal. Julien Bancilhon, psychologue, est désormais le rédacteur en chef de cette petite entreprise de concertation qui ne connait pas la langue de bois ! Bien au contraire, la leur est verte, les questions décomplexées, les interventions déconcertantes de naïveté et parfois percutantes de vérité : une fraîcheur oubliée ou censurée par nos esprits trop formatés.
Chacun a ses thèmes de prédilection, ses obsessions, ses interrogations récurrentes qui, au final, composent un patchwork brut de décoffrage, poétique et drôle. Fidèle au poste, Arnaud est présenté affectueusement par Driss comme le « 1er Papotin », c’est ensemble qu’ils ont conçu le journal à ses débuts : un personnage attachant, très calme et réservé, gérant avec une extrême courtoisie ses questions sur l’âge, le tutoiement ou la permission éventuelle de « renifler les doigts de pied » d’une fille… Assis à sa gauche, Thomas, un beau brun rieur d’une vingtaine d’années, serre fort sa chérie Diane.
Les prises de parole se succèdent, les sentences fusent « les femmes sont moins fortes que les hommes ! », avec une réponse immédiate « Ah ! vous ne connaissez pas ma mère ! ». Un éclat de rire général, qui n’atteint pas Esther, jeune femme brune au regard noir et inquiet : c’est la portraitiste du groupe, elle demande à toute personne l’autorisation de la dessiner. . Très vite on en vient au sujet à la « Une » du prochain numéro, l’interview du lendemain. La première personnalité à s’être volontairement soumise à cette expérience fut Marc Lavoine, compagnon de route depuis le début, co-auteur avec Driss el Kesri de l’ouvrage Toi et moi on s’appelle par nos prénoms- le Papotin, livre atypique.
Nombreux sont celles et ceux qui ont accepté de se prêter au jeu de cette interview corrosive, sans filet : Jacques Chirac, Barbara, Philippe Starck, Christiane Taubira, Renaud, Ségolène Royal, Thomas Pesquet, Josiane Balasko, Denis Lavant, Angèle, Grand Corps Malade… En l’attente du prochain invité qu’ils doivent rencontrer, personnalité culturelle-politique-scientifique, à chaque fois l’excitation est à son comble. Pour Arnaud, une question cruciale : « Driss, tu crois que je pourrai le tutoyer ? », « sans doute, il faudra lui demander ». Nicolas annonce « qu’il mettra un costume » et Johan, comme à son habitude, préparera un discours politique blindé de chiffres et de détails. Dans la salle, un groupe de jeunes, élèves du lycée Expérimental de Saint-Nazaire, n’ont pas perdu une miette des échanges. Peut-être, deviendront-ils des adultes plus tolérants et plus ouverts dans leur vie au quotidien…
La conférence de rédaction s’achève, le groupe se disperse. Alors, une évidence s’impose : ces jeunes autistes communiquent sans faux semblants ni tabous, s’écoutant mutuellement et se respectant. En fait, tout le contraire de la façon de faire des gens dits « normaux », pourtant censés ne pas avoir de problèmes de communication. Chantal Langeard
Le 20/09, c’est Valérie Lemercier qui ouvre la quatrième saison des Rencontres du Papotin ! Récompensée par plusieurs César, l’actrice, réalisatrice et humoriste, navigue depuis plus de trente ans entre comédie populaire et élégance décalée. Les rencontres du Papotin sont diffusées un samedi par mois à 20h30 sur France 2 et en replay sur France TV.
En ces temps troublés et troublants, Rue de l’échiquier réédite Indignez-vous !, le fameux appel à la création et à l’action de Stéphane Hessel. Le 27 février 2013, s’éteignait ce grand nom de la Résistance, un infatigable défenseur du respect de la dignité humaine et du droit des peuples à disposer de leur avenir, un amoureux fou de la vie et de la poésie. Chantiers de culture publie l’entretien qu’il nous accordait en décembre 2010 lors de la sortie de l’ouvrage.
Stéphane Hessel ? Un homme de lumière, l’humanisme incarné ! Il n’a reçu aucun prix littéraire et pourtant il a plafonné au firmament des ventes ! Pas vraiment un pavé de l’édition, juste un petit ouvrage d’une cinquantaine de pages : Indignez-vous !, un vibrant et passionné cri d’espoir… Le souvenir est vivace, l’empreinte profonde : rencontrer Stéphane Hessel, c’était plonger à cœur perdu dans un authentique bain de jouvence ! Tendresse du regard, chaleur de la main, élégance du verbe. Le révolté d’hier ne cultivait pas la sagesse du repenti, il était un paradoxe vivant : la douceur de la gazelle et la vigueur du lion ! Qui se faisait discret sur son parcours personnel pour devenir insatiable et gouleyant sur ses convictions et idéaux. Hessel ? Un « homme de bien » comme on l’entendait en des temps révolus, un « juste » comme on le dit de certains depuis le mitan du siècle écoulé.
S’indigner et Résister, Espérer et Créer
Yonnel Liégeois – Merci d’abord, cher monsieur Stéphane Hessel, d’accepter ce rendez-vous en dépit d’un agenda surchargé. La rançon du succès, en quelque sorte ?
Stéphane Hessel – Je vous en prie, c’est un plaisir pour moi. Pour vous confesser d’emblée que les responsables de la maison d’édition Indigènes, et moi-même, sommes tout à la fois étonnés et ravis de l’accueil du livre par un large public. Son succès tient surtout à Sylvie Crossman qui l’a mis en musique. Je luis dois beaucoup, tant sur le format que sur la longueur. C’est elle qui a pensé qu’il fallait un texte court et un peu agressif, avec ce titre audacieux et ambitieux « Indignez-vous ! ». C’est ainsi que l’ouvrage est né pour susciter un extraordinaire engouement. Visiblement, jeunes et moins jeunes qui le lisent le trouvent superbement intéressant. Je viens de recevoir la lettre d’un grand-père m’informant qu’il m’envoie vingt-cinq exemplaires de la brochure, « j’ai quatre enfants et onze petits enfants, je vous prierai de me les dédicacer pour eux » !
Y.L. – N’est-il pas emblématique, voire symbolique de votre parcours, d’habiter à l’angle de l’avenue Jean-Moulin ?
S.H. – Je vous l’avoue, je n’ai pas choisi cet appartement uniquement pour cette raison, mais je fus ravi de le constater ! Jean Moulin fut d’autant plus important dans ma vie que je l’ai rencontré à Londres lorsqu’il venait en mission rapide auprès du Général de Gaulle. Je lui ai serré la main sans connaître son nom, qui demeurait secret à l’époque. Engagé moi-même au sein du B.C.R.A (les services secrets, ndlr), j’ai suivi pas à pas ses efforts en vue de l’unification des mouvements de résistance et je fus traumatisé par sa mort. Un moment d’autant plus tragique qu’il venait de faire ce qui demeurait son objectif : créer et présider le Conseil National de la Résistance au nom de de Gaulle. Oui, Jean Moulin m’est si proche qu’en 1958, lors du retour du Général presque à la pointe des baïonnettes, nous avons estimé à quelques-uns que la démocratie était peut-être en péril et nous avons créé un club du nom de Jean Moulin. Pendant six ans, ce club fut au cœur de mes activités.
Y.L. – Votre livre porte un titre fort et provocateur, « Indignez-vous ! ». Pourquoi semblable appel à la révolte morale ?
S.H. – Peut-être d’abord par succession intellectuelle de Jean-Paul Sartre. J’ai fait mes études à l’École Normale Supérieure au moment il était l’écrivain, le philosophe auquel tout le monde se référait. En outre, j’ai eu la chance d’avoir Merleau-Ponty comme « caïman » (un enseignant chargé de préparer les élèves au concours de l’agrégation, ndlr), un philosophe remarquable. Quelle est la percée sartrienne, le nœud de sa pensée ? « Il faut s’engager ». Une notion d’engagement que j’ai traduit par « on devient quelqu’un lorsqu’on exprime son indignation » ! Devant les défis, on peut considérer qu’il n’y a rien à faire, que l’on ne peut rien faire ou bien se dire que telle ou réalité on ne l’accepte pas. Et je vous avoue que monsieur Sarkozy fait bien évidemment partie des personnes qui m’indignent (rires, ndlr) ! Aussi, je n’ai aucun souci pour appeler à l’indignation à un moment où la France est très mal gouvernée.
L’indignation est l’une des composantes essentielles qui font l’humain avec l’engagement qui en est la conséquence. Stéphane Hessel
Y.L. – C’est osé de jouer au rebelle à votre âge ! D’où vient cet optimisme, vous croyez en une avancée forcément positive de l’histoire ?
S.H. – Justement, elle n’est pas forcément positive mais elle peut l’être s’il y a suffisamment de gens qui s’indignent ! C’est précisément ce refus d’accepter l’échec, tant national qu’international des dix premières années de ce nouveau millénaire, qui conduit de l’indignation à l’action. Mon optimisme relève aussi naturellement de ma biographie. Lorsqu’on a eu la chance, comme moi, de passer à travers de grandes épreuves et de ne point y avoir laissé sa peau, c’est déjà pas mal ! En outre, regardez comme le monde a changé en cinquante ans : c’est non seulement Hitler, Staline et même Mao qui ont été remplacés par d’autres personnes, c’est aussi le temps de la décolonisation, c’est aujourd’hui celui de l’alerte à l’avenir de notre planète… Non pas que tout soit réglé mais notre monde a avancé, nous avons travaillé, nous avons fait des progrès, il s’agit maintenant d’apporter de nouvelles réponses à de nouvelles questions.
Y.L. – Comme vous le suggérez, avoir expérimenté la déshumanisation la plus extrême de ce qui constitue notre humanité, avoir fait l’expérience des camps autorise- t- il ce regard chargé d’optimisme ?
S.H. – Je ne sais pas mais, en tout cas, on devient plus sensible au « triste » que courent les sociétés humaines Car enfin, souvenons-nous que la société allemande de 1933 était une société cultivée, au riche passé littéraire et artistique. En l’espace de quelques années, elle s’est laissée manipuler pour donner corps à une véritable barbarie. La civilisation est fragile, ne l’oublions jamais, c’est ce que j’appellerai l’héritage des camps. En ne confondant pas les camps d’exterminations des juifs que je n’ai pas connus, une tâche noire sur l’humanité, inconcevablement horrible, avec ceux de Buchenwald et de Dora où je fus déporté… Ce dernier, certes, était plutôt destiné à tuer qu’à sauver, il était aussi barbare.
Vous m’autoriserez une digression sur la notion même de camp : où qu’il soit et quel qu’il soit, même un camp de réfugiés censé protéger une population, il est une façon de concevoir l’homme qui donne naissance à la brutalité, à la servilité. Nous sommes entrés dans une conception de la société à forts relents sécuritaires, dont le camp est la forme la plus aboutie. Pour en revenir à Dora, j’ai plus souffert du froid que de la torture ou de la faim. Ce ne fut pas une catastrophe pour moi, je ne suis pas un être catastrophé, mais je l’ai vécu avec bien des gens qui l’étaient et dans des conditions qui y tendaient. Je parle volontiers de ma chance, rien que d’appeler sa biographie Danse avec le siècle est signe chez moi d’une certaine joie de vivre ! Une remarque, cependant, ne pas tout à fait confondre optimisme et joie de vivre…
Y.L. – Plus qu’une nuance, à vrai dire…
S.H. – Si l’on dit « il est optimiste : quoiqu’il arrive, il trouve ça bien ! », c’est de la naïveté… Au contraire, j’essaye aussi de comprendre les choses qui vont mal et contre lesquelles il faut réagir. On a titré un documentaire tourné à mon sujet « Sisyphe heureux », c’est pas mal, c’est assez bien trouvé ! J’ai essayé effectivement de m’atteler à la solution de nombreux problèmes, le développement – l’immigration – la lutte contre le totalitarisme, j’ai essayé de soulever des rochers, beaucoup sont retombés, il faut les remonter mais je le fais sans perdre le goût de la vie. Voilà un peu ce qui me caractérise, voilà pourquoi beaucoup d’amis sont ravis de converser avec moi, prétextant que je leur donne de bonnes raisons de ne pas perdre pied et de continuer à travailler !
Y.L. – Est-ce justement ce goût de la vie qui vous conduit à affirmer que le programme du Conseil National de la Résistance, adopté en mars 1944, se révèle d’une brûlante actualité ?
S.H. – C’est un texte très utilisable. D’abord parce qu’il est court, vous connaissez mon penchant pour les textes courts, ensuite parce qu’il dit l’essentiel… A mon avis, il existe des valeurs universelles qui, pour moi, sont les valeurs historiques de la gauche au sens premier du terme. Celles de la Révolution Française, celles des fondements de la Troisième République, celles des efforts de libération portés par le C.N.R … Ces valeurs-là sont tellement importantes que la succession historique n’y change rien. Du fond du Moyen-âge jusqu’à 1945, de 1789 à 2010, elles demeurent ces valeurs sur lesquelles fonder un espoir dans la bonne marche des sociétés : des moyens d’existence assurés à tous les citoyens, la primeur de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, le juste partage des richesses contre le pouvoir de l’argent. En trois mots, encore une fois une formule très courte, ces chose-là sont dites : Liberté, Égalité, Fraternité !
Ajoutons que ces valeurs sont plus gravement mises en question à certains moments de l’histoire. Telle est la réalité aujourd’hui, le socle des conquêtes sociales de la Résistance est ébranlé. La seule remise en cause de ces valeurs essentielles suffit, et devrait suffire à quiconque, pour s’indigner et tenter de travailler à un avenir positif pour notre pays. Les choses sont relativement simples pour moi. Après vingt ans d’un gouvernement de droite, il est temps qu’advienne un gouvernement de gauche Avec la conjonction du Parti communiste, du Parti socialiste et d’Europe Écologie qui y ajoute ce qui me tient très à cœur maintenant, la Terre, voilà les forces sur lesquelles on peut construire un avenir autre. Avant même l’élaboration de tout programme électoral, il importe cependant que ces diverses forces politiques acceptent et reconnaissent ces valeurs essentielles.
Y.L. – Des valeurs portées dans le programme du CNR en 1944, des valeurs proclamées dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 : entre l’un à portée nationale et l’autre de dimension internationale, où se fait la jonction selon vous ?
S.H. – Avec la création de l’ONU, bien sûr. Les hommes qui ont élaboré le programme du CNR n’avaient ni responsabilité ni pouvoir dans la gestion du pays, ils s’appuyaient juste sur leur grande liberté face au gouvernement de Vichy. Sans contrainte mais avec ambition, sans obligation de se demander si les choses seront réalisables ou non, ils ont simplement couché sur le papier ce qui serait fort et utile à la Nation au lendemain de la victoire sur l’ennemi… Idem pour les rédacteurs de la Déclaration Universelle : des hommes choisis par le secrétaire général de l’ONU et non par leurs gouvernements respectifs, c’est lui qui a voulu une équipe libre et indépendante, au sein de laquelle il faut souligner le rôle moteur du français René Cassin ! Certes, il était autrement plus compliqué de rédiger un texte qui s’adresse au monde entier, dans ses droits et libertés. Ce texte à portée universelle, dont les sociétés avaient besoin au sortir de la guerre, nous ramène à notre « indignez-vous » initial, justement par cet « avoir besoin ». Je crois qu’il y a des choses dont une société a vraiment besoin à un moment de son histoire.
Aujourd’hui, nous avons besoin de ce que nous avons essayé de mettre dans ce texte et qui représente un changement profond par rapport à ce que nous subissons. Dont un point qui me tient très à cœur, que l’on appellera immigration d’un mot un peu vague : nous avons besoin de constituer partout dans le monde, notamment en Europe et particulièrement en France, des sociétés multiculturelles capables de comprendre ce qui se passe autour d’elles. Toute politique qui rejette les Roms et met des gens à la porte parce qu’ils sont clandestins, toute politique de ce genre est scandaleuse. D’où, à juste titre, notre indignation… Même chose au regard de l’écart abominable entre la très grande pauvreté dans le monde et la pauvreté assez grande en France, entre la très grande richesse dans le monde et la richesse assez grande en France : c’est un scandale contre lequel il est bon de s’indigner, maintenant ! Penseurs, philosophes et sociologues, nous aident à pointer du doigt les problèmes majeurs à résoudre. Pour ma part, je suis un admirateur d’Edgard Morin et de son ouvrage La méthode, dont le dernier volume porte précisément le titre « Éthique ». Une réflexion importante pour moi, signifiant qu’au nom de certaines valeurs morales on peut conduire une société vers un meilleur équilibre.
Y.L. – Et vers ce meilleur équilibre auquel notre monde doit tendre, une réalité qui focalise aujourd’hui tant votre attention que votre indignation : la Palestine et son devenir ?
S.H. – Tous, au sortir de la guerre, nous avons considéré que l’extermination des juifs par les nazis constituait pour l’humanité un problème qui ne pouvait rester sans solution. D’où la volonté de leur donner un État sur la terre ancestrale dont ils se réclamaient, et de permettre aux populations arabes qui l’habitaient d’y revenir, une fois la paix rétablie… Ce qui ne s’est jamais produit et, en 1967, un état fort remporte une victoire extraordinaire : c’est là que « l’hubris » (l’orgueil, la démesure, ndlr) israélienne a commencé. « Nous pouvons faire tout ce que nous voulons, personne ne va nous y empêcher, nous sommes chez nous puisque Dieu nous a donnés ces terres, et non les Nations Unies. De Dieu ou des Nations Unies, qui est le plus fort ? » Pour Israël la réponse est évidente, pour la communauté internationale il en va tout autrement.
Depuis 1967 donc, je considère que les textes adoptés par l’ONU, les résolutions 242 – 238 et 195, nous obligent à exercer toute action possible pour empêcher Israël de continuer à ignorer la Palestine, à faire comme si elle n’existait pas. Parmi les israéliens, j’ai des amis très chers qui pensent comme moi, las minoritaires. En fait, je me trouve en opposition ouverte avec des gens pour qui toute critique de l’État d’Israël s’apparente à de l’antisémitisme. C’est d’autant plus ridicule lorsqu’on est comme moi à moitié juif et que l’on a combattu le nazisme, ce n’est pas très normal de subir une telle accusation ! Au final, ça m’est tout à fait égal, je n’en souffre pas, ce sont mes accusateurs qui souffrent, tel le dénommé Taguieff. Comme je l’écris dans le livre, je suis allé à Gaza en 2009 grâce à mon passeport diplomatique et j’en témoigne, Gaza est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Nous sommes nombreux en France avec les associations pro-palestiniennes à défendre le droit des Palestiniens à un État, comme le stipule d’ailleurs la Déclaration Universelle à l’égard de tout peuple. Sur ce sujet, comme sur d’autres à débattre et régler, il faut espérer, il nous faut toujours espérer. D’où mon appel pressant à s’indigner, résister et créer ! Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Indignez-vous !, Stéphane Hessel. Nouvelle édition revue et corrigée, accompagnée d’une préface inédite de Salomé Saqué, journaliste et auteure de Résister. Postface mise à jour de Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou (Rue de L’échiquier, 48 p., 4€90).
Du 27au 31 août, à Cosne-sur-Loire (58), le Garage Théâtre propose la sixième édition de son festival d’été. Un lieu conçu par le dramaturge Jean-Paul Wenzel et sa fille Lou, directrice de la compagnie La Louve… En ce troisième millénaire, une décentralisation réussie pour une programmation de haute volée.
Jean-Paul Wenzel n’est point homme à s’effondrer devant l’adversité ! Que la Drac Île-de-France lui coupe les subventions et l’envoie sur la voie de garage pour cause d’âge avancé ne suffit pas à l’intimider… Bien au contraire, jamais en panne d’imagination, avec le soutien de sa fille Lou et d’une bande de joyeux drilles, il retape « au prix de l’énergie de l’espoir, et de l’huile de coude généreusement dépensée » selon les propos du critique Jean-Pierre Léonardini, un asile abandonné pour voitures en panne : en 2020, les mécanos nouvelle génération inaugurent leur nouvelle résidence,le Garage Théâtre ! Loin des ors de la capitale, dans la Bourgogne profonde, à Cosne-sur-Loire, bourgade de 10 000 habitants et sous-préfecture de la Nièvre… À la veille de l’ouverture de la sixième édition de leur festival d’été, du 27 au 31 août, ils peuvent s’enorgueillir du succès : ni panne d’essence et encore moins d’inspiration, ni pénurie de pièces moteur et encore moins d’erreurs d’allumage, l’imagination au volant et le public conquis sur la banquette arrière !
« J’avais envie de créer une nouvelle aventure de décentralisation », confie Jean-Paul Wenzel. « Grâce à Agnès Decoux, une amie de longue date qui habite Cosne, m’est venue l’idée de rechercher un lieu pour y fabriquer un abri théâtral et j’ai trouvé cet ancien garage automobile avec une maison attenante ».
Wenzel est connu comme le loup blanc dans le milieu théâtral. Comédien, metteur en scène et dramaturge, avec une bande d’allumés de son espèce, les inénarrables Olivier Perrier et Jean-Louis Hourdin, il co-dirige le Centre dramatique national des Fédérés à Montluçon durant près de deux décennies. Surtout, il est l’auteur d’une vingtaine de pièces, dont Loin d’Hagondange, un succès retentissant, traduite et représentée dans plus d’une vingtaine de pays, Grand prix de la critique en 1976. Loin de courir après les honneurs, l’homme de scène peut tout de même s’enorgueillir d’être deux fois couronné par la SACD, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques : en 2022 pour l’ensemble de son œuvre et quarante-cinq ans plus tôt, en tant que… jeune talent ! Le 27 août, première soirée des festivités, il met en scène l’ultime volet de sa trilogie : après Loin d’Hagondange et Faire bleu,Au vert ! interprété par Lou Wenzel, Calille Grandville et Gilles David, sociétaire de la Comédie française…
Depuis six ans maintenant, le Garage Théâtre accueille donc à l’année des compagnies où le public est convié gratuitement à chaque représentation de sortie de résidence. À l’affiche également un printemps des écritures où, autour d’un atelier d’écriture ouvert aux habitants de la région, sont conviés des auteur(es) reconnus comme Michel Deutsch, Marie Ndiaye, Eugène Durif… Enfin, se tient le fameux festival organisé par la Louve, du nom de la compagnie de Lou Wenzel : au programme théâtre, musique et danse avec des spectacles ouverts à tous et unanimement plébiscités par le public.
« Cette nouvelle aventure de décentralisation est passionnante, elle ouvre à un avenir joyeux », confie Jean-Paul Wenzel avec gourmandise. « Après la création du Centre dramatique national de Montluçon et les Rencontres d’Hérisson (petit village de 700 habitants) dont j’ai partagé l’animation avec Olivier Perrier pendant 28 ans, ce désir de poursuivre un théâtre de proximité et d’exigence ouvert au plus grand nombre, tel le Théâtre du Peuple à Bussang, me tenait vraiment à cœur », avoue le dramaturge sans cesse à fouler les planches !
Confiant en l’avenir, Jean-Paul Wenzel l’affirme, persiste et signe, « le théâtre ne peut pas mourir » ! « J’ai fait toute ma carrière dans le théâtre public, je suis un enfant de la République ». Se désolant cependant qu’aujourd’hui « cette même République s’éloigne peu à peu de son rôle essentiel qui est de soutenir ce lien si précieux entre l’art et le peuple », élargissant son regard à tous les services publics en déshérence : éducation, hôpital, transports… « Un peuple sans éducation, sans culture, sans confrontation à l’art, est un grand danger pour la République », affirme-il avec force et moult convictions. Jean-Paul Wenzel ? Un grand homme des planches, un citoyen de haute stature. Yonnel Liégeois
Le festival, du 27 au 31/08 : spectacles à 19h dans le jardin, à 21h en salle. Pour tout savoir et réserver : Les amis du garage. Le Garage Théâtre, 235 rue des Frères-Gambon, 58200 Cosne-sur-Loire (Tél. : 06.26.75.38.39). Courriel : le.garage.theatre@gmail.com
CHANTEZ, DANSEZ, JOUEZ : MOTEUR !
Le mercredi 27/08 : La surprise du jardin à 19h. Au vert ! à 21h : « Il y a vingt-cinq ans, j’écrivais Loin d’Hagondange : un couple de retraités des usines sidérurgiques se retire à la campagne dans une maison isolée. Vingt-cinq ans plus tard, j’écris Faire bleu : leurs enfants ont la mauvaise idée de s’installer dans la même maison à l’heure de leur pré-retraite, les usines d’Hagondange sont devenues un parc de Schtroumpfs ! Aujourd’hui, j’écris Au vert ! : moi-même à la campagne, vingt-cinq ans après, un troisième volet sur la vieillesse quelque peu désenchantée ». Jean-Paul Wenzel
Le jeudi 28/08 : La surprise du jardin à 19h. Voyage au bout de la nuit, de Céline à 21h. Adaptation et jeu Felipe Castro : « Faire résonner aujourd’hui ces mots, cette langue, celle de Céline, celle du Voyage, celle de sa guerre, de son pacifisme acharné. Le faire maintenant. C’est ce qui m’a semblé nécessaire, évident. Partager la fascination qu’exerce cette langue unique, puissante, charnelle ». Felipe Castro
Le vendredi 29/08 : La surprise du jardin à 19h. L’intranquillité, de Fernando Pessoa à 21h. Dans une mise en scène de Jean-Paul Sermadiras, avec Thierry Gibault et Olivier Ythier. « Pour être grand, sois entier : rien en toi n’exagère ou n’exclue. Sois tout en chaque chose. Mets tout ce que tu es dans le plus petit de tes actes. Ainsi en chaque lac brille la lune entière pour la raison qu’elle vit haut ». Fernando Pessoa
Le samedi 30/08 : La surprise du jardin à 19h. Error 404 à 21h : formé au cirque, à la danse, au théâtre, au clown, Eliott Pineau-Orcier s’inspire du cinéma muet pour développer un impressionnant travail sur le mouvement. Un seul-en-scène mêlant mime, acrobatie, ombres chinoises et arts de la marionnette. Une succession de séquences soigneusement chorégraphiées, intégrant musique et vidéos pour un spectacle aussi brillant qu’enjoué !
Le dimanche 31/08 : L’auberge espagnole à 13h, où chacune et chacun apportent ses meilleures quiches, salades, tartes salées ou sucrées, gâteaux. Le bar sera ouvert… Récital à 15h, dans le jardin : musicien et compositeur, le syrien Hassan Abd Alrahman se consacre à l’oud depuis l’âge de 16 ans. Il a étudié la musique traditionnelle du Moyen Orient à Alep. Son style de musique ? Le jazz oriental !
Le 15 août 2011 à Antraigues (07), pays de Jean Ferrat, disparaissait Allain Leprest.Aux éditions de l’Archipel, paraît Allain Leprest, donne-moi de mes nouvelles. Un pavé de 600 pages, 376 textes présentés en hommage au grand poète de la chanson française, l’intégrale de ses chansons enregistrées. Avec une longue préface, inédite et émouvante, de Didier Pascalis, son ami et producteur.
« Vingt ans aujourd’hui que ma rencontre avec Allain a changé mon parcours de vie », confesse Didier Pascalis, plus et mieux que protecteur et producteur, son meilleur ami ! Souvent, régulièrement, de jour comme de nuit, il a ouvert son portail et défait le canapé pour que se repose le poète entre petits verres et grands vers ! En coin de table, il couche sur le papier des rimes à frissons, griffonne sur la nappe des dessins à foison. Leprest ? Un parolier de grand talent, un génie de la plume, un artiste au firmament de la chansonnette comme le prétendait le fantasque Gainsbourg au sujet de son art. L’ami des bons et mauvais jours, l’ami de toujours n’oubliera jamais ce jour où, dans l’intimité de son salon, Allain sortit de sa poche des bouts de papier, des feuilles scribouillées, quand il s’est mis à chanter… « Je suis resté sans voix. Médusé, hypnotisé, fasciné, le choc, un grand choc ». Et Pascalis de poursuivre, « un souffle puissant, celui de la poésie pure, m’a envahi », et de produire le disque et CD Donne-moi de mes nouvelles, dont l’ouvrage paru chez l’Archipel reprend le titre deux décennies plus tard.
Une absence, un départ, la mort en 2011 qui nous laissent à jamais orphelin de celui que Claude Nougaro apostrophait comme « l’un des plus foudroyants auteurs que j’ai entendu au ciel de la langue française » ! Malgré l’admiration de ses pairs et la reconnaissance de la profession, Allain Leprest était demeuré un artiste discret, presque méconnu du grand public. Le chroniqueur et romancier Jean d’Ormesson l’avait surnommé « le Rimbaud du XXe siècle », Claude Lemesle, le vice-président de la Sacem, le considérait comme « le plus grand poète vivant »… L’ancien peintre en bâtiment s’était reconverti en ciseleur de mots pour écumer les cabarets et faire un tabac en 1985 au Printemps de Bourges ! En 1992, il enregistre Voce a Mano avec l’accordéoniste Richard Galliano, un album couronné du Prix de l’Académie Charles-Cros l’année suivante. En 1995, il fait salle comble à l’Olympia.
Poète au franc-parler, boudé des médias et de la télé, écorché vif mais d’une tendresse infinie, il sut à merveille allumer les yeux dans la noirceur du ciel. Atteint d’un cancer du poumon, il revint sur scène en 2007 avec Chez Leprest, disque sur lequel il invitait quantité de chanteurs (Michel Fugain, Olivia Ruiz, Jacques Higelin, Daniel Lavoie, Nilda Fernandez, Enzo Enzo) à revisiter avec lui son répertoire. Un second opus est publié deux ans plus tard. Dans l’intervalle, deux cédés gravés, autant de perles chansonnières et bijoux littéraires : Donne-moi de mes nouvelles en 2005, Quand auront fondu les banquises en 2008… Stupeur et douleur à Antraigues, terre d’accueil de Jean Ferrat son frère en chansons, Leprest se suicide en août 2011.
Bonheur et richesse des archives, demeure un émouvant coffret Connaît-on encore Leprest ? qui comprend trois disques et un magnifique livret illustré par les propres dessins du poète et chanteur. Un CD d’abord, une sélection de ses plus belles chansons enregistrées ces huit dernières années chez son producteur Tacet (dont trois extraites de Leprest symphonique), ensuite deux DVD : le concert de sa dernière tournée et l’hommage que la SACEM rendit, avec ses amis chanteurs (Romain Didier, Agnès Bihl, Loïc Lantoine, Anne Sylvestre, Jean Guidoni, Nathalie Miravette, Kent…), à celui qui reçut le Grand Prix de la poésie en 2009 ! Un superbe objet chansonnier pour (re)découvrir la voix rauque de celui qui osait tutoyer Villon, Rimbaud et Hugo, et ses mots ciselés au plus fin du quotidien des humains. Des pépites pour interpeller nantis et puissants, une poésie à s’en écarteler cœur et poumons, de subtils couplets pour apostropher le chaland sur l’état du monde et l’avenir des enfants. Et, cadeau suprême, un original livret pour effeuiller feu le quotidien de l’artiste : c‘est beau, c’est fort, c’est sublime, le souffle d’un géant !
Allain Leprest ? Un ami et poète, compagnon de colère et de misère, qu’il était bel et bon de tutoyer par monts et vallées, contre vents et marées. Entre couplets lyriques et envolées symphoniques, de nouveau l’artiste nous fait signe. N’hésitez point à prendre de ses nouvelles, avec tendresse et passion à lire ou relire ses ritournelles et bagatelles, petits bijoux littéraires à fredonner ou chanter. Yonnel Liégeois
Bukowski s’était invité chez moi…
« Allain a sorti de sa poche des feuilles scribouillées, des bouts de papier, des lambeaux de nappes de restaurant… Il a commencé à chanter, Bukowski s’était invité chez moi… Je suis resté sans voix. Médusé, hypnotisé, fasciné, le choc, un grand choc… Je l’ai vu et j’y ai cru : cet homme était beau, il était vrai, il était pur. À ce moment-là, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement de faire un disque, de le promouvoir avec tout le toutim qui compose ce métier.
Non, ma vie devait et allait changer parce qu’il fallait que le monde sache que ce poète existe, qu’il était vivant, à portée de main. Croiser un génie et avoir le privilège de participer à son œuvre ? C’est une opportunité qui ne se présente pas tous les jours, voire jamais, et l’on n’est vraiment pas préparé à telle situation…De mon parcours somme toute ordinaire, le fait d’avoir pu orienter le chemin de bohème extraordinaire d’un artiste absolu me rassure… « Le génie, c’est bizarre », écrivait Leprest dans Saint Max, j’ai cherché sans relâche à comprendre ce qu’il voulait dire…
Merci mon poète, puisque c’est comme cela que tu aimais que je t’appelle. Depuis peu, je me couche moins tard mais je dors toujours avec mon téléphone allumé à côté de moi. Toi, tu es dans les étoiles ». Didier Pascalis, extraits de la préface
Allain Leprest, donne-moi de mes nouvelles : Présentée par Didier Pascalis, l’intégrale des 376 chansons d’Allain Leprest, enregistrées par lui ou d’autres artistes. Avec des articles thématiques rédigés par Céline Pruvost (L’univers poétique d’Allain Leprest), Pascal Pistone (L’univers musical), Cécile Prévost-Thomas (L’univers scénique). Préface de Didier Pascalis, postface de Claude Lemesle (éditions de l’Archipel, 610 p., 28€).
Didier Pascalis, le producteur et ami d’Allain Leprest, signe la préface bouleversante de l’ouvrage Donne-moi de mes nouvelles. Avec des mots d’amour fraternel qui retracent à traits vifs le parcours météorique de ce contemporain « aux semelles de vent », boudé par les médias et admiré des musiciens. Indispensable à ses admirateurs, un livre nécessaire aux autres. Clément Garcia, L’humanité.
Un kilo de Leprest pour ses soixante-dix piges, ce livre est un trésor ! Un kilo qui pèse dans l’Histoire de la chanson française même s’il ne fait pas grand poids dans les choix discutables car franchement médiocres et serviles des programmateurs radios et télé. Michel Kemper, le site Nos enchanteurs.
Le recueil Donne-moi de mes nouvelles, que publie Didier Pascalis en hommage à Allain Leprest, rassemble donc les plus belles paroles de ce génie des mots, boudé par les grands médias mais admiré par les plus grands noms de la scène française : Nougaro, Jean Ferrat, Juliette Gréco. Radio France Musique.
Allain Leprest a laissé une empreinte singulière dans le paysage de la chanson, il aura exploré les méandres de l’existence dans une langue réinventée, entre humour et gravité. Michel Cordeboeuf, Radio RCF.
L’excellence de l’écriture n’est pas forcément liée à la notoriété. Allain Leprest est l’auteur le plus brillant, par la plume, par les yeux, par le cœur, de ces vingt dernières années que les majors dans leur myopie lucrative n’ont pas su distinguer. Michel Arbatz, Le moulin du parolier.
Les thèmes de prédilection d’Allain Leprest ? La vie, celle de tous les jours. Que ce soit l’attente de l’amoureux assis à une table de bistrot d’une amoureuse, qui, saison après saison, ne viendra pas (Les Tilleuls), la méditation d’un regard sur la mer (Y a rien qui s’passe)… Les volutes bleues de la cigarette de son père (La Gitane), ou bien la poésie métaphorique la plus belle qui soit (Où vont les chevaux quand ils dorment). Tout le nourrissait : de la beauté du monde, de celle des gens et par une écriture simple, épurée, il parvenait à faire écho chez l’auditeur à des sentiments ressentis et touchant l’âme. Yasmina Jafaar, La Ruche Media.
Pour la première fois sont réunis en un volume les textes des 376 chansons qu’Allain Leprest a lui-même enregistrées ou que d’autres artistes ont gravées sur disque. Une somme présentée par Didier Pascalis, son ami et producteur, qui en signe la préface. Les ondes du monde
Talentueux producteur, tourneur, manager… Didier Pascalis vient de sortir son premier album Yuri composé il y a 27 ans ! Dans la foulée, il présente également Donne-moi de mes nouvelles, un ouvrage rassemblant pour la première fois 376 chansons enregistrées d’Allain Leprest dont il fut le producteur et ami. Weculte, le mag culture