Entre mythe et conte, Pauline Sales propose Les deux déesses, Penda Diouf La grande ourse. De Déméter à Perséphone, une histoire de famille dans l’univers des dieux qui bouscule le temps présent pour la première pièce, une histoire de mère qui se transforme en ourse en vue de vaincre l’adversité pour la seconde… Deux belles propositions.
Il était une fois Déméter, la déesse de la terre et Zeus son frère, roi de l’Olympe ! Au firmament des dieux, morale et liens consanguins n’ont point cours : l’un viole l’autre selon son bon plaisir, Perséphone est conçue… Plus tard, entre monts et vallées fertiles, une vieille dame croupit en son ehpad. Bloquée dans son fauteuil roulant, elle se souvient. Du temps d’antan, au temps de sa jeune vie de mère et des liens complices noués avec sa fille jusqu’à ce que le dieu des enfers, Hades, la viole et la kidnappe… Entre la cité des morts et la maison des mourants, mythe et réalités, avec Les deux déesses Pauline Sales orchestre avec talent le passage d’un monde à l’autre.
Le mythe originel, moult fois visité par les sociologues et les féministes, la metteure en scène l’enracine dans l’aujourd’hui avec des interrogations fort contemporaines : les rapports parents-enfant, l’avenir de la planète, la place des anciens dans la cité… Humour et sérieux rivalisent de pertinence, les trois comédiennes sont épatantes d’audace et de culot ( Clémentine Allain en Déméter jeune, Claude Lastère en Perséphone, Elisabeth Mazev en Déméter âgée), la partition musicale insuffle plaisir et gaité au jeu de la troupe. Un bonheur total à se poser de bonnes questions sans se prendre la tête !
Le plaisir est renouvelé avec La grande ourse, la pièce de Penda Diouf mise en scène par Anthony Thibault. Au départ, une banale anecdote : une maman jette par terre un papier de bonbon. Un geste déplacé qui n’échappe pas à la police arrêtant la coupable qui accuse à tort son fils, la condamnant à une peine peu enviable, l’humiliation personnelle et collective au regard de tous… Une sentence qui plonge le père dans l’incompréhension et la folie, qui ébranle la mère jusqu’à la déchéance morale avant qu’elle n’invoque les puissances ancestrales et ne renaisse sous l’apparence et la force d’une ourse ! Un conte moderne joliment instruit, magnifiquement interprété par Armelle Abibou, des couleurs et saveurs venues d’ailleurs avec ce griot aux accents du Sénégal psalmodiant ses incantations de mauvais augure au-devant de la scène. Face à une société policée à outrance et sous haute surveillance, une interpellation radicale : en quel monde voulons-nous aimer, danser et chanter ? Yonnel Liégeois
Les deux déesses, Pauline Sales : un spectacle joué jusqu’au 01/12 au TGP de Saint-Denis (93). Le 17/12 à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge. Le 19/12 au théâtre Jacques Carat, Cachan. Le 14/01/25 à L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège. Les 05 et 06/02/25 à la MC2, Maison de la Culture de Grenoble.
La grande ourse, Penda Diouf et Anthony Thibault : Du 07 au 17/12, du mardi au dimanche. MC93, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny (Tél. : 01.41.60.72.72). Le 10/04/25 à L’Avant-Scène, Cognac. Le 18/04 au 3T, Scène conventionnée de Châtellerault.
Au Théâtre 14 (75), Karelle Prugnaud présente Moins que rien. Eugène Durif signe le livret, Bertrand de Roffignac est un Woyzeck hors norme. Un trio haut de gamme, une mise en abîme vertigineuse du texte de Büchner. Une performance scénique époustouflante.
Georg Büchner est mort en 1837. Il avait 23 ans. Le dramaturge et poète allemand, qui a étudié la médecine, nous aura légué quelques-unes des plus belles pièces du répertoire : la Mort de Danton écrite en 1835, Léonce et Lénaen 1836 et Woyzeck, sa dernière pièce inachevée, écrite quelques mois avant de mourir. Près de deux siècles ont passé. Ses pièces, portées par une écriture au scalpel, nous interpellent par leur modernité, leur force de conviction révolutionnaire tant au niveau de la langue que des idéaux qu’il ne cesse de remettre en jeu. Heiner Müller disait à son propos qu’il était « né avec les paupières arrachées. Il regardait le monde sans jamais essayer de fermer les yeux ». Büchner est un enfant des Lumières. En 1834, il corédige un texte à destination des paysans de Hesse intitulé Paix aux chaumières ! Guerre aux châteaux !, un pamphlet qui déclenchera une vague de répression contre ses auteurs et obligera Büchner à fuir l’Allemagne pour se réfugier à Strasbourg.
D’après une histoire vraie
Woyzeck s’inspire d’un fait divers réel. Le 2 juin 1821, Johann Christian Woyzeck, soldat de l’armée allemande, assassine dans une rue de Leipzig sa maîtresse et mère de leur enfant, Johanna Christiania Woost. L’expertise psychiatrique du docteur Clarus, à charge, aura raison de la défense du prévenu, qui plaidait l’irresponsabilité mentale. Woyzeck sera condamné à mort et exécuté en place publique. C’est la lecture de ce rapport d’expertise qui inspirera Büchner. Woyzeck est un simple troufion, un type qui entend des voix, harcelé par sa hiérarchie militaire, qui en fait son souffre-douleur. Sa solde ne suffisant pas, il accepte de se soumettre à des expérimentations scientifiques menées par le médecin de la garnison. Son supérieur abuse de la femme de Woyzeck et lui « offre » quelques pièces ou une paire de boucles d’oreilles pour la peine. Un geste de folie ? Un féminicide ?
La pièce originelle est constituée d’une série de tableaux comme autant de pièces d’un puzzle éclaté auquel il manquera toujours un morceau. Eugène Durif la remet sur le métier et écrit un monologue librement inspiré de cette matrice. Moins que rien est une mise en abîme vertigineuse du texte qui plonge dans les entrailles de la grande muette et d’une psychiatrie bas de gamme au service de l’ordre et du pouvoir. Quel qu’il soit. Dès les premiers instants, on est tétanisé par l’irruption sur le plateau d’une poignée de soldats qui exécutent les gestes du quotidien dès le réveil. Sur fond de rock metal, ces hommes n’ont plus rien d’humain, obéissant au doigt et à l’œil à des ordres muets mais pressants, oppressants. Parmi eux, Woyzeck, maladroit, qui se prend les pieds dans le seau, se vautre sur un sol de plus en plus glissant. « Oui mon capitaine ! » hurle-t-il, les yeux hagards. « Oui mon capitaine ! », un capitaine qui le soumet à la question « Où sommes-nous ? ».
Dans cette garnison de province à l’aube du XIXe siècle ? Dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, qui voyait les hommes partir à l’assaut sous la menace d’officiers obsédés par la victoire ? Dans les locaux de la Gestapo ? À Alger, quand les paras français s’adonnaient à la gégène ? Dans la prison irakienne d’Abou Ghraib lors de la guerre d’Irak ? À Guantanamo ? Toutes ces images refont surface à la seule vue de cette première scène, terrible, terrifiante. Woyzeck est alors interrogé, seul. Il se doit de répondre à l’interrogatoire du docteur, qui cherche « la vérité ». Woyzeck va alors être plongé dans un aquarium vertical qui va se remplir d’eau jusqu’au bout, jusqu’à le faire avouer un crime dont il ne se souvient pas, ou par flash-back. Côté jardin, un écran sur lequel sont projetées des images de vidéosurveillance démultipliées à l’infini, façon poupées gigognes.
La mise en scène de Karelle Prugnaud est d’une inventivité et d’une audace folles. Son dispositif scénique, la musique volontairement éprouvante (concoctée par Kerwin Rolland), sa direction d’acteur nous font éprouver la violence mentale et physique à l’œuvre sur le plateau. Elle orchestre cette partition sans se plier aux codes de la bienséance : son théâtre dérange parce qu’il laisse entrevoir la face sombre de l’humanité. Rien n’est laissé au hasard dans cette mise en scène qui permet au spectateur d’expérimenter en temps réel la mécanique de l’oppression. On savait Bertrand de Roffignac, découvert dans Ma jeunesse exaltée d’Olivier Py, capable de repousser les limites. Dans la peau de Woyzeck, il les explose, donnant à son personnage une humanité alors même qu’il est en proie à des pulsions morbides incontrôlables. « Nous les moins-que-rien, on est aussi de chair et de sang. Mais que ce soit ici ou là-haut, le même malheur d’être né », murmure-t-il. Un spectacle sous tension, un théâtre pour dire la cruauté du monde, de notre monde. Marie-José Sirach, photos Vahid Amanpour
Moins que rien, Georg Büchner – Eugène Durif – Karelle Prugnaud : jusqu’au 07/12, du mercredi au vendredi à 20h, le jeudi à 19h et le samedi à 16h. Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris (Tél. : 01.45.45.49.77)
Au théâtre de l’Essaïon (75), Marie Sauvaneix met en scène Looking for Jaurès. Lorsqu’un comédien entend des voix, ça déménage sur les planches ! Avec Patrick Bonnel, plus vrai que nature sous les traits de l’emblématique tribun.
Surgie des catacombes de l’Essaïon, tantôt doucereuse tantôt impérieuse, en tout cas puissante et stimulante, s’élèvera bientôt une voix passée à la postérité ! Et pas n’importe laquelle, celle d’un emblématique tribun, celle d’un infatigable défenseur des opprimés et des oppressés… Et justement Jean-Patrick l’est fortement, oppressé, sur ce plateau de cinéma où il bafouille son texte, rate encore la scène après moult prises. Insatisfait de sa prestation qu’il boucle au forceps, mécontent surtout des minables rôles qu’on lui propose après cinquante ans de carrière. Shooté au mauvais café, insomniaque, furieux contre lui et la marche du monde, un peu timbré tout de même au plus fort de ses angoisses d’intermittent du spectacle, il se prend à rêver et à entendre une autre musique que celle de ses délires existentiels.
Celle d’un homme à la barbe blanchie, au ventre joliment rebondi, au chapeau bien arrondi et au poing solidairement brandi… Qui se prétend Jaurès et l’invite à jouer son personnage, d’une toute autre envergure que ses piètres rôles de composition ! Une voix insistante, au point que le comédien en mal de reconnaissance endosse au final le costume de l’emblématique tribun. Avec force persuasion, il se mue en conteur du parcours familial et philosophique, social et politique, de l’incontournable défenseur de la cause du peuple, de l’infatigable souteneur de la lutte des ouvriers, de l’inoubliable orateur à la parole républicaine ! De Toulouse à Paris, résonne alors l’accent du midi.
Puissant, envoûtant, le propos n’a perdu ni force ni vigueur ! Faisant résonner, d’un espace de pierres confiné à un au-delà les frontières, les valeurs de fraternité et de solidarité entre les hommes, l’enjeu du combat contre capitalisme et nationalisme intimement mêlés, la force de la paix entre les peuples… Certes, ils ont tué Jaurès, notre bon Maître, pourtant ses actes et discours affichent une étonnante modernité. Encore plus, à n’en point douter, lorsque Patrick Bonnel, pleinement converti avec bonhomie et naturel en cette figure de haute stature, boucle sa prestation en déclamant le fameux Discours à la jeunesse: dans un monde en désespérance, un regain d’optimisme et d’avenir pour notre humanité ! Avec humour et sans prise de tête doctorante, un spectacle de belle facture qui invite à la réflexion, à la lecture et à l’engagement. Yonnel Liégeois
Looking for Jaurès : Jusqu’au 30/01/25, les mercredis et jeudi à 19h. Du 04/02 au 01/04/25, les mardis à 19h. Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris (Tél. : 01.42.78.46.42).
De l’écrit à la scène, Fernando Pessoa livre toutes les facettes de son personnage. Avec Nicolas Barral et son roman graphique L’intranquille Monsieur Pessoa, avec la mise en scène de L’intranquillité signée de Jean-Paul Sermadiras. La notoriété du petit employé de Lisbonne, enfin universellement reconnue.
Fernando Pessoa (1888-1935), petit employé à Lisbonne, fut reconnu sur le tard poète d’envergure universelle. Sous le titre L’intranquille Monsieur Pessoa, Nicolas Barral publie un roman graphique de belle venue : un jeune pigiste suit à la trace l’écrivain qui crache du sang, afin d’en rédiger la nécrologie avant son décès. Le trait est vif, l’intrigue ingénieuse. Lisbonne est vue en couleurs de mélancolie. Barral invente que deux « hétéronymes » de l’écrivain (si souvent caché sous des identités fictives) lui demandent des comptes.
Au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Robert Wilson, grand imagier devant l’Éternel, a montré Pessoa – Since I’ve been me, en anglais, français, italien, portugais. Sept interprètes de haut vol, de classe internationale, Maria de Medeiros en tête, ressassent en quatre langues (Pessoa était polyglotte) des sentences frappantes de celui qui affirmait : « La solitude me désespère, la compagnie des autres me pèse ». La gravité du propos est contrebalancée par des séquences virevoltantes, héritées de la parade de music-hall anglo-saxon. Par deux fois, une sorte de prodigieux diorama nous rappelle que Wilson reste le maître de l’enluminure moderne.
L‘hommage à celui qui eut le front de dire que « la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas » a commencé pour moi en octobre, à la Station-Théâtre à La Mézière, sur la route de Rennes à Paimpol. Gwenaël de Boodt, poète qui a de l’or dans les mains, a transformé ce bâtiment prosaïque où l’on faisait le plein, en un théâtre chaleureux. Ce soir-là, la Compagnie du passage, dans une mise en scène de Jean-Paul Sermadiras, présentaitL’intranquillité avec deux espèces de clowns métaphysiciens et péripatéticiens, Olivier Ythier et Thierry Gibault. Ils distillent avec art les réflexions aiguës de l’homme à part qui fouille sa conscience. Ils boivent sec (c’est joué), Fernando Pessoa souffrait de cirrhose. On dirait des Pensées de Pascal, mais sans Dieu. Voilà un dialogue vertigineux mené par deux maîtres comédiens, dans une petite forme qui vise très, très haut. Et l’on entend, ici encore, la voix exquise de Maria de Medeiros. Jean-Pierre Léonardini
L’intranquille Monsieur Pessoa, Nicolas Barral (Dargaud, 136 p., 25€). L’intranquillité, Jean-Paul Sermadiras : jusqu’au 29/11 au 100, 100 rue de Charenton, 75012 Paris (Tél. : 01.46.28.80.94). Le Livre de l’intranquillité (624 p., 29€) est publié chez Christian Bourgois éditeur.
Jusqu’au 31/12, au Fort d’Aubervilliers (93), Bartabas présente Femmes persanes, cabaret de l’exil. Le théâtre équestre Zingaro, entre musiques-chants et danses, rend hommage à ces femmes d’antan, fières cavalières et amoureuses à l’égal de l’homme. Un spectacle d’une puissante force et beauté, tant humaine qu’artistique.
Sous l’enceinte chaude et colorée du théâtre équestre, au Fort d’Aubervilliers, la piste circulaire et ensablée libère l’entrée des protagonistes : chevaux, ânes et mulets… Point de fouet ou de meneur de revue, le dialogue entre la bête et l’humain est instauré depuis fort longtemps. En ce lieu, on se parle à l’oreille, murmure et complicité sont rituel institué ! Les équidés, premières et sublimes vedettes à l’écoute de Bartabas, le maître des lieux. Leur robe, unie ou tachetée, rivalise de beauté avec les costumes des artistes, acrobates et danseuses, musiciennes et chanteuses. La musique s’envole, comme le corps des cavalières sur la croupe de leur monture, sublime harmonie entre prouesses physiques et lignes mélodiques.
Au temps d’antan, au temps d’avant, du temps de cette civilisation scythe fondée sur le matriarcat, l’enfant né recevait le nom de sa mère, la femme s’avançait debout sur sa monture à l’égal de l’homme, la poétesse chantait à visage découvert la beauté du monde et les plaisirs de la passion amoureuse… Elles étaient afghanes ou iraniennes, Persanes belles et rebelles ! Aujourd’hui, artistes en exil, sur la cendrée elles font entendre cris de colère et chants d’amour, convoquant les vers les plus beaux de leur tradition écrite ou orale. Au centre de la piste, une petite chaise d’écolier, image pathétique qui nous renvoie à la situation dramatique de ces filles, jeunes ou pas, interdites de tout enseignement et exclues de toute vie publique. Entre danseuse soufie en robe rouge sang, cohorte d’oies qui traverse l’espace, enivrantes musiques et chants envoûtants, numéros équestres d’une haute prestance, une bande de piteux mollahs enrubannés caracole à dos d’âne.
Un hymne à la femme libre et fière, voltigeuse écuyère qui révèle au public ensorcelé ses talents et qualités, un orchestre d’instruments traditionnels qui scande les mélodies d’un monde détaché de tout dogme mortifère. Un spectacle d’une incroyable beauté, d’une puissante force évocatrice, symbole du jour bienvenu où femmes et hommes chevaucheront à égalité le futur de l’humanité. Yonnel Liégeois
Femmes persanes, cabaret de l’exil : jusqu’au 31/12, les mardi-mercredi-vendredi et samedi à 19h30, le dimanche à 17h30. Le Théâtre équestre Zingaro, 176 avenue Jean Jaurès, 93300 Aubervilliers (Tél. : 01.48.39.54.17).
Au théâtre de la Tempête, le Nouveau Théâtre Populaire propose Notre comédie humaine. Un triptyque audacieux, et décoiffant, d’après Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes d’Honoré de Balzac. Du vrai théâtre populaire qui fait du grand romancier notre contemporain.
Lucien, jeune provincial sans fortune, rêve de monter à Paris pour y atteindre la gloire littéraire. Balzac raconte ses aventures dans deux romans clef de la Comédie Humaine, Illusions perdues (publié entre 1837 et 1843) et Splendeurs et Misères des courtisanes(paru entre 1838 et 1847). Le collectif Nouveau Théâtre Populaire (NTP) présente l’épopée de Lucien dans trois mises en scène de styles différents, mais dans une scénographie unique qui évolue au cours des événements. Ce qui donne lieu, si l’on veut assister à l’intégralité, à six heures trente de théâtre, dont 1h d’intermèdes et 1h d’entr’acte. Le premier spectacle correspond au début d’Illusions Perdues, Les deux poètes, qui prend la forme légère d’une opérette : Les Belles Illusions de la jeunesse. Le deuxième est une satire politico médiatique, récit des tribulations de Lucien dans la jungle parisienne, tiré du deuxième chapitre du roman, Un grand homme de province à Paris. Enfin Splendeurs et Misères, adaptation de Splendeurs et misères des courtisanes, est un sombre drame policier sur fond de spéculations financières.
En préambule, et lors des deux entr’actes, le public est invité à partager des intermèdes en résonnance avec les trois pièces. Les comédiens jouent, chantent, déambulent avec des textes de Balzac ou d’autres auteurs de l’époque. Une traversée onirique de l’œuvre qui accompagne les dérives de Lucien dans la jungle de Paris. Il est peut-être préférable de voir cette trilogie dans sa continuité chronologique, mais chaque pièce, opérette, comédie, tragédie fonctionne de manière indépendante.
Les Belles illusions de la jeunesse adaptation et mise en scène d’Émilien Diard-Detœuf
La troupe nous accueille en chanson devant le décor en carton pâte d’un petit théâtre de province : « Soyez les bienvenus dans nôtre co co co comédie humaine (…) Le ciel est un théâtre et le monde une scène. Nous faisons des chansons des livres les plus longs… ». Honoré de Balzac, sous les traits de Frédéric Jessua, vient situer l’action et les personnages de son roman. Nous sommes à Angoulême, en 1821, au temps de la Restauration. Perchée sur son rocher, la ville haute abrite la noblesse et le pouvoir, en bas, au bord de la Charente, chez les roturiers, on fait du commerce et de l’argent. En haut, la belle Madame de Bargeton (Elsa Grzeszczak ) s’ennuie auprès de son vieux mari (Joseph Fourez) entourée de quelques courtisans : le fat et hypocrite Sixte du Châtelet (Flannan Obe), et une cohorte de médisants interprétés par Francis du Hautoy, Kenza Laala et Morgane Nairaud. Entichée de littérature, elle cherche à jouer les muses. Lucien (Valentin Boraud) deviendra son protégé.
En bas, le poète en herbe, enrage de ne pouvoir percer dans le monde : il est pauvre et sa mère, née de Rubempré, a perdu sa particule en épousant le pharmacien Chardon. Il trouve un soutien moral auprès de son ami David Séchard (Émilien Diard-Detœuf), imprimeur et inventeur et de sa sœur Eve (Morgane Nairaud), blanchisseuse. Accompagné par Sacha Todorov au piano, ce petit monde va nous faire vivre, en chansons, une double idylle : Anaïs de Bargeton s’enfuit à Paris avec Lucien Chardon espérant l’aide d’une cousine, la Marquise d’Espard ; Eve épouse David. La musique de Gabriel Philippot met en valeur la finesse des paroles. Les arrangements puisent aux sources de l’opérette d’Offenbach à Gershwin. Le compositeur a aussi dirigé les chanteurs et le chœur des Angoumoisins, friands de qu’en dira-t-on, la ville d’Angoulême étant, comme Paris par la suite, une composante de cette histoire. Le metteur en scène signe un livret habile et malicieux. Derrière une apparente légèreté, avec Balzac, il critique férocement une société désuète, engluée dans ses préjugés de classe.
Illusions perdues adaptation et mise en scène de Léo Cohen-Paperman
Changement de décor : débarrassé de son petit théâtre provincial, le plateau se résume à des gradins. En haut de la pyramide, trône la noblesse, en la personne de la Marquise d’Espard (Kenza Laala), entourée de ses courtisans dont Madame de Bargeton et Sixte du Châtelet. Honoré de Balzac prend ici l’habit d’un cuisinier de gargote et observe son héros dans l’arène du monde littéraire et médiatique. L’auteur de La Comédie humaine sait de quoi il parle, pour avoir fréquenté les milieux qu’il évoque de sa plume impitoyable : salons mondains, cénacles littéraires, cercles libéraux ou royalistes. Le Balzac cuisinier expose en quelques mots la situation politique sous Louis XVIII, c’est le règne du « en même temps » : les Libéraux correspondent pour nous à la Gauche, et les Monarchistes, la Droite. Autour de lui, s’agite une multitude de personnages, comme dans une fourmilière : éditeurs, écrivains, auteurs dramatiques, actrices…
Le fils du pharmacien, pour défaut de particule, sera rejeté par la cousine de Madame de Bargeton et relégué dans une mansarde, en attendant qu’un décret du Roi lui rende le titre de noblesse de sa mère: de Rubempré. Sûr de son talent, Lucien va se battre et trouvera succès et fortune dans le journalisme. Le provincial idéaliste aura tôt fait de se déniaiser et d’apprendre les ficelles d’un métier corrompu. Grâce à la toute puissance de la presse, on peut arriver à ses fins, à condition de n’avoir aucun scrupule. Il rencontre le succès, l’amour de la belle Coralie, qui triomphe au théâtre. Mais cela n’aura qu’un temps, « Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude », écrit Balzac, « il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine ». Plus dure sera la chute et, ayant tout perdu, il ne restera à l’ambitieux qu’à mettre fin à ses jours. Suite au prochain spectacle…
Par son esthétique, la pièce nous plonge dans le monde contemporain, avec ses couleurs criardes, son amour du fric, son culte de la jeunesse, ses lumières aveuglantes et ses musiques électroniques assourdissantes. Sous l’œil amusé et les commentaires cinglants du Balzac vendeur de frites, le héros navigue entre plusieurs milieux : on reconnaît dans ses voisins d’infortune – qu’il finira par trahir- les gauchistes d’aujourd’hui, la salle de rédaction pourrait être celle du journal Libération… Mais il n’atteindra jamais les hautes sphères de la société présidées par la Marquise d’Espard. Une juste et divertissante traduction de notre comédie contemporaine.
Splendeurs et Misères adaptation et mise en scène de Lazare Herson-Macarel
Ce troisième volet commence par la fin d’Illusions perdues : Lucien va se jeter à l’eau quand sort de l’ombre un mystérieux personnage, Carlos Herrera. On apprendra à la fin qu’il s’agit d’un ancien forçat déguisé en prêtre espagnol, mieux connu des lecteurs de Balzac sous le nom de Vautrin. L’abbé lui promet de retrouver gloire et fortune à Paris, s’il lui obéit aveuglément. Un pacte luciférien liera désormais leur destin. Et c’est en enfer que ce Méphisto entraine Lucien. « En 1824, au dernier bal de l’Opéra, plusieurs masques furent frappés de la beauté d’un jeune homme qui se promenait dans les corridors et dans le foyer ». C’est sur ce bal masqué que s’ouvre Splendeurs et misères des courtisanes. Lucien y tombe amoureux d’Esther, sublime courtisane. Manipulée par l‘abbé Herrera, qui cherche de l’argent pour son protégé, elle se sacrifiera en vendant ses charmes au Baron de Nucingen. Une lutte à mort s’engage entre les hommes de main du Baron et ceux de Carlos Herrera, pour mettre la main sur l’argent de la prostituée. Après avoir cédé aux avances de Nucingen, Esther se suicide quand elle apprend le mariage de son amant avec une fille de bonne famille. Lucien et Carlos sont arrêtés, soupçonnés de l’avoir assassinée. Lucien se pend aux barreaux de sa cellule. Le vieux forçat, lui, court toujours….
La pièce se déroule dans la pénombre du plateau complètement dépouillé. Les comédiens, telles des ombres, traversent ce Paris fantomatique. Réduite à l’os, l’intrigue de Splendeurs et misères des courtisanes se concentre sur quelques personnages, le roman en compte 273 ! Sans commentaires ni détours anecdotiques, l’action se résume à de courts dialogues entrecoupés d’affolantes courses poursuites, de violents règlements de compte, de sauvages étreintes amoureuses… Kenza Laala incarne une Esther quasi mystique, enflammée par l’amour et le désir d’expier pour sa mauvaise vie. N’est-ce pas le sort réservé par les écrivains de l’époque à leurs héroïnes ? Magnifique performance à fleur de peau, comme celle de Philippe Canales en Vautrin ou de Valentin Boraud (Lucien Chardon de Rubempré). Dans cet univers de film noir, Clovis Fouin joue le dindon de la farce : l’obscur Frédéric de Nucingen. Pour l’ambiance, un personnage – la mort ? – interprète une complainte de Kurt Weill « Au fond de la Seine, il y a de l’or, /Des bateaux rouillés, des bijoux, des armes. /Au fond de la Seine, il ya des morts. Au fond de la Seine, il ya des larmes (…) Belle trouvaille. Par une mise en scène très visuelle et chorégraphiée, Lazare Herson-Macarel a voulu traduire une « descente aux Enfers » à travers les différentes couches de la société parisienne, en référence à La Divine Comédie de Dante, dont Balzac a détourné le titre pour sa Comédie humaine.
Le Nouveau Théâtre Populaire, qui fait sa première apparition sur une scène parisienne, ravit le public par son approche cohérente de l’œuvre, passant du kitsch d’époque à une fable tragique où les personnages ne sont plus que les fantômes d’un cauchemar. La troupe est née à l’été 2009 dans un jardin de Fontaine-Guérin, village de mille habitants au cœur du Maine-et-Loire. Elle y construit un théâtre de plein air pour y monter en peu de temps des grands classiques de la littérature dramatique, en pratiquant un tarif unique (5€ la place). En 2020, elle décide de faire une première création « hors les murs » avec une trilogie de Molière Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché). Aujourd’hui, une soixantaine de créations plus tard, le NTP compte 21 membres permanents, au fonctionnement démocratique stipulé dans son manifeste : « Nous prenons les décisions collectivement : par consensus, vote à bulletin secret ou à main levée… Nous présentons toujours plusieurs pièces, mises en scène par différents membres de la troupe… Tous les membres de la troupe participent à plusieurs spectacles ». Mireille Davidovici, photos Christophe Raynaud de Lage
Notre comédie humaine : jusqu’au 24/11, du mercredi au vendredi à 20h, l’intégrale les samedi et dimanche à 15h. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manœuvre, 75013 Paris (Tél. : 01.43.28.36.36). Du 11 au 14/12, Le Quai-CDN d’Angers (49). Du 29/01/25 au 01/02, Théâtre de Caen (14).
Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché) : du 15 au 18/01/25, Le Trident-Scène nationale de Cherbourg (50). Du 22 au 25/01, Théâtre de Caen (14). Du 5 au 8/02, La Commune-CDN d’Aubervilliers (93).
Dans la cadre du Festival d’Automne 2024 et de la saison de la Lituanie en France, au théâtre du Rond-Point (75) s’est donné Have a Good Day ! Un opéra pour vocalises de caissières, bip de scanners, lumières de supermarché et agent de sécurité… Un original chant choral face à nos sociétés de consommation !
Les cliquetis des caisses enregistreuses font entendre leur petite musique. Si les divers produits défilent à grande vitesse sur le tapis, aucune étiquette ne résiste à la décodeuse électronique ! Lumières blafardes de grande surface, crépitations incessantes des scanners : bien alignées derrière leurs machines en parfait état de marche, tenue de circonstance en chemisier blanc et tablier bleu, les dix salariées ne chôment point. Quand le capitalisme affiche la note finale, ça déménage dans les rayons et les caissières donnent de la voix ! Sous l’œil vigilant de l’agent de sécurité qui accueille le public, se révélant plus tard pianiste émérite à l’ouverture de cet original opéra en provenance de Lituanie.
Petits pois, salade et fromage blanc, haricots verts et tomates, concombres et ravioli… Il est rare, voire exceptionnel, de note en note – deci delà – de la en si, qu’un livret d’opéra livre une longue liste de courses pour alimenter ou abreuver les cordes vocales des récitants. Des récitantes en l’occurrence, délivrant de magnifiques vocalises à la gloire du filet de merlan ou du rôti de veau ! Certes, mais loin d’être un hymne à la consommation, Have a Good Day ! met avant tout en partition les dures conditions de travail des caissières : des horaires décalés et hachés, des journées harassantes dans le bruit incessant, des embauches aux heures sombres du petit matin pour des fins de service parfois au noir de la nuit tombée, des « bonjour, merci, bonsoir, bon après-midi » en code de civilité inlassablement répétés, la fatigue des transports qui alourdit les yeux à l’aller comme au retour du bus.
D’article en article, de lignes mélodiques chantées en chœur ou entrecoupées de solos, le trio créateur (Vaiva Grainytė au livret, Lina Lapelytė à la direction musicale et Rugilė Barzdžiukaitė à la mise en scène) nous offre, sous couvert de grands airs et d’une belle partition, une image fort désabusée et déconcertante de nos sociétés de consommation et de l’exploitation éhontée qui en découle. Entre humour et réalisme, musique et poésie, guettons le retour prochain en terre hexagonale de nos héroïques, et lyriques, caissières ! Yonnel Liégeois
Transposant au théâtre un jeu vidéo, Alice Laloy proposeLe ring de Katharsy où deux adversaires s’affrontent via des avatars pilotés en direct. Un match où les danseurs acrobates, marionnettes humaines, sont manipulés par des joueurs omnipotents. Une fascinante performance créée au TNP de Villeurbanne.
Après Pinocchio (live) où, à l‘inverse du conte de Carlo Collodi, des corps vivants d’enfants étaient transformés en pantins et Death Breath Orchestra, Alice Laloy poursuit,avec sa chorégraphe Stéphanie Chêne et le compositeur Csaba Palotaï, une recherche sur « la qualité corporelle et sonore de présences hybrides mi-humaines, mi-marionnettes ». Dans Le ring de Katharsy, six interprètes deviennent les avatars de deux joueurs acharnés, soumis à leurs pulsions guerrières. « Stéphanie et moi, nous avons mis au point les règles du jeu, qui ont été notre principe d’écriture, notre filtre poétique, permettant d’accueillir un langage visuel, sonore, atmosphérique et des figures », dit Alice Laloy. En piste, une chanteuse-cheffe d’orchestre (Katharsy), deux acteurs-chanteurs (les joueurs), un porteur et six circassiens, contorsionnistes, acrobates et/ou danseurs (les avatars).
« Bienvenue au Ring de Katharsy » s’inscrit en lettres lumineuses, en fond de scène. Le gril du théâtre abaissé au ras du sol se lèvera dans un grincement mécanique marquant le début de la partie. Sur le plateau gris règne une légère vapeur quand deux comédiens apportent une collection de pantins de taille humaine sur des chariots, corps avachis et enveloppés de vêtements grisâtres. Ils les manipulent avec précaution, tels les soigneurs d’un match de boxe. Ces images ne sont pas sans rappeler les œuvres monochromes aux gris irréels du plasticien belge Hans Op de Beeck, un univers à la fois mélancolique et déshumanisé où les images reflètent l’absurdité tragicomique de notre condition postmoderne.
Un jeu diabolique
Une fois sur pied, ces humanoïdes s’animent sous les ordres cinglants de deux joueurs : « avance, recule, prend, attaque, tourne, pivote, esquive, frappe… », martèlent-ils, de plus en plus excités au fil des cinq manches de ce match effréné. Commence un ballet sidérant. Les pions se déplacent comme des automates, corps marionnettiques, visages impavides. Leurs gestes saccadés sont rythmés par les voix des champions, les scores lumineux et sonores s’affichent sur les écrans de chaque adversaire. Une immense figure juchée sur une estrade, au lointain, préside le jeu. Telle une divinité, majestueuse et mystérieuse, elle règne sur le ring, annonce les sets, compte les points et encourage les joueurs de ses chants éthérés.
« Black Friday », clame la diva et, tandis que s’inscrivent les noms des « pions » de chaque camp, des oripeaux tombent des cintres. C’est à qui s’en emparera et s’en revêtira le premier, tout en empêchant ses ennemis de mettre la main dessus. Ce qui donne lieu à de joyeuses bagarres où les danseurs acrobates s’emberlificotent bras et jambes dans les vêtements. Vision ironique des pulsions consuméristes. Deuxième épreuve, « Click and collect » : les deux équipes se disputent avidement le contenu d’un même colis. Dans la session « Living room », c’est la mêlée pour s’asseoir sur un grand fauteuil qui ne contient que cinq personnes, le sixième restera en rade… D’autres meubles tombent du ciel puis, au fil du jeu, de nouveaux objets à se disputer.
Effet de miroir
Plus le duel avance, plus la tension monte entre les joueurs jusqu’à l’hystérie, plus leurs avatars sont à la peine et deviennent maladroits, parfois au bord de la révolte… On sent le système prêt à se détraquer. L’atmosphère se tend aussi du côté du public, captivé par l’action menée avec une précision extrême par des interprètes virtuoses. Difficile de ne pas se prendre au jeu. Cruels, drôles et décalés, ces comportements prêtés aux humains et à leurs avatars sont comme un miroir tendu à notre société, par le prisme duquel s’opère une critique de la société de consommation, de l’exploitation capitaliste, du totalitarisme. On pense à l’esclavage du travail à la chaine décrit dans les Temps modernes de Charlie Chaplin. Surtout, en la personne des champions, on voit les maitres absolus d’un bataillon qui obéit aux ordres sans rechigner. Les avatars eux-mêmes sont manipulés de telle sorte qu’ils sont prêts à s’accaparer manu militari tout ce qui leur tombe sous la main.
En déplaçant la catharsis propre au théâtre vers celle que peut susciter le jeu vidéo, Alice Laloy laisse entendre que quelque chose pourrait bien déborder, si un grain de sable venait gripper la machine. Sous le joug de leurs manipulateurs omnipotents, les avatars rompront-ils leurs chaines ? Cette question, sans trêve, nous tient en haleine pendant une heure trente. Mireille Davidovici, photos Simon Gosselin
Le Ring de Katharsy : Le 14/11, Le Bateau-Feu-Scène nationale de Dunkerque. Du 20 au 29/11, Théâtre national de Strasbourg. Du 5 au 16/12, T2G–Théâtre de Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris. Les 9 et 10/01/25, La rose des vents–Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq. Du 26/02 au 01/03, Théâtre Olympia-CDN Tours. Les 13 et 14/03, Malakoff-Scène nationale, Festival Marto. Les 20 et 21/03, Théâtre d’Orléans–Scène nationale. Les 3 et 4/04, Théâtre de l’Union-CDN du Limousin. Les 9 et 10/04, La Comédie de Clermont-Ferrand-Scène nationale. Du 23 au 26/11, Théâtre de la Cité-CDN Toulouse Occitanie.
Au théâtre de l’Essaïon (75), Jean-Baptiste Artigas met en scène et interprète La Chute. Une adaptation, signée Jacques Galaup, du roman d’Albert Camus. La saveur d’un spectacle qui incite à (re)lire cette perle de la littérature contemporaine.
Comment rendre la densité et la complexité d’une telle œuvre au théâtre, même si elle se prête à la mise en scène grâce à sa forme orale et monologuée ? L’adaptation respecte la chronologie de La chute, ce court roman publié en 1957 peu avant la mort accidentelle d’Albert Camus. Il nous fait entrer dans les méandres d’un cerveau torturé qui expie, dans l’exil, une faute originelle. On ne saura le fin mot de l’histoire que dans la deuxième partie du spectacle. Un narrateur, Jean-Baptiste Clamence, prend à partie le client d’un bar d’Amsterdam, le Mexico City, et se confesse à lui en cinq temps sans laisser l’autre placer un mot. Une posture qu’on trouvait déjà dans L’Étranger(1941) et qui nous enferme dans un récit univoque. Seul en scène devant un fauteuil vide (présence-absence de son interlocuteur), Jean-Baptiste Artigas se saisit de ce personnage inquiétant, un habitué de ce bar qui se dit « juge-pénitent ».
Il se met volontiers au piano pour ponctuer les épisodes de cetteChutesur des airs de Thelonious Monk, Fats Waller, Duke Ellington, ou encore de Jacques Prévert et Joseph Kosma avec Les Feuilles mortes… Jean-Baptiste Clamence, un ancien avocat parisien à succès, homme à femmes impénitent, est tombé de haut quand, un soir, une jeune femme croisée sur un pont de Paris s’est jetée à la Seine, sans qu’il soit intervenu. Alors, commence son inexorable « chute » : il prend lentement conscience de l’inanité de son comportement passé et se réfugie dans les brumes nordiques, le monde interlope des bars à marins et les vapeurs de genièvre. Le début de la pièce s’attarde trop sur les années glorieuses du personnage mais le comédien endosse avec brio son égoïsme bravache. Il faut attendre la deuxième partie pour entrer dans le vif du propos d’Albert Camus, teinté de culpabilité judéo-chrétienne et d’un âpre jugement sur l’indifférence générale aux souffrances du monde.
Dans sa mise en accusation de l’homme moderne, préoccupé de lui-même, en « juge pénitent » Clamence clame dans le désert. « Le portrait que je tends à mes contemporains devient un miroir. Couvert de cendres, m’arrachant lentement les cheveux et disant “j’étais le dernier des derniers”. Alors, je passe du “JE” au “NOUS”. Plus je m’accuse et plus j’ai le droit de vous juger ». Derrière son héros, Albert Camus fustige ses « confrères parisiens » et humanistes professionnels en réponse à leurs critiques mais chacun de nous, humains du XXIème siècle, en prend pour son grade… Jean-Baptiste Artigas accompagne son personnage jusqu’au bout de sa chute : du freluquet sûr de lui au repenti cynique, il rend parfaitement l’humour glacial du texte où Camus allège le procès à charge de l’auteur contre lui-même et son milieu.
Nous entendons aussi la saveur de cette prose, en particulier les paysages qui reflètent les états d’âme du narrateur. Des rues de Paris au crépuscule où « le soir tombe sur les toits bleus de fumées, le fleuve semble remonter son cours », au no man’s land du Zuyderzee : « Une mer morte, perdue dans la brume, on ne sait où elle commence, où elle finit (…). Voilà n’est-ce pas, le plus beau des paysages négatifs ! Voyez à notre gauche ce tas de cendres qu’on appelle ici une dune, la digue grise à notre droite, la grève livide à nos pieds et devant nous la mer couleur de lessive, le vaste ciel où se reflètent les eaux blêmes. Un enfer mou, la vie morte, l’effacement universel ».
Sourd l’envie du spectateur à (re)lire cette perle de la littérature contemporaine ! Mireille Davidovici
La chute, d’après Albert Camus : jusqu’au 06/01/25, le dimanche à 18h, le lundi à 19h. L’Essaïon, 6 rue Pierre au lard, 75004 Paris (Tél. : 01.42.78.46.42).
Sous l’Espace Chapiteaux, au Parc de la Villette de Paris (75), Blanca Li présente Didon et Énée. Une version dansée, sensuelle et débridée, de l’opéra d’Henry Purcell. Un spectacle servi par l’art foisonnant et décapant de la chorégraphe espagnole.
Le talent protéiforme de l’espagnole Blanca Li, nouvellement nommée présidente du Parc de la Villette, lui vient sans doute de son expérience new-yorkaise où elle fut plongée dans un bain multiculturel. Arrivée à l’âge de 17 ans dans la métropole américaine, après avoir quitté Grenade sa ville natale, elle étudie auprès de la grande prêtresse de la Modern Dance Martha Graham. Elle découvre en même temps le Hip Hop et d’autres expressions artistiques. Elle y restera plus de dix ans et, de retour en Europe, elle fonde sa compagnie de danse contemporaine en 1992. Ses créations trouvent vite écho dans le monde entier. Parfois, elle réalisera aussi des chorégraphies pour la publicité, lorsque les fins de mois seront difficiles. La chorégraphe travaille aussi bien pour le Ballet de l’Opéra de Paris qu’avec Abd Al Malik, en outre très à l’aise avec les outils numériques. La thématique de Didon et Énée lui est familière puisqu’elle a chorégraphié en 2023 l’Opéra du même nom pour William Christie, directeur de l’ensemble baroque Les Arts Florissants.
Blanca Li y revient pour donner le premier rôle à la danse, à la fluidité des corps en mouvement, en adéquation parfaite avec la musique de Henry Purcell. Adéquation parfois presque trop parfaite, voire illustrative… D’ailleurs, le premier tableau en est une synthèse, les dix danseurs jouant la partition sans instruments. Les séquences se suivent, enlevées par une troupe exceptionnelle de danseurs vibrants et habités d’une respiration lancinante qui, par leur énergie, nous entraînent dans cette osmose entre partition et danse, jumelles de virtuosité. On est saisi par un contrejour soleil couchant d’un statuaire sculptural évoquant la Grèce antique. Ne manquait que la Méditerranée, lieu de toutes les tragédies mythologiques : la voici, avec de l’eau déversée sur le sol recouvert d’un vinyle noir. Les corps glissent comme on glisse dans la passion, les amours s’en vont et s’en viennent au fil de l’eau. L’idée scénographique est très belle mais son exploitation, un peu longue, lasse jusqu’à un beau final somptueusement glissé.
Didon et Énée, Henry Purcell et William Christie sont chaleureusement servis par l’art foisonnant et décapant de Blanca Li. Le public conquis et ravi, tous âges confondus, sort de la représentation avec des fourmis dans les jambes. Chantal Langeard
Didon et Énée, Cie Blanca Li : jusqu’au 31/10 à l’Espace Chapiteaux, 20h. Parc de la Villette, 211 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris (Tél. : 01.40.03.75.75). En Belgique, du 31/12 au 02/01/25 à Liège et les 04 et 05/01/25 à Bruxelles. Les 09 et 10/01/25 à Grenoble, le 13/02 à Garge-les-Gonesses, le 19/03 à Saint-Germain-en-Laye et le 23/03 au Palais du Festival de Cannes.
Du 18 au 23/10 à l’Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux (36), se déroule la 23ème édition des Lisztomanias. Au pays de George Sand, un festival qui célèbre Liszt, son œuvre, son influence et son message empreint d’humanisme. En compagnie des plus grands concertistes, pianistes ou violonistes.
« Notre volonté est d’établir un parallèle entre l’olympisme et ce que fut l’apparition de Liszt et son art de la scène dans les années 1830/40 », affirme Jean-Yves Clément, le directeur artistique des Lisztomanias. « À cette époque, il invente le concert moderne avec ses caractéristiques monomaniaques, le « récital » et tous ses excès ». Vécue comme une véritable compétition, déclenchant des phénomènes d’hystérie, transposant le concert des salons à l’« arène » des salles immenses, cette invention fut déterminante dans l’histoire de la musique. Liszt lui-même s’en éloignera et finira par l’abandonner au milieu de sa vie au profit d’autres valeurs : la création et la transmission, plutôt que la gloire solitaire et sclérosante. Pour autant le « star système » était né, et avec lui le règne de l’affrontement, de la concurrence, bientôt des concours… forme artistique des épreuves sportives.
Si, au mois d’août, vous étiez encore à Nohant, nous pourrions réaliser notre ancien projet de festival à Châteauroux.
Franz Liszt, lettre à George Sand (30 mai 1844)
Jean-Yves Clément l’assure, « nous nous plairons à reproduire cet avènement du soliste virtuose ». Il n’empêche, dans le même temps, lors de cette 23ème édition des Lisztomanias, seront aussi honorés Gabriel Fauré, l’ami de Liszt dont on commémore en 2024 les 100 ans de la mort et Georges Gershwin, héritier des pianistes improvisateurs romantiques qui créa sa célèbre Rhapsody in Blue en 1924. Parmi tous les concerts à l’affiche, quelques noms à retenir : Joseph Moog, l’un des pianistes les plus en vue de la nouvelle génération qui interprétera Liszt, Schumann… Vadym Kholodenko, interprète ukrainien âgé de 37 ans de notoriété mondiale qui a remporté en 2013 le prestigieux Concours international Van Cliburn, donnera un récital qui confrontera Liszt à Chopin, « de Côme à Nohant », arc tendu entre deux chefs-d’œuvre composés respectivement en 1837 et 1844 : Après une lecture du Dante et la 3ème Sonate op.58… Quant à Pascal Amoyel et Dimitris Saroglou, ils s’affronteront en un duel imaginaire entre deux seigneurs du piano, Liszt et Chopin !
Créé en 2002 à Châteauroux, au pays de George Sand (près de Nohant), selon les voeux de Franz Liszt et George Sand eux-mêmes, le festival des Lisztomanias constitue une manière unique de mettre la culture en vie, autour d’une figure majeure du romantisme européen. Pianiste virtuose, compositeur de génie, chef d’orchestre à l’attitude révolutionnaire, enseignant de légende, écrivain, penseur et philanthrope hors du commun, Liszt est le grand phénomène de la musique romantique. « Diffuser le message de Liszt », conclut le poète et amoureux de la musique, « c’est aussi faire rayonner l’image du Berry romantique de George Sand et de sa communauté d’amis » : Chopin, Delacroix, Pauline Viardot et Marie d’Agoult mais également Dumas fils, Balzac, Flaubert, Tourgueniev… Tous se rendirent à Nohant entre 1836 et 1876. Philippe Gitton
Lisztomanias : Du 18 au 23/10, salle del’Équinoxe et autres lieux de concert de la ville. Scène nationale de Châteauroux, Avenue Charles de Gaulle, 36000 Châteauroux (Tél. : 02.54.08.34.34).
Jusqu’au 03/11, au Théâtre de l’Épée de bois (75), Simon Abkarian propose une Odyssée en Asie mineure. Un diptyque composé de MénélasRébétikoRhapsodie et d’Hélène après la chute. De la musique des bas-fonds de la Grèce aux héros de la guerre de Troie, une joute verbale et royale entre la belle Hélène et Ménélas, Aurore Frémont et Brontis Jodorowsky.
« Tu es mon invitée », annonce Ménélas en préambule, le roi de Sparte et éphèbe grec à la barbe bien taillée, « Je suis ta prisonnière », rétorque Hélène avec force détermination. D’une fulgurante beauté, celle qui a fui jadis avec Pâris, assassiné en ce jour de la chute de Troie, retrouve son époux et attend un verdict de mort en cette chambre des amours interdites. Une longue tunique noire pour la belle Hélène après la chute, un costume de roi triomphant pour lui… Seule règne la virtuosité des dialogues, nul décor sinon quelques micros et un piano d’où Macha Gharibian (en alternance avec Bettina Blancher) scande de la note et de la voix la rencontre du couple : la scène est plantée, la joute verbale peut commencer !
Simon Abkarian est coutumier du fait : revisiter les récits mythologiques ! Sur la scène du Théâtre du Soleil, déjà il nous avait subjugué avec son Électre des bas-fonds (trois Molière en 2020 et deux prix du Syndicat de la critique), déjà avec Aurore Frémont dans le rôle-titre… Sur les planches du Théâtre de l’Épée de bois, toujours à la Cartoucherie de Vincennes, il récidive, nous brossant encore un magnifique portrait de femme, vaincue certes mais non terrassée. Forte, combative, ne reniant rien de sa fuite avec Pâris dix ans plus tôt et de ses amours interdites, une femme, belle certes mais rebelle, qui veut être admirée, appréciée et aimée pour son être entier autrement que pour le seul désir des humains !
Blessé au cours de la bataille, Ménélas l’est plus encore de son amour contrarié et de la douleur qui l’étouffe depuis le départ de son épouse. Meurtri par une femme qui ne cède rien, future esclave peut-être mais toujours vaillante guerrière, « je ne me repentirai pas d’un crime que je n’ai pas commis, jamais je ne demanderai pardon ni à toi ni à aucun autre Grec », affirme-t-elle au péril de sa vie. La gloire de la victoire, la vengeance des armes, la fierté royale, la loi des puissants ? Futilités devant la perte de l’amour, de la femme de sa vie… Entre lyrisme et sensualité, un texte qui ne renie rien de la tragédie classique, une langue superbement maîtrisée, une Aurore Frémont irradiante de sensibilité, un Brontis Jodorowsky émouvant dans sa masculinité contrariée ! La pianiste rythme poétiquement le tempo de cet amour renaissant de sa chute entre blessures et fêlures : à la folie de la guerre et à la fureur des armes, sont préférables la fusion des cœurs, la passion des corps. Yonnel Liégeois
Une odyssée en Asie mineure, un diptyque de Simon Abkarian
Hélène après la chute (le superbe article de Jean-Pierre Léonardini, paru dans le quotidien L’Humanité en date du 21/10) : du mercredi au vendredi à 21h, le samedi à 20h et le dimanche à 16h30. Ménélas Rébétiko Rhapsodie, en début de soirée : du mercredi au vendredi à 19h, le samedi à 18h et le dimanche à 14h30.
Jusqu’au 03/11 au théâtre de L’épée de bois, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris (Tél. : 01.48.08.39.74). Les deux textes sont disponibles aux éditions Actes Sud.
En janvier 2025, au Théâtre Nanterre-Amandiers (92), sera créé Nos âmes se reconnaîtront-elles ?, le dernier opus de la trilogie. Avec Simon Abkarian et Marie-Sophie Ferdane au plateau, accompagnés du compositeur et musicien kurde Rusan Filiztek (saz et oud).
Le 18/10, en la salle des fêtes d’Azay-le-Ferron (36), en première partie du récital de Marie Coutant, Luxe Communal Duo présente son Concert-Histoire sur la Commune de Paris. Entre chansons et commentaires historiques, un hommage aux femmes et hommes tombés sur les barricades ou au mur des Fédérés.
Accompagnée au clavier par Sylvain, le 18/10 à Azay-le-Ferron, en première partie du concert de Marie Coutant, Caroline se réjouit de faire revivre les moments forts de cet événement historique que fut la Commune de Paris. « Nous avons réalisé ce spectacle à partir de textes d’auteurs impliqués dans ce combat », explique la jeune femme. « Comme celui de Jules Vallès, 28 mai, qui narre sa dernière journée passée sur les barricades, mais aussi de personnes moins connues »… Au final, un tour de chant composé de treize chansons inédites, de textes et commentaires historiques.
Un hommage vibrant pour toutes ces personnes qui se sont battues contre l’oppression, pour les libertés, la démocratie, les conquêtes sociales. Une volonté aussi de mettre à l’honneur les femmes qui ont tenu les premiers rôles : Louise Michel, bien sûr, mais également la journaliste communarde et romancière André Léo et bien d’autres… Les textes sont graves, lourds de sens, imprégnés de destins poignants, de la souffrance des gens du peuple, de la férocité de la répression. Ils portent cependant l’enthousiasme des idéaux défendus par les communards. L’œuvre musicale donne à cette évocation une dimension émotionnelle, poétique et parfois humoristique qui rend l’ensemble à la fois captivant et séduisant. Le nom de « Luxe Communal » porté par le duo, est une expression écrite par Eugène Pottier. Elle synthétise les principes de la Commune de Paris qui, sous la houlette de Gustave Courbet revendiquait un art dégagé de la tutelle de l’État, rapproché du peuple jusque dans les plus petits villages et bien commun de l’Humanité.
L’ambition est immense. Malgré une sous-estimation de ce combat dans les programmes éducatifs, l’utopie des communards a traversé le temps. Né dans le quartier de Ménilmontant, au cœur du 19ème arrondissement de Paris, haut-lieu de l’effervescence révolutionnaire, Sylvain se souvient de la célébration du centenaire de la Commune en 1971 : il a onze ans ! Il découvre Jean Ferrat, Commun Commune, la vie ouvrière plus tard lorsqu’il s’installe à Stains, en banlieue parisienne. Fort de son BTS électro-technique, il plonge dans le monde du travail et s’engage sous la bannière de la CGT. Il nourrit aussi une passion de jeunesse pour la musique. La flûte traversière, le jazz, l’impro, le clavier électronique et… Caroline : leur rencontre autour de la musique fait boum !
C’est à 18 ans que la jeune femme prend conscience de la force du mouvement de la Commune à l’occasion d’une exposition parisienne. Caroline est une littéraire : classe de prépa pour Khâgne et Hypokhâgne, CAPES, enseignante de français. Elle est aussi attirée par le chant lyrique. « Dès l’adolescence j’ai été séduite par l’opéra. J’adore les œuvres de Verdi, Puccini, Mozart, notamment. Les belles voix comme celles de Placido Domingo ou Nathalie Dessay me font vibrer ». Son goût pour la chanson vient plus tard, avec Sylvain elle découvre Anne Sylvestre, Barbara, Nougaro et compagnie. Sens du partage, fibre sociale, écoute de l’autre, goût pour la découverte : Caroline et Sylvain étaient faits pour s’accorder et concevoir un projet mettant en musique aspirations et savoir-faire.
La thématique ? L’histoire de la Commune, bien sûr ! 2021 et la célébration du 150ème anniversaire les reconnectent à l’association des Amies et Amis de la Commune. « Il y a trois ans nous avons pris en charge la partie festive d’un colloque organisé à Issoudun et Bourges. C’est à partir de là que nous avons imaginé des créations musicales sur ce thème », précise Sylvain. En 2023, Luxe Communal Duo compose et présente son premier Concert-Histoire. Philippe Gitton
La Commune/Concert-Histoire, Luxe Communal Duo : Le 18/10 à 20h30, salle des fêtes d’Azay-le-Ferron, en première partie du concert de Marie Coutant.
Marie Coutant, femme du monde
Autrice-compositrice et interprète, Marie Coutant présente son récital Aux femmes du monde. Une voix puissante très singulière, un charisme authentique, une écriture au talent incontestable. Elle a partagé la scène d’artistes renommés : Tri Yann, Fabienne Thibault, Nilda Fernandez, La Tordue, Lhasa De Sela, Linda Lemay, Sapho, Renaud, Zacchary Richard, Thomas Fersen et son « idole » Jacques Higelin.Elle donne de nombreux concerts dans l’Indre (sa terre de résidence), comme dans toute la France, ainsi qu’en Belgique, Allemagne, Pologne, Turquie… Elle travaille aujourd’hui sur divers projets de création musicale et tourne son spectacle Aux femmes du monde. En solo ou en compagnie de Bruno Pasquet à la basse, Romain Lévêque à la batterie et Anthony Allorent à la régie son.
Directeur de la revue Frictions/ Théâtres-Écritures, Jean-Pierre Hans’interroge. Quel spectacle aurait mérité de faire l’ouverture du festival d’Avignon ? Mothers, A song of Wartime, assurément… De Paris (15 au 19/10) à Lyon (les 24 et 25/10), un chœur antique plongeant dans le présent de la lutte pour notre survie.
Si les responsables du Festival avaient voulu faire preuve d’audace, c’est sans doute le spectacle de Marta Gornicka, Mothers, A song of Wartime, qu’ils auraient programmé en ouverture du Festival dans la Cour d’honneur du palais des Papes en lieu et place du faible Dämon d’Angelica Liddell. Et plutôt qu’un morne et lugubre Funeral de Bergman, nous aurions eu de très combatifs chants d’espoir et de vie de la part de vingt et une femmes (et une enfant) : une toute autre dynamique en ouverture aussi vers une autre forme de théâtre chanté et chorégraphié.
Une ouverture dans tous les sens du terme, même brève (trois représentations qui auraient ainsi été données comme une sorte de manifeste) et il importe peu que Marta Gornicka, née en Pologne, ne réponde pas aux critères de langue que le festival s’impose désormais chaque année, l’espagnole pour la présente édition. D’une certaine manière, elle fait voler en éclats toutes ces règles. Donnant son spectacle en polonais, en ukrainien et en biélorusse, nous faisant plonger dans le présent de la lutte pour notre survie.
Le titre, d’abord, est on ne peut plus parlant : Mothers, A song of Wartime. Une chanson de temps de guerre, car nous y sommes bien déjà. Et c’est cela que le festival nous aurait offert. Dispositif bien en place : Marta Gornicka est au centre de la salle et dirige le chœur des femmes de tous âges, de 9 à 72 ans. Car oui, il s’agit bien d’un chœur, à la semblance enrichie d’un chœur antique, celui des tragédies grecques. C’est au départ en formation militaire de combat, en triangle, que toutes ces femmes, ces survivantes de guerre, vont chanter, scander tout un répertoire puisé dans le folklore et les chansons populaires venues d’Ukraine. Une formation de combat qui va s’ouvrir telle une fleur, dessiner différentes figures géométriques dues à Evelin Facchini dans le balancement entre la célébration de la vie, individuelle et collective, et le témoignage de ce que la guerre détruit au jour le jour.
Le tout en 60 minutes, sans aucun pathos. Une leçon de courage et de résistance. Jean-Pierre Han, photos Christophe Raynaud de Lage
Mothers. A song for Wartime, de Marta Gornicka : le spectacle fut présenté en juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon. Du 15 au 19/10 au théâtre du Rond-Point à Paris, les 24 et 25/10 au TNP de Lyon.
Frictions, la revue qui démange
Dans sa dernière livraison (N°38, été 2024, 171 p., 15€), une nouvelle fois la revue Frictions frappe fort ! Outre les contributions toujours percutantes de Robert Cantarella, Eugène Durif ou Olivier Neveux, Jean-Pierre Han consacre son long éditorial à l‘État des lieux, une analyse nécessaire [de la réalité théâtrale]. S’appuyant, dans son propos, sur l’ouvrage de Jean Jourdheuil, Le théâtre, les nénuphars, les moulins à vent. « Raconter sur le mode de la chronique et du témoignage, poser les jalons d’une histoire du théâtre », écrit le metteur en scène et dramaturge, « raconter afin de rendre intelligibles les origines du marasme actuel, sans craindre d’entrer dans les détails » : au regard des débats actuels sur un éventuel élitisme culturel, un livre d’une haute pertinence critique !
En 2020, le Prix de la meilleurs publication de l’année sur le théâtre fut décerné à Frictions par le Syndicat de la critique. Un grand moment de lecture, une revue aussi riche dans sa forme que sur le fond à découvrir et à soutenir… Chantiers de culture ne peut que souhaiter plein succès et bel avenir à ces démangeantes frictions !Yonnel Liégeois
Frictions/ Théâtres-Écritures : 50€ pour 4 nos/an, 8 nos pour 80€. 22 rue Beaunier, 75014 Paris (Tél. : 01.45.43.48.95).
Le 05/10 au PIC (Petit Ivry Cabaret), anciennement Forum Léo Ferré (94),Annick Cisaruk et David Venituccirevisitent le répertoire de Léo Ferré. Riche des arrangements de l’accordéoniste, un récital à forte intensité servi par la gouaille de la comédienne et chanteuse qui épouse révolte et poésie du libertaire à la crinière blanche.
Il le disait, le proclamait, le chantait, le bel et grand Léo… « Avec le temps… Avec le temps va tout s’en va On oublie le visage, et l’on oublie la voix« , murmurait Ferré au micro, visage en gros plan dans la lumière tamisée des projecteurs. Peut-être, oui, probablement et pourtant la gamine de quinze ans, en ce temps-là groupie de Sheila, n’a rien oublié, ne peut pas oublier comme le chante Jacques Brel, un autre monument de la chanson ! Bourse du travail à Lyon, haut-lieu de concerts en ses années de jeunesse, une place de récital offerte par son frère… Le chanteur à la crinière blanche entonne L’albatros, le poème de Baudelaire qu’il a mis en musique. « Je suis complètement fascinée, fracassée, je décolle », avoue Annick Cisaruk, des années plus tard l’émotion toujours aussi vive à l’évocation de l’anecdote.
Public collé-serré, ambiance des années 60 dans les caves à musique, le piano à bretelles entame sa litanie. Jusqu’à ce que la dame en noir enchaîne de la voix sur la scène du Petit Ivry Cabaret… Regard complice, œil malicieux, gambettes au diapason, c’est parti pour un tour de chant de plus d’une heure. La Cisaruk ne fait pas du Ferré, elle habite Ferré, convaincante, émouvante ! Osant visiter l’ensemble de la carrière chansonnière du libertaire natif de Monaco en 1916, d’un père employé de la Société des bains de mer et d’une maman couturière, célébrant la femme et l’amour, la révolte et la liberté, la poésie en compagnie de Baudelaire et Rimbaud, Apollinaire et Aragon, autant d’auteurs qu’il orchestre avec un incroyable génie mélodique… « En illustrant ainsi toutes les facettes du répertoire de Léo Ferré, je veux donner à aimer un poète visionnaire et un compositeur universel », confesse Annick Cisaruk avec tendresse et passion, « pour moi, Léo Ferré demeure le plus important parmi les grands auteurs-compositeurs du XXème siècle ».
Avec Didier-Georges Gabily le grand auteur dramatique trop tôt disparu, son amour de jeunesse, la belle interprète aura découvert théâtre et littérature. En 1981, elle entre au Conservatoire de Paris. Sous la direction de Marcel Bluwal, elle joue Le Petit Mahagonny de Brecht au côté d’Ariane Ascaride, régulièrement elle foulera les planches sous la houlette de Giorgio Strehler et Benno Besson. Derrière le micro, elle fait les premières parties des récitals de Pia Colombo et Juliette Gréco. D’hier à aujourd’hui, Annick Cisaruk cultive ses talents avec la même passion. Toujours elle aura mêlé chant, théâtre, comédie musicale. Reconnaissant toutefois, sans honte ni remords, sa détestation de l’accordéon jusqu’à sa rencontre, amoureuse et musicale, avec les doigts d’orfèvre de David Venitucci ! Du classique au jazz, en passant par la variété, d’une touche l’autre, le musicien compose et libère moult mélodies enchanteresses. Depuis lors, lorsqu’il n’accompagne pas Patricia Petibon ou Renaud Garcia-Fons, Michèle Bernard à la chanson ou Ariane Ascaride au théâtre, en duo ils écument petites et grandes scènes. « Je prends tout de la vie », affirme avec conviction la fiancée du poète, « de l’Olympia au caboulot de quartier, j’éprouve autant de bonheur et de plaisir à chanter ».
Outre Ferré et un retour en 2025 au théâtre de la Scala en compagnie d’Ariane Ascaride, Annick Cisaruk peaufine un spectacle autour des textes de Louis Aragon, « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? ». Toujours sur des compositions originales de David Venitucci, un nouvel éclairage sur l’œuvre majeure du grand poète : les 29/10 et 25/11 à 19h30, en la cave à chansons du Kibélé… Enfin, entre répétitions et récitals, jamais en panne de créativité,la belle ingénue s’immerge dans l’univers deSerge Reggiani, textes-peintures et lettres. C’est moi, c’est l’Italien / Est-ce qu’il y a quelqu’un ? / Ouvre-moi, ouvrez-moi la porte… En coulisse, musique et chanson, Bello ciao, mûrit un vibrant hommage au sublime interprète et comédien. Silenzio, zitto, bocca chiusa ! Yonnel Liégeois
– Où va cet univers ? Un hommage vibrant à Léo Ferré : le 05/10 à 20h30. Le PIC, 11 rue Barbès, 94200 Ivry-sur-Seine (Résa indispensable : 01.46.72.64.68).
– Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Textes et poèmes de Louis Aragon, pour la plupart mis en musique pour la première fois : les 29/10 et 25/11 à 19h30.Le Kibélé, 12 rue de l’Échiquier, 75010 Paris (Réservation indispensable au 01.82.01.65.99).
– Paris retrouvée : du 16/01 au 14/02/25, à 19h. Cinq comédiennes (Ariane Ascaride, Pauline Caupenne, Chloé Réjon, Océane Mozas, Délia Espinat-Dief), une chanteuse (Annick Cisaruk) et un accordéoniste (David Venitucci) pour fêter Paris et celles et ceux qui l’ont célébrée dans leurs poèmes et leurs chansons : Louis Aragon, Philippe Caubère, Simone de Beauvoir, Marina Tsvetaïeva, Louise Michel, Prévert, Charles Trenet ou Apollinaire.La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30).