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Cléanthis et Arlequin, aux commandes !

Jusqu’au 02/06, au théâtre du Lucernaire (75), Stephen Szekely met en scène l’Île des esclaves de Marivaux. Dans une ambiance qui emprunte à la commedia dell’arte et au théâtre de tréteaux, une pièce sur le pouvoir à l’heure de la domination brutale des puissants.

D’abord, le bruit des vagues se fait entendre, puis des jambes, des bras apparaissent dans une sorte de ballet (la chorégraphie est de Sophie Meary). Sur la plage sont ainsi échoués quelques corps. Principalement ceux d’Arlequin (Barthélemy Guillemard) et d’Iphicrate (Lucas Lecointe). Le premier est valet du second. Apparaissent ensuite Cléanthis (Lyse Moyroud) et Euphrosine (Marie Lonjaret), pareillement servante et maîtresse. Ainsi débute l’Île des esclaves, pièce que Marivaux rendit publique en 1727, alors que la France était un empire esclavagiste redouté dans les Antilles et que la traite des Noirs était en expansion.

Le texte est incontestablement celui d’une comédie, mais il est marqué par ce contexte social et politique. De son vivant, Marivaux – qui était aussi romancier et journaliste – n’a connu pour ses nombreux écrits de théâtre que des succès relatifs. Il est aujourd’hui devenu un des classiques incontournables et se place cinquième parmi les dramaturges les plus joués par la Comédie-Française. La mise en scène de Stephen Szekely (avec la jolie scénographie de Juliette Chapuis), fait tenir toute l’intrigue de cette courte pièce en une heure et dix minutes. Dans une ambiance qui emprunte à la commedia dell’arte et au théâtre de tréteaux, où le mouvement fait part égale au texte. Le nom d’Arlequin y invite d’ailleurs, car il en est un des personnages types. Pas de décor mais seulement des rideaux qui figurent la plage, le village ou le lointain. Un espace dans lequel les jeunes comédiens se démènent avec conviction.

Retourner à Athènes

Après le naufrage de leur navire au large d’Athènes, où ils espèrent bien tous retourner un jour, les quatre survivants (qui soit dit en passant ne se soucient guère du sort des disparus ou des autres survivants éventuels) découvrent qu’ils sont sur l’île des esclaves, commandée par le généreux, mais pas toujours subtil, Trivelin (en alternance Laurent Cazanave ou Michaël Pothlichet). Un Trivelin qui joue du banjo (ambiance sonore et musicale de Michaël Pothlichet). Marivaux a fait de cette île imaginaire un lieu où les maîtres deviennent valets et les valets maîtres. Ce qui occasionne, on s’en doute, quelques belles scènes. La règle veut qu’au bout de trois années, les méchants patrons, usant jusque-là bien plus souvent du bâton et de l’insulte plutôt que de leur jugeote, aient compris qu’un comportement plus humain sera profitable à tous.

Marivaux, né Pierre Carlet (1688-1763), est souvent associé au « marivaudage », que l’on peut traduire par l’échange de « propos galants et raffinés ». Idée que l’on retrouve dans la plupart de ses textes, mais à dose modeste dans la quinzaine de « comédies morales » qu’il a laissées, et dont l’Île des esclaves fait partie. S’il s’est volontairement tenu à l’écart des philosophes de son époque (la Révolution française bouillonnera quelques dizaines d’années plus tard), l’auteur n’a jamais écarté les sujets sociaux et, à sa manière, il a participé à l’évolution des idées. Clin d’œil de l’histoire, en 1742, Marivaux est élu à l’Académie française dans le fauteuil que convoitait Voltaire… Gérald Rossi

L’île des esclaves, Stephen Szekely : Jusqu’au 02/06, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h. Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris (Rens. : 01.45.44.57.34).

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 Élise Vigneron, une beauté de glace

Du 16 au 26/05, au Théâtre de la Tempête (75), Élise Vigneron présente Les vagues. Une adaptation singulière du poème en prose de Virginia Woolf : les marionnettes de glace se désagrègent au fil de la représentation ! Avec force imaginaire et beauté, une fulgurante interpellation sur la fuite du temps, la vie qui coule et s’écoule.

Noir de scène, lumière forte sur une étrange armoire frigorifique : l’une après l’autre, émergent cinq figurines à taille humaine d’une blancheur translucide, au visage étonnamment expressif ! Que les comédiens enlacent délicatement, habillent et suspendent aux filins qui leur prêtent vie. D’emblée, l’image est saisissante. Encore plus lorsque les personnages de glace s’émancipent, marchent, gesticulent, tendent les bras en direction du public. L’irréel se fait mutant, l’imaginaire temps présent. Prémonitoire des Vagues qui s’annoncent au lointain, déjà une goutte d’eau s’écrase au sol !

En couple avec leur double de glace, les cinq comédiens (Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot, Chloée Sanchez, Azuza Takeuchi en alternance avec Yumi Osanai) se livrent en pleine lumière. Ils sont verbe vivant et corps dansant, sentiments et tourments, confessions et interrogations de Louis, Bernard, Jinny, Rhoda et Susan, les personnages de Virginia Woolf. D’hier à aujourd’hui, ils égrènent petits bonheurs et grands malheurs, joies et douleurs, plaisirs et souffrances : la monotonie de l’existence, le manque cruel d’amour, le temps qui passe et la mort qui s’avance. Qui efface tout, fugaces traces en mémoire, matière mouvante et changeante au bout du fil : goutte à goutte ou impétueusement, la chute d’un bras ou d’une jambe, le fracas d’un corps qui s’effondre en moult morceaux.

La fonte des glaces se poursuit imperturbable, l’eau envahit l’espace scénique, la marionnette hoquète en soubresauts, la figurine devient squelette et son armature fantomatiques muscles. La parole résonne telle une poétique fluctuante, clapotis verbal à l’unisson des perles liquides qui gouttent et s’égouttent en flaques lumineuses. Les pas des comédiens foulant cette mer improvisée provoquent remous et vagues, la disparition de Perceval le poète déclenche une tempête fantasmagorique : les pantins s’agitent en un ballet désordonné au bout de leurs filins, la magie opère. Visages glacés et visions littéraires s’unissent en une chaude étreinte pour ne faire plus qu’un, sombrer en un filet d’eau dans les profondeurs de notre imaginaire. Portée par cet univers d’images, sons et lumières d’une originalité époustouflante, l’empreinte indépassable de notre finitude s’épanche en fines gouttelettes de béatitude, notre peur du néant fond comme glaçon au soleil.

Sublimant la prose de Virginia Woolf, Élise Vigneron nous convoque au recto de la page entre sensations, respirations, impressions et suggestions. N’est-il pas établi que le corps humain est constitué à 65% d’eau ? Entre vagues et ressacs du jour naissant à l’ultime moment, suspendue à la chute fatale dans l’inconnu océanique, la vie se révèle à la fois folle et grandiose aventure. La puissance créatrice d’un tel spectacle le prouve en toute beauté ! Yonnel Liégeois, photos Damien Bourletsis

Les Vagues d’Élise Vigneron, d’après Virginia Woolf : du 16 au 26/05, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Théâtre de La Tempête, la Cartoucherie, Route du champ de manœuvre, 75012 Paris ( Tél. : 01.43.28.36.36).

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Dans ton cœur, un amour aérien

Jusqu’au 26/05, au théâtre du Rond-Point (75), Pierre Guillois met en scène Dans ton cœur. Les circassiens de la compagnie Akoreacro proposent une étonnante aventure associant rire, poésie et biceps.

Ils ont l’art et la manière d’en dire beaucoup… sans un mot. Non pas que les artistes de la compagnie Akoreacro ne soient pas pourvus de la parole articulée, mais sous leur habituel chapiteau de cirque, ils s’expriment le plus souvent par le geste. Cette fois, ils ont investi un théâtre, celui du Rond-Point, à Paris, et pour cela ont remis sur le chantier leur spectacle créé en 2018 à la maison de la culture de Bourges. Pierre Guillois, le metteur en scène, est aussi un habitué des dialogues sans paroles. Ses derniers succès, Bigre et Les gros patinent bien, cabaret de carton, en collaboration avec Olivier Martin-Salvan, en ont fait la preuve.

Dans ton cœur ne parle donc guère, mais c’est pourtant une belle histoire d’amour. Prudent, Pierre Guillois a pris soin de préciser que « le théâtre semble bien démuni devant tant de performances, et ces gymnastes superbes n’ont guère besoin d’alliés pour briller. Ils portent en eux déjà la force et la grâce ». Mais la rencontre entre les deux formes d’art peut aussi faire des étincelles. C’est le cas ici. Tout commence par une nuit d’orage fantastique, quelque part dans une quelconque ville. Pendant que les fauteuils de la salle tremblent sous les coups du tonnerre, Elle et Lui (les voltigeurs Manon Rouillard et Antonio Segura Lizan) se rencontrent. C’est le début d’une sarabande extraordinaire qui ne s’arrêtera qu’au final, plus d’une heure après.

Juchée sur le réfrigérateur

Les autres acrobates de la troupe, Romain Vigier, Maxime Solé, Basile Narcy, Maxime La Sala, Pedro Consciência (ou Tom Bruyas), Joan Ramon, Graell Gabriel, loin de jouer les utilités, comme l’on dit des soubrettes du théâtre « de boulevard », composent tout un petit peuple qui réalise des numéros de haut vol. C’est le cas de le dire, tant ils glissent dans l’espace, avec une grâce magique. Partie intégrante du spectacle, on soulignera la partition jouée en direct, et avec autant de bonne humeur, par Stephen Harrison (contrebasse), Gaël Guelat (batterie, percussions, guitare), Robin Mora (saxophone), Johann Chauveau (clavier, flûte). Si Elle et Lui s’envoient en l’air dans un ballet des plus aériens, précisons-le, ils n’en conçoivent pas moins un bébé, puis deux, dans cette féerie ménagère improbable mais d’une efficacité et d’une drôlerie à couper le souffle. Tous participent à l’aménagement de la maison. L’installation de l’électroménager est à lui seul une perle de drôlerie réglée au millimètre près. L’art de la piste est respecté.

Lorsqu’Elle dit (il y a quelques dialogues, quand même !) pour expliquer qu’elle répare le branchement du réfrigérateur, « Je suis dessus », il faut comprendre qu’elle est juchée sur l’appareil dont elle va s’élancer… sans jamais toucher le sol directement. Puis c’est la vie du couple, l’ordinaire, les lessives, et il y a toujours une chaussette rouge qui traîne quelque part. Avec cette légèreté des vrais costauds, Dans ton cœur est une aventure aussi extravagante que poétique. Comme un soleil imprévu faisant sa place dans un temps gris et fade. Gérald Rossi

Dans ton cœur, Pierre Guillois et la compagnie Akoreacro : Jusqu’au 26/05. Lundi, mercredi, jeudi et vendredi, 20h30 – Samedi, 19h30 – Dimanche, 15h. Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris (Tél. : 01.44.95.98.21).

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Ulysse, au crible du féminin

Jusqu’au 08/05, au Vieux Colombier (75), Laëtitia Guédon propose Trois fois Ulysse. Commandé par la Comédie Française, un texte de Claudine Galea où le héros d’Homère passe au crible du féminin. Un chant d’aujourd’hui, un plaidoyer contre la guerre dans un habile tissage textuel, mais s’attaquer aux mythes ne va pas sans risque.

Et si le rusé, le courageux, le vaillant, le vainqueur de Troie n’était pas celui que l’on croit ? Au fil du temps, les regards changent et l’heure est au déboulonnage des statues. Ici c’est le mythe d’Ulysse qui est mis en pièce en trois temps, revu par Hécube, Calypso et Pénélope…. En trois tableaux encadrés par un chœur, les trois femmes tissent un portrait composite du héros de l’Odyssée. Un voyage spatio-temporel, depuis son départ de Troie, maudit par Hécube devant les ruines de la ville, à son arrivée à Ithaque, où l’attend sagement Pénélope, en passant par son long séjour dans les bras de Calypso…

Chaque épisode, rapporte une étape de l’Odyssée. De nombreuses références pourraient échapper au public, s’il ne connaît pas un peu le poème homérique. Mais l’œuvre ne se soucie pas de résumer le long périple du roi d’Ithaque qui après dix ans de guerre mit dix ans pour rentrer dans son pays. L’autrice et la metteuse en scène veulent renverser le discours car pour elles, dans ce récit d’hommes, les femmes, déesses, reines, princesses ou esclaves, ne sont pas des faire-valoir. « On pourrait être tenté de dire qu’elles sont devenues des héroïnes grâce à leur rencontre avec Ulysse », dit Laetitia Guédon, « j’ai eu envie de montrer, au contraire, que c’est Ulysse qui est devenu le héros que l’on connaît grâce à sa rencontre avec Hécube, Calypso et Pénélope ». Par ailleurs, autrice et metteuse en scène ont vidé le ciel des dieux qui, dans l’épopée antique, conduisent les destinées humaines. Et elles rendent aux personnages masculins leur part de déploration : les larmes ne sont pas réservées qu’aux femmes.

Hécube la sanglante

Claudine Galea donne pleine voix à la reine de Troie, épouse de Priam peu présente chez Homère si ce n’est dans le dernier chant l’Illiade, où Ulysse la trouve pleurant sur le tombeau de ses fils. Son chant, ici, est un cri de douleur d’avoir perdu presque tous ses enfants – dont Hector le plus célèbre – pendant la guerre ; un cri de rage d’être devenue l’esclave d’Ulysse ; un cri de haine d’avoir été métamorphosée en chienne. Selon la légende, après avoir ordonné aux Troyennes de crever les yeux du roi de Thrace, assassin de Polydore son plus jeune fils, et tué de ses propres mains les deux enfants du tyran, elle fut lapidée et métamorphosée en chienne. Elle remplit la Thrace de ses hurlements.

Clotilde de Bayser donne corps à cette longue diatribe percussive, devant les ruines de Troie, symbolisée par la tête monumentale et creuse du fameux cheval. Aboiements haineux contre la virilité du guerrier, semeur de mort, les paroles de la reine déchue, dans la droite ligne de son lamento dans Les Troyennes d’Euripide, ne sont pourtant pas celles d’une mater dolorosa. Avec des mots d’aujourd’hui, elle relève la tête. Orgueilleuse et prête à mordre quand Ulysse apparaît, elle redouble de colère, parfois au bord de l’hystérie… Et lui n’a pas grand-chose à lui opposer quand, sous les traits de Sefa Yeboah, il apparaît. Le héros victorieux qu’il incarne n’est qu’un timide garçon face à cette femme puissante dont le chœur vient prendre le relais, avec des chants venus de la nuit des temps.

Calypso la délaissée

Autre ambiance dans la grotte de Calypso ( l’envers de la tête du cheval ). La nymphe a recueilli un Ulysse naufragé, affamé, assoiffé : « Calypso le remet sur pied et tombe amoureuse —— folle ». Il restera sept ans dans l’antre confortable à s’ennuyer et dépérir. Elle ne sait que lui parler d’amour, et déplore le peu d’attention qu’il lui porte. Séphora Pondi apporte à ce personnage un peu statique toute la dérision que déploie le texte, musclé à la façon d’un rap : «  Calypso. — pourtant tout commence avec moi ton début c’est moi chant 1 vers 14 : Calypso le retenait dans son antre profond brûlant d’en faire son époux Calypso divine parmi les déesses le retient aux couloirs de sa grotte/ traductions masculines allusions virilement sexuelles/ aucune fille ne m’a encore traduite… ». Ulysse veut retrouver Pénélope à Ithaque et il déprime, prisonnier de cette figure féminine enveloppante (sens étymologique de Calypso)…

Pénélope l’énigmatique

Pénélope, chez Homère, n’apparaît que dans quelques lignes, seule son attente fidèle est brandie par les hommes. Ici, immobile et muette, assise sur un promontoire ( la tête du cheval de face), elle regarde Ulysse s’avancer vers elle, énonçant ses hauts faits, comptant les victoires et les victimes dont il porte le poids… Eric Génovèse joue ce héros fatigué et donne toutes ses nuances à l’écriture rythmée de l’autrice. A sa longue litanie, Pénélope réplique par le madrigal de Monteverdi : le Lamento de la Ninfa. La voix pure de la chanteuse et comédienne Marie Oppert dit mieux que les mots tout ce qu’elle a pu vivre et apprendre en vingt ans.

La mer toujours recommencée, personnage à part entière de l’Odyssée, figure ici sous forme de projections vidéo colorées, en fond de scène. Traits d’union entre les séquences, elles donnent à chacune sa tonalité : rouge comme le sang versé et l’incendie dans le premier tableau, bleu comme la grotte paisible mais aussi comme le blues d’Ulysse chez Calypso. Enfin, quand Ulysse parvient au rivage d’Ithaque, l’écran prend une teinte « vineuse », cette couleur incertaine et variable chantée par Homère… Les chants polyphoniques, religieux ou populaires allant du Xlllème au XXème siècle, portés par les jeunes interprètes du chœur Unikanti, font écho à la tragédie antique. Cette musique cosmopolite aux sonorités étranges en latin, grec, araméen, italien, vient ponctuer le passage d’une séquence à l’autre.

Tout converge à faire entendre une parole au féminin, contre le virilisme guerrier. Et, en filigrane, à travers une histoire d’autrefois, à évoquer les conflits qui ravagent aujourd’hui les côtes de Méditerranée. Une mer devenue le tombeau de tant d’Ulysse, comme le déplore Claudine Galea dans son beau poème dramatique Ça ne passe. Mais la mise en scène de Trois fois Ulysse reste un peu en deçà du texte et se contente d’un bel habillage sans que les comédiens parviennent à l’habiter autrement que par un jeu très extérieur. Le chœur, malgré sa qualité vocale et les subtils arrangements de Grégoire Letouvet, s’intègre mal à l’action et intervient comme l’oratorio d’un étrange rituel. Pourtant, à l’instar de sa Penthésilé,.e.s Amazonomachie, autre figure mythique revisitée par l’écrivaine Marie Dilasser, la démarche de Laetitia Guédon est audacieuse et vaut la découverte. La directrice des Plateaux sauvages et du Festival au féminin dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, s’appuie pour chacune de ses réalisations, sur des écritures fortes commandées à des autrices et auteurs.

Au final de Trois fois Ulysse, jusqu’au 8 mai à la Comédie Française, Laëtitia Guédon reprendra la mer à la rencontre de Nausicaa. Un spectacle musical composé par Grégoire Letouvet, sur un livret de Joséphine Serre. Suivons-là ! Mireille Davidovici, photos Christophe Raynaud de Lage

Trois fois Ulysse, texte Claudine Galea, mise en scène Laëtitia Guédon : Jusqu’au 08/05. Théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris (Tél. : 01.44.58.15.15).

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Brel, rêver à d’impossibles rêves…

 Le 8 avril 1929, naît à Schaerbeek (Belgique) Jacques Brel. Las, il est bien fini le temps où Bruxelles « bruxellait » quand les Marquises s’alanguissaient. Le 9 octobre 1978, l’ami de la Fanette s’en est allé vers d’autres vagues, la Mathilde ne reviendra plus. Demeurent la voix de l’interprète, les textes du poète, les films du comédien.

La nostalgie n’est point de mise aux Marquises. Lorsque, par manque de brise, là-bas le temps s’immobilise, ici-aussi en Artois comme en Picardie, de Knokke-Le-Zoute à Paris, la pendule, qui dit oui qui dit non, cesse de ronronner au salon. Au matin du 9 octobre 1978, Jacques Brel s’en est allé rejoindre Gauguin. Non Jef, ne pleure pas, tu n’es pas tout seul, il nous reste la mère François…

Le 16 mai 1967, l’artiste donne son ultime récital à Roubaix, un an plus tôt il a fait ses adieux au public parisien sur la scène mythique de l’Olympia. Un dernier concert, inoubliable pour les spectateurs d’alors. Une demi-heure d’applaudissements et de rappels pour qu’enfin le chanteur, les traits fatigués et le visage ruisselant de sueur, revienne saluer la foule : en robe de chambre, une première sur les planches d’un music-hall ! Demain, le Don Quichotte de l’inaccessible étoile et des impossibles rêves, à jamais orphelin de l’ami Jojo et de maître Pierre à la sortie de l’hôtel des Trois-Faisans, revêtira de nouveaux habits (acteur, réalisateur de films, metteur en scène de comédies musicales) avant d’embarquer vers un autre futur comme marin et pilote d’avion. « Il y a quinze ans que je chante. C’est marrant, personne n’a voulu que je débute et personne ne veut que je m’arrête », déclare Brel avec humour à ceux qui lui reprochent d’arrêter le tour de chant.

« Je ne veux pas passer ma vie à chanter sur une scène… Ne me demandez pas de bonnes raisons. Si je continue, je vais recevoir plus que je ne peux donner. Je ne veux pas, ce serait malhonnête… J’ai un côté aventurier, aventureux au moins. Je veux essayer d’autres choses… J’en ai pas marre du tout, j’en ai pas marre une seconde. Je veux avoir peur à des choses, je veux aimer des choses qui me sont encore inconnues, que je ne soupçonne même pas… Tout le monde est Don Quichotte ! Tout le monde a ce côté-là. Chacun a un certain nombre de rêves dont il s’occupe… Le triomphe du rêve sur la médiocrité quotidienne, c’est çà que j’aime. On ne réussit qu’une seule chose, on réussit ses rêves… La notion est de savoir si on a admirablement envie de faire admirablement une chose qui paraît admirable, c’est çà le RÊVE ».

Un florilège de bons mots glanés de-ci de-là, non pour présenter « l’homme de la Mancha » comme le nouveau philosophe de nos temps modernes mais pour marquer la force indélébile de ce qui fut peut-être l’aventure d’une vie : même trop, même mal, oser donner corps à ses rêves, tenter toujours d’atteindre l’inaccessible étoile ! Fils de bourgeois, Jacques Brel n’a jamais renié ses racines, il en a toujours assumé les contradictions, il n’est qu’un fait qu’il n’ait jamais pardonné à son milieu : le vol de son enfance, l’interdiction au droit de rêver ! « Jacques a vécu une enfance morose entre un père déjà âgé et une maman aimante mais malade, souvent alitée », nous confia Thérèse Brel, son épouse, lors de la grande exposition organisée à Bruxelles en 2003. « Dès l’âge de 17 ans, il avait cette envie de partir et de quitter l’entreprise familiale, dès cette époque il remuait beaucoup et rêvait d’aller voir ailleurs », poursuit celle que Brel surnommait tendrement Miche. Au cœur de Bruxelles, cette ville qui ne perd point la mémoire de son enfant turbulent, non loin de la « Grand Place » où passe le tram 33, Miche se souvenait encore du temps où son mari allait manger des frites chez Eugène.

« Contrairement à ce que l’on pense et à ce qu’il chante, Jacques a toujours considéré Bruxelles comme sa maison, il est demeuré fidèle à sa Belgique natale. Qu’il se moque des Flamandes ou de l’accent bruxellois, il n’égratigne que ceux qu’il aime vraiment », assure Miche. « Paris ne fut pour lui qu’un point de passage obligé pour débuter une carrière. Comme il l’affirme lui-même, il espérait seulement pouvoir vivre de la chanson, il n’attendait pas un tel succès. Ses références chansonnières ? Félix Leclerc et Georges Brassens ». La demoiselle qui connut Jacques, scout à la Franche Cordée, la compagne de toujours qui sait ce que le mot tendresse veut dire, la collaboratrice, éditrice et conseillère jusqu’à la fin, le reconnaît sans fard : l’enfance fut le grand moment de la vie de Brel. Celui de l’imaginaire en éveil dans un univers calfeutré, celui des combats sans fin entre cow-boys et indiens comme au temps du Far West

Plus de quarante ans après sa mort, Jacques Brel garde une incroyable audience auprès du public. Nombreux sont les interprètes qui revisitent son répertoire, même les jeunes auteurs apprécient son écriture. Des textes qui n’ont pas vieilli, d’une poésie hors du temps et d’une puissance évocatrice rarement égalée. Sur des airs de flonflon et de bal musette, « Allez-y donc tous » voir Vesoul ou les remparts de Varsovie, mais pas que… Surtout, comme on déambule dans les ruelles d’une vieille ville, osez vous égarer dans les méandres d’une œuvre chansonnière aux multiples facettes. Pour découvrir avec émotion et ravissement que le temps passé, qui jamais ne nous quitte, fait de l’œil au temps présent pour mieux l’apprécier et le comprendre, le chanter. Yonnel Liégeois

L’actualité Brel

À voir : « Brel, ne nous quitte pas – 40 ans déjà », un film composé des deux concerts légendaires, « Brel à Knokke » et « Les adieux à l’Olympia », image et son restaurés pour le cinéma.

À lire : Chronique d’une vie-Jacky de France Brel, Jacques Brel, une vie d’Olivier Todd, Le voyage au bout de la vie de Fred Hidalgo, Brel, la valse à mille rêves d’Eddy Przybylsi, On ne vit qu’une heure de David Dufresne.

À écouter : Le 19/04 à 20h30, la médiathèque de Martizay (36) organise une conférence sur Jacques Brel. Jalonné d’extraits de chansons, l’exposé de Philippe Gitton, contributeur aux Chantiers de culture, fera revivre le parcours de cet artiste exceptionnel.

À découvrir : la Fondation internationale Jacques Brel à Bruxelles, dirigée par sa fille France.

À offrir ou à s’offrir : l’intégrale Jacques Brel.

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Zazie, l’effrontée du métro

Du Havre (76) à Liège (Belgique), puis d’Antibes (06) à Fribourg (Suisse), Zabou Breitman redonne du peps à Zazie dans le métro. Une mise en scène, façon comédie musicale, de l’œuvre truculente et drôle de Raymond Queneau, parue en 1959 chez Gallimard.

Pas de chance. Elle se faisait une fête de prendre le métro, pour une fois qu’elle venait à Paris. Mais « y a grève », explique son tonton Gabriel. « Ah les salauds, ah les vaches, me faire ça à moi », réplique la jeune demoiselle aux longues nattes, dépitée. Elle n’a pas la langue dans sa poche, cette donzelle délurée comme pas un. Et c’est ainsi que débute Zazie dans le métro, œuvre sensible, drôle et malicieuse que Raymond Queneau publia en 1959 chez Gallimard. Ce roman très dialogué qui associe sous ses aspects fantasques quelques belles matières à penser sur le genre, les bonnes manières, la domination des mâles, et en même temps les évolutions de la société, est certes un peu daté. D’ailleurs, on ne côtoie plus guère aujourd’hui – et c’est dommage – cet écrivain, poète et dramaturge.

Zazie dans le métro fut son premier succès populaire. Sorti en 1960 avec entre autres Philippe Noiret, le film de Louis Malle y contribua incontestablement. Cette fois, c’est Zabou Breitman qui s’y attelle. La metteure en scène a non seulement adapté le texte, mais elle l’a porté sur le plateau d’une comédie musicale. L’idée est excellente, il faut le souligner : Zazie redevient moderne, pleine de vie et de joie de vivre. Du haut de ses 10 ou 12 ans, la gamine rencontre le petit monde d’un Paris qui marie poésie et quotidien des hommes et des femmes qui peuplent avec modestie la ville magique. Et elle n’a rien perdu de la verdeur de son langage.

Grossière, jamais vulgaire

Pour autant, « elle peut être grossière, jamais elle n’est vulgaire », souligne Zabou Breitman, à qui l’on doit aussi l’écriture des chansons, lesquelles sont bien façonnées, dans le jus des années soixante, ce qui rend l’ensemble limpide et permet de suivre le déroulé et les méandres de l’intrigue. Reinhardt Wagner a composé des musiques souvent jazzy, douces aux oreilles actuelles tout en conservant un parfum des chansons réalistes d’alors. Autrement dit, cette belle adaptation n’a pas un seul moment imaginé s’arrimer à quelques musiques actuelles. C’est tant mieux. Cette Zazie, découverte le soir de sa première à la maison de la culture d’Amiens, a conquis haut la main son public de plusieurs centaines de personnes, de tous les âges et tous les sexes.

Sur la scène, à demi dissimulés et encadrant un décor mobile représentant le plus souvent des quartiers de la capitale, voilà les musiciens Fred Fall, Ghislain Hervet, Ambre Tamagna, Maritsa Ney, Scott Taylor et Nicholas Thomas, qui méritent d’être salués. Tout autant que les comédiens chanteurs, Franck Vincent (Tonton Gabriel), Gilles Vajou, Fabrice Pillet
, Jean Fürst, Delphine Gardin, Catherine Arondel, sans oublier Zazie, autrement dit Alexandra Datman. Cette dernière ne manquera pas de répliquer, si l’on fait un peu trop de bruit : « Alors quoi, merde, on peut plus dormir ? » Surtout, elle cherchera à comprendre les histoires et autres aventures que vivent les grandes personnes. Mais attention, si chez Queneau on se marre, il faut toujours regarder ce qui se cache derrière les mots.

Histoires de grandes personnes

La pièce démarre sur l’odeur que véhiculent les voyageurs dès le matin dans les gares parisiennes, mais il est rappelé, en lever de rideau, que « dans le journal, on dit qu’il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bains, en 1959 ». La critique sociale est claire. Par chance, Tonton se parfume avec « Barbouze de chez Fior », c’est, dit-il, « un parfum d’homme ». Son pote Charles fait le taxi, un boulot de mec, tout comme le sien d’ailleurs, Tonton se dit veilleur de nuit. D’ailleurs, il quitte le domicile et sa Marceline d’épouse tous les soirs pour aller au chagrin. Mais Marceline, qui n’est autre, finalement, que Marcel, n’ignore rien de son véritable turbin. Tonton Gabriel danse dans un cabaret travesti. Alors Zazie insiste : « Tonton Gabriel, tu m’as pas encore espliqué si tu étais un hormosessuel ou pas. Réponds donc. » Ceci dit dans la plus normale des normalités.

Et pour l’époque, ce n’est pas rien. Plus de soixante ans après, les droits des personnes LGBTQIA +, comme l’on ne disait pas à l’époque de Raymond Queneau, subissent toujours en France et plus rudement encore dans certaines parties du monde une violence qui s’affiche publiquement. Finalement, la gamine repartira avec sa « manman » par « le train de six heures soixante ». Après avoir remis quelques pendules à l’heure. Ça fait du bien. Gérald Rossi

Zazie dans le métro, Zabou Breitman : les 3 et 4/04 au Havre, du 10 au 13/04 à Liège (Belgique), du 16 au 18/04 à Antibes. Ensuite Fribourg (Suisse), Anglet, La Rochelle, Villeurbanne… L’ouvrage est disponible chez Folio-Gallimard.

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Krach, l’effondrement de la société

Jusqu’au 31/03, au Théâtre Mouffetard (75), Emma Utges et sa compagnie de marionnettes proposent Krach !. Pour dénoncer, sur un texte de Simon Grangeat, les dégâts humains produits par la crise économique.

Ambiance bouts de ficelles. Tout commence par des chansons qui s’échappent d’un électrophone. Sur un coin de la scène, cette machine qui fonctionne avec des disques vinyles 45 tours donne le ton. Un peu plus loin, un escabeau et quelques planches, puis des sacs en papier brun émergent de la pénombre et complètent ce décor bancal. Et voulu ainsi. « Krach !, c’est le bruit que fait une crise économique, mais aussi celle que fait une société qui s’effondre », explique la compagnie M.A. crée en 2010 par la marionnettiste Emma Utges. Depuis 2017, conventionnée par la ville de Lyon, M.A. dirige le fameux Théâtre Guignol. Né là en 1808, et particulièrement destiné aux adultes, ce dernier n’a jamais été avare d’une critique souvent virulente de la société. Le spectacle présenté actuellement au Mouffetard, Centre national de la marionnette, s’inscrit dans cette veine.

Dans cet univers fait de petits riens, Emma Utges est accompagnée par le comédien Christophe Mirabel, et le musicien Patrick Guillot à l’accordéon et aux bruitages. La mise en scène est de Nicolas Ramond. Dans une suite de saynètes souvent très drôles, des marionnettes de mousse et de chiffon symbolisent tous les personnages évoqués en une petite heure. Défilent ainsi, façon de dire, « des personnes qui n’ont commis aucun délit mais enfermées parce qu’étrangères » ou encore les hommes et femmes qui sont morts au travail sur un chantier ou ailleurs. Voilà encore les étudiants sans logement priés de cesser d’étudier…

Du jus de pauvre

De la sorte, Krach ! dénonce « notre monde (qui) marche sur la tête ». « La parodie dégage les rouages d’une machine à broyer les plus vulnérables, le rire grinçant sert d’aiguillon contre l’acceptation du pire et le sentiment de fatalité », commentent Emma Utges et ses complices. Regrettant même un manque d’engagement contre « les dérives du capitalisme ». Et pour se faire bien entendre, les personnages confectionnent en direct du « jus de pauvre » mélangeant dans un robot de cuisine divers « ingrédients » humains (en réalité, fruits et légumes) à boire pour prendre des forces. Vive Guignol ! Gérald Rossi

Krach !, Emma Utges et Nicolas Ramond : Jusqu’au 31/03, les jeudi et vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 17h. Théâtre Mouffetard, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris (Tél. : 01.84.79.44.44). Le 04/05, à Bridas (près de Lyon).

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Les Funambules, la voix aux femmes

Plafond de verre, charge mentale, violences physiques et sociales, filles-mères… Le collectif Les Funambules, avec son double album Elles et un spectacle prévu à la Gaîté- Montparnasse (75), fait retentir la voix des femmes. Tendre, drôle autant que grave.

L’aventure des Funambules démarre en 2013 au moment des Manif pour tous contre la loi sur le mariage homosexuel. Choqué par cette déferlante pleine d’intolérance voire de haine, Stéphane Corbin, auteur-compositeur-interprète, décide de réagir. « Réunir plein d’artistes pour composer un documentaire en chansons sur l’homosexualité. Celles qui existaient, telle Comme ils disent d’Aznavour, étaient datées », explique-t-il. L’idée ? Raconter l’homosexualité ordinaire à travers différents portraits. « Je me disais que plus on allait raconter ces histoires, moins ça ferait peur. » Un collectif rassemblant quelques 200 artistes – paroliers, chanteurs, musiciens des deux sexes – se met en place. S’ensuivent un album Chansons d’amour(s) et plus d’une centaine de concerts donnés d’Avignon à Montréal, dont les recettes sont versées au Refuge et à SOS Homophobie.

« Ils ont hurlé que non, c’est impossible que toi et eux, moi et nous, ce soit la même chose, le même amour. (…) Et vos cœurs amoureux et mon cœur malheureux qui battent la chamade de colère et de peur et d’amour à l’unisson ». La chanson Je vous ai vus, finement interprétée par Pierre Richard, a été écrite par Valérie Peronnet. L’écrivaine a tout de suite participé au projet. « On pouvait enfin agir, faire courir des chansons pour faire bouger les lignes. En amenant leurs parents aux concerts, des gamins ont pu faire leur coming out ».

Le quotidien des copines
Après une quarantaine de chansons pour faire reculer l’homophobie, Stéphane Corbin se demande comment continuer Les Funambules. « J’ai toujours été entouré de copines qui, à un moment ou à un autre, évoquaient les discriminations dont elles étaient victimes. J’ai eu envie de lancer un deuxième projet sur les femmes. A ce moment-là, Me Too a commencé à se déployer », raconte Stéphane. « Finalement, il a réalisé que la problématique des femmes rejoignait celle des homosexuels. Toutes et tous subissent les violences et les a priori », ajoute Valérie Peronnet. Comme pour le premier opus, les artistes, cette fois, en majorité des femmes, ont répondu présents dont certains de renom comme Jil Caplan, Marie-Paule Belle ou Enzo-Enzo.

Le collectif s’est encore étoffé rassemblant des centaines de membres qui ont mis la main à la pâte pour le tournage des clips, les séances photos, l’écriture des chansons, la musique et évidemment le chant. Valérie a ainsi écrit des textes et fait la tambouille sur les tournages. « C’est un vrai collectif qui rassemble tous les sexes, tous les âges, toutes les couleurs. Des citoyens et des citoyennes qui veulent que le monde ressemble à ça. C’est joyeux, c’est humain, c’est tout ce que j’aime. » Durant deux ans, malgré l’épidémie de covid qui a ralenti les ardeurs, l’équipe a enregistré l’album « Elles ». Un premier disque de 16 titres est sorti en janvier 2022 et un second, enrichi de 19 titres, en octobre 2023. Il a donné lieu à un spectacle rassemblant cinq chanteuses, danseuses, musiciennes et Stéphane Corbin, au piano. Donné à l’Européen et à l’Alhambra, il y a deux ans, il est repris ces jours-ci au théâtre de la Gaîté Montparnasse. Les recettes sont cette fois versées au Planning Familial.

Un chœur féministe
Finie la loi du silence, finis les bleus et les coups, finis les poings qui tapent contre les cordes, tambours des hommes fous, finis les regards de haut, finis les mots qui nous couchent…(…) Entends-tu ? Entends-tu ? On a une voix ! Les morceaux disent les violences conjugales, les abus sexuels, mais aussi les préjugés, les tâches ménagères peu partagées, les salaires différents, les maternités ou pas… « C’est un sujet sans fin », dixit Stéphane qui orchestre le tout, en même temps qu’il écrit des textes et compose les musiques. Qui est-ce qui dynamise les plus grandes entreprises ? Qui est fer de lance du profit, de la croissance ? C’est nous ! (Femina Index/Pierre Corbin). Parmi les paroliers, on trouve évidemment Stéphane Corbin mais aussi son père Pierre, professeur de linguistique ou son frère François. Et plein d’autres : Eva Darlan, Luciole, Noémie de Lattre… Les plumes s’entrecroisent pour raconter la transidentité (Je t’ai toujours aimé/Valérie Peronnet), le féminicide (J’ai aimé un homme/Patrick Loiseau), l’injonction de l’épilation (L’esthéticienne/Alice Faure), les joies de la vieillesse (Vieille/Valérie Zaccomer) ou l’attention des hommes (Elles/François Corbin).

Humour, gravité et douceur sont tour à tour convoqués pour composer un magnifique hymne aux femmes. Sans oublier les pionnières, comme dans la chanson In honorem : Sans elles, le plafond de verre serait au niveau de la mer. (…) Leur a-t-on rendu hommage ? Les Funambules, assurément ! Amélie Meffre

À écouter : le double album « Elles » de 35 titres, disponible sur https://bfan.link/elles-1

À voir les 7/03, 4/04, 16/05 et 20/06 : le spectacle acoustique des Elles. Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, 26 rue de la Gaîté, 75014 Paris (Tél. : 01.43.20.60.56).

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Clara Ysé, l’univers d’une voix

Le 02/03 à Blois et le lendemain à Cognac, Clara Ysé entame en 2024 un long tour de France. Diplômée en philosophie, chanteuse et musicienne depuis l’enfance, elle a sorti Oceano Nox, son premier album d’une grande audace. Une voix à découvrir, un CD à offrir.

« Toi qui crois que je suis douce (…) / Si tu savais la haine qui coule dans mes veines, tu aurais peur / Si tu savais la chienne que je cache à l’intérieur… ». C’est en écoutant la radio, un matin, que la voix magnifique de Clara Ysé nous a mis aux aguets. Dès le premier couplet de Douce, on a cherché à en savoir plus sur cette chanteuse aux airs de Barbara. Elle s’avère être autrice-compositrice, écrivaine (Mise à feu, disponible en édition de poche). En septembre, elle a sorti un premier album de onze titres, Oceano Nox, dont le titre est tiré d’un poème de Virgile (« et ruit Oceano Nox » / « et la nuit s’élance de l’océan »). Il nous embarque dans un univers singulier où se mêlent douceur et gravité comme dans Le monde s’est dédoublé : « Ce matin, il est arrivé une chose bien étrange (…) / Je n’apercevais plus les choses comme des choses réelles (…) / Regarde derrière les nuages, il y a toujours un ciel bleu azur qui luit, vient toujours en ami, te rappeler tout bas que la joie est toujours à deux pas / Il m’a dit prends patience… ».

Ses paroles, pleines de force poétique, sont portées par des envolées vocales et musicales rares. « J’ai voulu mêler des instruments anciens que sont les voix, les cuivres, les cordes, à des instruments plus modernes, des synthés, des rythmiques électroniques », explique l’artiste. Et c’est sacrément grisant. À l’écoute des onze titres, envoûtants, on se surprend à les fredonner tels Pyromanes, Cœurs indomptés ou encore Souveraines. Comme pour conjurer un brin la grisaille ambiante : « Vous êtes souveraines, femmes qui côtoyez la haine (…) / Que les voix s’élèvent, qu’on prenne les arènes / Et que dans la nuit s’élève le chant des sirènes »…

La belle Clara Ysé démarre une tournée dans toute la France et ça promet : son tour de piste à la Cigale à Paris, prévu fin mars, est déjà complet tandis que l’Olympia est annoncé pour novembre 2024. Avant, elle sera en concert à Annecy, Blois, Carmaux, Cholet, Dijon, Lyon, Marseille, Rennes… Réservez une date près de chez vous, sans tarder. Une voix à découvrir, un CD à offrir ! Amélie Meffre

Oceano Nox, de Clara Ysé : onze titres, un CD paru chez Tôt ou tard. Tournée : toutes les dates sont à retrouver sur son site.

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McCoy, des chevaux et des hommes

Les 15 et 16/02, au Théâtre de Caen (14) se joue On achève bien les chevaux. Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra du Rhin, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, de la Compagnie des Petits Champs, mettent en selle le roman d’Horace McCoy pour 32 danseurs et 8 comédiens. Impressionnante cavalcade

Il est étonnant que, jusqu’à présent, aucun chorégraphe n’ait porté au plateau ce roman noir, publié en 1935 et redécouvert grâce au film de Sidney Pollack, They Shoot Horses Don’t They ?,  en1970. Sujet idéal pour mêler, comme chez Pina Bausch, théâtre et ballet, il met en scène un de ces marathons de danse organisés à travers les Etats-Unis, au temps de la Grande Dépression. Suite la crise financière de 1929, et son cortège de chômage et de misère, ces concours qui pouvaient durer des semaines, voire des mois, permettaient aux participants de gagner quelques dollars ou, du moins, d’obtenir des repas gratuits tant qu’ils tenaient le coup au rythme infernal imposé à ce « bétail humain ». Horace McCoy (1897-1955) situe On achève bien les chevaux en Californie, et y parle des figurants prêts à tout, dans l’espoir d’être remarqués et de décrocher un contrat auprès d’éventuels producteurs de cinéma présents dans le public. L’écrivain et scénariste, écorne ici le rêve américain, exacerbé par le mirage de Hollywood.

Pour cette création très attendue, le trio de réalisateurs est parti du seul roman. « Nous avons d’abord déterminé des plans-séquences, puis inséré les dialogues. Peu de texte, la danse est privilégiée et le rôle principal, c’est le groupe ». 40 interprètes déboulent sur le plateau de l’amphithéâtre, aménagé comme un gymnase. Un peu perdus, houspillés par Socks, directeur et animateur du show, et Rocky son adjoint, ils cherchent un coin où se poser, avec leurs maigres bagages. Le temps d’entendre le règlement et les voilà partis pour danser jusqu’à perdre haleine. De cette petite foule, émergent des individus dont les destins croisés seront le fil conducteur de la pièce. Au milieu des couples, Robert et Gloria, venus seuls, s’apparient par nécessité, dans le même désir de sortir du lot. Leur histoire tragique dessine la trame principale de la pièce.

Danseurs et comédiens se fondent dans le même mouvement narratif, difficile de distinguer qui appartient au Ballet de l’Opéra du Rhin et qui à la compagnie des PetitChamps. Ils se glissent dans la peau des différents personnages, se distinguant les uns des autres par leurs gestuelles et leurs costumes. Les pauses, trop courtes, sont l’occasion de brefs échanges. Une danseuse tente un solo classique… Au fil des styles de danse, des derbys éliminatoires, d’une fête de mariage, de moments d’abattement ou de révolte, la fatigue s’inscrit dans les corps… Certains abandonnent, d’autres s’effondrent. Sous les yeux d’un public à la fois voyeur et complice, attisé par Socks, Daniel San Pedro en inépuisable bateleur à la solde de ce show de bas étage.

Quatre musiciens donnent le tempo : rock, blues, swing… Leur entrain contraste avec l’épuisement des danseurs. Ils citent et détournent avec talent des tubes intemporels. On reconnaît des airs du film Le Magicien d’Oz ou la chanson de Louis Armstrong What a Wonderful World… Marquant le pas, eux aussi, ils sont parfois relayés par des musiques enregistrées… Le petit orchestre reste présent tout au long du ballet, découpé en séquences ponctuées par les ambiances urbaines de la bande son avec le passage d’un métro. Des annonces égrènent le temps qui s’écoule, 63 jours et 1 500 heures de danse, puis le marathon est interdit, suite à une plainte de la Ligue des Mères pour le Relèvement de la Moralité Publique. En 1937, c’est le suicide d’une danseuse, à Seattle, qui mit fin à ces spectacles dignes des jeux du cirque romain.

Dans le cadre enchanteur de Châteauvallon, le 6 juillet 2023, la première mondiale avait subi les aléas du plein air. Les artistes ont courageusement fait face à une pluie torrentielle qui a inondé le plateau. Comme dans On achève bien les chevaux, « the show must go on », ils se sont remis en piste après vingt minutes d’interruption, encouragés par un public resté stoïque sous l’orage. Difficile dans ces conditions de reprendre la course. Mais ce galop d’essai fut plus que prometteur. Le chorégraphe et les metteurs en scène voient dans leur projet des résonnances avec nos crises contemporaines, « avec de lourdes conséquences pour les artistes indépendants ». Le spectacle rend aussi hommage à l’engagement physique des danseurs en remettant la fatigue au cœur même de leur pratique. Mireille Davidovici, photos Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux, d’après They Shoot Horses, Don’t They? d’Horace McCoy. Adaptation, mise en scène et chorégraphie de Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro : Les 15 et 16/02, au Théâtre de Caen. Du 07 au 10/03, à La Filature de Mulhouse. Du 02 au 07/04, à l’Opéra de Strasbourg. Les 11 et 12/04, à la Maison de la culture d’Amiens.

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Tout-Moun, en voyage avec Glissant

Le 16/02 à Voiron (38) et le 12/03 à Mulhouse (68), Héla Fattoumi et Éric Lamoureux présentent Tout-Moun. Fruit de leur réflexion sur la pensée d’Édouard Glissant, une œuvre où la beauté du geste, l’enivrement de la musique jazz et la présence lumineuse de dix danseurs touchent avec justesse l’âme et le cœur. Un article d’Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, créateur du site L’oeil d’Olivier.

Sur la côte basque en ce mois de septembre, il pleut des cordes, le ciel est gris. Devant le parvis trempé du théâtre Michel-Portal de Bayonne, salle principale de la Scène nationale du Sud-Aquitain, l’heure est à la découverte. Héla Fattoumi et Éric Lamoureux vont dévoiler le fruit de leur réflexion sur tout un pan de la pensée du philosophe, romancier et poète martiniquais Édouard Glissant. S’intéressant tout particulièrement à son travail sur le concept d’antillanité, sur la notion de créolisation et sur sa manière métaphysique d’imaginer des relations nouvelles entre les hommes, les cultures et les langages dans un monde en quête de son mouvement, le duo à la tête de Viadanse, le CCN de Bourgogne-Franche-Comté à Belfort, esquisse une œuvre éminemment intelligente, Tout-Moun, où la beauté du geste, l’enivrement de la musique jazz jouée en direct et la présence lumineuse des dix danseurs touchent avec justesse à l’âme et au cœur.

La Martinique en filigrane 

Le plateau est nu. Juste quelques pendrillons de tulles grises transparentes, entourés sur eux-mêmes, rappellent les lianes que l’on peut observer en se baladant dans les forêts antillaises. Dans la pénombre, une ombre s’installe sur le devant de la scène. Elle semble comme portée par le son du saxophone qui égrène avec une douce et puissante mélancolie des notes très swings, très spleens. Les arabesques sont précises, virevoltantes. Puis elle est rejointe par d’autres spectres. Certains s’attardent sur les planches, d’autres disparaissent aussitôt en coulisses. Mouvements de vague ciselés par les lumières du très doué Jimmy Boury, gestuelles souples, rarement tranchantes, les artistes s’emparent de l’espace, le font vibrer chacun à son rythme. Jouant des individualités autant que de leur universalité, l’ensemble esquisse une communion disparate, composite, mais liée par des racines communes, la conscience d’être au-delà de leur origine simplement des humains. 

Puisant dans l’histoire de la Martinique, dans sa richesse culturelle ainsi que dans les écrits d’Édouard Glissant, les deux chorégraphes signent une fresque monde, un récit pluriel de l’être au-delà de son identité. En étroite collaboration avec leurs danseurs et danseuses, dont la majorité faisait déjà partie de leur pièce précédente Akzak, ils malaxent leur grammaire et construisent une ligne chorégraphique riche de tous leurs talents conjugués. Bras jetés en l’air, jambes tendues, mouvement tournoyant dessinent peu à peu les contours de l’île natale d’Édouard Glissant, ainsi que ses mots et sa voix si singuliers, distillés tout au long du spectacle.

La musique au cœur des gestes

Fiévreuses, exaltées, les notes imaginées par le compositeur et saxophoniste de jazz Raphaël Imbert entrent en résonnance parfaite avec les corps des interprètes. Installé côté jardin, l’artiste s’invite au plateau, tourne autour des danseurs et virevolte avec eux. L’image est belle, puissante, évocatrice d’une communauté, d’une union des arts, des êtres. Toujours en délicatesse, l’ensemble fait sens et transforme gestes et musique en un tout qui dit le monde, non celui d’aujourd’hui où les frontières deviennent de plus en plus hermétiques, les mentalités se refermant sur elles-mêmes, mais bien celui d’une utopie, un rêve où les imaginaires se brassent, les identités et les cultures se métissent. 

Croire en l’absolue possibilité d’une hybridation du monde, des peuples, des idées, fait le terreau de Tout-Moun, en alimente le propos, en ébauche une danse tout en délié, rupture et harmonie. Jouant des contraires autant que des similarités, l’œuvre d’Héla Fattoumi et d’Éric Lamoureux s’étoffe au contact de la figure tutélaire d’Édouard Glissant. Portée par la force impromptue du jazz, elle se libère et s’ancre dans une nouvelle génération d’artistes qui, au fil des créations, s’affine et se densifie. Un bien beau moment dans ce monde brutal et gris !                       Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, photos Laurent Philippe

Tout-Moun, mise en scène Héla Fattoumi et Éric Lamoureux : Le vendredi 16/02 à 20h, au Grand Angle de Voiron (38). Le mardi 12/03 à 20h, à la Filature de Mulhouse (68).

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Novarina, maître-chanteur du verbe !

Du 23 au 27/01, au TNP de Villeurbanne (69), Valère Novarina propose Les personnages de la pensée. Entre épique et poétique, humour et non-sens, une plongée hallucinante dans l’univers des mots ! Trois heures d’un spectacle débridé, déjanté, en dérapage incontrôlé où le langage se révèle rebelle indompté.

Sur la grande scène du Théâtre National Populaire, il faut s’attendre à tout et son contraire : de la plus haute fulgurance poétique au réalisme le plus trash, de la beauté majestueuse d’une fantasque déclamation à l’apparition mortifère d’une fontaine rouge sang ! Si Les personnages de la pensée sont radicalement divers et multiformes, ils se réduisent en fait en un seul mot qui se décline à foison : le verbe, le langage, l’alphabet de A à Z… Et ce n’est pas la bande à Novarina qui nous contredira, comédiens et musiciens attitrés au banquet du dire que l’écrivain-metteur en scène-peintre organise à intervalles réguliers : Valentine Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel Le Lièvre, Sylvain Levitte, Mathias Lévy, Liza Alegria Ndikita, Christian Paccoud, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci.

De grandes peintures multicolores sur papier pour seul décor, manipulées à vue et de temps à autre transpercées par les interprètes qui s’avancent, en solo-en duo-en chœur, pour déclamer la vérité du jour premier : la supériorité de l’homme sur la bête, la maîtrise du langage ! Une vérité à haut risque, lorsque l’humain devenu animal use de mots qui ont perdu tout sens, lorsque le parler s’avilit au communiquer : poncifs et raccourcis pour formater les esprits, prolifération de lieux communs pour abolir l’esprit critique, suppression des voyelles pour trancher le débat entre masculin et féminin au bénéfice réducteur du u, « et tu veru que nu purviendru purfutement u nu cuprendre »… Le non-sens côtoie l’humour, la réflexion savante l’interpellation la plus banale, la plus belle déclaration poétique la séquence la plus triviale ! Avec Novarina, le verbe déraille, dérape, s’exclame, vocifère et s’attendrit, doux ou fort, tendre ou plaintif. Une langue déchaînée et débridée, trois heures en dérapage incontrôlé, sans temps mort, au risque d’essouffler le spectateur qui n’en dit mot et perd pied, repères et vocabulaire !

Un hymne à la parole échangée, un opéra-bouffe de mots inventés et de dialogues désarticulés, proférés ou chantés sur tous les modes par des comédiens survitaminés, décomplexés et dopés à la luxuriance d’un texte qui chamboule tout, balancé du haut d’un escabeau ou au bout d’un balai-serpillière, entre une mobylette d’un âge avancé et la statue d’un chien à la mine patibulaire. Tel un cheval fou dans un jeu de quilles, un « meeting » déjanté et nouveau genre qui fait la part belle à notre imaginaire, se moque du politiquement correct, plaide pour une parole désencagée, invite à la désobéissance poétique ! Un spectacle jubilatoire, à ne vraiment pas manquer. Yonnel Liégeois

Les personnages de la pensée, texte et mise en scène de Valère Novarina : Du 23 au 27/01/24, du mardi au samedi à 19h, au TNP de Villeurbanne. Le 30/01/24 à la Maison des arts du Léman, Thonon-Évian-Publier. Le texte est paru aux éditions P.O.L. (288 p., 18€).

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Carmen, un point c’est tout

Les 16 et 17/11, à l’Espace 1789 de Saint-Ouen (93), François Gremaud propose Carmen. L’opéra de Bizet revisité, avec un point final qui en fait toute la subtilité ! Accompagnée par cinq musiciennes virtuoses, la cantatrice et comédienne Rosemary Standley chante et conte, avec force humour et talent, les amours tumultueuses de la célèbre gitane.

D’abord, il y eut Phèdre !, avec un point d’exclamation. Ensuite, Giselle…, avec trois points de suspension. Désormais, il nous faut entendre Carmen., avec un point c’est tout. Un point au final, c’est presque rien certes, mais ce n’est pas rien et c’est même déjà beaucoup pour François Gremaud, le petit Suisse égaré en territoire hexagonal ! Trois héroïnes au destin funeste, entre théâtre-ballet-opéra, trois chefs-d’œuvre chacun en leur genre revisités pour la bonne cause : rendre proches et vivants ces classiques du répertoire pour les néophytes, en proposer un regard neuf et décalé pour les amateurs éclairés… La bande à Gremaud excelle en la matière !

Après Phèdre ! superbement incarnée par le fantasque Romain Daroles, il y eut donc Giselle (aux trois points de suspension…), interprétée par Samantha van Wissen : non pas le fameux ballet écrit par Théophile Gautier, mais la pièce à l’humour acidulé de l’inénarrable helvète ! Accompagnée de quatre jeunes musiciens virtuoses (violon, harpe, flûte et saxophone), la danseuse et comédienne nous contait avec humour et grâce la genèse de ce fameux ballet créé en 1841, sommet de l’art romantique. Une performance de haute volée pour celle qui devait danser et parler sans jamais perdre le souffle, endosser tous les personnages de l’œuvre, dialoguer avec la musique et le public entre entrelacs et entrechats…

Aux quatre instruments précédemment cités, s’ajoutent désormais la plainte et la tonicité du populaire accordéon pour cette Carmen. nouvelle génération sous les traits de Rosemary Standley, une superbe et détonante incarnation ! Pantalon bouffant, elle prête sa voix avec le même aplomb à son brigadier don José transi d’amour comme au toréador don Escamillo. Nous contant les prémices tumultueux à la création de l’opéra, jugé scandaleux pour l’époque, interprétant avec maestria les airs aujourd’hui mondialement connus… « De la même manière que pour Phèdre !, j’ai souhaité faire entendre l’alexandrin, je veux faire entendre le verbe de Carmen », confie François Gremaud, « Rosemary travaille respectueusement la partition originale, pour ensuite retrouver la liberté absolue ».

Revue et corrigée par François Gremaud pour le livret, Luca Antignani pour la musique, femme libre et libérée, la gitane et cigarière de Bizet impose sa puissance de caractère et de vie, bravant jusqu’à la mort ces hommes qui tentent de l’emprisonner dans leur jalousie maladive. Nous voilà de retour au premier jour de la création sur le plateau de l’Opéra-Comique en 1875, Séville sur scène et Alphonse Daudet dans la salle : entre humour et tragédie, bel canto et féminicide, une Carmen. à subjuguer vraiment le public, point final ! Yonnel Liégeois

Carmen., de François Gremaud avec Rosemary Standley : les 16 et 17/11 à l’Espace 1789 / Scène conventionnée danse de Saint-Ouen (93). Le 24/11, au TNB de Rennes (35). Le 28/11, au Théâtre de Grasse (06). Le 29/11, au Théâtre d’Arles (13). Le 30/11, à La Garance, scène nationale de Cavaillon (84). Du 19 au 23/12, au Théâtre des Célestins, à Lyon (69).

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Quatre chiens, francs du collier

Jusqu’au 05/11, au théâtre de L’épée de bois (75), Hervé Petit propose La paix perpétuelle. Une pièce de l’espagnol Juan Mayorga, une fable avec du mordant : quatre chiens en compétition ! Sans oublier Le cabaret d’Eva LunaUne chanson pour le Chili, un spectacle en deux volets de Michel Batz au théâtre El Duende (94).

Hervé Petit (Cie La Traverse) met en scène la Paix perpétuelle, la pièce du dramaturge espagnol Juan Mayorga, né en 1965 à Madrid. C’est une fable anthropomorphe avec du mordant. Trois chiens, Odin, John-John, Emmanuel, sont en compétition pour l’obtention du collier blanc, pour l’heure en possession de Cassius (Hervé Petit), vieux clebs couturé de cicatrices, qui leur fait subir un examen. L’enjeu : intégrer une prestigieuse unité antiterroriste. À point nommé, un humain masqué (Ariane Elmerich) tient en laisse les postulants l’un après l’autre. On découvre vite l’idiosyncrasie de chacun. Odin (Nicolas Thinot), rottweiler grande gueule, vrai chien de guerre, est doté d’un flair infaillible. John-John (David Decraene), croisé entre plusieurs races, rompu à l’attaque, s’avère un peu fêlé, d’autant plus qu’Emmanuel (même prénom que Kant), berger allemand féru de philosophie (Raphaël Mondon), lui balance dans les pattes le pari de Pascal…

Le texte, d’humour féroce, en dialogues vifs, vachards, humains trop humains, constitue un modèle de parabole cynique sur l’actualité brûlante d’un monde plus que jamais carnassier, que ne pourrait décidément amender le discours final de l’humain sur la démocratie et la « paix perpétuelle » d’après Kant, équivalant, à tout prendre, à « si tous les gars du monde voulaient se donner la main ». Par surcroît, ce conte cruel, si actuel, où les acteurs se donnent avec talent un mal de iench (c’est du verlan) à base de pancrace, se voit mis en scène de main de maître. En fait de chiennerie monstre, le parangon n’est-il pas le putsch de 1973 au Chili orchestré par Pinochet, général félon ?

Cinquante ans après, le metteur en scène écossais Michael Batz (Cie MB, théâtre international) présente, en deux volets, le Cabaret d’Eva Luna – une chanson pour le Chili, à partir de textes d’Isabel Allende, de poèmes de Pablo Neruda et de chansons de Victor Jara, le musicien assassiné. Pour cette large évocation du dol atroce subi par un peuple, ils sont sept comédiens-musiciens-chanteurs (Natture Hill, Silvia Massegur, Léo Mélo, Nathalie Milon, Nadine Seran, Maiko Vuillod, Juan Arias Obregon) plus Batz lui-même dans le rôle de Neruda (Venez voir le sang dans les rues…) afin de commémorer, à cœur touchant, cet événement historique à ne pas oublier. Jean-Pierre Léonardini

– La paix perpétuelle : jusqu’au 5/11 au théâtre de l’Épée de Bois, la Cartoucherie, 75012 Paris ( Rens. : 01.48.08.18.75). Le texte, traduction d’Yves Lebeau, est publié par les Solitaires Intempestifs.

– Le cabaret d’Eva Luna, une chanson pour le Chili : le 5/11 au théâtre El Duende d’Ivry (94), le 12/11 au Théâtre de Nesle (75).

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Romain Rolland, la dernière note

Jusqu’au 22/10, au Studio Hébertot, le comédien et pianiste Guilhem Fabre joue Dernières notes. Mise en scène par François Michonneau, la pièce de Michel Mollard permet une (re)découverte sensible de l’écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915.

Ce 24 décembre 1944 est le dernier Noël de Romain Rolland dans sa demeure de Vézelay. Le 30 décembre, il fermera les yeux définitivement. Prix Nobel en 1915, l’écrivain est âgé de 78 ans, et se sait à bout de forces. Ce soir, Macha, son épouse, l’a laissé seul pour assister à la messe de minuit, dans la basilique toute proche. Dernières notes, de Michel Mollard, est une pièce attachante et étonnante, mise en scène par François Michonneau. Elle dresse un pont musical et poétique entre théâtre documentaire et concert. Sait-on par exemple que la musique, notamment l’œuvre de Beethoven, occupa une part importante de la vie de l’écrivain ?

Sur la scène, un fauteuil lui aussi en fin de course, une table basse où s’empilent des livres, et un peu plus loin un piano. Guilhem Fabre, comédien et pianiste (lauréat du conservatoire national supérieur de musique en 2015), campe le personnage. Il donne vie à l’auteur qui des années durant a défendu son engagement en faveur de l’URSS et ses convictions pacifistes. Romain Rolland, dont le roman-fleuve Jean-Christophe, publié de 1904 à 1912, assura la renommée, a entretenu des correspondances soutenues avec Louis Aragon, Richard Strauss, André Suarès, Stefan Zweig, Paul Claudel, entre autres. Il a aussi été critique musical. Il enseigna même l’histoire de la musique à la Sorbonne.

Guilhem Fabre, à travers quelques citations, lettres et fragments de textes, traduit la réflexion de l’écrivain, et donne à partager sa passion musicale. C’est d’ailleurs la « Sonate pour piano n° 32, opus 111 » (la dernière composée par Ludwig van Beethoven entre 1820 et 1822) qui clôt ce spectacle imaginé hors des sentiers battus. Gérald Rossi

Dernières notes, la dernière soirée de Romain Rolland : jusqu’au 22/10, du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 17h. Studio Hébertot, 78bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris (Tél. : 01.42.93.13.04).

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