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Bussang, la belle et la bête

Au Théâtre du Peuple, à Bussang (88), Julie Delille présente Je suis la bête à l’affiche du 130ème anniversaire de ce lieu emblématique. Superbement réussie, l’adaptation du livre d’Anne Sibran : entre imaginaire et naturalisme, une aventure théâtrale déroutante.

Entre rêve et réalité, une lumière de lune en la profondeur de la nuit… Dans le clair obscur, le silence… Profond, long, très long ! Noirceur et silence s’allongent, se prolongent dans l’univers singulier du Théâtre du Peuple. Pour se propager et s’immiscer, énigmatiques, dans la tête des spectateurs. Jusqu’à ce que s’élève une voix, enfantine semble-t-il, presque inaudible. Les mots surgissent, tout à la fois doux et violents, pénétrants. Pour nous conter une étrange histoire quand, à l’âge de deux ans, « celle qui l’avait portée dans son ventre et l’homme qui la portait parfois l’ont laissée », enfermée dans un placard avant de quitter la maison ! Par intermittence, lucioles éphémères, éclosent alors d’infimes traits de lumière : une patte, une main ? Le mystère.

Durant plus d’une heure, il en sera toujours ainsi. Une expérience déroutante, à en perdre nombre de repères, Je suis la bête nous plonge dans une aventure théâtrale d’une originalité absolue entre imaginaire et naturalisme. Pour Julie Delille, la directrice du lieu, metteure en scène et interprète, la cause est entendue : il ne fut jamais question de reproduire l’identique, « c’est à moi de me plier aux exigences de ce lieu emblématique, non l’inverse ». Dans cette version scénique revisitée pour le 130ème anniversaire de l’utopie Maurice Pottecher et Tante Cam, son épouse, lumière et son, volutes blanches et piaillements de la nature, participent grandement à la qualité de la représentation : l’osmose totale. Deux ans tout juste lorsqu’elle est abandonnée, allaitée aux tétons d’une chatte, nourrie de la chair fade des chatons morts-nés… Elle se souvient, ses petites mains rappant la porte du placard jusqu’au sang, ses ongles devenus rouges griffes avant que ses yeux, prunelles comme celles de la chatte, découvrent l’infime orifice pour s’évader et se fondre dans la forêt.

Sauvage, obscure, impénétrable, exhalant fureurs et senteurs. Sur la scène inclinée de Bussang, herbes et feuilles foulées, sons et sifflements feutrés, se tapissent et rôdent les vivants de la forêt qui l’agressent et la blessent, dont se repaît aussi la gamine carnassière durant des années. Bête parmi les bêtes, femme enfant à l’unisson de la nature, tantôt apaisante tantôt menaçante. Jusqu’au jour où les abeilles, fuyant leur « boîte », la recouvrent et lui fassent manteau. « Ça fait un bourdonnement qui me berce, me console, avec parfois des explosions d’étoiles. Jusqu’à ce moment où je m’endors enfin », nous confie-t-elle en mots chuchotés. Jusqu’à ce moment où une « bête blanche au regard d’homme », d’un jet de fumée, disperse les butineuses et la conduise dans une maison dont elle reconnaît l’odeur. L’horreur.

Il lui faut apprendre à oublier, à effacer ce que la forêt lui a révélé, à prononcer des paroles dont elle ignore le sens et qu’elle ne fait que répéter, à invoquer les cieux et un « père transfiguré ». La nuit, elle court l’aventure en quête de viande, le jour elle est contrainte de « nettoyer sa parole qui avait trop traîné sur la terre noire de la forêt ». Sur le plateau, la lumière devient un peu plus vivace, quoique toujours volatile, éphémère. Un visage apparaît, une longue chevelure aussi. Tantôt debout, immobile, tantôt à quatre pattes, fuyant pour toujours, à jamais… L’appel de la forêt est trop pressant.

Femme et bête, Julie Delille épouse sans faillir les contours de l’une et l’autre, nous invitant à cerner et discerner de quel côté avance, masquée, la sauvagerie. L’instinct ou l’intellect, la nature dénaturée ou l’humanité déshumanisée ? Un spectacle d’une incroyable beauté quand la voix, couplée à la lumière et au son, se révèle plus qu’un mariage de raison, d’une « extra-ordinaire » puissance à nourrir notre imaginaire et à interpeller nos habitudes et certitudes. La comédienne libère force images poétiques pour raviver le dialogue interrompu entre l’humain et sa conscience égarée. Désormais à la direction du Théâtre du Peuple de Bussang, nul doute que la metteure en scène a songé à quelques fulgurances enchantées en lisière de l’envoûtante forêt vosgienne ! Yonnel Liégeois

Je suis la bête, texte et adaptation Anne Sibran, mise en scène et interprétation Julie Delille : jusqu’au 30/08, du jeudi au samedi à 20h. Théâtre du peuple, 40 rue du Théâtre, 88540 Bussang (Tél. : 03.29.61.50.48). L’ouvrage d’Anne Sibran est disponible dans la collection Haute enfance – Gallimard.

130 ans : jubilez, jubilons !

Outre Le Roi nu et Je suis la bête, moult événements sont à l’affiche de ce 130ème anniversaire ! D’autant que la conviction de Julie Dellile, directrice du lieu depuis 2024, est clairement affirmée : renouveler, voire renouer, le lien entre le peuple bussenet et son théâtre. « L’enjeu est de mettre le Théâtre du Peuple au cœur de ce qui ferait son territoire, il ne s’agit pas seulement d’en faire un lieu de référence culturel mais bien de l’inscrire comme un incontournable espace de rencontre, de lien social répondant aux besoins et produisant de la pensée en résonance avec les impulsions poétiques et de transmission. Le Théâtre du Peuple s’est fait à Bussang avec les Bussenets, pour elles et eux mais aussi pour toutes celles et ceux qui voudraient sincèrement s’y impliquer ». D’où deux propositions innovantes :

Depuis octobre 2023, la sociologue Anne Labit est partie à la rencontre des habitants et artistes locaux pour réinventer ensemble les liens entre le théâtre et son territoire. Le « Bourgeon bussenet » est une expérimentation faisant dialoguer arts, sciences et citoyenneté. D’où une phase d’enquête pour mieux reconnaître les lieux, le ressenti des habitants ainsi que les grandes caractéristiques (démographiques, sociologiques, géographiques) de ce coin des Vosges. De premières investigations sont déjà disponibles à la lecture, qui déboucheront prochainement à la mise en œuvre de nouvelles initiatives : conférences, expositions, débats, concerts…

« Recevons du passé l’héritage qu’il nous transmet. Cherchons dans le passé des inspirations, des leçons et même des modèles. Mais que l’être nouveau vive d’une vie nouvelle ».

Maurice Pottecher, fondateur du Théâtre du Peuple

Hériter des brumes, la folle histoire du Théâtre du peuple : né d’une commande à Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi, mis en scène par Julie Delille avec huit comédiens et comédiennes mêlant professionnels et amateurs, le texte conte l’aventure du Théâtre du Peuple, d’hier à aujourd’hui. Un feuilleton théâtral en six épisodes, pour comprendre ce que veut dire utopie entre créations et passions, amours et amitiés, crises de croissance et réconciliations, conflits familiaux et deux guerres mondiales… Du 20 au 30/08, une folle et belle histoire entre humour et émotion, pour jubiler ensemble ! Yonnel Liégeois

Hériter des brumes, la folle histoire du Théâtre du Peuple, Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi (éd. Esse que, 352 p., 20€).

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Jaugette, musique et enfance !

Du 18 au 20 juillet, sous la houlette de la pianiste Irina Kataeva-Aimard, le Manoir des arts de Jaugette (36) organise son traditionnel festival de musique. Au cœur du parc naturel de la Brenne, entre portées de notes et ambiances ludiques, à l’heure de l’enfance.

En cet été 2025, du 18 au 20/07, les mondes de la musique et de l’enfance vont se conjuguer en un original projet poétique et ludique ! Une authentique invitation à l’évasion, marque de fabrique du festival de Jaugette depuis 2012... Rien ne prédestinait Irina Kataeva-Aimard à diriger de telles rencontres musicales : la pianiste a grandi à Moscou, au sein d’une famille d’artistes. « J’ai eu la chance de baigner dans un environnement fabuleux », elle le reconnaît bien volontiers, « parmi les invités de mes parents, il y avait des gens comme Samson François ». Son père, Vitali Kataev, était chef d’orchestre et sa mère, Liouba Berger, musicologue. Un univers pour le moins favorable au développement de l’expression artistique, tel fut le chemin emprunté par Irina qui s’initie très jeune à la musique et notamment aux créations contemporaines. Fervente admiratrice de la musique de Messiaen, dès les années 1980 elle interprète ses œuvres dans de nombreux lieux de culture de l’ex-URSS. En France où elle s’installe en 1985, et un peu partout dans le monde, elle multiplie concerts et festivals, jouant Prokofiev, Scriabine, Chostakovitch.

Elle devient une sorte de pianiste attitrée des compositeurs contemporains russes, tels Alexandre Rastakov ou Edison Denisov. Elle rencontre et travaille avec Pierre Boulez et Olivier Messiaen. Au début des années 2000, elle enregistre les œuvres de plusieurs compositeurs contemporains européens. Son talent et son expérience l’autorisent naturellement à transmettre son savoir : elle enseigne au Bolchoï le répertoire des mélodies françaises aux jeunes chanteurs russes, elle est par ailleurs professeur titulaire de piano au Conservatoire à rayonnement départemental Xenakis d’Évry Grand Paris Sud.

Et puis… Les hasards de l’existence la conduisent dans le parc naturel régional de la Brenne. Coup de cœur pour un manoir datant des XVème et XVIIème siècles : Irina trouve à Obterre plus qu’un lieu de villégiature, surtout un cadre propice à la présentation d’œuvres musicales diverses. D’une grange, elle fait une salle de concert. À partir de 2011, l’artiste investit dans les bâtiments et crée une association. Au final, trois festivals de musique par an marient concerts d’instruments anciens, création d’œuvres contemporaines, prestations de groupes folkloriques, conférences et master class permettant la rencontre de jeunes musiciens. À chaque initiative, son thème : du Romantisme en Europe au XIX ème siècle à la Splendeur russe, en passant par Tradition et modernité ou encore La nature les animaux et la musique… La palette est large, le pari osé. « Aux habitants éloignés des grandes salles de concert, je veux offrir l’ouverture aux musiques du monde. Passées et actuelles. L’art ne doit pas être réservé à une élite des métropoles ».

Son désir le plus cher, en créant un tel festival ? Faciliter l’échange culturel, agir concrètement pour la découverte d’une région et de son patrimoine. Les rencontres de Jaugette sont ainsi l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec des paysages, une gastronomie locale. L’hébergement sur place des artistes est aussi un vecteur de rapprochement. Et il en est passé, depuis 2012, des artistes de renommée internationale ! Irina garde de ces prestations des souvenirs impérissables. De sa mémoire jaillissent quelques moments phares, comme la présence en 2015 d’Andreï Viéru, l’un des plus talentueux interprètes de Bach sur la scène internationale. Elle fut aussi honorée de la participation de Simha Arom, l’un des plus grands ethnomusicologues de notre temps, qui anima un atelier consacré au groupe africain Gamako.

« La venue de dix-huit chanteurs de l’opéra du Bolchoï fut pour moi un moment magique », s’enthousiasme-t-elle. Dans le même registre, elle apprécia tout particulièrement la visite d’un groupe d’une quinzaine d’artistes de Mestia en Georgie : le plus jeune avait 17 ans, le plus ancien 85… Les virtuoses qui ont répondu à l’invitation d’Irina ont souvent servi avec brio des projets innovants. Tels ces Miroirs d’Espaces de François Bousch où, au cours de l’écoute de cette création pour électronique et diaporamas, le public intervient sur le déroulé musical par l’intermédiaire de leur smartphone : le compositeur a créé une sorte d’alphabet sonore qui permet de transcrire en notes les textes envoyés par les téléphones. En 2019, Pierre Strauch dirigea à six heures du matin un quatuor à cordes sur la terrasse du château du Bouchet : Haydn, Webern et Schumann à un jet de pierre de l’étang de la mer rouge, l’un des plus beaux plans d’eau de la Brenne, au cœur du parc naturel régional ! Plus d’une centaine de personnes ont eu le privilège de vivre cette communion entre la musique et le réveil de la nature.

Une symbiose qui touche même la sensibilité du monde animal, si l’on en croit la réaction de pensionnaires du parc animalier de la Haute-Touche. Des événements musicaux et chorégraphiques ont été présentés au public dans les allées de la réserve. « Nous avons vécu des moments magiques », confie Irina. « Captivée par le spectacle, une meute de loups s’est rassemblée au bord de leur enclos, plus tard ce sont deux lamas qui sont restés figés, visiblement fascinés par le jeu des artistes ». Une expérience qui montre à quel point les idées bouillonnent dans l’esprit des organisateurs ! D’ores et déjà, des réflexions sont engagées pour ouvrir les visiteurs à d’autres réalisations : un projet d’espace réservé aux sculptures contemporaines est en gestation. D’une année l’autre, Irina et son association innovent et surprennent. L’objectif ? Faire du Manoir des arts un rendez-vous exceptionnel de la création artistique. Philippe Gitton

Rens. : www.jaugette.com , www.destination-brenne.fr (Tél. : 02.54.28.20.28 ou 06.75.70.65.79)

Un festival pour petits et grands

Entre jeux d’enfants et performances musicales, les rencontres musicales de Jaugette offrent des moments exceptionnels dans une région qui l’est tout autant, la Brenne : trois jours magiques !

Le vendredi 18 juillet, 20h30 : Hansel et Grétel. Opéra romantique en trois actes de Humperdinck, composé en 1891, d’après le conte populaire merveilleux recueilli par les Frères Grimm. Partis dans la forêt cueillir des fraises, les deux enfants s’égarent et sont attirés par la maison en pain d’épices de la sorcière. Un classique du répertoire, accompagné de marionnettes d’une incroyable expressivité.

Le samedi 19 juillet, 16h00 : Trio Kawa – Contes de Mahabharata. Musique et danse de l’Inde sur les contes de Mahabharata, par les frères Kawa, groupe de musique traditionnelle Soufi, originaire de Jaipur au Rajasthan (Inde). Une animation de handpan par Etienne Joly, 17h00 : le hand-pan est un instrument de musique à percussion mélodique, créé à la fin des années 1990. Il se compose de deux demi-coupelles en acier, embouties, jointes ensemble. Le handpan se joue posé sur les cuisses. Le joueur le fait résonner en tapant dessus avec les mains et les doigts. Un récital de mélodies françaises, 20h30 : la mélodie française est un genre qui unit musique et poésie. Les chefs d’œuvre de Debussy, Ravel et Poulenc, inspirés par les poètes tels que Apollinaire, Eluard, Gautier, seront interprétés, ainsi que des œuvres de Rosenthal et Godard, inspirés des poèmes de Nino et de La Fontaine évoquant l’univers de l’enfance.

Le dimanche 20 juillet, 11h00 : Au début du monde. Armelle, Peppo et Jean Audigane nous plongent au cœur de la cosmogonie tsigane, une saga ancienne tissée de dieux, de déesses, de légendes et de voyages. Guidés par les récits anciens, vous découvrirez l’histoire fascinante de la création du monde. Ces récits cosmogoniques ne sont pas seulement des histoires sur l’origine du monde, ils servent également à transmettre des valeurs culturelles et spirituelles au sein de la communauté tzigane. Pierre et le LoupContes de la vieille grand-mère (Serge Prokofiev), 16h00 : un conte musical pour enfants écrit à Moscou en 1936. Cette œuvre symphonique a été composée pour initier les enfants aux instruments de l’orchestre. Chaque personnage de l’histoire est représenté par un instrument différent : l’oiseau par la flûte, le canard par le hautbois, le chat par la clarinette, le grand-père par le basson, le loup par les cors, Pierre par les instruments à corde (par le piano, dans cette version) et les chasseurs par les timbales et la grosse caisse.

Du vendredi 18 au dimanche 20 juillet, à 13h : les artistes et musiciens donnent rendez-vous au public au cœur du Parc Animalier de la Haute Touche.

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Michel Guyot, seigneur de Guédelon

Châtelain de Saint-Fargeau en Puisaye, initiateur du site médiéval de Guédelon, Michel Guyot n’est point duc de Bourgogne. Juste un homme passionné de vieilles pierres, surtout un étonnant bâtisseur de rêves qui construit des châteaux pour de vrai.

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En cet après-midi ensoleillé, les portes du château s’ouvrent aux visiteurs. Quittant le banc installé en la somptueuse cour de Saint-Fargeau, l’homme se lève subitement pour sonner la cloche. Une vraie, une authentique pour rassembler la foule sous l’aimable autorité de la guide du moment… Le groupe de touristes s’en va remonter le temps, plus de 1000 ans d’histoire, dans des salles magnifiquement rénovées sous les vigilants auspices des Monuments Historiques. Le « patron » des lieux les suit d’un regard attendri. Michel Guyot est ainsi, seigneur en sa demeure : sonneur de cloches, collectionneur de vieilles locomotives à vapeur, metteur en scène de spectacles son et lumière, « murmureur » à l’oreille de ses chevaux, veilleur éclairé devant un tas de vielles pierres… À plus de soixante-dix piges, il garde ce visage de gamin toujours émerveillé d’avoir osé donner corps à ses rêves. Les pieds bien en terre, les yeux toujours fixés sur la ligne d’horizon. Du haut de son donjon, bien réel ou imaginaire…

Né à Bourges en 1947, Michel Guyot n’est pas peu fier de sa famille. Une lignée implantée dans le Berry depuis sept générations, un papa formé à la prestigieuse École Boulle, spécialisé dans la vente de meubles et la décoration. Un père et une mère bien accrochés à leur terre natale, qui transmettent aux six enfants le goût et l’amour du terroir, le goût et l’amour des chevaux à Michel et son frère Jacques. Dès cette date, l’achat d’une jument de concours aux seize ans du Michel, ces deux-là ne se quittent plus et batifolent de concert dans tous leurs projets et aventures, aboutis ou inachevés… Après cinq ans d’études aux Beaux-Arts de Bourges, le « Don Quichotte » du Berry organise d’abord des stages d’équitation dans les prestigieuses écuries du château de Valençay, encore plus obnubilé par sa passion : celle des châteaux, pas des moulins à vent !

En 1979, c’est le coup de foudre : Jacques et lui découvrent celui de Saint-Fargeau, décor d’une série télévisée. À la recherche déjà d’une « ruine » depuis de longs mois, ils n’hésitent pas : ce sera celle-là, pas une autre ! « On n’avait pas un sou, on était jeunes, ce ne fut pas facile de convaincre les banquiers à nous consentir les prêts indispensables. Notre seule ligne de crédit ? Nos convictions, notre passion communicative, nos projets fous mais pas éthérés ». Et les deux frangins réussissent l’impossible : pour un million de francs, les voilà propriétaires d’un château vide et délabré avec deux hectares de toitures à restaurer, pas vraiment une sinécure ni une vie de prince héritier ! Quatre décennies plus tard, le visiteur succombe d’émerveillement devant la splendeur de ce bijou architectural, ce mastodonte aussi finement ciselé et rénové : le château et son parc, la ferme et ses dépendances.

Chez les Guyot, outre poursuivre leur quête de châteaux à sauver et rénover, n’allez pas croire qu’un rêve chasse l’autre ! Freud ne les démentira pas, on nourrit surtout le suivant. Encore plus fou, plus démesuré, plus insensé : en construire un vrai de vrai, quelque chose de beau et de fort, un château fort donc, pour l’amoureux de l’histoire médiévale.

C’est ainsi que Guédelon voit le jour ! Un chantier ouvert en 1997, où se construit un authentique château fort comme au temps du roi Philippe Auguste, dans le respect des techniques du XIIIème siècle. Un chantier du bâtiment au silence impressionnant : seuls se font entendre le chant des oiseaux, le hennissement des chevaux, sur la pierre les coups de ciseau… Une leçon d’histoire à ciel ouvert pour écoliers et collégiens durant toute l’année, pour petits et grands durant l’été ! La spécificité de l’entreprise médiévale ? Ce sont les parchemins d’antan qui livrent les procédés de fabrication, rien n’est entrepris qui ne soit certifié par les archéologues, chercheurs et universitaires composant le comité scientifique… Fort du travail de la cinquantaine d’hommes et de femmes à l’œuvre au quotidien, le château de Guédelon impose enfin sa puissance et sa majesté en Puisaye. Le vœu de Michel Guyot, pour chacun ? « Aller jusqu’au bout de ses rêves, petits ou grands », vivre ses passions et surmonter les échecs, tenter toujours pour ne point nourrir de regrets. Yonnel Liégeois

Une idée, un projet, un rêve : la réalité

L’idée de construire de toute pièce un château fort a vu le jour en 1995 au château de Saint-Fargeau. Nicolas Faucherre, spécialiste des fortifications, et Christian Corvisier, castellologue, rendent à Michel Guyot, le propriétaire du château de Saint-Fargeau, les conclusions d’une étude intitulée « Révélations d’un château englouti ». Cette étude est surprenante : enfoui sous le château de briques rouges, existe un château médiéval ! Elle présente en conclusion l’ensemble du bâtiment redessiné et le dernier paragraphe se termine par « Il serait passionnant de reconstruire Saint-Fargeau ». Cette phrase ne laisse pas Michel Guyot indifférent. Fort d’une expérience de plus de vingt années passée à sauver des châteaux en péril, il réunit autour de lui une petite équipe de passionnés pour se lancer dans cette folle aventure. Parmi eux, Maryline Martin qui orchestre aujourd’hui encore l’aventure Guédelon.

« Ce qui m’a immédiatement séduit dans ce projet, c’était d’engager une longue histoire avec des gens. Cela signifiait leur offrir une formation, un vrai travail et un horizon à long terme ». Maryline Martin (extrait de Guédelon Des hommes fous, un château fort. Éd. Aubanel, 2004)

Très vite, la reconstruction du château de Saint-Fargeau est oubliée, « cela n’aurait été qu’un projet de reconstruction servile d’un édifice existant ». L’équipe préfère construire un château « neuf », inspiré des châteaux voisins et gardant comme période de référence le premier tiers du 13e siècle et l’architecture philippienne. Leur détermination indéfectible permet d’obtenir les aides à l’achat des terrains, la rémunération des premiers salariés, la construction de la grange d’accueil des visiteurs… Guédelon n’étant pas une restauration mais une construction à part à entière, il faut adopter une méthodologie pour les choix architecturaux. D’où des déplacements et relevés sur d’autres châteaux de référence de la même période, forts des mêmes caractéristiques : Druyes-les-Belles-Fontaines (89), Ratilly (89), Yèvre-le-Châtel (45), Dourdan (91).

En 2025, les œuvriers poursuivent les maçonneries de l’imposante porte entre deux tours. Ils attaquent aussi la maçonnerie de la courtine Est avec la construction d’une nouvelle porte vers le village. Les charpentiers taillent et assemblent une passerelle piétonne reliant le château et l’escarpe Est . En forêt, les talmeliers, appellation médiévale du boulanger, proposent des cuissons de pain dans le four banal terminé l’année dernière.

Une page d’histoire à ciel ouvert

Plus grand site d’archéologie expérimentale au monde, la construction du château de Guédelon associe depuis 1997 le savoir-faire des artisans à l’expertise des historiens et archéologues, notamment ceux de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Tailleur de pierre, forgeron, bûcheron, tisserand, potier, charpentier, cordelier, berger, boulanger et cuisinier : plus qu’un château fort en construction, c’est tout un village du Moyen Âge qui revit sur le site de Guédelon ! Où les maîtres oeuvriers du jour sont régulièrement conviés, par les visiteurs qui déambulent sur le chantier, à expliquer leurs gestes, commenter le pourquoi et comment de leurs tâches : une authentique leçon d’histoire à ciel ouvert ! En ces lieux, le geste artisanal se conjugue avec connaissance et rigueur scientifiques, lecture des textes anciens et respect des techniques ancestrales.

Nul besoin d’éteindre son smartphone, les liaisons ne passent point en ce lopin de terre de Puisaye ! Logique en ce XIIIème siècle florissant, petit vassal de Philippe Auguste d’abord, fidèle ensuite à Blanche de Castille qui assure la régence de son jeune fils Louis IX (le futur Saint Louis), le seigneur de Guédelon a décidé d’ériger sa demeure. Pour asseoir son autorité sur cette parcelle de Bourgogne, se protéger de rivaux souvent belliqueux et conquérants. Un château sans grand faste, plutôt austère, avec ses tours de guet, sa chapelle et les dépendances… Un site historique, un lieu unique : alors que le chantier de Notre-Dame de Paris interrogeait les problématiques de conservation du patrimoine, l’archéologie expérimentale de Guédelon se révélait d’autant plus précieuse !

À visiter : le site de Guédelon est ouvert jusqu’au 02/11/25. Jusqu’au samedi 31/08 : de 9h30 à 18h30, tous les jours. Du 01/09 au 02/11 : de 10h à 17h30 (fermé les mardis et mercredis sauf les mardis 21 et 28/10). Dernier accès : 1 heure avant la fermeture du chantier. Le château de Saint-Fargeau, avec son spectacle Son et Lumière en soirée, « 1000 ans d’histoire ».

À lire : « J’ai rêvé d’un château », par Michel Guyot (Éditions JC Lattès). « La construction d’un château fort », par Maryline Martin et Florian Renucci (Éditions Ouest-France). « L’authentique cuisine du Moyen Âge », par Françoise de Montmollin (Éditions Ouest-France).

À regarder : « Guédelon, la renaissance d’un château médiéval » et « Guédelon 2 : une aventure médiévale ».

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Viens, poupoule…

Au théâtre de L’épée de bois, Johanna Gallard présente Être vivant, parole des oiseaux de la terre. Un original dialogue entre une jolie bande de gallinacées et une femme clown à l’écoute de ses consœurs emplumées. Un spectacle où l’humour le dispute à la poésie.

Elles s’appellent Barbara, Loulou, Edwige, Juline… Elles sont une dizaine, toutes aussi belles, emplumées de la tête aux pattes ! Bien à l’abri de maître renard ou d’autres prédateurs, dans la cabane abracadabrantesque de dame Johanna, Gallard de nom, leur amie et confidente. L’une l’autre, endimanchées dans leur costume naturellement coloré, à tour de rôle et le mot est bien senti, les gallinacées apparaitront dans l’encadrement d’une fenêtre ou du haut d’un escalier magique. D’aucunes, plus altières et fières, emprunteront la grande porte pour faire leur entrée en scène !

Docile, la poulette ? C’est selon, selon son humeur et la grosseur de la crotte déposée sur la piste, selon sa faim  et le nombre de grains à picorer, selon l’exercice que la maîtresse de cérémonie l’invite à accomplir… Monter et descendre d’un tabouret, trinquer dans un petit verre à la santé de sa protectrice, courir de gauche à droite selon la direction proposée, partager la scène avec ses congénères sans se voler dans les plumes, plus difficile encore marcher sur un fil (une planchette de bois, en l’occurrence) et traverser un cercle rouge ! Une conviction se fait jour, elle n’est pas si bête, poupoule ! Elle se révèle même animal intelligent, sensible, curieux, doué de mémoire sous son plumage bigarré. Un être vivant, pas seulement formaté pour pondre un œuf de temps à autre.

De la parole, Johanna Gallard accompagne les faits et gestes de sa géniale basse-cour. Sous son masque de clown, elle a tissé un lien original avec ses « oiseaux de la terre ». Déchiffrant leurs divers caquètements, soulevant dans ses bras l’une l’autre avec infinie délicatesse, accompagnant d’un sourire ou d’un mot réconfortant celle qui a raté son numéro ou refusé de s’y prêter parce qu’il ne faut pas s’y tromper, ces dames ont du caractère ! Les enfants explosent de rire, les adultes de tendresse devant ce spectacle déroutant, innovant, atypique et d’une incroyable force poétique. Nous rappelant ainsi, sans forcer le trait, comme il est bon de se mettre à la hauteur de chacun, combien la nature est un tout où le vivant peut trouver sa place en pleine égalité. Combien surtout, bêtes et humains, nous sommes en fait des animaux bien volatiles ! Yonnel Liégeois, photos Christophe Raynaud de Lage

Être vivant, parole des oiseaux de la terre : Johanna Gallard en complicité d’écriture avec François Cervantès. Jusqu’au 29/06, les jeudi et vendredi à 19h, les samedi et dimanche à 14h30. Théâtre de L’épée de bois, Route du Champ de Manœuvre, la Cartoucherie, 75012 Paris (Tél. : 01.48.08.39.74).

Tournée : les 03 et 04/10 espace du Narais à Saint-Mars la Brière (72), le 06/11 à Carlux (24), le 22/11 à Mauriac (15), le 14/12 à Plougastel (29).

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Navel, un prolétaire à l’esprit libre

Nouvellement réédité, aux éditions L’échappée paraît Passages, le livre de Georges Navel. Ouvrier vagabond, l’écrivain et poète (1904-1993) fuyait la tristesse de l’usine pour une vie de travaux de plein air. Ami de Jean Giono et de Colette, reconnu par les historiens du social, le personnage était hors du commun. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°378, mai 2025), un article de Régis Meyran.

Tour à tour manœuvre, ajusteur, terrassier, correcteur d’imprimerie et apiculteur, Georges Navel fut parallèlement un auteur publiant à la NRF et dans L’Humanité, un temps pressenti pour le Goncourt. Passages est un roman sur les illusions et désillusions de l’enfance et de l’adolescence. Il s’ouvre sur des descriptions poétiques et enchantées de la nature et de la vie rurale dans un petit village lorrain. On y suit les travaux quotidiens de la maisonnée pauvre des Navel, le père à l’usine et au café pour y noyer la souffrance du labeur, la mère à la cueillette et au potager avec ses treize enfants à élever. Tout cela est vu à travers les yeux innocents d’un gamin, qui dans le même temps s’émerveille des promenades aux champignons le long de la Moselle, des altiers militaires allant à cheval sous sa fenêtre, des jeux avec les papillons et les libellules près du ruisseau dans la langueur de l’été. Mais le récit signe aussi, et surtout, le passage à l’adolescence et à l’âge adulte du jeune Georges, suscitant de l’amertume et rendant plus forts la nostalgie et le souvenir de l’enfance.

Lors de la Grande Guerre, l’exaltation des premiers jours laisse peu à peu la place à une indicible peur de la mort. Son village se situant proche de la ligne de front, il observe les soldats agonisants et ce qui reste des champs de bataille. Puis il est envoyé par la Croix-Rouge, avec d’autres petits, loin du front, en Algérie : il y côtoie le monde colonial – un instituteur guindé, un gardien de prison placide – et voue une admiration aux fiers « indigènes » avec qui il ressent une proximité, peut-être de classe. Le retour se fait à Lyon, où sa famille a été évacuée, et où il apprend le métier d’ajusteur. Sur les pas de son grand frère, il fréquente le milieu anarcho-syndicaliste, suit les cours de l’université syndicale, défile pour le 1er mai derrière le drapeau noir. Esprit rebelle à toute idéologie, il mènera ensuite une vie itinérante. Déserteur du service militaire, il rejoindra l’armée républicaine dans la guerre d’Espagne en 1936.

« J’admire les livres de Georges Navel, la réalité est maniée de main de maître. Elle est nue et crue, c’est incontestable (…) mais le fait vrai est mélangé à la lueur. On trouve l’exemple à chaque ligne et toutes ces lueurs font courir le phosphore romanesque sur une réalité plus vraie que la vérité (…) C’est un travail de héros grec : nous sommes dans les Travaux et les Jours d’un Hésiode syndicaliste ». Jean Giono

Outre sa qualité poétique, l’intérêt historique et sociologique de cette œuvre s’avère considérable. Le lecteur touche du doigt la condition des prolétaires, la vie des campagnes et dans les forges, où un accident pouvait vite mener à se faire scier la main, à chaud – sans anesthésie, par un infirmier peu formé. Des sociologues, de Georges Friedmann à Philippe Ganier, ont noté que la vie de Georges Navel était exemplaire d’une classe en transition, entre une économie rurale déclinante et une société industrielle de production standardisée. Passages ? Un livre empreint du regret romantique d’une impossible vie paysanne autosuffisante, du refus d’une existence épuisante et répétitive à l’usine. Un magnifique hommage, aussi, à la condition ouvrière. Régis Meyran

Passages, de Georges Navel (L’Échappée, 384 p., 22 €). Les autres ouvrages de Georges Navel : Travaux (Folio Gallimard, 256p., 8€50), Parcours (Gallimard, 240 p., 13€), Sable et limon (Préface de Jean Paulhan. Gallimard, 516p., 26€), Chacun son royaume (Préface de Jean Giono. Gallimard, 326p., 22€), Contact avec les guerriers (Plein Chant, Bassac, 208 p., 18€).

« Sciences Humaines s’est offert une nouvelle formule : entièrement pensée et rénovée, pagination augmentée et maquette magnifiée », se réjouit Héloïse Lhérété, la directrice de la rédaction. L’objectif de cette révolution éditoriale ? « Faire de Sciences Humaines un lien de savoir à un moment où l’histoire s’opacifie et où les discours informés se trouvent recouverts par un brouhaha permanent ». Au sommaire du numéro 378, un remarquable dossier sur les récits (Face au chaos du monde, pourquoi en avons-nous besoin ?) et un sujet en hommage à Emma Goldman (1869-1940), l’anarchie au féminin : « Allez manifester devant les palais des riches, exigez du travail. S’ils ne vous en donnent pas, exigez du pain. S’ils vous refusent les deux, prenez le pain » ! Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un magazine dont nous conseillons la lecture. Yonnel Liégeois

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Les déserts du monde

Jusqu’en novembre 2025, le Museum national d’histoire naturelle (75) propose Déserts. Une grande exposition sur les milieux les plus extrêmes de notre planète, des vastes étendues désertiques aux paysages glaciaires des pôles, et sur l’adaptation du vivant au cœur de territoires inhospitaliers. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°377, avril 2025), un article de Catherine Halpern.

Un tiers des terres émergées de notre planète sont des déserts ! Mais ils sont loin de tous ressembler au stéréotype de l’étendue de sable sous un soleil de plomb. Une passionnante exposition du Museum national d’histoire naturelle donne à voir les différents visages du désert tant du point de vue de ses paysages que de sa faune et de sa flore, ou des occupations humaines. Du désert d’Atacama (Chili) ou de Gobi (Chine et Mongolie) à celui du Sahara, glacés ou brûlants, les déserts ont en commun une aridité et des températures extrêmes. Ils offrent des panoramas souvent spectaculaires mais peu propices à la vie. Un défi permanent pour la faune et la flore qui sont parvenues à s’adapter à ces conditions de diverses manières.

Des humains ont eux aussi réussi à élire domicile dans ces contrées inhospitalières. C’est ainsi qu’ils ont développé une garde-robe adaptée., des vêtements longs et amples des Touaregs aux tenues à multiples couches de fourrure des Inuits. Pour habiter le désert, les humains ont déployé deux stratégies principales : transformer leur milieu, notamment avec la création d’oasis, ou étendre leur mobilité de point d’eau en point d’eau ou de pâturage en pâturage. Même si le nomadisme tend à disparaître… Les déserts sont pour les chercheurs, biologistes, géologues ou anthropologues, un terrain d’exploration exceptionnel.

Un terrain d’exploration toutefois menacé : le réchauffement climatique remet en cause la survie d’animaux qui ont poussé à l’extrême leurs capacités physiologiques. Catherine Halpern

« Déserts », Museum national d’histoire naturelle : Jusqu’au 30/11/25, tous les jours de 10h à 18h. Grande Galerie de l’évolution, 36 rue Geoffroy Saint-Hilaire, 75005 Paris (Tél. : 01.40.79.56.01).

Pour ses 35 ans, Sciences Humaines s’est offert une nouvelle formule ! « Entièrement pensée et rénovée, la pagination augmentée et la maquette magnifiée », se réjouit Héloïse Lhérété, la directrice de la rédaction. L’objectif de cette révolution éditoriale ? « Faire de Sciences Humaines un lien de savoir à un moment où l’histoire s’opacifie et où les discours informés se trouvent recouverts par un brouhaha permanent ». Au sommaire du numéro 377 (avril 2025), un remarquable dossier sur l’intelligence artificielle (L’IA peut-elle penser à notre place ?) et un formidable sujet sur Giordano Bruno, le chasseur d’infini (1548-1600) : d’une pensée révolutionnaire sur l’infinité de l’univers au bûcher de l’Inquisition ! Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un magazine dont nous conseillons la lecture. Yonnel Liégeois

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Cornucopia, une fable rétro-futuriste

Au TNP de Villeurbanne (69), Joris Mathieu et Nicolas Boudier proposent Cornucopia. Placée sous le signe de l’innovation scénique, cette contre-utopie déjantée, destinée à tout public, évoque la survie d’une humanité avide de consommer dans un monde aux ressources limitées. Un album d’images envoûtantes.

Depuis neuf ans à la tête du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) – CDN de Lyon, Joris Mathieu a mis, en compagnie du collectif Haut et Court, la jeunesse au cœur de ses préoccupations artistiques. Son engagement citoyen l’a, par ailleurs, amené à accueillir, conjointement avec le TNP, une troupe de femmes afghanes en 2021, à la suite de la prise de pouvoir par les Talibans. On se souvient aussi qu’en 2022, après avoir dénoncé les « coupes massives de subventions en cours d’exercice », infligées à la culture par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le TNG a subi une baisse de subvention de 149 000 euros (6% de son budget). Raison pour glisser dans l’annonce humoristique d’un « homme rideau de théâtre », en ouverture du spectacle, que, faute de moyens, il n’y aura, dans le spectacle, pas autant d’acteurs que de rôles. Avec son fidèle scénographe qui signe aussi les lumières, le metteur en scène a initié le cycle D’autres mondes possibles, où il convoque l’émergence de nouvelles formes d’utopies face aux dérives de nos sociétés. Le premier épisode, La Germination, abordait, sur un mode interactif, la difficulté d’agir des humains face à l’avenir, tandis que Cornucopia nous emmène dans un monde post-apocalyptique.

Le mythe de l’abondance

« Pour croire qu’une croissance matérielle infinie est possible sur une planète finie, il faut être fou ou économiste », écrivait dans les années 1960 le penseur anglais Kenneth Boulding, égérie de la décroissance (1910-1993). Partant de ce constat, Joris Mathieu invente une humanité nouvelle. Après les grandes migrations climatiques, ayant engendré une « correction démographique significative », le monde d’après s’est policé autour d’un credo commun. Les Cornucopiens  obéissent à un oracle selon lequel des pierres d’oxygène, surgies du fond des océans, seraient une source magique d’énergie et d’abondance éternelles. Il faut pour cela procéder à des sacrifices, limiter la natalité (un mort pour une vie), pratiquer le troc « encadré » (le prix de l’abondance, c’est la mesure et l’équilibre)… Cornucopia, c’est l’histoire d’une nouvelle–née qui, sortie de sa couveuse, va prêter serment d’allégeance sur l’Agora, devant le peuple. En échange, un homme accepte de mourir pour lui laisser sa place sur terre.

Installé dans un amphithéâtre circulaire clos, le public est immergé dans des images projetées autour de lui. En face, une scène tournante, coiffée d’un silo central qui monte et qui descend, occultant les changements de décor. Ceux-ci se font, ainsi que certaines entrées et sorties des comédiens (par ailleurs acrobates), depuis les cintres. Le tout est piloté automatiquement en régie, effet magique assuré. Cet espace hybride renvoie à l’agora grecque, associée à l’idée de démocratie, au praxinoscope, ancêtre du cinéma, ou encore au carrousel… Et sur ce petit manège qui tourne indéfiniment, le jeu des trois comédiens est rythmé par les éclairages. Au sol, un revêtement phosphorescent renvoie la lumière quand les scènes ne sont pas directement éclairées par les projecteurs.

L’imagerie au centre de la fiction

L‘alternance de lumière directe et réfléchie donne un caractère irréel au monde de Cornucopia et les flashes qui ponctuent chaque séquence semblent être la manifestation de cet oracle invisible, mais omniprésent par sa voix, une divinité d’un genre nouveau qui n’est pas sans rappeler l’IA… Le vert et le violet, couleurs complémentaires, apportent une touche rétro-futuriste à cet univers de science-fiction. À cet environnement hypnotique répondent les étranges costumes de Rachel Garcia, comme celui d’un « homme enceinte », sorte de nourrice affublée d’un haut-parleur, un champignon à corps humain, ou une créature métamorphosée en végétal. Dans cet univers surréaliste digne d’un Lewis Carroll, la scénographie joue au même titre que les comédiens, prenant même parfois le pas sur eux.

Au final, la jeune née, à peine son serment de fidélité prononcé devant le peuple, transgresse la loi et part à la recherche des pierres magiques qui donneraient, selon l’oracle, accès à toutes les richesses. Elle découvre que ces cailloux ne sont que des matériaux inertes et que toute croyance en une providence supérieure est un leurre. Dans le titre Cornucopia, corne d’abondance en latin, on peut aussi entendre, phonétiquement, « utopie biscornue » ! Libre à chacun de lire cette fable comme la recherche d’un monde idéal, la critique du consumérisme, une dénonciation du totalitarisme religieux ou de la pensée magique. « Le problème, c’est que les Cornucopiens n’ont pas abandonné la chimère de l’abondance », dit Joris Mathieu. Reste un spectacle fascinant. Mireille Davidovici

Au TNP de Villeurbanne, dans le cadre de la saison du Théâtre Nouvelle Génération, jusqu’au 19/10. La Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche, du 4 au 6/12. Les 2 Scènes – Scène nationale de Besançon, du 8 au 10/01/25. Le Lieu unique – Scène nationale de Nantes, du 30/01 au 01/02/25. Le Théâtre – Scène nationale de Saint-Nazaire, du 4 au 6/02/25.

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À lire ou relire, chapitre 10

En ces jours d’été, entre agitation et farniente, inédits ou rééditions en format poche, Chantiers de culture vous propose sa traditionnelle sélection de livres. De la République sur les planches à l’amour de l’humour (André Désiré Robert et Jean-Loup Chiflet), d’un manuscrit enfin accouché aux bébés d’Himmler (Claude McKay et Caroline de Mulder)… Pour finir entre pingouin et mikado en provenance d’Ukraine (Andreï Kourkov) et d’Italie (Erri De Luca).

Chaque président a ses petites faiblesses : une visite à Disneyland pour Sarkosy, une balade en scooter pour Hollande, des papouilles aux médaillés olympiques pour Macron… Un point commun les réunit, avec plus ou moins de passion : leur fréquentation des planches, des classiques du répertoire au banal théâtre de boulevard ! Avec humour et érudition, dans son Théâtre des présidents le critique dramatique et patenté universitaire André Désiré Robert s’est donc amusé à collecter les penchants des uns et des autres, les amours avouées ou secrètes des présidents de la Vème République avec le théâtre.

Si De Gaulle avait un faible pour le Cyrano de Rostand, l’ancien professeur de français Pompidou appréciait assurément Molière en sa maison rue Richelieu. Mitterrand, à la culture raffinée, court d’Avignon à la Cartoucherie de Vincennes, fréquente Sobel à Gennevilliers, côtoie anciens et modernes. Il se dit qu’entre deux combats de sumo Chirac aurait pu apprécier le théâtre nô, tandis que Sarko étale son inculture en ce domaine au profit de la chansonnette familiale. Nous ne dévoilerons rien sur les récentes têtes d’affiche, Hollande et Macron, et de leurs compagnes entre la comédienne reconnue et l’ancienne professeure de lettres, leurs liaisons secrètes sont à découvrir au fil de pages émoustillantes et joliment bien instruites.

Si l’humour se glisse parfois entre les pages du précédent ouvrage, il en est substantifique matière dans le Dictionnaire amoureux que lui consacre le truculent Jean-Loup Chiflet. L’auteur nous avait déjà fait Le coup, On ne badine pas avec l’humour… D’abord, une précision d’importance, ne pas confondre humour avec humeur, telles la bile ou l’atrabile, selon la définition héritée du Moyen Âge ! Pour sa part, Wolinski se demande s’il ne serait pas le plus court chemin d’un homme à un autre, alors que Tristan Bernard pose une question de fond : l’humour ne viendrait-il pas d’un « excès de sérieux » ? En tout cas, en plus de 700 pages, d’Allais à Devos, de Blondin à Queneau, au contraire de tout avare de pensées qui est un penseur radin selon Pierre Dac, Jean-Loup Chiflet confesse que son ouvrage relève plus d’une anthologie que d’un dictionnaire. D’une page l’autre, s’imposent satire et invective disparues de nos jours, l’éloge du rire au détriment du ricanement formaté, le triomphe de la plume et de l’esprit. Et preuve est faite, sans rire : si l’humour peut être léger, il n’est vraiment pas à prendre à la légère !

Il nous faut l’avouer d’emblée, Romance in Marseille ne manque ni d’humour, ni de déraison ! Après moult péripéties, Lafala débarque à Marseille amputé des deux jambes, mais nanti d’un joli magot. Ce qui autorise donc l’ancien docker africain a mené belle vie et bonne chair sur les quais, à fréquenter toujours le monde interlope des bas quartiers de la cité phocéenne. L’auteur de ce roman social, sous les chaleurs méditerranéennes ? L’américain Claude Mckay, natif de Jamaïque, globe-trotter entre l’URSS et la France, écrivain et militant politique, ardent défenseur de la cause noire aux États-Unis comme en Europe. Un livre écrit en 1932, le manuscrit disparu jusqu’en 2010, enfin publié en 2021 par un éditeur… marseillais ! Un retour aux sources bienvenu, un formidable roman entre légèreté et gravité, une peu banale photographie du Marseille des années 30 et de la condition sociale dans les quartiers ouvriers et interlopes. Chez le même éditeur, est disponible Un sacré bout de chemin, l’autobiographie de Mckay.

De la re-naissance d’un manuscrit à la couvaison de bébés sous haute protection nazie, l’accouchement littéraire n’est pas sans risques. Pourtant, avec La pouponnière d’Himmler, l’auteure belge Caroline de Mulder réussit une magistrale opération littéraire. S’appuyant sur des documents historiques de première main, la romancière trace par le menu l’extravagante entreprise du haut dignitaire du Reich, créateur et patron du réseau de maternités en charge de la sélection « aryenne » des bébés, futurs héros de la nation. De l’arrivée de Renée, une jeune Française enceinte d’un soldat allemand, dans l’un de ces centres médicaux jusqu’à son démantèlement à l’approche des Alliés, une bouleversante plongée dans cette fabrique d’enfants au sang pur, choyés au détriment des nouveaux-nés atteints d’une quelconque déficience et éliminés d’office. Un roman d’une palpitante écriture, d’une foudroyante vérité, d’une sidérante cruauté.

En manque de progéniture et en mal d’écriture, l’écrivain-journaliste Victor Zolotarev cohabite avec Micha, un pingouin recueilli au lendemain de la fermeture du zoo de Kiev. Las, il lui faut gagner quelques subsides pour acheter le poisson nécessaire à la survie du volatile qui déambule avec nostalgie de la baignoire au frigo ! Les récits et nouvelles de Zolotarev n’emballent plus trop les éditeurs, sa plume se tarit, son imagination se dessèche jusqu’à ce jour où le rédacteur en chef d’un grand quotidien ukrainien lui fait une étrange proposition… Nous n’en dirons pas plus sur Le pingouin, ce roman d’Andreï Kourkov au succès intercontinental, plongez avec délectation dans cette aventure rocambolesque qui navigue entre comique de situation et absurde de propos. De l’humour déjanté au réalisme social et politique tourmenté, au coeur d’un pays en proie au chaos, un romancier de grand talent, lauréat du prix Médicis étranger en 2022 pour Les abeilles grises, dont les autres récits d’une même veine sont aussi à déguster ( L’oreille de Kiev, L’ami du défunt, Laitier de nuit…), tous disponibles aux éditions Liana Levi.

D’un étrange et improbable duo, il en est aussi question dans Les règles du mikado, de l’auteur italien Erri de Luca, espérons-le prochainement prix Nobel de littérature ! Entre mer et montagne, Italie et Slovénie, un roman intimiste à l’échelle du monde où un vieil homme et une jeune tsigane s’apprivoisent sous couvert d’une tente. L’une décrypte les lignes de la main et dialogue avec les ours, l’autre dompte les mouvements des montres et se révèle expert au jeu du mikado. Du silence au dialogue, de la sauvagerie de l’une au mutisme de l’autre, le récit feutré de deux solitudes qui échangent en profonde liberté et à l’horloge du temps sur la fragilité de la vie, la beauté de la nature, la grandeur des sentiments partagés. Une fine ligne d’écriture à déchiffrer sans trembler, comme le bâtonnet du mikado à retirer sans bouger, la quête pour chacun du chemin à emprunter en pleine vérité. Yonnel Liégeois

Le théâtre des présidents, d’André Désiré Robert (La rumeur libre, 312 p., 18 €). Dictionnaire amoureux de l’humour, de Jean-Loup Chiflet ( L’abeille PLON, 736 p., 13 €). Romance in Marseille, de Claude Mckay (J’ai lu, 255 p., 8 €). La pouponnière d’Himmler, de Caroline De Mulder (Gallimard, 287 p., 21€50). Le pingouin, d’Andreï Kourkov (Liana Levi, 270 p., 11 €). Les règles du mikado, d’Erri De Luca (Gallimard, 154 p., 18 €).

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Merlier sort du bois !

À proximité d’Auxerre (89), se niche le musée Pierre Merlier. Des centaines de sculptures en bois y sont exposées. L’occasion de découvrir l’incroyable univers d’un créateur quelque peu oublié.

On ne se doutait pas en empruntant le chemin menant au Moulin du Saulce près du village d’Escovilles-Sainte-Camille (Yonne) qu’on allait découvrir les œuvres d’un sculpteur majeur. On y apprend que Pierre Merlier (1931-2017) fut un artiste reconnu qui obtint plusieurs prix dont en 1956, celui de la Jeune Sculpture. Il exposa à Paris, Lausanne, Londres, Québec ou Los Angeles. Grâce au 1% artistique, un dispositif né en 1951 qui prévoit des commandes d’œuvres à des artistes lors de la construction ou l’extension de bâtiments publics, ses sculptures monumentales créées de 1974 à 1980 trônent dans les villes de la région mais aussi à Die, Dijon, Beaune, Le Creusot, Chambery, Montélimar ou Paris. Si son nom résonne moins aujourd’hui, son œuvre magistrale perdure grâce à l’ouverture d’un musée en 2019 dans un ancien moulin devenu une usine hydroélectrique que le couple Merlier rachète en 1976. L’artiste va y créer durant plus de trente ans une grande partie de son œuvre foisonnante. À la veille de sa mort, alors que quelque 600 pièces sont entreposées dans le domaine, Pierre Merlier demande à sa femme Michèle : « Qu’est-ce que tu vas faire de tout ça ?… Tu n’as qu’à tout brûler ! ». Elle lui répond : « J’ai une meilleure idée, je vais te faire un musée ! ». Avec Sylvie Ottin, elle répertorie, trie et dépoussière les pièces en vue de les exposer. Pour déposer les statuts de l’association en 2018,, ouvrir le musée en juin 2019.

Dès l’entrée de la première salle, on est frappé par la diversité des œuvres : des forêts de femmes nues hautes de deux mètres, portant de longs manteaux ou des chapkas pour la série « La Perestroïka » mais aussi de personnages plus petits en costumes ou chapeautés surnommés « Les banquiers », taillés dans de l’orme et du tilleul à la tronçonneuse puis poncés et peints. Dans son étrange « Forêt humaine », les silhouettes nues ont plusieurs têtes aux chevelures hirsutes, ciselées dans le tilleul ou des souches de cerisiers inversées. « La racine devient la tête, les branches sont les bras et les jambes. À l’envers, comme le monde », expliquait l’artiste. Au gré des formes des morceaux de bois récoltés, les postures se diversifient telles celle d’un magnifique arlequin penché, jambes écartées. On se perd dans cette fantasmagorie où des regards, souvent tristes, semblent nous interroger. 

« J’ai laissé jaillir mon émotion de mes tripes et par la diversité de mes personnages, mis en scène la société et ses côtés dramatiques, caustiques, humoristiques, fantastiques, sans oublier l’érotisme et la laideur », déclarait Pierre Merlier. Dans ces bas-reliefs en terre cuite ou en polyuréthane, il ironise sur le Bicentenaire de la Révolution ou sur les élections quand une foule s’amasse autour d’une urne, parfois aux cotés d’une tête d’animal. « De Gaulle avait déclaré que les Français étaient des veaux », sourit Michèle Mercier qui assure la visite. Dans une autre salle, on retrouvera une statue du Général nu, bras ouverts, dans la posture de « Je vous ai compris ». Pas loin, ce sera un petit Hitler, tout aussi nu, les mains dans le dos, qui semble puni. Parce qu’il fait œuvre de tout bois, quand il récupère des chutes de poutres d’une scierie, l’artiste en fait des totems bigarrés où des humains filiformes sont coiffés de têtes d’oiseaux. On croise encore une armée de monstres bedonnants mi-tristes, mi-suppliants ou des couples entrelacés qui nous interpellent.

Lors de son service militaire, l’artiste découvre l’expressionnisme à Berlin et des artistes qui influenceront son œuvre. Il rend ainsi hommage à Otto Dix avec des statues de soldats ou à Gustave Klimt en faisant une sculpture de son fameux « Baiser » et de personnages affichant les couleurs du maître. « Je fais une sculpture figurative, ironique, satirique, mais jamais anodine », déclarait-il. Pour sûr, on ressort de ce voyage en terre singulière enchanté par tant de créativité. Au total, trois salles d’exposition ont été créées – Michèle Mercier n’a pas ménagé sa peine même en pleine canicule pour retaper les lieux, sans toucher vraiment de subventions – pour nous faire admirer près de 400 œuvres. Avec ce musée implanté au bord de l’historique canal du Nivernais, le créateur génial que fut Pierre Merlier sort ainsi de l’oubli. On ne peut que vivement conseiller une visite de cet endroit magique. Amélie Meffre

Musée Pierre Merlier : Moulin du Saulce, 89290 Escolives/Sainte-Camille. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 à 18h30, de Pâques à la Toussaint et sur rendez-vous (Tél. : 06.74.86.17.05). Jusqu’au 30/09, exposition de peintures et de sculptures sur le thème Art&Sports olympiques : le regard singulier d’un artiste sur les activités sportives (tous les jours, sauf le mardi, de 11h à 18h30).

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L’impressionnisme, de Monet à Boch

En 2024, la France fête les 150 ans de l’impressionnisme. Orchestré notamment par le musée d’Orsay, l’événement met à l’honneur les grandes figures de ce courant pictural, à Paris comme un peu partout en France. Il nous en fait découvrir d’autres, telle la peintre belge Anna Boch au musée de Pont-Aven.

« Bal du moulin de la Galette », Renoir (1876).

« Les bords du Loing vers Moret » (Sisley, 1883), un « Lavoir à Pontoise » (Pissarro, 1872), « Le déjeuner sur l’herbe » (Manet, 1863), « Les coquelicots » (Monet, 1873), la « Chasse aux papillons » (Morisot, 1874), « Les raboteurs de parquet » (Caillebotte, 1874) « Les repasseuses » (Degas, 1884)… Des images surgissent du passé qui ébranlent encore nos sens à l’évocation des peintres impressionnistes. Et c’était leur volonté. Dès la naissance du courant pictural, ils entendaient être libérés des principes académiques qui hiérarchisaient la peinture : la primauté du dessin sur la couleur, celle des sujets religieux ou mythologiques sur les scènes de la vie quotidienne ou des paysages. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, tout ça vole en éclat quand des artistes s’affranchissent de l’art officiel dicté par le Salon.

Scandale et renversement
L’année 2024 a été choisie pour les saluer parce qu’ils furent une trentaine à inaugurer à Paris, le 15 avril 1874, une exposition indépendante et impressionniste. Le terme, péjoratif, évoqué par un critique d’art à propos du tableau « Impression, soleil levant » de Monet qui y était exposé, désignera le mouvement artistique. Ce dernier était déjà plus ou moins dans les cartons dix ans plus tôt quand des peintres tels Manet créent en 1863 le Salon des refusés, en référence aux œuvres non admises par le Salon officiel. Cela fit grincer bien des dents et des plumes mais le courant était lancé. Aujourd’hui, il est reconnu comme majeur au point de ternir l’art pompier antérieur. « La représentation du monde qui est née de cette révolution est donc devenue évidente – si évidente que le scandale suscité par les œuvres de Manet est lui-même objet d’étonnement sinon de scandale. Autrement dit, on assiste à une sorte de renversement.» Les cours, ardus mais passionnants, du sociologue Pierre Bourdieu au Collège de France en 1998 éclairaient l’aventure (1).

Anna Boch, Côte de Bretagne, 1901. ©Vincent Everarts

Les célébrations des 150 ans de l’impressionnisme ne manquent ni de panache ni de public. À commencer par « Paris 1874. L’instant impressionniste » jusqu’au 14 juillet 2024 au musée d’Orsay (2). Élaborée avec la National Gallery of Art de Washington qui la présentera à l’automne 2024, l’exposition revient sur l’histoire du mouvement avec environ 130 œuvres dont moult pépites de l’impressionnisme ou de l’art pompier exposées en contrepoint. Technologie oblige, Orsay proposera jusqu’au 11 août une expo virtuelle avec casques à l’appui qui nous mènera dans l’atelier du photographe Nadar, le soir du 15 avril 1874 en compagnie des artistes exposés. Plus concrètement, le musée prête quelque 180 œuvres à 34 institutions un peu partout en France, y compris en Corse ou à la Réunion (3). D’Ajaccio à Amiens, en passant par Giverny, Rouen ou Tourcoing, les visiteurs pourront admirer les tableaux d’impressionnistes, célèbres ou non.

De Bruxelles à Pont Aven
En Bretagne, c’est Anna Boch (1848-1936) qui est à l’honneur au musée de Pont-Aven, jusqu’au 26 mai 2024 (4). Le musée breton s’associe au Mu.ZEE d’Ostende (Belgique) qui a présenté l’exposition l’an passé, pour nous faire découvrir une peintre belge du néo-impressionnisme. Artiste, mélomane, collectionneuse des œuvres de Van Gogh, de Gauguin ou de Signac, Anna peint des paysages notamment de la côte bretonne à couper le souffle, des femmes écrivant ou portant l’ombrelle, des hommes de « Retour de la pêche ».  Comme ses homologues français, elle magnifie la couleur comme le quotidien des gens. Membre de La Ligue belge du droit des femmes, elle est la seule à adhérer aux cercles artistiques belges Les XX et La Libre Esthétique.

Elle regrette en 1927, le manque de « peinteresses » au Salon officiel d’art belge à Paris. En attendant, Anna est considérée comme majeure dans le mouvement artistique qui se poursuit. Sacrée voyageuse aussi, Anna Boch part en Grèce, en Sicile, en Algérie ou en Espagne. Avec son frère Eugène, peintre également, elle découvre dès 1901 la Bretagne, du nord au sud. Raison de plus pour que le musée de Pont-Aven fête l’artiste qui déclarait à 81 ans : « Il faut rester dans le train pour garder sa jeunesse ». Prenons-le pour aller la saluer ! Amélie Meffre

(1) Manet, une révolution symbolique, de Pierre Bourdieu (Le Seuil, 784 p., 32€).
(2)
Paris 1874. L’instant impressionniste, jusqu’au 14/07/24 au musée d’Orsay.
(3) Voir
le programme sur le site du ministère de la Culture.
(4) 
Anna Boch, un voyage impressionniste, au musée de Pont-Aven jusqu’au 26/05/24.

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Pelloutier, un original prix littéraire

Depuis 1992, le Centre de culture populaire de Saint-Nazaire organise le prix Fernand Pelloutier. Un original prix littéraire du nom du militant nazairien, l’emblématique « patron » de la fédération des Bourses du travail. Au service de la lecture en entreprise, une sélection d’ouvrages soumis au vote des salariés.

Il fut un temps, presque glorieux et pas si lointain, où moult entreprises s’enorgueillissaient de posséder en leur sein une bibliothèque riche et active. Sous la responsabilité des responsables du Comité d’entreprise, parfois dirigée par un bibliothécaire professionnel, elle proposait des prêts de livres aux salariés et à leurs ayant-droits, organisait des rencontres avec libraires et auteurs sur le temps de pause, initiait des ateliers d’écriture qui rencontraient un certain succès. Las, depuis les années 2000, chômage et réduction d’effectifs, emplois précaires et crise du syndicalisme, nouveau statut des C.E. et démotivation des engagements militants ont radicalement changé le paysage. En bon nombre d’entreprises, désormais, le livre n’a plus son ticket d’entrée et le service Culture s’apparente à un banal comptoir à billetterie.

Comme Astérix et Obélix en pays breton, le Centre de culture populaire de Saint-Nazaire (le CCP) défend, contre les envahisseurs à spectacle de grande consommation et les hérauts d’une culture bas de gamme, la place et l’enjeu du livre au bénéfice de l’émancipation des salariés. Bibliothécaire à Assérac en pays de Guérande et animatrice de la commission Lecture-Écriture au sein du CCP, Frédérique Manin en est convaincue et n’en démord pas : au cœur de l’entreprise, le livre demeure un outil majeur dans l’expression et la diversité culturelles, un formidable vecteur d’ouverture au monde pour tout salarié. « Outre l’organisation du prix Fernand Pelloutier,  nous tenons chaque lundi des points-livres en divers services municipaux de la ville de Saint-Nazaire ». Les fameux « casse-croûte » littéraires permettent ainsi aux agents de découvrir l’actualité du livre et d’échanger sur leurs lectures favorites. « Des rencontres porteuses parfois de beaux échanges, tels ces salariés découvrant un superbe bouquin sur les tatouages ou la moto », confie la professionnelle du livre, « nous sommes ainsi les passeurs d’une véritable culture de proximité » !

Il en va de même avec le prix Fernand Pelloutier. Il ne s’agit pas seulement de soumettre au vote une sélection de livres, romans ou BD une année sur deux. « Pour le cru 2024, plusieurs rencontres avec auteurs, éditeurs ou dessinateurs sont prévues dans diverses entreprises du bassin nazairien. Une façon aussi pour chacune et chacun, ouvriers et salariés, de désacraliser la notion de créateur, de mesurer combien un écrivain est un homme ou une femme comme tout le monde, sujet à des règles de travail et à des contraintes communes à tout citoyen ».

De Saint-Nazaire ou d’ailleurs, de Picardie en Navarre, de Roubaix à Toulouse ou Nevers, à tout mordu du livre, salarié ou dynamique retraité, est désormais dévolu l’idée d’initier un atelier et d’organiser une rencontre à la cantine ou à la salle de repos de l’entreprise autour de la sélection proposée par le CCP qui a fêté en septembre 2023 son 60ème anniversaire. Suggestion et interpellation sont à formuler avec force convictions auprès des responsables syndicaux ou membres du Comité social et économique (CSE). La seule règle, le seul impératif ? Respecter la date limite des votes… Bonne lecture, bon choix ! Yonnel Liégeois

Le Centre de culture populaire : 10 place Pierre Bourdan, 44600 Saint-Nazaire (Tél : 02.40.53.50.04),  contact@ccp.asso.fr. Le bulletin de participation est à télécharger sur le site du CCP et les votes sont à transmettre, au plus tard, le vendredi 31 mai 2024 (par courrier ou courriel : fremanin@gmail.com ).

La sélection des ouvrages

Le voyageur, une BD de Théa Rojzman et Joël Alessandra (Daniel Maghen éditions)

Le plus grand voyage est intérieur… Un homme se retrouve coincé à l’intérieur du tableau de La Joconde. Arpentant ses paysages, il fait d’étranges rencontres qui lui révèlent progressivement la formule pour briser sa solitude : nul ne peut trouver l’amour sans avoir au préalable pris soin de s’aimer soi-même. Résumé : Patrick, gardien de musée au Louvre, passe ses journées avec La Joconde. Mais à force de la voir toute la journée, sourire en coin et bras croisés, le gardien ne la supporte plus. Jusqu’à ce que…

Montagnes russes, une BD de Gwénola Morizur et Camille Benyamina (Bamboo Grand angle)

Une histoire d’amour et d’amitié : de celles qui nous prennent par surprise, nous oxygènent et nous métamorphosent. Résumé : Aimée et Jean rêvent d’avoir un enfant. C’est devenu une idée fixe et les échecs successifs de procréation médicalement assistée sont de plus en plus durs à accepter. Dans la crèche où Aimée travaille, elle fait la connaissance de Charlie, qui élève seule ses trois enfants, et vient inscrire Julio, son petit garçon. Lorsqu’ Aimée prend sous son aile l’enfant de Charlie, un lien se tisse entre elles…

Shit !, un roman noir de Jacky Schwartzmann (Éditions du Seuil)

Quand Thibault débarque à Planoise, quartier sensible de Besançon, il est loin de se douter que la vie lui réserve un bon paquet de shit. Conseiller d’éducation au collège, il mène une existence tout ce qu’il y a de plus banale. Sauf qu’en face de chez lui se trouve un four, une zone de deal tenue par les frères Mehmeti, des trafiquants albanais qui ont la particularité d’avoir la baffe facile. Alors que ces derniers se font descendre lors d’un règlement de comptes, Thibault et sa voisine, la très pragmatique Mme Ramla…

Le gosse, un roman de Véronique Olmi (Éditions Le livre de poche)

Né en 1919 à Paris, Joseph connaît des années heureuses dans un quartier pauvre de la Bastille. Lorsque sa mère décède et que sa grand-mère est envoyée peu après dans un asile, il devient à huit ans, pupille de l’Assistance publique. Une administration censée le protéger, mais dont les bonnes intentions n’ont d’égal que la cruauté ! De la prison pour enfants à la colonie pénitentiaire, la force de Joseph et la découverte de la musique lui permettront de traverser le pire. Dans une France portée par l’espoir du Front populaire…

L’oiseau blanc, un court roman de Cathie Barreau (Éditions L’œil ébloui)

Après 15 ans d’exil, Lucas revient dans son village de la côte atlantique. Un pays menacé par les inondations et chargé des secrets de son histoire familiale enfouis dans les racines du temps…

Oublié dans la rivière, un roman enquête de Françoise Moreau (Éditions L’œil ébloui)

À partir d’une légende familiale, racontée de génération en génération, relatant la noyade d’un homme dans une rivière, Françoise Moreau mène l’enquête…

Dernière visite à ma mère, un récit de Marie-Sabine Roger (Éditions de l’Iconoclaste)

Un récit bouleversant sur un sujet sensible qui nous concerne tous : l’accompagnement d’un parent en fin de vie. Durant plus de deux ans, Marie-Sabine Roger visite sa mère placée en EHPAD avant qu’elle ne décède, à 94 ans, quelques semaines avant le confinement. Très vite, la vieille dame devient incontinente et grabataire, faute de personnel à ses côtés. Les mains n’obéissent plus, la mémoire flanche, la dépression s’installe. On l’infantilise, on la médicamente…

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Céleste, une autre planète

Jusqu’au 25/02, au Théâtre Paris-Villette(75), Didier Ruiz présente Céleste, ma planète. Une adaptation du conte fantastique de Timothée de Fombelle, paru aux éditions Gallimard. Pour petits et grands, une interpellation joyeuse sur l’avenir de notre terre.

Solitaire et désœuvré dans cette tour de verre de plus de 300 étages, le jeune garçon est tout tourneboulé depuis qu’il a croisé Céleste dans l’ascenseur ! Le coup de foudre, il lui faut absolument la revoir, l’amoureux transi en oublie la promesse qu’il s’est faite alors qu’il n’avait que huit ans : ne plus jamais tomber amoureux !

Sa quête s’avère plus difficile et dangereuse qu’il n’y paraît. Impossible de rejoindre la jeune fille, séquestrée au dernier étage de la tour infernale… Malade et peut-être contagieuse, elle est condamnée à l’isolement. Sur son corps, apparaissent d’étranges tâches sombres, tantôt dessinant la déforestation des forêts tantôt la fonte des glaces en Arctique. L’adolescent en est convaincu : retrouver et sauver Céleste, c’est sauver la planète ! Le défi est de grande ampleur. En fond de scène, entre dialogues et situations comiques ou dramatiques, sont projetés des images alarmantes de l’état du monde. Une pollution galopante, un monde industriel qui ne pense qu’aux profits et se moque de l’avenir de l’humanité…

Dans cette cité futuriste, glaciale et aseptisée, l’amour réchauffe les cœurs et énergise cette enquête policière pour le moins originale. Ils sont seulement trois comédiens à endosser tous les rôles, alternant humour et fantaisie pour mieux faire passer le message écologique au jeune public : si la planète était une personne, ne ferait-on pas tout pour la sauver ? Un spectacle convaincant pour petits et grands, où l’on ne s’ennuie pas un seul instant, emporté par le souffle virevoltant de la mise en scène de Didier Ruiz. Une histoire joliment orchestrée sur le plateau, une adaptation pleinement réussie de l’œuvre de Timothée de Fombelle qui ne relève en rien du conte à l’eau de rose. Yonnel Liégeois

Céleste, ma planète : jusqu’au 25/02, dans une mise en scène de Didier Ruiz. Théâte Paris-Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris (Tél. : 01.40.03.72.23). Céleste ma planète, de Timothée de Fombelle (éd. Folio junior/Gallimard jeunesse, 96 p., 4€50).

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Morphé, de l’Hydre à la Villette

Jusqu’au 05/11, au théâtre Paris-Villette, Simon Falguières présente Morphé. Première création de la compagnie K-Simon Falguières au sein de son nouveau lieu, le Moulin de l’Hydre, la mise en scène porte la marque de cet espace. La scénographie reproduit l’atelier du Moulin et la fable s’inspire de l’esprit bucolique des lieux : la forêt, la rivière et la carrière de pierres.

Au lieu-dit Les Vaux, entre Saint Pierre d’Entremont et Cerisy-Belle Étoile (Orne), une ancienne filature, puis usine de pièces détachées, a été rachetée par Simon Falguières et des membres de la compagnie K en vue d’une « fabrique théâtrale ». D’un côté, un lieu d’habitation où six personnes ont élu domicile permanent – dont le metteur en scène et le directeur technique de la compagnie. En face, des ateliers de répétition, de construction de décor et bientôt une salle de théâtre…

Conteur né, l’auteur et metteur en scène nous embarque dans une de ses histoires à tiroirs, au-delà du temps. Seul en scène, vêtu d’un pantalon retenu par des bretelles, il apparaît dans la boite d’un théâtre de bois, constitué de hauts murs bruts. Il endosse le rôle d’un petit garçon : Pierre, huit ans, ne peut pas dormir. Il appelle sa maman, Masha, une grande actrice, représentée ici par une robe chamarrée reposant sur un mannequin métallique. Pour le bercer, elle lui raconte une histoire de son enfance, celle de la Baleine Bleue, un théâtre fondé par son père Rezzo, dans un lointain pays en guerre. Pour la distraire, Rezzo l’amenait dans le théâtre et, dans le ventre de La Baleine bleu, il lui jouait son dernier spectacle Morphé ou la naissance du monde.

Simon Falguières devient alors ce grand-père, un clown au nez noir, à la dégaine de pantin aux gestes saccadés, tout droit sorti d’un théâtre de marionnettes tchèque. Comme mu par des fils invisibles, le vieil homme joue une fantasmagorie peuplée d’animaux, bientôt envahie d’humains belliqueux sous les ordres d’un empereur d’opérette. Dans cette cabane enchantée, des trappes crachent balles et objets, un tiroir s’ouvre et se referme tout seul, recélant des dessins. Deux complices en coulisse réalisent ces trucages avec une précision d’horlogers. « C’était ça son spectacle », dit le narrateur, « il racontait qu’au commencement il y avait Kaos, qui engendra Gaya, la Terre, qui engendra Eros, Erèbe, les Ténèbres, et Nyx, la Nuit obscure ».

Au terme de cette genèse sans parole, descendant la chaîne de l’évolution, du poisson à la salamandre et au singe, on assiste à la naissance de l’homme avec son appétit funeste de pouvoir. « Qui sommes nous, les hommes ? », se demande Simon Falguières en manipulant de petites poupées blanches apparues entre les murs disloqués. Et pour finir, une note d’espoir : « Sur les décombres, des années plus tard, un baleineau revient ». Même si l’on se perd parfois dans l’emboitement de ces histoires, cette saga poétique d’une heure, destinée au jeune public est un hommage au théâtre des origines avec tréteaux, accessoires de fortune, dessins d’enfant, contes fantastiques et corps disloqué d’un vieux clown. « Nous sommes nés d’un émerveillement », conclut l’auteur. « Il y aura toujours des poèmes pour nous le rappeler. Des baleines bleues dessinées, émerveille toi ! ».

Issu d’une lignée de saltimbanques, l’artiste remonte ici à ses origines familiales. Il renoue aussi avec le clown Rob qui fut sa première création, jouée plus d’une centaine de fois. « Avec Morphé je veux retrouver ce travail, vers un personnage hybride. Mi clown, mi aède, mi sculpteur, mi danseur. Il s’agit pour moi d‘une recherche intime. D’un travail technique que j’ai toujours rêvé de reprendre ». Morphée, fils d’Hypnos (le Sommeil) et de Nyx (la Nuit) nous emmène au pays des rêves aux couleurs de l’enfance. Mireille Davidovici

Morphé, de et avec Simon Falguières : du 19/10 au 05/11, au théâtre Paris-Villette. Le 22/03/24, au théâtre du Château à Eu (76). Du 25 au 29/03, à la Comédie de Caen (14). Du 8 au 13/04, aux Transversales – Scène conventionnée de Verdun (55). Le 04/05, à Saint-Junien (87). Web : le site pour soutenir la création de la Fabrique théâtrale.

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Liberté pour les blattes !

Jusqu’au 14 octobre, à la Manufacture des Abbesses (75), Marilyn Pape met en scène La nostalgie des blattes. Incarnant, en compagnie d’Eulalie Delpierre, deux vieilles femmes qui résistent avec malice dans un univers effrayant, fliqué et aseptisé. Le texte de Pierre Notte est servi avec talent.

Il y a du Godot dans l’air. Deux femmes, vieilles, en combinaison plus ou moins moulante, ce qui ne cache guère les chairs usées, attendent. Peut-être des clients, des parents, des amis. On ne saura pas. Personne ne viendra. La nostalgie des Blattes, publiée en 2017 par Pierre Notte, est une histoire un rien fantastique, mais qui surtout s’attache à parler d’un monde qui n’est plus. D’un monde qui vivait, avant que « la brigade sanitaire » aux ordres d’un pouvoir autoritaire, aliénant et hygiéniste ne surveille chacun à l’aide de drones. Pendant que le dérèglement climatique fait ses ravages sans retour possible.

Ces deux vieilles, que des autocars de curieux sont venus visiter il y a longtemps, comme on va au Louvre voir La Joconde, sont des vestiges. Toute leur vie, avant et après le grand chamboulement, elles ont refusé de céder aux injonctions d’apparence. Chez elles, pas de Botox ou de chirurgie esthétique. Elles en font une fierté. Leur apparence est celle de leur âge, au moins 70 printemps. Et c’est bien ainsi. Comme deux gamines, elles fument quelques cigarettes et se souviennent du temps où l’on avait le droit de fumer, de manger des fruits, des gâteaux, de la viande, du pain, de vrais légumes, et non pas des barres lyophilisées qui sont désormais la seule nourriture. Plus de sucre, de gluten, de café non plus. La vie n’a plus de goût.

Elles imaginent un avenir

C’est Catherine Hiegel qui souffla en jour à Pierre Notte l’idée d’écrire « un musée de la vieille ». Avec Tania Torrens, elle a créé la pièce au Théâtre du Rond-Point. Cette fois, à la Manufacture des Abbesses, Eulalie Delpierre et Marilyn Pape (à qui l’on doit aussi la mise en scène) ont repris les rôles en cette rentrée. Et elles les défendent avec finesse et talent. Les deux femmes font connaissance, et pas à pas construisent un avenir. C’est à la fois très drôle, cruel, amer. Tout autant que lucide. La vieillesse n’est pas souvent abordée en tant que telle ni questionnée au théâtre. Les personnages, qui certes se vieillissent un peu, ne caricaturent pas leur âge, mais l’assument. En toute franchise. L’une était comédienne et chanteuse, l’autre danseuse. Elles le prouvent un instant, et c’est beau.

« La vieillesse est un naufrage », a-t-on dit. Mais ce n’est peut-être pas aussi simple, ce peut être aussi l’heure d’une révolte. Vieille 1 et Vieille 2 ? On ne connaît pas leur état civil, elles ne se réfugient pas seulement dans leur passé. Elles disent le présent, et inventent, jouent, comme sur la scène, comme dans la vie. Dehors, tout est propre, très propre, « javellisé ». Des plantes, des arbres existent-ils encore ? Et les insectes ? Peut-être que voilà un moucheron, elles ont cru le voir. Sur un champignon. Alors, tout n’est pas perdu. Il faut aller voir ces deux vieilles femmes joliment nostalgiques, mais qui refusent de ne pas pouvoir rester libres jusqu’au bout du chemin. Gérald Rossi

La nostalgie des blattes, à la Manufacture des Abbesses : jusqu’au 14/10, du mercredi au samedi à 19h. 7 rue Véron, 75018 Paris (tél. : 01.42.33.42.03).

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Brin d’être, la recette du bien-être !

À Saulnay (36), Lucie et Damien Koziaz développent cultures maraîchères et plantes aromatiques. Avec Brin d’être, un retour à la terre qui répond à leurs aspirations et au bien-être collectif.

À l’heure où les circuits courts sont de plus en plus valorisés, il était difficile pour Lucie et Damien de faire mieux ! C’est au sein même du bourg de Saulnay, dans l’Indre, qu’ils ont trouvé une parcelle suffisamment vaste pour développer leur projet. « Les caractéristiques du sol sont différentes selon les endroits. Aussi, nous réservons certaines parties au maraîchage et d’autres aux plantes aromatiques ». Là se récoltent tomates, poireaux, pommes de terre, carottes, courgettes, salades, radis, betteraves… Pour lutter naturellement contre les pucerons et protéger les quelques deux cent pieds de tomates, à proximité on trouve du basilic qui chasse les insectes nuisibles ou des capucines qui les attirent et les éloignent ainsi du fruit. Le couple ne compte pas se limiter à ce type d’activités, le parc des poules sera augmenté pour répondre à une demande croissante d’œufs de qualité.

À quelques pas de là, la place est occupée par les plantes aromatiques : origan, sarriette, bourrache, sauge, thym, estragon … Au total, une vingtaine de variétés vers lesquelles Lucie et Damien souhaitent concentrer une partie plus importante de leur travail. Le projet ? La commercialisation de tisanes. Un bâtiment, déjà équipé d’une salle de séchage, doit être aménagé. « Nous sommes deux exploitants sur ce créneau dans le département, il y a de quoi envisager de réels débouchés », note Damien. Le domaine, ils l’ont trouvé au bout d’une longue série de visites. « Il correspond exactement à nos aspirations ». D’une surface suffisamment vaste (près de 7000 m²), avec une maison vivable immédiatement pour accueillir les deux enfants de la famille, à proximité d’autres habitations… « C’était important pour nous de nous intégrer dans la localité », précise Lucie. En effet, le couple a vécu la première partie de son existence sous d’autres cieux.

À l’ombre des chênes, les salades poussent mieux

Originaire de Châteauroux, Damien a passé sa jeunesse dans le sud-ouest. Après un bac scientifique pour devenir kiné, il s’inscrit à la faculté de médecine de Toulouse. C’est là qu’il rencontre Lucie. Ils arrêtent alors leurs études et exercent différents métiers : ajusteur chez Airbus pour l’un, restauration rapide et aide à domicile pour l’autre… N’y trouvant pas un réel épanouissement, ils décident de changer du tout au tout pour une activité et un rythme de vie plus conformes à leurs valeurs et aspirations. Direction l’Indre, un retour aux sources pour Damien où la greffe, de toute évidence, a bien pris !

Salle de séchage des aromates

Pour le couple, l’immersion en terre brennouse est une réussite. « Ça s’est fait naturellement et rapidement. Portés par le tissu associatif, nous avons le sentiment d’être pris dans une vague positive. On trouve toujours quelqu’un pour aider en cas de problème. Saulnay est une grande famille », constate Lucie avec un large sourire. Une vie sociale riche et un travail au service d’une agriculture biologique contribuant au bien-être des consommateurs et à la protection de l’environnement : pour Lucie et Damien, tant personnel que professionnel, au Brin d’être l’équilibre semble atteint. Philippe Gitton

Le Brin d’être, chez Lucie et Damien Koziac (visite de l’exploitation possible) : 8 chemin des loges, 36290 Saulnay (Tél. : 06.52.72.51.20 ou 02.18.01.08.57). Vente directe sur les marchés : le jeudi matin à Mézières, le vendredi matin à Buzançais, le dimanche matin à Vendœuvres.

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