La France est terre de festivals. Il y a la musique, la danse, le cirque, les arts de la rue, le cinéma, le théâtre, l’opéra et les festivals du mélange… Avec une interrogation que pose Olivier Neveux dans son ouvrage, Politiques du spectateur : qu’en est-il du public ?
Au-delà de sa contribution à l’activité festivalière, Avignon est un rendez-vous singulier. Pour la production du théâtre contemporain mais aussi pour les relations que la société entretient avec l’art et la culture en général. Un rôle emblématique qui doit beaucoup à son créateur. Jean Vilar, le fondateur du théâtre national populaire, avait en effet quelques convictions fortes. Ainsi disait-il que « si l’on ne peut plus imaginer une éducation qui ne soit nationale », lui ne pouvait « imaginer une forme de théâtre contemporain qui ne soit populaire ». Un théâtre national populaire donc, qu’il concevait comme « un service public au même titre que le gaz, l’eau, l’électricité »… On peut certes discuter et réinterroger sans fin l’appellation populaire. Tant au regard des publics et des fréquentations que de l’extrême diversité des créations. Reste que cette conception a profondément marqué l’histoire du pays. Elle est à l’origine de la décentralisation théâtrale et d’une certaine conception du rôle de l’Etat. Elle a nourri la notion « d’exception », comme elle a irrigué la revendication d’une véritable démocratie culturelle. Elle explique aussi la présence ininterrompue de la CGT en Avignon.
Mais cette aura qui entoure le festival tient aussi à la spécificité de l’art théâtral. A l’heure de la reproductibilité technique et désormais de la virtualité généralisée, quand la quasi-totalité des formes artistiques sont disponibles en mode séparé, individuel et portatif, quand nous pouvons télécharger la musique et les films, visiter le Prado, le Louvre ou voir la Ronde de nuit au Rijksmuseum d’Amsterdam sans quitter nos pénates, le théâtre continue de faire exception et d’échapper à cette dynamique individualisante qui pourrait bien être un signe des temps. Il y a là comme une anomalie, un anachronisme, un archaïsme même. Mais un archaïsme qui n’a rien d’une survivance incongrue ou nostalgique. C’est en effet une donnée constitutive du théâtre que de convoquer une assistance pour se donner en partage. Sans cette convocation point de représentation. Loin donc d’être une forme délimitée, un texte ou même un lieu, le théâtre est avant tout ce qui ne prend forme que dans cette relation qui associe le travail d’une troupe sur un plateau à une assemblée de spectateurs qui l’observe, le regarde, l’écoute…
D’où, sans doute, la dimension politique dans laquelle se déploie toujours l’opération théâtrale. C’est cette portée du théâtre qu’explore l’historien Olivier Neveux dans un essai, Politiques du spectateur, consacré aux enjeux du théâtre politique aujourd’hui. Sans prétendre assigner au théâtre de mission unique ou de le forcer à la politique – « Il est de nombreuse œuvres qui n’en ont pas le souci et qui sont passionnantes et essentielles » ‑, il y affirme néanmoins sa conviction que le théâtre, par sa relation au spectateur, laisse entrevoir une liberté à venir. Quand les grandes espérances politiques se sont absentées, quand triomphe la domination qu’elles prétendaient subvertir, alors le théâtre a un rôle majeur à jouer nous dit-il. « Dans le partage avec le public, il peut expérimenter les formes d’une mise en commun, manifester le désir d’un autre monde, d’un avenir différent ».
Autrement dit, par gros temps politique, loin d’être cet art de l’illusion que dénonçait Platon, le théâtre n’éloigne pas du théâtre des opérations. Au contraire, il y ramène. Jean-François Jousselin
« Politiques du spectateur, les enjeux du théâtre politique aujourd’hui« , d’Olivier Neveux (La Découverte, 280 p., 22€50). A lire aussi, « Populaire, vous avez dit populaire ? » (Cahiers Jean Vilar, N°115, 82 p., 7€50) et « L’économie du spectacle vivant« , d’isabelle Barbéris et Martial Poirson ( PUF, 128 p., 9€).