Ancien directeur du Centre dramatique national de Dijon-Bourgogne, François Chattot est, ce que l’on nomme familièrement, une « bête de scène ». Un comédien surtout aux convictions solidement ancrées, attachant et convaincant, quoique sulfureux et iconoclaste dans le propos !
Yeux pétillants, en permanence la main baladeuse de la bouche au front et réciproquement, l’homme parle comme il respire : d’un souffle puissant, où la vigueur du propos se joue de la passion du verbe ! Il est ainsi François Chattot, l’ancien pensionnaire de la Comédie Française, une carrure imposante derrière laquelle avance, à pas comptés mais visage démasqué, une carte du tendre nullement feinte.
Né à Roanne en 1953, « dans une famille humaniste éclairée », le gamin est très tôt attiré par la scène. Grâce surtout à un papa lui-même féru de théâtre… En 1974, il s’inscrit donc à l’école du TNS, le Théâtre National de Strasbourg dirigé à l’époque par Jean-Louis Martinelli. Son professeur d’alors ? Jean-Louis Hourdin, celui là même qu’il retrouvera ensuite régulièrement sur les planches ! Avec son compère de scène, s’instaure en effet un long compagnonnage fondé sur deux principes fondamentaux : l’esprit de troupe et la passion de la décentralisation. Qui se traduit par de nombreux projets théâtraux où l’un met l’autre en scène dans Büchner et Shakespeare, par un voyage improvisé à Bochum où ils rencontrent Matthias Langhoff… « Dès cette époque, nous rêvions Jean-Louis et moi de travailler sur les textes de Marx, Brecht et Büchner », se souvient François Chattot, « l’emballement des spectacles et des créations nous en ont fait perdre le fil et le temps jusqu’à ce jour où je repose la question et où nous décidons de nous mettre à la table de lecture ».
Une révélation pour le comédien relisant alors le Manifeste de Marx et Engels, celui de Brecht rédigé durant son exil à New York ! « Quel texte poétique, quelle langue : je reste sidéré par la beauté, autant que l’actualité, de ces mots écrits en 1848 pour l’un, 1945 pour l’autre ». Et Chattot et Hourdin de redoubler d’efforts pour trier, sélectionner, donner cohérence aux paroles mêlées de Marx, Brecht et Büchner… « Il n’était pas question pour nous dans ce spectacle, « Veillons et armons-nous en pensée », de faire de la commémoration, il s’agissait avant tout de raviver la réflexion de chacun, de s’armer en pensée comme le suggère le titre ». Faire la jonction entre théâtre et monde réel, faire de la pensée un outil d’action, faire du théâtre où chacun, acteur et spectateur, se réapproprie la parole « pour tuer le malheur » à l’heure où la planète chancelle sous les diktats de l’OMC et du FMI… « La salle appelle au secours autant que la scène », clament et chantent à l’envie Chattot et Hourdin sur les traces de Grüber ! Une prise de parole risquée pour un comédien, que l’ancien patron du CDN de Dijon resitue dans un engagement plus radical. « Notre métier, mon métier de comédien, c’est de danser sur le malheur, de jouer sur la blessure du monde pour que le théâtre en soit une radiographie joyeuse. Comme au cirque où il y a les montreurs d’ours, je veux être un montreur de mots : pour que chacun s’en empare, comme au temps de la démocratie athénienne sur les parvis de l’Agora ».
Un spectacle sérieux, grave certes mais surtout pas triste où s’entrelaçaient, au détour d’une chanson ou d’une comptine, puissance poétique, humour corrosif et force politique. L’expérience de François le saltimbanque, à travers cette mise en jeu ? « Toute à la fois extraordinaire et tragique : extraordinaire parce qu’elle donne à parler aux spectateurs au cours même de la représentation, tragique parce que partis et associations n’ont pas osé s’en emparer. Las, elle est révolue cette époque où les artistes cheminaient de concert avec les politiques. Pourtant, j’en suis convaincu, ils auraient tout à gagner à partager leurs rires et leurs rêves avec les poètes ». En juin dernier, en compagnie de Martine Schambacher, il mettait encore le feu aux planches avec «Que faire ? », un texte jouissif et décapant de Jean-Charles Massera, mis en scène par Benoît Lambert ! N‘hésitez pas une seconde si vos yeux croisent un jour François Chattot tout en haut d’une affiche, poussez la porte et attendez que les projecteurs s’allument : vous ne le regretterez pas ! Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Pour découvrir mieux encore le comédien, est disponible en DVD « Allegria Opus 147 », une pièce écrite et mise en scène par Joël Jouanneau.