Siméon, le rebelle du Verbe

Directeur du Printemps des Poètes, lui-même « poète associé » au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Jean-Pierre Siméon fustige dans un court mais iconoclaste essai les gens de théâtre qui se la jouent « trop sérieux ». Prônant, en une belle langue, le retour à l’émotion partagée.

 

 

Yonnel Liegeois – Privilégiant l’émotion au didactisme, vous reprochez au théâtre contemporain de trop souvent « faire l’important ».
Siméon2Jean-Pierre Siméon – Le théâtre public, le théâtre d’art, celui qui m’importe et vis-à-vis duquel je suis donc le plus exigeant, s’est laissé entraîner ces dernières décennies vers un esthétisme froid par peur du sentiment, de l’émotion, en un mot du « pathos ». Je n’ai rien contre l’esprit de sérieux et le didactisme mais on est tombé dans un excès de formalisme savant, de démonstration conceptuelle brillante et virtuose. Cette obsession de la mise à distance interdit peu ou prou le plaisir naïf et spontané.  Or, je crois que le théâtre doit être d’abord le lieu d’une émotion partagée, que l’émotion n’interdit pas la pensée, que le théâtre est précisément l’occasion d’une émotion qui ouvre à la réflexion.

Y.L. – « Le théâtre, la poésie, c’est essentiel mais ce n’est pas grave… », affirmez-vous dans « Quel théâtre pour aujourd’hui ? Petite contribution au débat sur les travers du théâtre contemporain ». Un propos iconoclaste, pour un auteur lui-même « poète associé » au TNP de Villeurbanne ?
J-P.S.Je crois à la nécessité, à l’urgence même du théâtre et plus généralement de la poésie, du partage de l’art dans la cité. Cela est essentiel en effet, il s’agit de préserver et de manifester pour tous, au sein de la communauté humaine, l’effort de la pensée, le questionnement comme acte de conscience libre, la présence d’un langage non servile. Mais l’importance de ces enjeux, si on veut qu’elle soit partagée par ceux qui les ignorent ou qui y sont indifférents, doit s’accompagner d’une attitude ouverte, humble, généreuse de ceux qui les portent. Or je ressens pour ma part dans les lieux du théâtre, de l’art, la persistance d’une tonalité de sérieux à tout crin, une prétention implicite à l’excellence assurée d’elle-même qui ne sont pas engageantes  pour qui ne partage pas les codes, les us et coutumes de la communauté artistique. Ce n’est pas un problème si on se satisfait du public déjà acquis, celui qui a trouvé ses marques. Le problème que je pose dans cette formule provocante ? Si l’on ne veut pas renoncer à l’idéal des Copeau, Dasté, Vilar, d’élargir ce public, il faut veiller à ce qui sournoisement met à distance : une certaine sacralisation du geste artistique, les discours et comportements intimidants qui vont avec.

Y.L. – Vous assignez une haute fonction au théâtre ?
quel-theatre-pour-aujourd-hui-J-P.S.La fonction politique est inhérente au théâtre, depuis l’Antiquité. Songez que le théâtre est dans la cité ce lieu incroyable où l’on ne se rassemble que pour assister à la manifestation de la pensée, de la langue, du poème. Où l’on s’assemble pour penser l’humain et interroger la complexité du destin individuel et collectif. Cela ne sert à rien, sinon à alerter les consciences, à les rendre plus alertes, à les exercer au doute, au désir, à l’inconnu. Si l’on croit, comme c’est mon cas, qu’une société n’est vivable et amendable que si existent en elle des consciences éveillées, critiques et « pensantes », le théâtre, l’art partagé sont les moyens de cette émancipation. Le théâtre est donc, à mes yeux, une université populaire permanente

Y.L. – Vous rêvez d’un théâtre faisant scène ouverte du matin au soir. N’est-ce pas utopique ?
J-P.S. – Les théâtres ne sont ouverts généralement que 3 heures sur 24, à l’heure où tout le monde rentre chez soi ! Il y a là un paradoxe évident. Et pour ceux qui justement ne sortent pas, ils apparaissent alors comme des lieux fermés et inutiles. Je sais combien c’est difficile, mais je rêve donc de théâtres ouverts de jour où le public pourrait constater qu’en journée se prépare la fête du soir, où il pourrait, pourquoi pas le matin, le midi ou au « goûter », aller s’entendre dire un poème, boire un pot avec les artistes, rencontrer un auteur, assister à une heure de Beckett ou de Valletti… N’y aurait-il pas de public pour cela ? Voire… Christian Schiaretti (le directeur du TNP, ndlr) dit justement que le problème des 35 heures, ce sont les 5 heures. Que sont devenues ces heures gagnées ? Si le théâtre était réellement un lieu de vie, il pourrait être une alternative au stade ou au centre commercial qui ont préempté ce nouveau temps libre. Propos recueillis par Yonnel Liégeois

 

Né à Paris en 1950, agrégé de lettres modernes, passionné du verbe, Jean-Pierre Siméon écrit pour le théâtre mais il a surtout publié de nombreux recueils de poésie. Prix Apollinaire en 1994 et Max-Jacob en 2006. Son œuvre poétique est disponible chez Cheyne éditeur. À découvrir et à lire : « Stabat mater furiosa (suivi de) Soliloques » et « Le sentiment du monde ». Son dernier recueil paru, le « Traité des sentiments contraires » toujours chez le même éditeur.

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