Khamissi, un cairote au volant !

Avec « Taxi » et « L’arche de Noé », l’écrivain et journaliste Khaled Al Khamissi s’impose comme une plume incontournable dans le monde arabe. Entre humour populaire et pamphlet politique, cinquante-huit conversations avec des chauffeurs de taxi cairotes qui s’expriment en roue libre, douze portraits d’égyptiens hauts en couleurs en quête d’immigration.

 

 

Sourire complice et regard malicieux, maîtrisant la langue française à la perfection, Khaled Al Khamissi use d’une liberté déconcertante pour taxi1dénoncer incuries et vicissitudes qui secouent l’Égypte. Depuis l’arrivée au pouvoir en 1981 d’Hosni Moubarak, au lendemain de l’assassinat du président Sadate, jusqu’à sa chute en 2011… « Depuis vingt ans, j’écris des livres dans ma tête en me posant toujours la même question : pourquoi écrire dans un pays qui s’enfonce doucement dans le sous-développement et la sous-culture ? », confesse avec humour le jeune écrivain. Un homme pourtant fier et amoureux du Caire, « ma ville, mes amis, mes amours », un homme qui n’admet pas de voir ce peuple au génie millénaire sombrer dans « la lourdeur psychologique et la laideur »… Parus respectivement en Égypte en 2007 et 2009, ces deux romans auguraient de manière prémonitoire le séisme politique et social qui allait faire trembler la terre des pharaons deux ans plus tard.

« Je suis un enfant du Caire, j’ai toujours habité cette ville. Le taxi est un moyen de locomotion très développé dans notre capitale ». D’où l’idée en 2005, alors que le président Moubarak brigue un cinquième mandat, de donner la parole à la rue par l’entremise de ceux qui la pratiquent journellement et la connaissent le mieux : les chauffeurs de taxi de la mégapole égyptienne !  » Taxi  » ? Des « contes populaires Taxi2», des conversations qui lui permettent ainsi de libérer sa parole et sa plume alors que, embauché dans un grand quotidien de la capitale, le journaliste constate que ses papiers ne sont jamais publiés : une situation ubuesque pour le fringuant diplômé en sciences politiques de l’université du Caire, en relations internationales à celle de la Sorbonne ! « Moubarak, candidat à un cinquième mandat, vous imaginez ? Vingt-quatre ans au pouvoir, sans véritables avancées ni changements significatifs au quotidien pour la population ». Sous la plume de Khaled Al Khamissi, les bouches s’ouvrent, le petit peuple des rues du Caire prend la parole au grand jour ! Pour dénoncer l’incurie du régime, la corruption à tous les étages du pouvoir, le népotisme de l’administration et de la police, les difficultés de la vie au quotidien, les carences du système éducatif et l’absence d’ouvertures culturelles, le bradage de l’économie au capitalisme international… Et de récidiver avec « L’arche de Noé », livre-portrait de douze hommes et femmes, intellectuels ou fils du peuple dont les destins se sont croisés avant ou après avoir émigré – ou tenté de le faire – à la recherche d’un emploi.

« J’ai choisi une forme littéraire, la « magama » typiquement arabe. Une prose basée sur un échange entre quelqu’un qui connaît, le chauffeur de taxi ou l’émigré en puissance, et celui qui ne sait pas, le narrateur ». Des récits représentatifs de la société égyptienne, Taxi3réels mais fortement retravaillés pour devenir des fictions où chaque « témoin » décrit avec force détails tragi-comiques son quotidien parsemé d’embûches. « Depuis des décennies, nous assistons à l’échec absolu des politiques en tout domaine, l’Égypte se retrouve dans une impasse. Pourtant je l’affirme, le peuple égyptien est un grand peuple, un peuple de génie, un peuple d’une grande sagesse. D’où ma foi en la rue, pas en l’intelligentsia ». Sous couvert d’histoires croisées d’apparence anodine ou cabotine, Khaled Al Khamissi offre un authentique brûlot politique, une peinture au vitriol d’un pays confisqué par une caste de nantis qui pillent sans vergogne les richesses et les attentes d’un peuple besogneux presque revenu au temps de l’esclavage !
Entre fiction littéraire et enquête de terrain, entre lucidité et résignation, au souvenir de cette dictature politique qui avait confisqué biens et pouvoirs à son profit, au lendemain d’une révolution populaire confisquée par les islamistes puis de nouveau par l’armée, Khamissi garde une lueur d’espoir. « L’Égypte est sujette à un grand bouillonnement. À un réveil culturel et social, que l’intelligentsia continue d’ignorer mais qui est porté par les « petites gens ». Sur les berges du Nil, ce grand fleuve que l’on croyait dompté à jamais, des crues inédites pourraient poindre encore à l’horizon. Sans rapport avec le dérèglement climatique ! Yonnel Liégeois
A lire aussi, « Chroniques de la révolution égyptienne » d’Alaa El Aswany. L’auteur de « L’immeuble Yacoubian », porté à l’écran par Marwan Hamed et best-seller international, nous propose une sélection de 45 articles publiés dans les quotidiens Shorouk et El Masri El Yom. Qui chacun se termine par la formule « La démocratie est la solution ». Une poignante photographie de l’Égypte d’avant la révolution, un regard lucide sur les contradictions et difficultés qui subsistent au lendemain de la chute de Moubarak.

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Classé dans Littérature, Rencontres

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