Avec « Peine perdue », son nouveau roman paru chez Flammarion, l’écrivain Olivier Adam signe le portrait d’une communauté désabusée. Un roman social qui nous plonge au cœur du désarroi français.
Cyrielle Blaire – Dans « Peine perdue« , défilent tour à tour 23 personnages désemparés, qui ont arrêté d’y croire. La peinture d’un certain état de la France ?
Olivier Adam – Je considère que les romans doivent à la fois traiter de l’intime et du collectif, de la condition humaine, mais aussi de l’état de la société dans laquelle on vit. Ma mission est de parler de cette France là, qui est le cœur majoritaire de la société française. Le cœur du pays, ce ne sont pas des gens qui bossent à la télé, les traders, les patrons ! Ce sont les classes populaires et les classes moyennes. Cette communauté, qui va de la femme de ménage à l’hôpital au saisonnier, est traversée par un désarroi face à la précarisation et à l’accroissement des inégalités, par cette impression qu’ils ne sont ni représentés ni entendus et que, pour la première fois de l’histoire, la génération qui arrive vivra plus mal que celle qui l’a précédée.
C.B. – Vos personnages sont aide soignante, maçon ou encore gardien de nuit… Dans votre livre, la question du sens et de la relation au travail est tout, sauf anecdotique ?
O.A. – La réalité de nos vies, c’est que les gens bossent, essaient de boucler leurs fins de mois, s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Pour donner à voir cette vérité, on ne peut pas faire l’impasse sur les questions liées au travail, aux frictions et à la violence sociale. L’usure d’une vie de travail, c’est une usure intime. A travers ce livre, mes personnages racontent ce qu’ils font de leurs propres difficultés, comment ils essaient malgré tout d’être de bons pères, de bons fils, les solidarités qui peuvent se déployer.
C.B. – Le récit s’ancre dans une station balnéaire de la Côte d’Azur, un lieu où vous écrivez que « le fric coule à flot ». Pas pour tout le monde…
O.A. – Je me suis établi en Bretagne, dans une ville de bord de mer où le contraste est saisissant entre ces familles très bourgeoises qui viennent l’été et les gens qui font tourner les stations. Une fois que les touristes sont partis, il reste ces femmes de chambre des hôtels, ces gens qui travaillent dans les bars, un monde réel de travail souvent manuel, de boulots sans gros salaires. Je suis issu de cette réalité. Mon grand père était cantonnier, mon père vient du prolétariat pur et dur, c’est ce qui m’a façonné et je n’ai jamais perdu le contact avec l’endroit où j’ai grandi en banlieue sud. Souvent, des gens me disent : continuez, car vous n’êtes pas nombreux à parler de nous.
C.B. – On parlait de désarroi… Dans « Les Lisières », votre précédent roman, le personnage du père de l’écrivain est tenté par le vote Front national.
O.A. – Je me suis inspiré de quelqu’un de très proche : ouvrier dans l’imprimerie,
syndiqué CGT et qui tient aujourd’hui des discours intégrant le « tous pourri » et l’idée que « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Dans une période de grande difficulté économique, il y a malheureusement des effets de crispation et de replis. Le sentiment actuel est qu’on demande aux gens des efforts insensés pour réduire une crise qui a été déclenchée par des instances invisibles guidées par la cupidité et le profit. A partir du moment où les hommes politiques qui avaient pour mission historique de réduire les inégalités sociales se sont trahis en professant qu’il faut « contrôler les chômeurs » ou qu’ils « aiment l’entreprise », je pense que cela participe aussi de ce désarroi. Propos recueillis par Cyrielle Blaire
Repères :
Olivier Adam a un style sec et tenu. Au fil de ces romans, il s’est fait le scribe d’une certaine France : celle des marges, des périphéries, mettant en scène avec justesse leur quotidien. Il a notamment publié « Je vais bien, ne t’en fais pas » (adapté au cinéma par Philippe Lioret), « A l’abri de rien », « Les Lisières ». Il a collaboré à l’écriture du scénario de « Welcome », un autre film de Philippe Lioret.