En ce dernier dimanche du mois d’août, le haut de la rue du faubourg Saint-Denis et les voies adjacentes ont revêtu leurs habits de fête. Des guirlandes rouges décorent les trottoirs, des ballons de toutes les couleurs sont accrochés aux lampadaires et aux devantures des magasins. Des enfants déambulent, des animaux gonflables attachés au bout d’une ficelle. Chevaux, requins, oiseaux, dragons s’élèvent au-dessus des têtes. Une foule compacte entoure les chars, habillés d’objets multicolores et surmontés de toits aux couleurs chatoyantes. Ils se déplacent lentement, tirés pas une demi-douzaine d’hommes à l’aide de cordes. En tête du défilé, joueurs de flûte, danseurs et danseuses se frayent un chemin au milieu des curieux. Un peu partout, des noix de coco sont cassées sur le sol. Tout au long du parcours, friandises, gâteaux et boissons fraîches sont offerts au public par des Hindous en costume traditionnel. Le quartier résonne de chants, de musiques, de cris joyeux.
En retrait des festivités, trois jeunes hommes d’une vingtaine d’années se tiennent debout au coin d’une rue. L’un d’entre eux, le plus costaud, adresse un signe aux deux autres.
« C’est bon. Vite. Celui-là à côté du porche, il est tout seul », leur chuchote-t-il.
En quelques secondes, les trois comparses se précipitent sur un Hindou qui distribue des gâteaux, un grand plateau au bout d’un bras. Ils l’entourent.
– « C’est vachement sympa de donner des gâteaux », lui dit le balèze, un grand sourire aux lèvres.
– « Viens », ajoute le second garçon, « on a des choses pour toi. Nous-aussi, on aime partager ».
Une fraction de seconde suffit aux trois types pour entrainer le jeune homme dans une entrée d’immeuble. Il tente de protester mais le meneur de la bande lui glisse un couteau sous la gorge.
– « Tu fermes ta gueule ou je te saigne ».
Ils entrent tous les quatre dans un local à poubelles. Le jeune Hindou, terrifié, se retrouve sur le dos, allongé au sol. Deux lascars sont assis sur lui.
– « Tiens tu vas goûter nos spécialités françaises. Histoire d’échanger. Tu comprends ? »
Tandis que l’un d’entre eux pince le nez du jeune pour lui maintenir la bouche ouverte, le chef du clan sort d’un sac à dos rondelles de saucissons, morceaux de fromage et bouts de pain. Qu’il lui enfourne violemment. Le prisonnier perd vite sa respiration. Les trois compères continuent le gavage.
– « Tu ne pourras pas dire que les Français ne sont pas accueillants », lance l’un deux en rigolant.
Le pauvre devient rouge écarlate, il suffoque.
– « Ah, on est distrait, on a oublié de te donner à boire ».
Une bouteille de vin est débouchée. Coule le liquide, lui arrosant une partie du visage. Bientôt, le jeune Hindou perd connaissance.
– « Bon, ça suffit », lâche le chef de bande. « Il a son compte, il saura maintenant ce qu’est un bon repas du pays ».
Aran meurt un instant plus tard. C’était un jeune homme au cœur fragile. L’étouffement, et la frayeur occasionnée par l’agression, auront eu raison de sa santé précaire.
Les trois amis sortent en riant de l’immeuble. Ils se glissent parmi les fidèles qui célèbrent Ganesh. Le dieu de la prudence, de l’intelligence et de la sagesse. Philippe Gitton