Métro, boulot et… dodo ?

Français ou étrangers, retraités ou salariés, en cette veille de Noël, personne n’est à l’abri de semblable galère : se retrouver un jour sans logement, devoir errer de foyer en hôtel pour éviter la rue. Ni chômeurs ni clochards, les « sans-domicile » réclament juste un peu de dignité et un vrai toit pour leurs enfants.

 
En cette matinée pluvieuse, la charmante Célestine est ravie d’offrir un café bien rue1chaud à son interlocuteur. Ravie surtout de quitter son salon douillet où trône l’aquarium offert par des amis pour rejoindre sa cuisine spacieuse : presque un luxe pour la jeune femme, habituée à vivre depuis de trop longs mois en un espace restreint avec ses deux enfants !
Son HLM, Célestine l’attendait depuis plus de trois ans ! Trois ans à errer de foyer en hôtel, d’hôtel en foyer, une galère qu’elle n’est pas prête d’oublier, qu’elle ne veut surtout pas oublier en dépit d’un regard pétillant aujourd’hui de bonheur… « Dès mon bail signé, le soir même, sans lumière ni chauffage, j’ai emménagé. Disons plutôt que j’ai pris possession des lieux, une première nuit dont je me souviendrai : dans ma précipitation, j’ai confondu la valise aux couettes avec celle des chaussures ! Une nuit glaciale, mais si chaude au cœur pour les enfants et moi ». Avant, Célestine a tout connu : l’hébergement dans la famille, chez des amis, la ronde infernale des hôtels puis en foyer. De toutes, l’expérience la plus sinistre, la plus inhumaine : un loyer exorbitant pour un espace insalubre dans un hôtel du 12ème arrondissement de Paris, une chambre minuscule où règnent promiscuité et manque d’intimité, sans confort ni sécurité. Pourtant, comme tant d’autres en pareil cas, Célestine travaille et touche un salaire. Pas suffisant cependant, pour convaincre bailleurs et propriétaires à lui louer un appartement. Que faire ? « Dans mon malheur, j’ai toujours eu la chance d’échapper à la rue, Même lorsque je fus un jour expulsée sans ménagement par un hôtelier : j’ai retrouvé toutes nos affaires sur le trottoir, et sous la pluie. La honte, l’humiliation pour moi, et tout ça devant les enfants ! » Juste le temps d’alerter les services sociaux avant la nuit et de retrouver en catastrophe, avec les deux petits, un nouvel hébergement en hôtel. Le loyer mensuel de la chambre, « à prendre ou à laisser, il n’y a pas à discuter » ? 2000 € par mois…

Célestine et les autres ? Combien sont-ils à vivre ainsi en France, dans des rue2conditions de logement ou d’hébergement indignes du troisième millénaire ? Le 31 janvier 2014, comme chaque année, la Fondation Abbé Pierre a fait le bilan et livré à nos décideurs et gouvernants, presse et grand public, des chiffres révélateurs et accusateurs. Parmi les dix millions de Français en mal-logement, l’association compte 3,5 millions de personnes mal logées (c’est-à-dire privées de domicile personnel ou qui vivent dans des conditions difficiles), et plus de 5 millions de Français « fragilisés par rapport au logement » (les locataires en situation de précarité énergétique, qui ne peuvent pas payer leur loyer ou encore les foyers surpeuplés). 14 600 vivent dans la rue, 100 000 au camping, 150 000 chez des tiers et plus de 300 000 autres personnes logées à l’hôtel toute l’année : au final, la fondation a recensé plus d’un million de personnes privées de logement personnel ! Et les statisticiens de l’Insee d’enfoncer le clou : on dénombre près de 50% de sans-domiciles en plus entre 2001 et 2012 (141.500 personnes au total aujourd’hui)… Pourtant, ni Célestine ni tous les autres ne sont clochards ou en rupture de ban avec la société ou leur entourage. Le chômage ou le déracinement, l’endettement ou une rupture familiale, et c’est direction un square ou un squat pour tous ces précaires et victimes de la crise économique, ces accidentés de la vie ou ces salariés bien sous tous rapports jusqu’à l’expulsion fatale…
« La rue, ça arrive, et pas qu’aux autres », écrit Véronique Mougin dans « Papa, ruemaman, la rue et moi ». Et la journaliste de conter, avec une certaine pointe d’ironie, ce temps où l’on pensait que « ça » ne nous arriverait jamais. « Perdre sa maison, être expulsé de son appartement, se retrouver dehors : impensable, impossible. La galère, c’était bon pour le clochard du coin, plus ou moins sale et aviné, que l’on imaginait désocialisé, forcément seul dans la vie. Forcément. Car nul citoyen bien entouré, nul papa, nulle maman, ne pouvait être acculé à dormir en plein air ! L’emploi, la solidarité familiale étaient alors de solides remparts contre l’infortune. Du moins le pensait-on, c’était il y a longtemps ».

Depuis, restructurations et délocalisations industrielles frappent les uns tandis que le bouclier fiscal protège les autres, la crise boursière est prétexte à licenciement pour les uns et à l’enrichissement pour d’autres, le prix des loyers ou du mètre carré flambe tandis que le chiffre du chômage explose. Depuis, une autre réalité s’impose : selon un sondage Tns – Sofres réalisé en octobre 2008 pour le ministère du logement, 60% des Français jugent possible qu’eux-mêmes ou l’un de leurs proches finissent un jour à la rue ! Combien sont-ils les demandeurs d’un logement HLM en France métropolitaine ? 1 200 000, dont 330 000 en Ile de France et plus de 100 000 pour la seule capitale… Des chiffres au final si alarmants que d’aucuns estiment « scandaleuse la rétention de logements vacants dans des villes où sévit la crise du logement » ! Selon certains élus, il existe dans Paris, et alentour, des immeubles d’habitation inoccupés depuis des décennies. Une véritable provocation pour tous ceux qui sont en attente d’un toit…
Réquisition ? Le maître – mot est lâché, épouvantail pour les défenseurs de la propriété privée, solution équitable pour nombre d’associations. Pour l’heure, avant que la crise ne s’aggrave, l’urgence s’impose : engager un vaste plan de rénovation et de construction du logement social. Yonnel Liégeois

 

« Papa, maman, la rue et moi »
Durant deux ans, Véronique Mougin et Pascal Bachelet, l’une journaliste et l’autre photographe, sont partis à la rencontre de « mal-logés ». Pour les écouter et témoigner de leur situation, faire en sorte qu’on prenne enfin le temps de les voir et de les écouter. « Papa, maman, la rue et moi » se feuillette comme un superbe livre de vie où les mots et les photos s’entrechoquent et colorent de lumière le destin de ces hommes, femmes et enfants qui, en pleine galère, croient encore à leur dignité. Un livre constat éclairant, un livre combat émouvant.

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