A l’heure où les comités d’entreprise fêtent leur 70ème anniversaire, une étude menée conjointement en Rhône-Alpes par l’université Lyon II et le comité régional CGT livre ses résultats. Un premier bilan sur leurs initiatives culturelles qui incite à prendre en compte de nouvelles réalités.
Alors que l’on fête aujourd’hui les 70 ans des comités d’entreprise, quel rôle jouent-ils dans l’accès aux pratiques culturelles ? Telle est la question qui domine l’étude lancée en 2014 en Rhône-Alpes, financée par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) et la Région. Une équipe de quinze personnes composée de chercheurs, la sociologue Sophie Béroud de l’université Lyon II et le géographe François Duchêne à l’ENTPE, d’étudiants et de syndicalistes, a élaboré une grille d’une centaine de questions. Pour la soumettre aux élus de soixante-dix comités d’entreprise, cent-dix personnes au total… Non par un simple courrier mais par une rencontre en face à face, avec à chaque fois un chercheur ou étudiant et un syndicaliste.
L’étude a recensé les activités menées dans les 70 CE : 61 font de la billetterie pour les spectacles et le cinéma, 47 organisent un arbre de Noël, dont 39 avec un spectacle vivant, 28 proposent des visites d’exposition ou de musée, 30 ont des bibliothèques, 13 programment des concerts dans l’entreprise, 10 des expositions artistiques, 9 des rencontres avec des auteurs… Mais derrière ces chiffres, se cachent des réalités bien différentes. Ainsi, en ce qui concerne les bibliothèques, dans bien des cas elles sont peu fréquentées et leur fonds n’a rien de spécifique. La question du choix des livres comme des fournisseurs est rarement posée. Cécile David, de la Caisse mutuelle complémentaire et d’action sociale (CMCAS) de Valence, en direction des électriciens et gaziers, a participé à l’étude. Si elle cite le cas plutôt inhabituel du CE de la CAF de la Drôme, dont le local se trouve dans la bibliothèque, elle pense qu’une réflexion générale doit être menée. « À l’heure où la plupart des municipalités sont dotées de bibliothèques, il faut innover pour faire vivre celles des CE, en organisant des rencontres avec les auteurs par exemple ». Et Sophie Béroud d’expliquer que « si dans une entreprise de pointe, les jeunes élus ont créé une bibliothèque avec des jeux vidéo, le cas est exceptionnel. La plupart des nouveaux CE ne se posent pas la question d’en créer une ». Il n’empêche que les livres peuvent circuler. Thierry Achaintre, élu CGT qui a repris la direction du CE d’Euriware à Chambéry il y a un an, a mis en place un système d’échanges de livres, lié au réseau Circul’Livres. « Nous n’avons pas les moyens d’ouvrir une bibliothèque, les livres passent de main en main et ça fonctionne plutôt bien ».
Forcément, les moyens dont disposent les CE conditionnent les activités proposées. Ainsi, celui de ST-Microelectronics à Crolles (38), près de Grenoble, au budget d’un million d’euros, multiplie les activités : huit conférences par an sur des thèmes aussi divers que la laïcité ou le climat, accueil d’artistes de la région tous les deux mois, quatre spectacles par an organisés avec la commission culturelle de l’université, « ce qui permet de mélanger les publics étudiants et salariés », confie Henri Errico. Outre un choix de 90 spectacles par an avec une billetterie à 5 euros ou un « pass famille », le CE, partie prenante de l’association « Les CE tissent la toile » et du festival de cinéma « Écran total« , sélectionne aussi des films une fois par mois avec la projection d’extraits. « Dans des entreprises de plus petite taille où se concentre le salariat d’exécution, la situation est tout autre : les élus manquent le plus souvent de moyens pour répondre à la fois à des demandes de redistribution sociale liée à la faiblesse des salaires et pour lancer des initiatives collectives », note l’étude.
Paradoxalement, le budget ne fait pas tout, le volontarisme des élus est déterminant. En un an, Thierry Achaintre a mis en place plusieurs activités sans que ça grève le budget du CE. Son secret ? S’appuyer sur le talent des salariés : expositions de peintures ou de photos, concert sur le parvis de l’entreprise pour la Fête de la musique avec deux groupes… « Les musiciens se sont produits gratuitement et chacun est venu avec à boire et à manger. Les gens étaient contents, on remet ça en juin ». Cette année encore, un voyage à Rome est programmé avec la visite du Vatican et de la chapelle Sixtine. L’élu bouillonne de projets, telle la projection de documentaires d’actualité suivie d’un débat avec le réalisateur. Si les salariés s’affirment plutôt partants, la direction rechigne à prêter une salle. Thierry songe encore à mettre en place un atelier d’écriture. L’objectif ? Permettre aux salariés de s’exprimer, après avoir connu une longue lutte au lendemain du rachat de l’entreprise par Capgeminy. Encore faut-il les convaincre…
Pour mesurer la diversité des offres, les auteurs de l’étude ont établi un indicateur d’activités culturelles. Avec un système de points pour différencier les activités, les plus répandues comme la billetterie, aux moins répandues comme l’organisation d’un concert dans l’entreprise… À partir de cet indice, les 70 CE se répartissent en quatre groupes : 27 % obtiennent entre 0 et 3 points, 31 % entre 4 et 7, 27 % entre 8 et 10, et 15 % entre 11 et 14. Ainsi, près de trois CE sur cinq ont un indicateur égal ou inférieur à la moyenne, ce qui montre que seul un nombre réduit de CE met en œuvre une palette diversifiée d’activités culturelles. « Sur les six CE qui n’obtiennent qu’un seul point, figure un CE dont le budget culmine pourtant à 500 000 euros ! », souligne Sophie Béroud.
Après une première analyse, quantitative, une nouvelle phase s’ouvre maintenant avec une approche plus qualitative. Ainsi, quand l’enquête fait apparaître que dans 80 % des cas, la majorité des salariés résident à plus de 20 km, voire à plus de 50 km de leur lieu de travail, ne faut-il pas adapter les horaires des activités par exemple ? Surtout, constat unanime : les élus se sentent isolés. Comme le résume Josette Dumont, membre de TEC Roussillon, après sa rencontre avec les élues du CE de Calor à Vienne, « noyées dans l’urgence, elles sont écrasées par ce qu’elles portent et qu’elles sont seules à porter ». Besoin d’aide, de mise en commun des expériences, de mutualisation aussi des activités, voilà des pistes à travailler, en privilégiant les réseaux inter-CE. Réfléchir encore à la mise en place de plateformes, qui permettraient de mettre en contact les différents élus et les acteurs culturels.
Les rencontres organisées pour mener l’étude en Rhône-Alpes sont un premier pas qui a permis d’échanger les expériences et de donner des idées aux uns et aux autres. Un travail de longue haleine qui pourrait être mené dans d’autres régions. Amélie Meffre
Des comités à la loupe
L’étude menée en Rhône-Alpes a porté sur soixante-dix comités d’entreprise. Répartis sur l’ensemble du territoire (5 CE dans l’Ain, 4 en Ardèche, 7 dans la Drôme, 17 en Isère, 4 dans la Loire, 19 dans le Rhône, 12 en Savoie et 2 en Haute-Savoie) et à l’image des activités de la région (35 CE dans l’industrie et 21 dans le tertiaire)… Les établissements visités, des PME aux grandes entreprises, ont connu majoritairement des restructurations (60 % durant les deux dernières années) et des baisses d’effectifs (54 %). Une situation qui pèse forcément sur les activités. « Quand un CE est pris par un plan de sauvegarde de l’emploi, il est peu disponible pour innover dans des démarches culturelles », souligne Lise Bouveret, membre du Comité régional CGT.