En cette année du 80ème anniversaire du Front populaire, les expositions fleurissent un peu partout. Pour célébrer cette date marquante de l’histoire de France, symbole de droits nouveaux conquis par une classe ouvrière en grève générale ! De l’unité syndicale retrouvée à l’union politique espérée contre le fascisme, plasticiens et photographes témoignent.
L’exposition qui se tient à l’Hôtel de ville de Paris porte bien son nom : « Le Front populaire en photographie » ! Y sont présentées les œuvres des plus grands photographes de l’époque, aux noms pas encore célébrés à titre d’icônes de leur art : Capa, Cartier-Bresson, Doisneau, Ronis, Seymour dit Chim, Stein… Qui côtoient des faiseurs d’images, autodidactes ou amateurs de grand talent, tels France Demay ou Pierre Jamet. Au total, ce ne sont pas moins de vingt-deux photographes dont les clichés sont ainsi exposés. Qui nous permettent de remonter le temps, des années 1934-1935 à celle, fatidique, de 1939 entre guerre d’Espagne et second conflit mondial.
En ce temps-là, le trio Capa-Doisneau-Ronis sillonne déjà la capitale, leur jeunesse inconnue pour tout viatique et l’appareil photo en bandoulière, pour illustrer journaux et magazines. L’avènement du Front populaire les trouvera à pied d’œuvre pour immortaliser occupations d’usines, grève générale, bals musette et premiers départs en congés ! D’une image l’autre, c’est en fait un immense élan populaire qui s’affiche, où les plus besogneux de la population française retrouvent sourire et sens de la fête le temps d’un printemps inattendu et d’un bel été inespéré. Tous les clichés sont là, au vrai sens du terme : les bords de seine, les vacances à la mer, le départ en tandem pour un pique-nique ensoleillé… Avant que l’avenir ne s’assombrisse à l’heure de Guernica, avant que les parades nazies ne se transforment en sinistres défilés militaires. Une déambulation à travers plus de 400 œuvres qui donne à voir et à comprendre, entre archives et extraits sonores de l’époque, une tranche d’histoire lourde de sens pour le temps présent.
Dans le cadre de son festival « Normandie Impressionniste », la région ne pouvait pas ne pas célébrer à sa façon 36 et les bains de mer ! Dans un cadre fabuleux, un écrin majestueux, « les plus belles ruines de France » selon le bon mot de Victor Hugo : l’abbaye de Jumièges. L’ancien logis abbatial accueille les œuvres de quatre photographes : Henri Cartier-Bresson, Harry Gruyaert, Guy Le Querrec et Martin Parr. Seul le premier nommé, en fait, fait explicitement référence au Front popu avec des images qui couvrent la période 36-38, les trois autres s’éclatant dans le temps… D’où le titre, plus généraliste, de cette exposition superbement agencée : « Portrait de la France en vacances, 1936-1986 ».
Un label justifié par les propos du sociologue Jean Viard qui signe la préface du catalogue. « La France vota les congés payés en 1925 sans jamais les appliquer, puis donc en 36. Les vraies « grandes vacances » démarrent après 1945 ». Et d’ajouter, non sans humour, « les révolutionnaires n’en voulaient pas de crainte que le peuple se plaise en société capitaliste, les capitalistes n’en voulaient pas tant ils craignaient que le peuple arrête de travailler. En 1936, tout le monde se retrouva d’accord car il n’y avait pas d’autres moyens d’arrêter les grèves et les occupations d’usines que d’envoyer les grévistes… en vacances ! ». Plus sérieusement, il conclue son propos en rappelant qu’aujourd’hui plus de 25% des Français ne partent jamais en vacances, « le travail de 36 n’est donc pas achevé même s’il n’y a plus de Ministère du temps libre ».
Plus originaux, d’aucuns se sont vraiment faits une toile pour célébrer l’événement à leur façon ! A la demande de la compagnie Trigano et de la revue « Art absolument », 36 plasticiens (peintres, dessinateurs et photographes) furent conviés à créer une œuvre sur une toile de tente recyclée d’un même format… Un clin d’œil osé à ce temps des premiers congés payés, à cette avancée sociale et culturelle relative aux loisirs et aux vacances. Une exposition itinérante dont le parcours s’achèvera à la prochaine Fête de l’Humanité, le 10 septembre, au cours de laquelle les 36 œuvres seront vendues aux enchères au profit du Secours Populaire et de l’Avenir Social pour permettre à des enfants de partir en vacances.
Dans la préface du précieux catalogue, l’historien d’art Renaud Faroux note combien la période du Front populaire fut un temps béni de la rencontre inédite entre le peuple, les intellectuels et les artistes. Dans moult domaines : la photographie, la peinture, le cinéma, la chanson, l’éducation populaire. Des noms restent toujours foncièrement attachés à cette époque : Renoir et Duvivier, Fernand Léger et Picasso, Prévert et Malraux, Jean Cassou et Jean Zay. Enfin, l’art semble s’être réconcilié avec la cité !
Au Musée de l’Histoire Vivante de Montreuil, en son bel écrin du Parc Montreau, l’exposition « 1936 nouvelles images, nouveaux regards sur le Front populaire » explose de richesses insoupçonnées. Une apothéose à ce mouvement de commémoration ! En un espace restreint mais formidablement bien mis en scène, le Front popu s’étale sous toutes ses facettes : le politique avec Thorez et Blum, le syndical avec Frachon et Jouhaux, la culture et les loisirs avec Jean Zay et Léo Lagrange, le sport et les auberges de jeunesse, les droits des femmes et la question coloniale…
Comme le rappelle à juste titre Eric Lafon, le directeur scientifique du musée de Montreuil et l’un des commissaires de l’exposition, s’est vraiment constituée une « mémoire » visuelle du Front populaire à travers images, affiches, insignes, drapeaux… L’expo, dans se regards diversifiés, donne vraiment visage à ces hommes et femmes anonymes qui firent ainsi l’histoire. Des visages de joie au bord de l’eau, des visages de douleur plus tard pour les réfugiés espagnols. En filigrane aussi, se dessine le quotidien des habitants de la banlieue, de Montreuil en particulier avec sa communauté italienne, grâce à un original fond photographique. Auquel fait écho l’accueil de l’événement à l’étranger, en Algérie plus particulièrement. Une approche renouvelée de l’événement pour décliner avec talent le récit d’une histoire vivante. Pour donner à penser et réfléchir aux générations futures. Yonnel Liégeois.
A lire : « L’avenir nous appartient ! Une histoire du Front populaire », par Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky (Ed. Larousse). « Le Front populaire des photographes », par Françoise Denoyelle, François Cuel et Jean-Louis Vibert-Guigue (Ed. Terre bleue). « Un parfum de bonheur », texte Didier Daeninckx et photographies France Demay (Ed. Gallimard). « La grande illusion », par Pascal Ory (CNRS éditions).
A consulter : www.autourdu1ermai.fr , www.cinearchives.org , www.adoc-photos.com , www.pierrejamet-photos.com , www.mediatheque-patrimoine-culture.gouv.fr .