La visite du Centre Pompidou de Metz s’impose ! Pour contempler l’œuvre de Fernand Léger, apprendre et s’étonner… Jusqu’au 30/10, l’exposition nous plonge dans L’âge des extrêmes du court XXème siècle, cher à Eric Hobsbawm. L’œuvre se confond avec la vie créatrice du peintre et sculpteur, ainsi organisée en un parcours de huit étapes. Qui permettent de saisir à la fois une époque, des mutations sociales, techniques et économiques, une démarche artistique et une ambition culturelle comme projet politique.
L’exposition Fernand Léger, largement documentée sur les sites internet, vient à propos questionner la modernité. Elle trouve parfaitement sa place dans un musée national d’art moderne signifiant par son architecture son entrée dans le XXIème siècle. Il existe de multiples manières de voir cette exposition, il faut prendre son temps, ne pas hésiter aux aller–retour, tout en profitant du Centre Pompidou de Metz et de son JARDIN INFINI : une sorte de pied de nez à l’éloge industriel et urbain de Léger !
Nous sommes nombreux, avec nos limites dans la connaissance artistique, à faire de Fernand Léger une sorte d’icône d’un art populaire représenté par ses grandes toiles aux personnages volumineux, les regards fixés vers un horizon qu’on imagine heureux. Ils travaillent sur le chantier, jouent de la musique, dansent ou font des numéros de cirque et s’arrêtent de pédaler pour nous inviter à les rejoindre. Il ne faut pas se tromper d’époque et d’enjeu dans les différents courants de cet « art moderne », ils troublent le regard du passant et l’obligent à s’interroger sur la représentation du monde, des gens et des choses. « La beauté est partout », affirme Fernand Léger, « dans l’ordre des casseroles, sur le mur blanc de la cuisine, plus peut être que dans votre salon du XVIIIème siècle ou dans les musées officiels ! ».
Fernand Léger a commencé sa vie comme apprenti dans un cabinet d’architecte, il sait dessiner et découvre la couleur dans les toiles de Paul Cézanne. Il sera soldat pendant la première guerre mondiale et Verdun sera son « académie du cubisme ». Après l’invasion de la France en 1940, il s’exile aux États-Unis et rencontre d’autres artistes. L’écriture, la photographie, le cinéma et la mise en scène feront de lui un artiste multidimensionnel. Les écrits, l’enseignement et l’engagement de Fernand Léger ouvrent d’autres portes sur son œuvre. Il est de son temps et pour son temps. Il partage avec Le Corbusier une conception industrieuse du monde en mouvement où l’esthétique du quotidien, l’habitat, le travail, l’éducation et les loisirs sont présents et représentés dans des formes éclatées et des couleurs éclatantes. Cela n’est pas toujours compris et c’est sans doute la raison pour laquelle sa toile « Les constructeurs », qu’il souhaitait offrir à la CGT, lui sera refusée au prétexte que les travailleurs ne comprendraient pas ses personnages en pause sur une structure métallique.
La modernité pourrait-elle devenir classique ? Les œuvres de Le Corbusier entrent au patrimoine de l’humanité ! Fernand Léger, avec d’autres contemporains, a sa place au Panthéon des peintres modernes..Vieille question de la modernité qui interpelle le visiteur d’un musée officiel d’art contemporain où se rangent et se classent des œuvres.
Deux dialogues peuvent s’ouvrir : l’un avec Bernard Noël et Pierre Verny, l’écrivain et l’ouvrier photographe. Ils nous donnent une réponse dans un beau livre, De l’immobilité, Ruines d’un haut fourneau. L’autre avec la Cité Radieuse de Briey construite par Le Corbusier à la fin des années 50, une petite ville des vallées industrielles de Lorraine, pour loger les mineurs de fer et les sidérurgistes… Las, quelques années après l’installation des premiers habitants, c’est l’annonce de la fermeture des mines et le transfert vers les côtes de la sidérurgie. L’unité d’habitation est abandonnée par les HLM. On envisage même, comme pour les usines, sa destruction. Grâce au maire de la ville qui va y installer une école d’infirmières et aux militants de l’action culturelle, le bâtiment sera sauvé.
Une association en assure la gestion, ouvre ses portes dans un espace réhabilité et s’associe aujourd’hui à l’exposition du Centre Pompidou de Metz. Mais où sont passés les usines et ceux qui les faisaient vivre ? La représentation de la vie, pour que le beau survive partout, ne saurait se passer de l’action créatrice qui se nomme le travail, comme l’écrit si bien Yves Clot ! Et nos espaces culturels, où sont présentées les œuvres et la mémoire mise en scène, ne valent que s’ils prolongent et amplifient notre résistance au défi de l’immobilité et à la ruine de la pensée. Raymond Bayer
À noter aussi :
Du 24 au 30/08, à quelques encablures de Metz, se déroule à l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson « La mousson d’été, écrire le théâtre d’aujourd’hui ». Durant six jours, dans un cadre historique et enchanteur, sous la direction artistique de Michel Didym, le « patron » de La Manufacture de Nancy, s’enchaîneront rencontres et débats, lectures et spectacles, ateliers et déjeuners insolites… Un temps privilégié où l’auditeur et le spectateur sont conviés à « prendre un peu de recul, un peu de distance au bord de la Moselle alors que s’organise, en Europe et dans le monde, une régression identitaire sans précédent : le moment semble idéal pour faire ruisseler quelques gouttes de liberté salvatrice glanées au fil des textes de la Mousson », nous suggère Michel Didym. Fort d’un profond regard amoureux sur la belle ouvrage de Fernand léger, il serait bon de poursuivre par un travail de la pensée : venus de France et de l’étranger (Allemagne, Espagne, Italie, Portugal, Russie, Suède), auteurs et traducteurs, comédiens et musiciens vous donnent rendez-vous à Pont-à-Mousson pour s’y atteler. Tous créateurs, acteurs et citoyens du monde ! Y.L.
Merci Yonnel et Raymond pour cet article !
J’ai prévu de voir cet expo les jours prochains et cet éclairage m’en donne encore plus envie…. De même, nous oublions la Cité Radieuse de Briey dont l’article la resitue bien dans son contexte.
Je ne connaissais de Le Corbusier que les caricatures, jusqu’à ce que je sois subjugué par la reconstitution d’un appartement au Musée de l’Architecture, à Paris….