« FORE ! », l’humanité à reconquérir

De retour des États-Unis, Arnaud Meunier, le directeur et metteur en scène de la Comédie de Saint-Étienne, propose « FORE ! ». Un projet franco-américain surgi de l’imaginaire combiné entre le réputé California Institute of The Arts de Los Angeles et l’École supérieure d’art dramatique du Forez. Percutant, déroutant, décapant.

 

Servie par une troupe de dix élèves comédiens, six américains et quatre français, l’écriture d’Aleshea Harris nous offre un voyage, percutant et provocant, entre l’antique  tragédie grecque et le souvenir tragique des attentats de 2015 en France : comment faire société de nos jours, comment conjurer la barbarie collective et la cruauté individuelle afin de redonner sens à l’avenir de l’humanité ? « À la manière de Pasolini, je recherche et apprécie un théâtre qui touche à l’universel et où le poétique puisse rejoindre le politique », souligne le metteur en scène. « Un théâtre qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, une dramaturgie au présent qui interpelle, où le spectateur est en position active, en réflexion », affirme avec force et pertinence Arnaud Meunier.

« FORE ! », « Attention, Prendre garde » en français ? Un objet théâtral fort et à double détente dans tous les sens du terme, qui se donne à voir sur deux étages : en bas la cruauté de la famille des Atrides revue et corrigée avec un fils qui rejette les codes familiaux, en haut la cruauté de la famille des Halburton, despotes contemporains dont la fille fait corps et couple avec son Remington 700… En face, comme dans les feuilletons américains à succès, le spectateur balloté d’une séquence à l’autre, d’un étage à l’autre, invité à lâcher prise et à se laisser « impressionner » au risque de rater une marche ou l’ascenseur ! Peu importe, l’essentiel est ailleurs : dans le choc des cultures, dans notre attachement à une terre ou à un drapeau, dans notre désir du vivre ensemble et notre soif à partager des bribes de citoyenneté.

Des dialogues en anglais, surtitrés en français, qui deviennent langage universel pour exorciser les peurs contemporaines, briser le cercle mortifère où l’homme, nouveau transhumanisme assoiffé de pouvoir et de chair humaine, mue en bête sanguinaire lorsque l’autre, notre frère-notre semblable, n’est plus que sang à verser pour conquérir puissance et immortalité. À l’image de ces personnages de la pièce qui renaissent de leurs cendres, à l’image de cette vieille femme aux fleurs blanches arpentant la scène : qu’est-ce qu’une humanité  sans couleurs, sans beauté, sans poésie, sans amour, sans fraternité ? Un spectacle déroutant, décapant qui touche sa cible au plus profond des consciences, interprété par une troupe de jeunes comédiens au top de leur talent. Yonnel Liégeois

Jusqu’au 10/03 au Théâtre de la Ville-Les Abbesses à Paris, les 14 et 15/03 au Théâtre National de Nice, du 29 au 31/03 au Théâtre National de Bruxelles. À lire aussi la critique de Jean-Pierre Han, en date du 07/03/18 dans la revue Frictions, notre confrère et contributeur à Chantiers de culture.

À NE PAS MANQUER :

La reprise sur le plateau de la Comédie de Saint-Étienne, ensuite en tournée nationale, de la pièce de Stefano Massini mise en scène par Arnaud Meunier. « Je crois en un seul dieu » ? Un texte d’une force et d’une puissance inégalées, une interprétation lumineuse de Rachida Brakni…

Aux portes de Tel Aviv, la tragédie s’avance, le destin de trois femmes va basculer, narré d’une seule voix : la prof juive, la G.I. américaine et la kamikaze palestinienne ! De sa seule présence, Rachida Brakni embrase la solitude du plateau. Dans une économie de gestes et de déplacements, elle offre corps et voix à ces trois femmes avec une incroyable intensité. Douleur, foi, violence, doute et conviction n’ont besoin d’aucun artifice scénique pour interpeller l’auditoire, la force des mots à elle-seule fait sens, chair, histoire… Performance de l’interprète, un pas-un regard-une respiration suffisent, la comédienne subvertit les codes et implose l’uniformité de tout discours.

À l’explosion mortifère recensée sous trois angles différents, répond une inattendue et  puissante explosion poétique qui balaie l’anecdotique et sublime le pathétique. « Je crois en la force des poètes, en leurs récits, en leur capacité à déplacer notre regard », souligne Arnaud Meunier, « ces déplacements et ces écarts sont un oxygène essentiel pour la pensée et l’esprit critique ». Y.L.

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