D’après Les chênes qu’on abat d’André Malraux, se donne à Présence Pasteur « Le Crépuscule ». Dans une mise en scène de Lionel Courtot, la rencontre à la Boisserie en 1969 du Général de Gaulle et de son ancien ministre de la Culture. Sans oublier « Morgane Poulette » à La Manufacture.
« Le 11 décembre 1969, je retrouve le général de Gaulle au crépuscule de sa vie », selon les dires d’André Malraux, son ancien ministre de la Culture : une seule journée, une seule rencontre à Colombey-les-Deux-Églises, nous fait-il croire, pour composer le long dialogue des Chênes qu’on abat, son livre paru en 1972 que Lionel Courtot adapte pour la scène à Présence Pasteur. Un titre d’ouvrage en référence à Victor Hugo, rien de tel pour poser la stature du personnage… Un chêne abattu mais immortel, éternel éveilleur de consciences pour la postérité ! Certes, l’année 2020 sera « l’année de Gaulle » pour les 130 ans de sa naissance, les 50 ans de sa disparition et les 80 ans de l’Appel du 18 juin… Certes, entre l’imposante bibliothèque et le vaste bureau de la Boisserie nimbés de clair-obscur, Lionel Courtot signe une lumineuse mise en scène… Certes, tels deux monstres surgissant des limbes de l’histoire, John Arnold et Philippe Girard sont d’une puissance et d’un naturel
confondants dans leur interprétation… Certes, mais encore ?
Le texte emphatique, grandiloquent de Malraux peine à convaincre l’auditoire, à moins qu’il ne soit nostalgique des Compagnons de la Libération. Dialectique et contradiction, interrogation et mise en perspective, autant de marqueurs qui ne sont assurément point conviés sous la plume de l’écrivain. Malraux se révèle subjugué, fasciné par son héros, son maître qu’il élève au rang d’icône. « Ces pages, lorsque je les écrivais, étaient destinées à une publication posthume », précise-t-il, « je ne souhaitais pas fixer un dialogue du général de Gaulle avec moi, mais celui d’une volonté qui tint à bout de bras la France ». Génial affabulateur, ce Malraux ! Seuls percent à l’envie et à longueur de dialogues un hymne à la gloire du grand Charles autant qu’à celle de son scribe qui soigne son portrait pour le futur, un plaidoyer pro domo qui ne cesse de vanter les valeurs républicaines et les choix stratégiques de celui qui a eu le mérite de relever la France du déshonneur : de grandes envolées lyriques pour la postérité, de hautes pensées philosophico-politiques pour l’Histoire ! Alors que les utopies ne sont plus de mise et que le discours politique se délite aujourd’hui dans l’affairisme et le populisme, sur les planches renaît de ses cendres l’image de l’homme providentiel, visionnaire et unique détenteur du chemin d’avenir à suivre sans sourciller ni discuter.
Au final, figures emblématiques d’un temps à jamais révolu, économes de leurs gestes comme figés devant le poids de l’histoire, soliloquent sur scène deux comédiens de grande stature, burinant avec talent l’effigie de deux grandes statues. Yonnel Liégeois
À voir aussi :
– Morgane Poulette : De Thibault Fayner, mise en scène d’Anne Monfort, La Manufacture. Cernée d’eau et sombrant dans les larmes, Morgane Poulette conte et se raconte, se donne à voir et entendre ! Nimbée d’une lumière tamisée, naufragée solitaire sur son île imaginaire, dans un dispositif scénique original et poétique, la jeune chanteuse junkie confesse ses heurts et malheurs, douleurs et déboires amoureux. Entre révolte underground et dénonciation politique, chagrin d’amour et création artistique, le diptyque de Thibault Fayner, « Le camp des malheureux » et « La londonienne », résonne avec force sous les traits de Pearl Manifold. Seule en scène, entre humour et émotion, elle ondule magnifiquement du corps et de la voix pour noyer, au propre comme au figuré, chagrins et désillusions, blessures au cœur et naufrages dans l’alcool et la drogue, vie et mort de son ami-amant. Superbement mises en scène par Anne Monfort, les tribulations d’un couple à la dérive dans une Angleterre désenchantée au capitalisme triomphant. Y.L.