Jusqu’au 13 octobre, au Théâtre de l’Atalante (75), René Loyon met en scène À deux heures du matin, la pièce de Falk Richter. La mise au jour des effets ravageurs d’une économie qui broie les humains. Sans omettre les effets ravageurs d’un ministère de la Culture qui broie les projets artistiques d’une Fabrique théâtrale.
Il est ainsi fait, René Loyon, le patron de la compagnie à ses initiales et metteur en scène d’À deux heures du matin de Falk Richter au théâtre de l’Atalante ! D’une haute stature, crâne dégarni, regard franc et chaleureux, un homme fidèle à ses convictions enracinées dans un engagement citoyen au long cours, dans une proposition culturelle que l’on nommait joliment au temps d’avant Éducation populaire… D’hier à aujourd’hui, du temps de sa jeunesse lyonnaise où il rêvait déjà de devenir acteur à sa découverte du spectacle vivant lors d’une représentation du Brave soldat Chvéïk de Brecht, la même passion, la même flamme.
« Ce jour-là, avec le grand Jean Bouise dans le rôle-titre, je découvrais tout ! Lycéen, je fréquentai le Théâtre de la Cité cher à Roger Planchon ». La révélation, plus qu’un simple divertissement, il découvre qu’un autre théâtre est possible ! Comme il le dit, l’écrit et le répète inlassablement depuis cette époque, « un théâtre fondé à la fois sur une grande exigence artistique et la conception citoyenne d’un art dramatique ouvert sur la réalité du monde et désireux de s’adresser au plus grand nombre »… Ces principes, ceux de la décentralisation chers à Robin Renucci, l’ami et patron des Tréteaux de France, demeurent pour lui feuille de route. Une rencontre déterminante, encore, celle de Jean Dasté, le fondateur de la Comédie de Saint-Etienne, dont il intègre l’école de comédien en 1967. Pour ne plus quitter la scène et co-animer jusqu’en 1975 le Théâtre Populaire de Lorraine… Avec Jacques Kraemer et Charles Tordjman, un sacré trio de loubards, agitateurs politiques et artistiques à la mode Prévert et du groupe Octobre dans les années 30 ! Au cœur de la crise de la sidérurgie, un projet culturel et artistique au plus près des réalités locales, de la contestation sociale, pour l’émancipation de tous et de chacun ! Au final, le pouvoir en place y mettra bon ordre : censure, coupes budgétaires. « Je reste marqué par cette époque. Des fondamentaux, un certain regard, une conception de l’engagement artistique, qui demeurent toujours vivaces et essentiels pour moi », témoigne René Loyon.
Depuis lors, la compagnie RL a proposé moult spectacles, du classique au contemporain. De l’Antigone de Sophocle au Combat de nègres et de chiens de Bernard-Marie Koltès, de La double inconstance de Marivaux à La demande d’emploi de Michel Vinaver… Avec une bande d’interprètes fidèles, un authentique compagnonnage au fil des saisons et des créations ! Mieux encore, lieu de résidence de la compagnie installée dans le XVIIIème arrondissement de Paris, depuis 2002 La Fabrique se propose d’accueillir créateurs et jeunes troupes en manque de moyens pour travailler, répéter, présenter leurs projets artistiques. Avec stages et lectures publiques, interventions en milieu scolaire, école du soir pour adultes amateurs et apprentis comédiens, présentations de petites formes… Un travail au long cours, au service de la formation et de la création sur un quartier populaire, un appui essentiel depuis près de vingt ans pour l’émergence et l’éclosion de nouveaux projets artistiques, une authentique démarche d’éducation populaire au bénéfice de citoyens et jeunes comédiens ! Las, en 2017, le ministère de la Culture a déconventionné la compagnie. Plus de subventions, faute de moyens La Fabrique Théâtrale risque de devoir quitter les lieux et mettre la clef sous la porte, si rien ne vient changer la donne. « 120 acteurs sont inscrits à l’atelier, c’est une catastrophe annoncée pour 2020. Sans crier gare, en catimini, la marque insidieuse du macronisme : se débarrasser de toutes les dépenses contraignantes ! », se désespère René Loyon. Une décision incompréhensible, une pétition est lancée : lieu de partage, d’échange, d’émulation, de formation et de création, La Fabrique doit vivre !
Comme veulent vivre, désormais, les protagonistes de Falk Richter dans À deux heures du matin, serviteurs désenchantés et à bout de souffle d’un système économique qui les déshumanise à petit feu ! Plus de vie personnelle pour ces chasseurs de têtes, une errance d’aéroport en hôtel anonyme, la solitude comme prix à payer pour ces cadres enchaînés à des contraintes mortifères de réussite factice et de résultat immédiat. Jusqu’à ce que le vernis craque, la crise finale, le trop plein de contradictions devenues insurmontables, insupportables… Comme à son habitude, une mise en scène minimaliste pour René Loyon, un décor réduit à l’essentiel, un jet de lumière transversal pour tout éclairage, une troupe habitée par son propos entre ironie et désillusion pour que passe l’émotion du plateau à la salle. Seuls importent mots et gestes des comédiens pour exprimer la détresse, le ras-le-bol, la douleur du vivre, l’inanité d’une existence sans conscience morale.
Rompre, fuir, déserter… Oser peut-être reprendre le chemin du vrai, du simple, du juste, renouer en un mot avec son humanité ! Un spectacle recommandé pour se retrouver face à l’essentiel. Yonnel Liégeois
À voir aussi :
– Vie et mort de Mère Hollunder: jusqu’au 13/10, au Théâtre du Rond-Point. Dans une mise en scène de Jean Bellorini, un étonnant et désopilant Jacques Hadjane en vieille femme quelque peu acariâtre, mais si joliment attachante ! Interprétant son propre texte, une incroyable performance d’acteur qui donne figure et voix aux petites gens du quotidien. Une femme simple, mais libre, qui ne craint point d’énoncer ses quatre vérités.Y.L.
– L’animal imaginaire : jusqu’au 13/10, au Théâtre de La Colline. Auteur et metteur en scène, Valère Novarina explose une nouvelle fois le corps du langage ! Avec démesure, jubilation, poésie, extravagance. Une troupe de comédiens au top de leur forme, avec une formidable Agnès Sourdillon en meneuse de bande, des monologues inénarrables qui transgressent avec gourmandise et outrance toutes les règles du Verbe. Un vrai délire langagier, un suprême délice verbal. Y.L.