Que faire, durant ce temps de confinement ? Outre de coudre des masques, la poétesse et dramaturge Gerty Dambury répond à notre confrère et ami Stéphane Capron, journaliste à Radio France et créateur du site Sceneweb. Avec son aimable autorisation, Chantiers de culture se réjouit de publier ce superbe texte de l’auteure antillaise.
En ces temps de confinement, à (re)lire, acheter ou télécharger : Née le 27 février 1957 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, Gerty Dambury a reçu le Prix SACD de la dramaturgie en langue française en 2008 et la Mention spéciale du Prix Carbet pour l’ensemble de son œuvre en 2011, dont Lettres indiennes, Les rétifs.
Quelque chose va-t-il changer, de l’art et du monde, après cette pandémie ? N’est-il pas trop tôt pour déjà tenter de dire demain quand aujourd’hui est déjà tellement inouï ? Comment répondre à cela sans pointer d’où je viens ?
Ma langue et ma pensée viennent du créole, de la Guadeloupe. Dans mon enfance, au moment ou j’apprenais le sens premier des mots, lorsque l’on disait de quelqu’un que « c’était un artiste » ou un « philosophe », ça n’avait rien de majestueux. « Missié, sé on awtis », signifiait que c’était un type pas sérieux. Un « philosophe », c’était un bavard. Peut-être que c’est la raison pour laquelle, je me suis toujours méfiée chaque fois que l’on me disait « Tu es/vous êtes une artiste ». Méfiance vis-à-vis de celui ou celle qui me parle (moquerie ou flagornerie… ?) mais surtout méfiance vis-à-vis de moi-même. Méfiance à mon égard, méfiance vis-à-vis de mon égo.
Pendant que je faisais preuve de cette méfiance, quelque chose grossissait autour de moi, les artistes se multipliaient, l’art gonflait, je me demandais si l’art ne « se » gonflait pas, si la grenouille, le bœuf, etc. Je regardais ce déluge d’annonces de spectacles, de promotion de soi-même sur les réseaux sociaux. Je m’entendais dire par d’autres, administrateurs et autres communicants, que j’étais nulle en communication et que je devais faire un effort. Ce que je tentais, la mort dans l’âme, tout de même. À toute allure, tout au plus vite, au plus bruyant, mais tombant dans un désert grouillant.
Aujourd’hui, coup de frein ! Enfin il y a du silence. Hélas, déjà interrompu par des tentatives de remplir ce silence, de faire à tout prix quelque chose pour que l’art ne s’arrête pas. Films par milliers en accès libre. Musique par tonnes en ligne. Festival des personnes confinées. Numérique à tout crin. Qu’importe qui, finalement, y aura accès ! Comme pour l’école en ligne. Mais que ça ne s’arrête pas !!! Peur du silence. Peur du vide. Peur de ne plus être vu·e et entendu·e. Et à ce jeu, certaines œuvres demeureront encore invisibles, comme elles l’étaient déjà. Les grosses artilleries poursuivent leur canonnade.
J’ai tendance à rapprocher cela de l’obsession de notre gouvernement à faire en sorte que ça ne s’arrête pas, que l’économie gagne encore, quitte à ce que ça crève au tournant. Des morts, des charniers ? Ma foi, c’est déjà fait, le tombeau est ouvert, alors pourquoi ne pas continuer à y déverser des charretées de sans-défense ?
Pourquoi s’arrêter, prendre le temps de se taire, de penser en silence, seul avec soi-même, prendre le temps de…toucher Terre… et de pleurer avec les mort·es et les angoissé·es qui n’ont jamais demandé à être enrôlé.es de force.
De mon côté, je n’espère que le ralentissement du flux, je n’espère que le temps pour entendre ce qui se murmure dans des maisons inconnues, dans des pièces oubliées, des arrière-cours ignorées, des intuitions longuement mûries et qui en aboutissant, deviennent éclairantes pour toustes. N’est-ce pas dans le silence et l’écoute que l’on trouve ce que l’on cherche ? C’est ça. Oui. C’est ça. Silence. Paix-là ! qui, en créole donne « Pé-la ! », pour dire « Tais-toi ».
Alors, je la boucle. Gerty Dambury