Florent Guéguen, l’aide aux plus démunis

Directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, Florent Guéguen analyse la situation des sans-abri depuis le début de pandémie du coronavirus. Il craint une aggravation de la précarité chez les plus modestes.

 

Jean-Philippe Joseph – Votre fédération vient en aide aux plus démunis. Dans quelle situation se trouvent les sans-abri depuis le début de la pandémie ?

Florent Guéguen – C’est une population très vulnérable et exposée aux conséquences du virus. La raison essentielle tient à un état de santé fragile sous l’effet de maladies chroniques, d’addictions… S’ajoutent les conditions de vie dans les hébergements collectifs où les risques d’essor de l’épidémie sont importants. Les campements, bidonvilles et foyers de travailleurs migrants sont aussi des lieux sensibles, avec des problèmes d’accès à l’eau, de promiscuité, de suroccupation, un défaut d’aide alimentaire… Les risques ont été multipliés avec le confinement.

J.P.-J. – C’est-à-dire ?

F.G. – Un grand nombre d’accueils de jour a fermé. Ces services permettent de se laver, de laver ses affaires, de recueillir des informations sur les lieux ouverts, sur les points d’eau, parfois d’avoir à manger. Ils fonctionnent en grande partie avec des bénévoles. Or, au moment où les mesures de confinement ont été prises, beaucoup se sont retirés du fait de leur âge avancé ou parce que les locaux n’étaient plus adaptés à l’accueil du public. La première séquence du confinement a été très dure. L’aide directe aux sans-abri a diminué. Elle s’est reconstituée peu à peu grâce aux solidarités locales. Les réseaux associatifs ont pu se réorganiser, mutualiser leurs moyens, des services ont réouverts.

J.P.-J. – Dans quelles conditions travaillaient les salariés de ces structures ?

F.G. – L’État a donné la priorité aux soignants. C’est légitime, mais le matériel manquait aussi pour les structures sociales. À mi-avril, de nombreux centres d’hébergement fonctionnaient sans matériel de protection (masques, gel, gants, blouses…). Des salariés s’inquiétaient de leurs conditions de travail, mais le système a tenu grâce à leur dévouement. Les associations essaient de s’en sortir par le système D. C’est un point de dysfonctionnement et d’achoppement majeur avec les pouvoirs publics. Ça met tout le monde en difficulté : les hébergés, les bénévoles, les salariés, les associations employeuses qui ont une obligation de sécurité et de santé au travail.

J.P.-J. – A-t-on une idée du nombre de sans-abri malades du Covid-19 ?

F.G. – Début avril, le ministère du Logement parlait d’un millier de personnes hébergées. L’épidémie a vite progressé. À la demande des associations, l’exécutif a prolongé la trêve hivernale de deux mois, jusqu’au 31 mai. Cela a permis de maintenir les centres hivernaux et les dispositifs ouverts, et aussi de reculer la reprise des expulsions locatives. L’autre mesure positive fut la réquisition de 9000 chambres d’hôtels. Mais il aurait fallu en réquisitionner des dizaines de milliers pour confiner tout le monde. Dans ce contexte de crise sanitaire, l’hôtel est la meilleure solution si l’on veut éviter la propagation du coronavirus en milieux collectifs.

J.P.-J. – Que pensez-vous de l’ouverture de gymnases, comme à Paris ?

F.G. – Les gymnases posent deux problèmes. D’abord, la promiscuité. Certains gymnases accueillaient jusqu’à quatre-vingts personnes sur des lits de camp. C’est une sorte de négation du confinement. Ensuite, les gymnases offrent peu de sanitaires, et il n’y a en général que quelques douches… sachant que la vapeur d’eau est facteur de propagation. Cela dit, ils ont le mérite d’exister. À condition que les gens soient rapidement réorientés vers d’autres solutions, notamment les hôtels.

J.P.-J. – Quelles furent les difficultés des travailleurs sociaux pour faire appliquer les mesures d’hygiène et de confinement ?

F.G. – Parvenir à l’objectif d’un confinement de l’ensemble de la population à la rue est difficile. Il y a des personnes qui ne pouvaient pas demeurer enfermées, qui avaient besoin de se déplacer pour s’approvisionner en produits divers. Cela a amené les centres d’hébergement à assouplir leurs règles. Certains qui ne toléraient pas la consommation d’alcool dans leurs locaux ont fait des exceptions. D’autres achetaient même de l’alcool et des cigarettes pour que les personnes n’aient pas besoin de sortir. Le confinement a eu aussi des effets négatifs sur l’aide alimentaire. Des centres de distribution ont fermé, et faire la manche est devenu plus difficile, les passants ayant quasiment déserté les rues.

J.P.-J. – La création de 15 millions d’euros de chèques-services par le gouvernement fut donc une bonne idée…

F.G. – Oui, car ces chèques permettaient d’acheter de quoi manger, des produits pour les bébés, etc. Sauf que l’enveloppe est insuffisante et qu’il n’y a pas que les SDF. Il y a aussi les familles modestes qui bénéficient en temps normal de tarifs sociaux à la cantine. Ces dépenses alimentaires non prévues pèsent sur leur pouvoir d’achat.

J.P.-J. – L’aide d’urgence aux familles les plus démunies, annoncée par le gouvernement le 15 avril, répond-elle à la situation ?

F.G. – Le montant est décevant : 10 euros par personne bénéficiaire du RSA ou de l’allocation spécifique de solidarité (ASS), pour toute la période de confinement, soit deux mois, ça représente 2,0 euros par jour. C’est très faible. Et puis, que fait-on pour les 18-25 ans qui ne sont pas éligibles aux minima sociaux ? Pour les personnes âgées au minimum vieillesse, les bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé ? Le plan de relance mis en place pour les entreprises est clair. Il se fait à coups de dizaines de milliards d’euros. On a beaucoup plus de mal à voir se dessiner le plan de soutien aux plus pauvres. Qui sont aussi ceux dont le pouvoir d’achat s’est le plus dégradé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Propos recueillis par Jean-Philippe Joseph

 

En savoir plus

1995 : DEA en sciences politiques obtenu à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

2008 : Conseiller auprès du maire de Paris, en charge de la lutte contre l’exclusion et la protection de l’enfance.

2012 : Co-porte-parole du Collectif des associations unies pour une nouvelle politique du logement des personnes sans-abri et mal logées.

2012 : Nommé directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui réunit 850 associations de lutte contre l’exclusion.

2016 : La Fnars change de nom pour devenir la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), forte de 870 associations et organismes.

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