Wajdi Mouawad, retour au Littoral

Sur la scène du Théâtre de la Colline (75), Wajdi Mouawad reprend dans l’urgence sa première pièce, Littoral, écrite en 1997. Les retours à l’origine d’une œuvre, instructifs et passionnants. Sans oublier Le cas Lucie J (Un feu dans sa tête), au Théâtre 14.

 

Après quatre mois de privation de plateau et de spectateurs en chair et en os, bref de l’un des éléments constitutifs de l’action théâtrale – une vérité quelque peu oubliée que la pandémie a soudainement fait réapparaître –, Wajdi Mouawad reprend dans l’urgence sa première pièce, Littoral, écrite en 1997. Geste non prémédité, jeté sur la vaste scène du théâtre de la Colline qu’il dirige, le tout dans une nouvelle et inventive configuration : soit deux semaines de répétition, et une double et jeune distribution, l’une à dominante féminine, l’autre à dominante masculine (celle que je n’ai pas choisie, mais vue), autour de la personnalité affirmée depuis longtemps des interprètes du rôle du père, Patrick Le Mauff et Gilles David (formidable), les incarnations du père de Wilfrid autour duquel s’enroule et se dévide la pièce.

Une pièce de jeunesse donc, dont s’empare avec fougue la jeune distribution, avec sans doute parfois une certaine maladresse (ce qui est normal vu le temps de répétition), mais sans aucune importance au regard de la nécessaire prédominance du mouvement impulsé. Les retours à l’origine d’une œuvre, sa nouvelle appréhension nourrie de la connaissance de ce qui a été créé à sa suite, sont toujours instructifs. Retrouver Littoral avec en tête et dans le regard ce que l’auteur (metteur en scène) a ensuite produit est passionnant. La tentation est grande de chercher dans la première œuvre les linéaments de ce qui a été créé par la suite. La vision de cette reprise de Littoral n’échappe pas à cette règle. Mais on retiendra surtout la ligne plus nette et tranchante de la pièce, même si elle se joue sur différents plans, réel et imaginaire, que celles que Wajdi Mouawad inventera par la suite. Cela lui confère une véritable force, et on remarquera que l’univers, entre bruit, fracas et fureur, dans lequel évolue le jeune « héros », Wilfrid et ses camarades d’infortune qu’il trouve au fil de son trajet vers le littoral, suivi de son père, mort, et qui se décompose petit à petit, n’a, lui, guère changé en plus de vingt ans. Wilfrid et Wajdi Mouawad peuvent poursuivre leur quête…, avec la même trouble énergie.

C’est cette énergie que l’on retrouve sur le plateau de la Colline, un plateau et son arrière salle dénudés à l’ouverture du spectacle avant que les silhouettes qui sont venues hanter le lieu, finissent par dessiner les contours d’une aire de jeu dans laquelle elles pourront se transformer en personnages et se mettent à vivre avec acharnement. On se sera rendu compte que l’ouverture du spectacle permet au spectateur de prendre conscience que c’était peut-être cela, ces quelques planches de bois, qui lui avaient le plus manqué durant ces quatre mois d’abstinence théâtrale… Le geste du metteur en scène et de ses interprètes balayera très vite ce temps « blanc ». Jean-Pierre Han

 

À voir aussi

 Le cas Lucie J (Un feu dans sa tête) d’Eugène Durif. Mise en scène d’Éric Lacascade, au Théâtre 14 dans le cadre de ParisOFFestival :

Qui était cette Lucia Joyce née en 1907 à Trieste et disparue en 1982 à l’hôpital psychiatrique de Saint-Andrew’s à Northampton ? Le titre du spectacle a le mérite de poser clairement les termes de la question : Le cas de Lucia J. (Un feu dans la tête). À voir le déroulé de la vie de Lucia J., on peut effectivement parler de « cas » avec l’image du « feu dans sa tête », allusion au fait que la fille de l’écrivain James Joyce passa la plus grande partie de sa vie, dès les années 30, d’un hôpital psychiatrique (à Zürich) à un autre (Saint-Andrew’s) avec une halte à Ivry où mourut Artaud en 1948… Feu dans sa tête, mais sans doute aussi feu dans son corps, ce que Karelle Prugnaud exprime sur scène avec une belle fureur toujours maîtrisée. Guidée par Éric Lacascade elle est prête à jouer, de toutes les tonalités et de tous les registres qu’il lui demande. Lui, tout comme Durif qui finira par apparaître physiquement, rôde aux alentours de ce qui tient lieu de plateau. Un lieu hanté par ces trois personnages et que balaye un authentique souffle poétique. J-P.H.

Poster un commentaire

Classé dans Les frictions de JP, Rideau rouge

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s