En 2017, les salariés de l’usine GM&S dans la Creuse (23) menacent de faire sauter leur usine. Plongé à leurs côtés, Benjamin Carle raconte dans Sortie d’usine les rouages d’une liquidation orchestrée. Un récit graphique passionnant, parfaitement documenté.

On va tout péter ! En mai 2017, les images des GM&S qui menacent de faire « exploser » leur usine font le tour des médias. Comme de nombreux Français, le journaliste Benjamin Carle découvre à la télé ces ouvriers en lutte pour leurs emplois et décide de sauter dans un train. Direction La Souterraine, une petite ville de la Creuse (23) où des salariés d’une usine de sous-traitance automobile s’opposent à sa fermeture : ils accusent état et constructeurs de ne pas tenir leurs engagements.

Sur place, Benjamin Carle découvre des salariés poussés à bout par des donneurs d’ordre qui font le choix de la délocalisation. Il n’en repartira que trois ans plus tard avec, en poche, Sortie d’usine, le récit en BD d’une tentative de liquidation en bande organisée, mise en images par le dessinateur David Lopez. Enquête aussi drôle que poignante, nourrie d’anecdotes et de séquences prises sur le vif, l’album raconte à hauteur d’humain les raisons de ce saccage. On y rencontre des syndicalistes combatifs, un maire révolté, un avocat prêt à ferrailler, un ancien patron désabusé… « Cette usine, c’est une zone de conflit, mais le genre de conflit auquel on s’est collectivement habitués », écrit l’auteur, décidé à comprendre les raisons de ce gâchis industriel. Pour raconter les GM&S et leur lutte, la bande dessinée fait un détour par l’histoire.

Avec la décentralisation au début des années 1960, les pouvoirs publics incitent les entreprises à venir s’installer en zone rurale. L’entreprise familiale Socomec prend ainsi la direction de la Creuse. Une autre époque. Le patron n’arrive pas en Mercedes mais en 4L, pourrie. Il démarre sa journée en serrant la main de chaque ouvrier et s’endort dans les cartons quand il a trop abusé du Ricard ! « On réussissait à discuter, à obtenir des choses, grâce à la lutte », se souvient un retraité. Son stylo à la main, le journaliste griffonne des notes. De l’usine au domicile des anciens, il reconstitue les morceaux d’un site dont le destin bascule dans les années 1990. Après sa vente, celui-ci valse de redressement en reprise. Jusqu’en 2014, lorsque le donneur d’ordres place un professionnel de la liquidation pour organiser sa mise à mort, dépeçant en cachette une partie de la fabrication des pièces sur des sites étrangers.

Sans la mobilisation exceptionnelle de ses salariés, l’usine, lâchée par les pouvoirs publics, aurait dû fermer depuis longtemps. « C’est con, c’était une belle usine », conclut l’un des salariés. C’est aussi une jolie lutte. Que les ouvriers, décidés à ne rien lâcher, poursuivent encore devant les tribunaux. Cyrielle Blaire
EN SAVOIR PLUS :
1963 – De Gaulle rejette le Royaume-Uni du Marché unique, Jacques Anquetil gagne son quatrième Tour de France, la durée du service militaire est ramenée à 16 mois, le premier hypermarché sort de terre et… la SOCOMEC est créée à La Souterraine, dans la Creuse.
57 ans et une dizaine de repreneurs et de redressements judiciaires plus tard, la plus grande entreprise de la Creuse ne compte plus que 120 employés, soit près de quatre fois moins que dans les années 1980. Beaucoup de Français entendent parler de GM&S pour la première fois en 2017, alors que les salariés menacent de faire sauter leur usine de sous-traitance automobile pour lutter contre sa fermeture. à travers Sortie d’usine, quatre leaders de la lutte nous racontent les combats de ceux qui se sont battus pour maintenir sur les rails un bastion industriel qui n’en finit plus d’être sur le point de disparaître.
Cette enquête raconte le combat d’ouvriers, dessine le portrait d’une ville, replonge dans les archives et les données économiques pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Elle fait aussi, en creux, les comptes de la désindustrialisation dont les conséquences continuent de se dévoiler. Même dans le « monde d’après »…
Sortie d’usine, Benjamin Carle et David Lopez (éd. Steinkis, 110 p., 18€).