
Tradition oblige, en ces jours de fête revient le temps des cadeaux. Chantiers de culture vous propose sa sélection. Entre plaisir et désir, quelques gourmandises pour ré-enchanter les papilles !
Chanson : Joli duo pour célébrer Brassens

Dans le concert des célébrations du centenaire du génial Sétois, l’album de François Morel et Yolande Moreau, Brassens dans le texte, est un petit bijou. Les deux comparses s’emparent de 14 titres qu’ils déclament, chantent et jouent non sans humour. Dans leur reprise succulente de Fernande, Yolande commente les humeurs changeantes et bruyantes du mâle en rut quand, dans Hécatombe, elle se délecte à répéter à l’envi au brigadier : « Dès qu’il s’agit de rosser les cognes, tout le monde se réconcilie. » Sa voix se fait plus tonitruante pour nous livrer toute la force de La Complainte des filles de joie. Le duo sait aussi se faire plus tendre pour nous conter La Visite ou, pour rendre hommage à La Chanson pour l’Auvergnat. Grâce à leurs variations bien avisées, les paroles de Brassens se détachent, magistrales, on se régale ! Amélie Meffre
Brassens dans le texte, par François Morel et Yolande Moreau. Fontana, 14 titres, 15,99€.
Essai : Edouard Glissant, le Tout-Monde

Dix ans après sa disparition, Edouard Glissant n’en finit pas d’imposer sa haute stature, littéraire et philosophique, dans le paysage politico-culturel à l’échelle de la planète, pas seulement dans la sphère franco-antillaise… Une pensée à cent lieues des thématiques mortifères et ségrégationnistes qui agitent les média hexagonaux ! Contre les replis nationalistes, l’écrivain-philosophe et poète impose sa vision du Tout-Monde, seule en capacité de faire humanité à l’heure où s’exacerbent les discours sectaires. Avec Déchiffrer le monde, Aliocha Wald Lasowski nous offre une plongée foisonnante dans les idées et concepts de l’auteur d’une Philosophie de la relation. Qui invitait chacun à s’immerger toujours plus dans le « local » pour toujours mieux s’enraciner dans le « Tout-Monde ». Une pensée qui élève le particulier à l’universel, l’archipel en continent pour s’ouvrir au grand large de « l’emmêlement des cultures et des humanités ». Un vibrant plaidoyer en faveur de la créolité, une pensée de la politique qui devient poétique de la pensée quand l’altérité se révèle richesse en pluralité, quand la mondialisation s’efface devant la mondialité. Yonnel Liégeois
Edouard Glissant, déchiffrer le monde, d’Aliocha Wald Lasowski. Bayard éditions, 465 p., 21€90.
Roman : Les folies du père

Sorj Chalandon nous avait déjà cloués avec Profession du père où il racontait son enfance aux côtés d’un père mythomane et fort violent. Le film au titre éponyme de Jean-Pierre Améris, avec un Benoît Poelvoorde époustouflant, est une réussite. Le romancier nous happe cette fois en nous contant les dérives du paternel, résistant, collabo – voire SS –, dont il découvre l’incroyable cheminement alors que s’ouvre le procès de Klaus Barbie. « Mon père avait été SS. J’ai compris ce qu’était un enfant de salaud. Fils d’assassin. Et pourtant, face à lui, je suis resté silencieux. » En même temps qu’il nous relate les rebondissements du procès qu’il couvre comme journaliste, avec Enfant de salaud il nous livre le dossier, dégoté aux archives de Lille, du papa arrêté. Les deux événements ne furent pas concomitants dans la réalité et c’est la force du roman de nous plonger dans la noirceur de ces deux personnages comme dans la souffrance des témoins. Amélie Meffre
Enfant de salaud, de Sorj Chalandon. Editions Grasset, 332 p., 20,90€.
Chanson : Romain Didier, on s’en souviendra !

Seul au piano, la guitare de Thierry Garcia en bandoulière, d’autres copains et coquins convoqués en studio, Romain Didier se souvient et nous revient ! Dix ans de silence sur microsillon, un 11ème album pour revisiter ses paysages intérieurs, 12 chansons à la frontière de l’intime et de l’universel… « Dix ans à nourrir mon besoin de création avec des spectacles, des gammes et de belles rencontres ». Celui qui hait les prédateurs, les assemblées viriles et la loi du plus fort nous conte et chante Le prince sans royaume, ce naufragé aperçu au journal du 13h alors qu’on regarde ailleurs ! Souviens-moi, telle est l’invite du fidèle compagnon de route du regretté Allain Leprest : une voix embuée de nostalgie, sans amertume cependant, juste le temps d’évoquer une chanson de Sylvie Vartan ! Yonnel Liégeois
Souviens-moi, de Romain Didier. EPM musique, 12 titres, 17€.
Essai : Ralite, ils l’ont tant aimé

«Je n’ai pu me résoudre à rayer son numéro de téléphone de mon répertoire. Je sais bien que Jack Ralite est mort le 12 novembre 2017 à Aubervilliers, mais j’entends toujours sa voix, ses appels du matin (couché tard, il se lève tôt) ». Les premières lignes de la préface à Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, signée Jean-Pierre Léonardini, donnent le ton de cet hommage collectif et chaleureux. Journalistes, femmes et hommes de théâtre, élus, chercheurs, ils sont seize à tirer son portrait, pétri de souvenirs et de reconnaissance. Il faut dire que le grand Jack possédait bien des facettes et puis, une intelligence comme la sienne, c’est rare. L’ancien directeur du Festival d’Avignon, Bernard Faivre d’Arcier, le confirme : « […] passez une heure avec lui et vous aviez l’impression d’avoir conversé avec Victor Hugo, Jean Jaurès, Aragon ou René Char… » À propos du travail, alors qu’il fut ministre en charge de l’emploi, le psychologue Yves Clot rend à Ralite ce qui appartenait à Jack : « […] il pensait qu’il ne fallait pas hésiter à se “salir les mains” dans le monde actuel avec tous – syndicats et dirigeants – pour chercher les meilleurs arbitrages […] ». Au final, une bien belle révérence. Amélie Meffre
Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, collectif. Editions Le Clos Jouve, 140 p., 24€.
Roman : Marina la belle

Chez Marina, qui se rêve à la une des shows télévisés, il n’y a pas que la voix qui est belle et envoûtante : un corps à damner les saints du Vatican, une poitrine et des jambes à provoquer des accidents en chaîne dans les rues de Milan, une gouaille aussi à désarçonner les pires gigolos transalpins… Native de cette région montagneuse ravagée par la crise économique et la mort de l’industrie textile, la province alpine de Biella au nord de Turin, Marina ne rêve que d’une chose : fuir cette terre sinistrée, s’enivrer de paillettes à défaut du mauvais vin qui a ruiné sa famille. Une enfant de pauvres qui rêve de cette prospérité qu’elle n’a jamais connue, amoureuse pourtant d’un copain d’enfance qu’elle n’a jamais oublié et qui, fils de bourgeois révolté et en rupture de ban, ne songe qu’à élever des vaches de race dans un alpage déserté ! Un sulfureux récit que ce Marina Bellezza, hoquetant entre soubresauts des corps et colères de la nature, amours égarés et retrouvailles éperdues. Une langue puissante et colorée, ferme et rugueuse, le portrait d’une jeunesse en quête de rédemption face aux promesses d’une génération engluée dans la course à l’audimat et au profit. Signé de la jeune romancière italienne Silvia Avallone, déjà primée pour son premier ouvrage D’acier, un grand roman enragé et engagé, qui vous cogne à la tête et vous colle à la ceinture jusqu’à la dernière ligne. Yonnel Liégeois
Marina Bellezza, de Silvia Avallone, traduit de l’italien par Françoise Brun. Liana Levi, 542 p., 13€.