La pomme de terre a la frite !

Belges, Françaises, Russes ? L’origine des frites, c’est toute une histoire ! Si la question est sujette à controverses, ce plat du Plat Pays est aussi une pomme de concorde outre-Quiévrain. Un élément phare du patrimoine national, qui a déclaré la Journée internationale de la frite belge à la date du 1er août. Paru dans le quotidien L’Humanité, un article de Julia Hamlaoui

Les frites ? Un plat de Belgique, bien sûr. Eh bien, détrompez-vous, les frites n’y sont pas nées. Mais vous n’êtes pas seul à être tombé dans le panneau, tant l’histoire de leur origine est objet de controverses et de vives revendications. Nos voisins d’outre-­Quiévrain ont longtemps cru dur comme fer – et certains n’en démordent pas aujourd’hui – en être les inventeurs. Et pour cause : l’historien belge Jo Gérard a rendu cette thèse célèbre, via une publication de 1984, où est relatée sa découverte d’un manuscrit de 1781 racontant comment les habitants de Namur faisaient frire des pommes de terre en forme de petits poissons, pour remplacer ceux qu’ils n’avaient pu pêcher dans la Meuse lors d’hivers particulièrement rigoureux. Une « pratique (qui) remonte déjà à plus de cent années », y est-il précisé, soit à 1680. La conclusion est sans appel : les Namurois ont été les premiers à cuisinier des frites.

Mais cette démonstration est « aussi fantaisiste que hâtive », tranche l’historien belge de l’alimentation Pierre Leclercq dans une série à la RTBF sur les « grands mythes de la gastronomie ». Le fameux texte parlerait de pommes de terre rissolées. Rien à voir donc avec les bâtonnets ! Pourtant, cette histoire, « principal argument en faveur de la paternité belge de la frite, (…) a fini par entrer dans la conscience collective. Et ce malgré les travaux d’historiens sérieux qui la discréditent complètement », poursuit le spécialiste. Autre hypothèse en vogue, notamment parmi les Belges au début du XXe siècle : une origine russe. L’idée serait née d’un coup marketing, explique notre spécialiste sur le site de l’université de Liège. À l’époque, « le paquet de frites dont on se délectait chaque année à la foire portait ­l’énigmatique nom de “russe” », rebaptisé ainsi par M. Fritz, un forain, pour surfer sur « l’immense vogue médiatique suscitée par la guerre de Crimée ».

Mais où est la vérité alors ? En fait, la frite serait parisienne. « Dans les années 1780, des vendeuses de beignets frits de pommes de terre s’installent sur le Pont-Neuf, à Paris. Il semble bien que ces marchandes soient les premières à avoir plongé des tranches de pomme de terre dans une friture, probablement aux environs de 1800 », affirme Pierre Leclercq. Cette « pomme Pont-Neuf » deviendra bâtonnet. Trente ans plus tard, le plat en cornet serait même devenu « le symbole de la cuisine populaire parisienne », cité dans de nombreux romans, pièces de théâtre ou chansons. L’appellation « french fries » aurait dû nous mettre sur la piste, pensez-vous. Erreur. L’expression viendrait en fait d’un dialecte irlandais dans lequel « french » signifie « coupé en morceaux ». Sans rapport avec la France : un piège dans lequel est tombée la droite américaine qui, pour punir l’Hexagone de son opposition à la guerre en Irak en 2003, avait rebaptisé les frites les « freedom fries ».

Si l’origine belge est aujourd’hui la plus répandue, c’est que, après avoir été introduits par M. Fritz, qui avait fait ses armes à Montmartre puis fondé la toute première baraque à frites à Liège, les bâtonnets dorés sont devenus une institution chez nos voisins. Le pays ne compte pas moins de 5000 fritkots (baraques à frites) et la spécialité affirme ses spécificités : deux bains de cuisson dans de la graisse de bœuf et à déguster avec de la mayonnaise, s’il vous plaît. Les Belges en sont si toqués qu’en 2016 une radio de Bruxelles s’est même lancée dans une mission spatiale : envoyer le premier « paquet de frites » dans l’espace grâce à un ballon-sonde. Un succès !

Mais malgré les « brettes » entre nations sur son origine, la frite est facteur d’unité au pays du surréalisme. Alors que les tensions entre la Wallonie, la Flandre et Bruxelles ont donné lieu, à l’orée des années 2010, à l’une des plus longues crises politiques d’Europe, avec 541 jours sans gouvernement, la patate les a réunies. Chaque communauté l’a classée à son patrimoine, et dès 2014 la Belgique a annoncé son intention de la faire candidater au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. En attendant que la démarche aboutisse, il en fut ainsi pour la bière en 2016, le 1er août a été déclaré « Journée internationale de la frite belge ». Alors, bon appétit, bien sûr ! Julia Hamlaoui

Deux fritures, une fois !

Comme leur origine, la recette des frites est l’objet de multiples querelles. Épluchées ou avec la peau ? À laver, avant ou après la découpe ? À frire à l’huile ou à la graisse de bœuf ? En une ou deux cuissons ? Et la vapeur, vous y avez pensé ? Bref, il existe presque autant de façons de faire les frites que d’amateurs prêts à les savourer. Mais si elles sont nées à Paris, il faut reconnaître que les Belges sont passés maîtres dans l’art du bâtonnet doré. Alors, pour célébrer comme il se doit la Journée internationale de la frite belge, le 1er août, suivez ces quelques conseils :

Abandonnez les surgelées et munissez-vous d’un bon couteau. N’oubliez pas de choisir une variété adaptée, comme la bintje.

Lavez les pommes de terre avant de les éplucher. Vous pouvez aussi garder la peau, mais c’est moins traditionnel.

Taillez des tranches de 1 à 2 cm d’épaisseur, puis des bâtonnets de même dimension.

Rincez les frites encore crues à l’eau froide pour éliminer l’excès d’amidon (afin qu’elles ne collent pas entre elles à la cuisson) et séchez-les bien (pour plus de croustillant).

Chauffez la graisse de bœuf (aussi appelée « blanc de bœuf ») à 140 °C et plongez vos frites pour un premier bain de 4-5 minutes (temps de cuisson à adapter selon la quantité).

Laissez reposer durant au moins 30 minutes sur un papier absorbant.

Plongez-les dans un deuxième bain ! De nouveau pour 4-5 minutes mais à 180 °C cette fois, en les secouant de temps en temps pour les aérer.

Égouttez, salez immédiatement au sel fin, n’oubliez pas la mayonnaise et dégustez !

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Une réponse à “La pomme de terre a la frite !

  1. Le samedi 07 octobre 2023, la ville d’Arras organise le 1er Championnat du monde de la frite.

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