Au théâtre de la Renaissance (75), Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget proposent Made in France. Un spectacle survolté qui plonge dans le désastre industriel et humain : le démantèlement d’une usine dans une petite ville, loin de la capitale. Entre fiction et réalité…

Avec leur compagnie théâtrale La poursuite du bleu, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget savent se saisir de grands thèmes sociaux et sociétaux avec énergie. Coupures, en 2023 mettait en lumière le désarroi des ruraux face à l’installation à marche forcée d’antennes de téléphonie mobile. Ici, dans une petite ville loin de la capitale, Made in France s’intéresse à la fermeture d’une usine. Le groupe propriétaire veut en ouvrir une identique, dans un pays lointain ou l’on paye les ouvriers avec de la menue monnaie… Le décor est sobre, de grands panneaux sombres glissent sur le plateau et symbolisent les espaces. Une batterie, sur laquelle s’activent avec bonheur les musiciennes Mélanie Centenero en alternance avec Chloé Denis, est mobile elle aussi. Elle représente les machines de production. Manipulées par des hommes et des femmes menacés.

Après avoir fait le vide dans les bureaux, en mettant à la rue les administratifs et autres personnels d’encadrement, le groupe a préparé de longue date son affaire. Cette farce, et l’on rit de bon cœur de situations et de quiproquos savoureux, est en fait sinistre. Elle dénonce, parfois à coups de hache, les méfaits d’un capitalisme toujours à la recherche des meilleurs profits financiers, au mépris le plus total des personnes sacrifiés. Les comédiens, June Assal, Michel Derville (en alternance avec Bertrand Saunier), Thomas Rio (en alternance avec Paul-Eloi Forget), Valérie Moinet, et Samuel Valensi endossent plusieurs rôles dans lesquels ils sont convaincants. Et le récit n’est pas sans évoquer les fermetures réelles, plus d’une centaine en France en 2024.
Le président entre dans le jeu
Ici, le politique est aussi de la partie, au plus haut niveau. Avec un président de la République en pleine campagne pour sa réélection, avec une ministre de l’industrie prête à presque tout pour devenir calife à la place du calife. Et cela ne sent pas bon. Un peu comme les abords des usines de traitement des eaux qui tombent en panne les unes après les autres. La faute à des pièces défectueuses livrées par l’usine sacrifiée. Comme la syndicaliste qui tente de la jouer perso dans l’ombre pour sauver une indemnité de départ plus élevée, là encore, les personnages sont facilement caricaturaux mais, en même temps, la fiction rejoint une certaine réalité. Le repreneur, qui semble aimable comme un mouton, sait montrer les dents du véritable chacal qu’il est vraiment.

Les salariés, qui tentent de garder le moral, décident alors la grève. Puis acceptent de produire plus, tout en abandonnant de maigres avantages comme « la prime de Noël ». Sans illusion, ils savent qu’ils seront bernés. « Tu en connais, toi, d’autres usines qui embauchent dans le coin ? Il n’y en a pas d’autre » lance, réaliste, une des salariées. Pendant ce temps-là, le pouvoir en place poursuit sa démagogie. Et c’est presque comme dans la vraie vie. Même si se donne là du théâtre militant et futé qui se joue devant un public passionné. Gérald Rossi, photos Jules Despretz
Made in France, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget : Le lundi à 20h jusqu’au 05/01/26. Théâtre de la Renaissance, 20 Bd Saint-Martin, 75010 Paris (Tél. : 01.42.08.18.50).
Représentations suivies d’un débat :
– Le 24/11 avec Dominique Méda (sociologue, philosophe, professeure à l’Université Paris Dauphine), Christopher Guérin (Directeur Général de Nexans), Eric Duverger (Fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat), Bertrand de Singly (DGA de France Industrie).
– Le 01/12 avec Houria Aouimeur (juriste et lanceuse d’alerte, ex-directrice du régime de garantie des salaires de l’AGS), Alexandre Fleuret (responsable de département, Syndex).
– Le 08/12 avec Olivier Leberquier (dirigeant de la coopérative Scop-Ti créée après la victoire des Fralibs), Amine Ghenim (avocat spécialisé en droit du travail et avocat des Fralibs durant leur combat judiciaire contre Unilever), Aurélie Chamaret (DG de la Fédération des SCOP et SCIC de l’industrie).
– Le 15/12 avec Stéphane Brizé (réalisateur et scénariste), Coline Serreau (réalisatrice et scénariste), Samuel Valensi (auteur et metteur en scène).
– Le 22/12 avec Alexis Sesmat (Représentant syndical Sud Industrie chez General Electric), Delphine Batho (députée GÉ, membre de la commission d’enquête sur la vente d’Alstom), Frédéric Pierucci (fondateur d’Ikarian et ancien cadre commercial d’Alstom, auteur du Piège Américain).





