Au théâtre de la Scala (75), Léna Bréban propose La folle journée ou Le mariage de Figaro. L’adaptation du brûlot de Beaumarchais écrit en 1778, créé sur la scène de la Comédie Française en 1784, interdit régulièrement, autorisé, censuré… Un regard cuisant, et réjouissant, sur des sujets qui n’ont rien perdu de leur acuité : le pouvoir des puissants, la place des femmes.
Sur la grande scène de la Scala, se déroule une folle journée… Heureusement pour le public, réduite de 5h à 2h de spectacle dans l’adaptation de Léna Bréban, la metteure en scène ! Avec un florilège de personnages hauts en couleurs pour qui l’avenir se joue en cet espace temps : un comte lassé de son épouse, une servante convoitée par son maître en dépit de l’abrogation du droit de cuissage, un bourgeois déclassé promis à une vieille dame s’il ne peut lui rembourser ses dettes, un valet qui s’égare dans les rubans parfumés de la dame du logis. Il va sans dire qu’entre répliques et quiproquos, portes qui s’ouvrent et claquent, duos amoureux et dialogues houleux, la journée ne sera pas de tout repos. Le nœud de toute l’affaire ? Le mariage de Figaro avec la charmante Suzanne, plutôt compromis…
Comme chez Molière, tout est bien qui finit bien, Chantiers de Culture ne déflore aucun mystère : l’inceste est évité de justesse, coup de théâtre, la vieille Marceline se révèle être la mère de Figaro ! La servante épousera donc son galant, le comte libidineux s’excusera auprès de son épouse… Sous couvert de vaudeville, Beaumarchais s’en donne à cœur joie pour vilipender nantis et puissants, dénoncer la comédie de mœurs d’un régime qui a fait son temps. « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus », tempête Figaro à l’encontre de son seigneur et la brave Marceline, forte de l’expérience liée à son âge avancé de plaider la cause des femmes, « leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ». Songeons aux répercussions de tels propos en ce XVIIIème siècle, finissant et agonisant !
Les bons mots fusent, les sentences pleuvent, tel Figaro au cœur de son fameux monologue, « Sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ! ». Derrière le rire et l’humour des situations, à la veille de la Révolution Française, se dévoile toute la violence sociale et humaine d’un système en train de vaciller.
« C’était hier mais c’est aujourd’hui », commente Léna Bréban, la metteure en scène, « l’écrasement des plus pauvres, la valorisation du pouvoir, les femmes devant gérer les assauts continus d’hommes à qui elles n’ont rien demandé ». Mûri par le temps, Philippe Torreton s’impose de la voix et du geste dans le rôle-titre, toute la troupe à l’unisson. Entre flamboyance du verbe et qualité d’interprétation, classicisme et modernité, le plaisir des planches ! Yonnel Liégeois, photos Ambre Reynaud
La folle journée ou Le mariage de Figaro, d’après Beaumarchais, Léna Bréban : jusqu’au 04/01/26, du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 17h. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30).
Le 3/7/1905, la Chambre des députés adopte la « Loi concernant la séparation des Églises et de l’État ». Ratifié le 9 décembre de la même année, un texte qui assure « la liberté de conscience » à tout citoyen et fonde le principe de laïcité. Une conquête de portée universelle, à préserver et promouvoir.
La loi de 1905 ? Plus de cent après son adoption, elle prête toujours à polémiques entre ses partisans et adversaires. 1795 et 1871 : déjà les révolutionnaires du 1er Vendémiaire an IV, puis les membres du Conseil de la Commune avaient tenté d’imposer « la séparation de l’Église et de l’État ». En vain. Aussi Victor Hugo pouvait-il s’enflammer en 1850 à la tribune de l’Assemblée Nationale, réclamant de sa voix de tribun « cette antique et salutaireséparation de l’Église et de l’État qui était l’utopie de nos pères, l’État chez lui et l’Église chez elle »…
Il faudra attendre 1905, au terme d’une autre bataille d’Hernani, en fait une véritable guerre de tranchées entre la République et le Vatican, pour que les vœux du poète soient exaucés. Ainsi fut long le chemin, et rudes les combats pour que, voté par les communistes, les socialistes et les démocrates-chrétiens du MRP, l’article premier de la Constitution française de 1946 proclame enfin que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Une conquête capitale dans l’égalité et la liberté des consciences qui conduit Henri Pena-Ruiz, philosophe et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, à écrire en ouverture de son Histoire de la laïcité, genèse d’un idéal que vivre aujourd’hui dans un état laïc comme la France, « c’est un peu comme respirer l’air sans entrave. À la longue on n’y prend plus garde, on oublie même ce à quoi la laïcité, idéal de liberté et d’égalité, permet d’échapper » !
Voltaire, Montesquieu, Condorcet : croyants ou non, spiritualistes ou pas, au lendemain de la chute de la royauté fondée sur les trois principes intangibles « Un roi, une loi, une foi », les philosophes ne cesseront de faire entendre leur voix au bénéfice de la laïcisation de l’État. Philosophie des Lumières et Révolution française font cause commune pour « rendre la raison populaire », selon la célèbre formule de Condorcet qui, dans son fameux « Rapport sur l’instruction publique» plaide pour une école étrangère à tout principe confessionnel, un enseignement faisant le pari de l’intelligence et participant à la formation d’un citoyen libre et éclairé. Face au catholicisme dominant et au pape Pie VI qui condamne « les droits de l’homme, la liberté de conscience et l’égalité », les révolutionnaires de 1795 formulent la première loi de séparation entre l’État et les Églises. Une décision de courte durée puisque, dès 1801, Napoléon rétablit la règle du Concordat de l’Ancien Régime : le catholicisme est qualifié de « religion de la majorité des Français », de nouveau le trésor public finance les cultes et rétribue prêtres, pasteurs et rabbins.
1801-1905, cent ans après l’intermède napoléonien, la rupture finale est enfin consommée. Le peuple de France y est majoritairement favorable, y compris les protestants et la frange des catholiques libéraux. Entre temps, la IIIème République s’est installée aux commandes de l’État depuis 1870. Malgré l’écrasement de la Commune et le rejet de ses « lois laïques », la déconfessionnalisation de la vie publique est en marche : suppression de l’obligation du repos dominical en 1880, instauration de l’école primaire gratuite et laïque par Jules Ferry en 1882, rétablissement du droit du divorce en 1889, loi de 1901 sur la liberté des associations. Deux faits majeurs viendront en outre attiser les polémiques et exacerber les passions : l’affaire Dreyfus en 1894 et l’attitude intransigeante et rétrograde du pape Pie X qui conduit à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican en 1904. Aristide Briand, Ferdinand Buisson, Émile Combes et Jean Jaurès, les quatre figures de proue en faveur de la séparation, en sont intimement convaincus : en cette année 1905 s’ouvre « la lutte décisive entre la France moderne et les prétentions les plus exorbitantes de la théocratie la plus audacieuse et la plus aveugle », écrit Jaurès. Le 3 juillet, par 341 voix contre 233, la Chambre des députés vote en faveur de la loi de séparation des Églises et de l’État. Ratifiée par le président Loubet le 9 et publiée au Journal Officiel le 11 décembre 1905.
Cent vingt ans après son adoption, à droite d’abord mais aussi dans certains milieux extrêmes ou libéralistes, des voix s’élèvent encore et toujours pour réclamer une réinterprétation de la loi, voire sa révision. Leur argument de fond ? Le nouveau paysage religieux de France qui incite à prendre des mesures autres pour intégrer l’islam dans le jeu démocratique et républicain, telles que le financement de la construction de mosquées et la formation d’imams issus du territoire national… Au nom d’un principe de tolérance qui conduirait la société civile à s’adapter aux circonstances, d’aucuns en viennent donc à user d’un langage nouveau, à parler de « laïcité ouverte ». Selon le philosophe Henri Pena-Ruiz, « la laïcité n’a pas besoin d’adjectif, au risque de faire des concessions au communautarisme et de briser l’unité de la loi qui, en république, délivre des groupes de pression ». Le principe de laïcité, en son fond, dépasse en effet la question simpliste de l’adaptation d’une loi au regard d’une quelconque pratique religieuse ou de port de signes distinctifs à l’école. La remise en cause du principe républicain de laïcité s’appuie en fait sur la faillite sociale dont souffre le pays. Si la laïcité ne peut pas tout, elle appelle toutefois à des droits et des devoirs. Il serait donc temps, au nom même de la laïcité et non d’une fausse modernité, de réactiver, selon Pena-Ruiz, « les authentiques leviers de l’émancipation humaine : la lutte sociale et politique contre toutes les dérégulations capitalistes et pour la promotion des services publics, la lutte pour une émancipation intellectuelle et morale de tous afin qu’alors une conscience éclairée des vraies causes permette de résister aux fatalités idéologiques, la lutte pour l’émancipation laïque du droit afin que tous les êtres humains soient promus à une véritable autonomie éthique ».
Parce que la loi de 1905, prônant séparation des Églises et de l’État, n’est pas un particularisme accidentel de l’histoire de France, la laïcité constitue donc une conquête de portée universelle. À préserver, à promouvoir. À l’unisson de la conviction quasi prophétique de Jaurès, « La République française doit être laïque ET sociale, elle restera laïque parce qu’elle aura su rester sociale ». Yonnel Liégeois
En 1986, l’ONU institue le 2 décembre Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage. De la traite négrière d’hier à l’esclavagisme contemporain, l’asservissement de millions d’hommes, femmes et enfants a sévi et perdure. Historiens et chercheurs, écrivains et poètes en rendent compte.
Avec Travail, capitalisme et société esclavagiste, l’historienne Caroline Oudin-Bastide prend d’emblée son lecteur à contre-pied. Documents à l’appui et bilan de recherches extrêmement fines l’autorisent à affirmer que la valeur travail, à l’œuvre dans les sociétés esclavagistes de Guadeloupe et de Martinique, ne peut être analysée sur le même mode que celui en germe de la modernité capitaliste dans les sociétés occidentales. En Europe, Angleterre et France d’abord, non seulement la bourgeoisie industrielle voit dans le travail le meilleur moyen d’asseoir ses profits mais surtout exploiteurs et exploités, au fil du temps, pensent le travail comme source d’émancipation individuelle et collective. Un regard radicalement différent de celui posé par les planteurs et colons des Antilles, ne partageant en rien « l’esprit du capitalisme » : il leur faut d’abord assujettir d’autres hommes à la tâche pour mieux « cultiver l’oisiveté, s’adonner au jeu et aux plaisir », ensuite pour faire échec à cette « paresse naturelle » qui, selon eux, détermine l’homme noir. Aucune volonté donc de valoriser le travail, d’autant qu’ici il est synonyme de violences, de privations et de mort.
Un tel regard n’incite cependant pas l’historienne à nier les enjeux économiques ni le poids des richesses accumulées grâce au travail des esclaves. Pour preuve, le magistral « essai d’histoire globale » d’Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, qui parvient à rendre intelligible et clair « la complexité d’un des phénomènes mondiaux à l’origine du monde moderne » : « l’infâme trafic » d’hommes noirs, monstrueux par son étendue géographique (Afrique, Amérique, Orient) et son amplitude dans le temps (près de quatorze siècles)… L’historien n’hésite d’ailleurs pas à bousculer les tabous en ce qui concerne d’abord l’esclavage dans les sociétés africaines et orientales, en invitant ensuite son lecteur à faire la distinction entre l’histoire de l’esclavage et celle des traites négrières… Couronné par de nombreux prix, le livre de Pétré-Grenouilleau s’impose, vraiment « la » référence en la matière : une matière d’ailleurs « houleuse » dont fut victime l’universitaire de Lorient lorsque devoir mémoriel et recherche historique ne s’estiment plus complémentaires mais adversaires. Qui n’en a cure et récidive avec La révolution abolitionniste : une somme qui rend compte de la longue marche du projet abolitionniste sous ses trois dimensions, chronologique (de l’Antiquité au XIXème siècle) – géographique (de la Chine aux mondes musulmans) – thématique (de l’histoire des religions à l’analyse des pratiques politiques), pour basculer « d’un combat solitaire de quelques individus à un phénomène global inaugurant une liste ininterrompue de conquêtes au nom des droits de l’homme ». Un document de longue haleine, près de 500 pages, pourtant édifiant et captivant, érudit mais pas savant !
Pour mesurer véritablement ce que fut l’horreur du génocide négrier et de la colonisation, par exemple sous le règne de Léopold II, rien de tel que la lecture bouleversante de Congod’Éric Vuillard (prix Goncourt 2017 pour L’ordre du jour) ! À la conférence de Berlin en 1884, les puissances d’Europe se partagent l’Afrique et le Congo devient propriété personnelle du roi des Belges : posséder huit fois la Belgique, c’est tout de même quelque chose ! Et de faire fortune avec l’ivoire et le caoutchouc… Du nègre récalcitrant à la tâche, avec la miséricorde bienveillante des missionnaires, on coupe les mains, des paniers de mains en fin de journée que le colon exhibe et immortalise fièrement sur photo sépia. « L’effroi nous saisit en regardant ces photographies d’enfants aux mains coupées », écrit Éric Vuillard, « les cadavres, les petits paniers pleins de phalanges, les tas de paumes ». Sans masquer non plus cette face si longtemps cachée, et parfois toujours niée par les États concernés : la traite des Noirs d’Afrique par le monde arabo-musulman ! « Qui a concerné dix-sept millions de victimes pendant plus de treize siècles sans interruption », précise l’anthropologue franco-sénégalais Tidiane N’Diaye dans Le génocide voilé. Une traite minimisée, contrairement à la traite occidentale vers l’Amérique…
Sur un autre mode narratif, se révèle formidablement passionnante et réjouissante la lecture du « Nègre de personne » de l’écrivain martiniquais Roland Brival ! Le voyage romancé d’un jeune homme en 1939 sur le pont du paquebot Normandie, en route vers l’Amérique… « Il s’appelle Léon-Gontran Damas, il vient de publier à Paris son premier recueil, Pigments, préfacé par Robert Desnos », précise Roland Brival, « il est, avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, l’un des fondateurs du mouvement de la Négritude ». Le natif de Cayenne part à la rencontre des intellectuels noirs américains de la « Harlem Renaissance ». Il y rencontre surtout le racisme quotidien, l’apartheid au jour le jour, mais aussi les grands leaders de la cause noire, Harlem, le jazz et l’amour… Une désullision cependant, au regard de l’idéologie véhiculée, lançant « je ne crois pas à la guerre des races ni des cultures » et plaidant pour une société métissée, « je me sens plus métisse que nègre ». Quant au livre de la juriste Georgina Vaz Cabral spécialisée sur la question des droits de l’homme, La traite des êtres humains, c’est une plongée hallucinante dans ce qu’il est coutume d’appeler « l’esclavage contemporain» : travail des enfants et enfants-soldats, faux mariage, ateliers clandestins, prostitution, gens de maison séquestrés… Des beaux quartiers parisiens à l’Arabie Saoudite, des riches hôtels particuliers au Qatar, la même réalité sordide : employées et ouvriers surexploités, passeports confisqués, sévices journaliers. Il ne s’agit plus là d’un trafic humain réglementé par des lois ou des codes étatiques, nous sommes en face d’un capitalisme sans morale ni raison, voire de réseaux mafieux à l’échelle intercontinentale. L’esclavage moderne est un fléau qui concerne 50 millions de personnes à travers le monde selon l’O.I.T., l’Organisation internationale du travail.
Une barbarie moderne face à laquelle les institutions internationales ont encore peine à s’opposer par la loi, à démasquer, à condamner et encore plus à prévenir. Pour le plus grand malheur d’êtres humains, femmes et enfants essentiellement. Yonnel Liégeois
L’Afrique, terre d’esclavage
Un continent, au temps de l’esclavage… Nous sommes à la Cour d’Abomey, capitale du Dahomey (le Bénin, de nos jours), sous le règne du jeune roi Guézo. Qui confie au jeune Timothée une mission de la plus haute importance : ramener au pays la reine-mère, vendue comme esclave au Brésil suite à de sombres guerres intestines ! Le chant des cannes à sucre, plus qu’un roman d’aventures, est un hymne à la terre patrie, ses pistes couleur ocre et sa culture ancestrale. Une prise de conscience, en cette année 1822, de l’inanité de l’esclavage qui enrichit les colons européens coulant des jours heureux à Ouidah, ultime étape pour les populations indigènes embarquées en des contrées hostiles, une révélation pour le jeune matelot qui rejette cette économie de l’asservissement au nom de l’amour de sa belle. Au pays natal du vaudou, le regretté Barnabé Laye, béninois d’origine, cultive une plume qui caracole de vague en vague avec chatoyance, plongeant son lecteur dans les chaleurs et la torpeur de l’Afrique profonde, une plume aux mille couleurs et senteurs loin de la traditionnelle carte postale.
Aimé Césaire, quelques décennies plus tôt, s’était plongé à corps perdu dans l’écriture duCahier d’un retour au pays natal. Prise de conscience d’une couleur, d’une histoire, d’une culture qui unifie dans un même souffle racines africaines et déportation négrière. Outre la luxuriance de la langue, surgit entre les lignes la force du retournement intérieur dont est agité le poète à l’évocation de la cellule de Toussaint Louverture et de « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité ». Pourquoi ce cri d’un Nègre eut alors tant d’échos ? Parce qu’il entend de la cale « monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… ». Parce que, proclame-t-il alors en 1939, à la face de la puissance coloniale et à la veille d’une autre barbarie, celle des camps nazis, « ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes, que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie, que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes ».
Un Cahier dont un autre gamin de Martinique, Édouard Glissant, s’abreuvera, se nourrira ! Pour lui, l’expérience de la cale négrière est fondamentale. Comme le rappelle le rituel de la Route aux esclaves, à Ouidah au Bénin, longue de quatre kilomètres jusqu’à la mer… Elle nous raconte, sans chaînes aux pieds, le tragique destin de deux millions d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés à leurs terres au temps de la traite négrière. Deux millions d’humains, selon les estimations les plus sérieuses… Avec une cérémonie obligée pour tous, enchaînés les uns aux autres, fers aux mains et aux pieds : avant d’être enfermés dans des cases pendant de longues semaines dans l’obscurité la plus totale, un test de résistance à ce qu’ils allaient subir ensuite dans les cales de bateaux, faire neuf fois le tour de l’Arbre de l’oubli pour les hommes, sept fois pour les femmes, afin de gommer tout souvenir de leur vie d’Africain… Pour Glissant, une étape fondamentale, déterminante pour ces milliers d’humains dans leur manière de faire humanité lorsqu’ils échouèrent ensuite sur les côtes des Amériques ou des Antilles ! Eux à qui on voulait même effacer toute mémoire individuelle, eux qui furent contraints d’abandonner de force terre-culture-croyance-origine, ceux-là même furent conduits par la force des choses à se reconstruire, à réinventer leur identité par la seule force de leur imaginaire. « La même douleur de l’arrachement, et la même totale spoliation », écrit le regretté Édouard Glissant dans Mémoires des esclavages. « L’Africain déporté est dépouillé de ses langues, de ses dieux, de ses outils, de ses instruments quotidiens, de son savoir, de sa mesure du temps, de son imaginaire des paysages, tout cela s’est englouti et a été digéré dans le ventre du bateau négrier ». Des paroles fortes, émouvantes. Qui pourraient déboucher sur la plainte, l’exigence de réparation. Certes, mais pas seulement, explique le philosophe, la figure de l’Africain comme Migrant absolument et totalement nu « va permettre à l’Africain déporté, quel que soit l’endroit du continent où il aura été débarqué puis trafiqué, de recomposer, avec la toute-puissance de la mémoire désolée, les traces de ses cultures d’origine, et de les mettre en connivence avec les outils et les instruments nouveaux dont on lui aura imposé l’usage, et ainsi de créer, de faire surgir… des cultures de créolisation parmi les plus considérables qui soient, à la fois fécondes d’une richesse de vérité toute particulière et riches d’être valables pour tous dans l’actuel panorama du monde ».
Patrick Chamoiseau reprend à sa façon le flambeau des mains de Glissant. Qui, dans l’un de ses derniers ouvrages,Frères migrants, se fait l’héritier de sa pensée. « La mondialisation n’a pas prévu le surgissement de l’humain, elle n’a prévu que des consommateurs », écrit-il. La mondialisation se veut marché, la mondialité se vit partage ! En particulier le partage du monde et de ses richesses… Des cales négrières, nous sommes passés aux errances transfrontalières, aux naufrages en mer par notre refus de partager le monde et ses richesses. Par notre refus de nous ouvrir à l’autre, à son humanité alors que le migrant nous invite à migrer de notre confort, de nos certitudes, de notre tranquillité, de nos marchés en tout genre qui ne sont qu’accumulation de profits et non prolifération de désirs ! « Les États-nations d’Europe qui ont tant migré, tant brisé de frontières, tant conquis, dominé, et qui dominent encore », écrit Chamoiseau, « ceux-là mêmes veulent enchouker à résidence misères, terreurs et pauvretés humaines. Ils prétendent que le monde d’au-delà de leurs seules frontières n’a rien à voir avec leur monde ». Voilà pourquoi, aujourd’hui, l’image du migrant nous est insupportable : elle alimente l’intranquillité de nos consciences au regard de ce que nous avons fait de ce monde. Y.L.
Le 01/12, au théâtre du Vieux-Colombier (75), la Comédie Française s’associe à la célébration du centenaire des Copiaux ! Créateur du théâtre parisien en 1913, Jacques Copeau fonde la troupe des Copiaus en 1925. La même année, il achète une maison à Pernand-Vergelesses (21) qui devient lieu de rencontres. Une soirée pour une levée de fonds en vue de la restauration de la demeure.
En 1913, lançant un « appel à la jeunesse», Jacques Copeau rassemble autour de lui une troupe engagée, comprenant Charles Dullin et Louis Jouvet, et propose une programmation extrêmement riche, avec une alternance de quinze pièces en huit mois. Au retour d’un long séjour à New-York de 1917 à 1919, le Vieux-Colombier reprend une intense activité, marquée par la fondation d’une école novatrice. Mais, en 1924, Jacques Copeau décide de s’éloigner de Paris et installe en Bourgogne sa « communauté théâtrale ». Formée d’une partie de sa troupe et des élèves de l’école, elle sera en 1925 à l’origine de la troupe des Copiaus, ainsi surnommée par le public bourguignon. Cette année-là, Copeau achète une maison familiale à Pernand-Vergelesses, un village vigneron qui devient le camp de base de la troupe, pionnière de la décentralisation.
2025 marque ainsi le centenaire des Copiaus et de la maison Jacques Copeau, qui organise une série d’événements mettant en avant l’identité de ce lieu unique au croisement de la création, de la transmission et du patrimoine. Monument historique, labellisée Maison des Illustres, elle participe au travail de mémoire et à la connaissance critique de l’œuvre de Copeau et de ses filiations multiples, en France et dans le monde. La Comédie-Française s’associe à ce centenaire lors d’une soirée, le 01/12, au Théâtre du Vieux-Colombier avec des prises de parole, des lectures et des chansons en présence de multiples personnalités du monde du théâtre : Cécile Suzzarini, présidente de la Maison Jacques Copeau, Jean-Louis Hourdin et Cyril Teste, ses actuels conseillers artistiques, des membres de la Comédie-Française, dont l’administrateur général Clément Hervieu-Léger et le doyen Thierry Hancisse, ou encore Marcel Bozonnet, François Chattot, Anne Duverneuil, Hervé Pierre, Jean-Marc Roulot, Daniel Scalliet, Mathilde Sotiras, Hélène Vincent, Mathias Zakhar…
Cette soirée anniversaire est également l’occasion d’une levée de fonds pour ce grand chantier de réhabilitation de la maison de Pernand-Vergelesses. La demeure est située au cœur des Climats du vignoble de Bourgogne, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. L’association Maison Jacques Copeau a pour mission de préserver et mettre en valeur ce patrimoine. L’ensemble des bâtiments qui composent le site va faire peau neuve. Ils s’organisent autour d’une belle demeure bourguignonne du XVIIIe siècle surplombant des jardins en terrasse, entourée de bâtiments plus modestes d’époques diverses, des appartements occupés par les artistes en résidence au bureau construit en 1984 par Paul Chemetov.
Jean-Louis Hourdin, la demeure au label Maison des Illustres
La restauration de la maison principale est au cœur du projet : la présence de Jacques Copeau, de sa famille et de la troupe des Copiaus y sera magnifiée. La chambre-bureau de Copeau et celle de son épouse, témoins préservés de leur présence, retrouveront leur aspect authentique. Trois extensions contemporaines, inspirées des rustiques cabotes bourguignonnes (ancien abri de pierre pour vignerons), offriront de nouveaux espaces aux artistes en résidence pour leur travail de création. Un autre chantier de culture ! Yonnel Liégeois
Maison Copeau, 4 rue Jacques Copeau, 21420 Pernand-Vergelesses (Tél. : 03.80.22.17.01). Courriel : contact@maisonjacquescopeau.fr
Copeau et les Copiaux : 100 ans d’une aventure théâtrale fondatrice. Le lundi 01/12 à 19h, entrée libre sur réservation.Deuxième salle de la Comédie-Française depuis 1993, le Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris (Tél. : 01.44.58.15.15).
La maison en chantier
En juillet 2025, la maison Jacques Copeau a fermé ses portes pour se réparer, se réinventer, s’embellir. Le chantier de réhabilitation mêle intimement l’indispensable restauration patrimoniale (monument historique oblige !) et les transformations qui apporteront au projet de la maison un nouveau souffle : mieux accueillir les artistes et les visiteurs, aménager de nouveaux espaces de travail, prendre soin des jardins, répondre aux défis climatiques…
L’association Copeau a besoin de soutien, elle lance une grande collecte via la Fondation du patrimoine pour boucler le financement. Chaque euro récolté se changera demain en traverses de charpente pour durer, en tavaillons de châtaigner pour dialoguer avec la pierre, en laine de bois pour isoler, en enduits à la chaux pour faire respirer les murs, en papiers peints ressuscités… Grâce à chacune et chacun, citoyenne et citoyen, une nouvelle page de l’histoire de la maison Jacques Copeau va s’ouvrir !
Le 25/11/1959, à la veille de ses 37 ans, Gérard Philipe décède d’un cancer fulgurant. Plus tôt, la coqueluche du TNP et vedette de cinéma avait renoncé à briguer un second mandat à la tête du SFA-CGT, le Syndicat Français des Acteurs. Itinéraire d’un comédien engagé
Il y a plus d’un demi-siècle, le 25 novembre 1959, disparaît Gérard Philipe à l’âge de 37 ans, éternel jeune premier dans l’imagerie collective ! « Le Cid » au théâtre, « Fanfan la tulipe » au cinéma : des rôles, parmi d’autres, qui l’élèveront à jamais au rang de mythe dans le cœur des foules qui, en banlieue et en province, se pressent aux soirées organisées par le TNP de Jean Vilar. Au début des années 50, Gérard Philipe a conquis le statut de vedette internationale incontestée. Tant au grand écran que sur les planches…
En coulisses, ce que nombre de nos concitoyens ignorent encore de nos jours, le comédien revêt d’autres habits pour arpenter les boulevards parisiens et manifester son soutien à la cause : celle de la paix avec les signataires de l’Appel de Stockholm, celle des comédiens et acteurs pour le respect de leurs droits. Depuis ses premiers engagements professionnels, l’ancien résistant et libérateur de Paris au côté de Roger Stéphane a rejoint les rangs de la CGT en 1946. D’abord par conviction, ensuite en réaction aux propres engagements de son père : collaborateur notoire avec l’occupant nazi, réfugié en Espagne et condamné à mort par contumace en 1945 ! Enfin son épouse, Anne, une intellectuelle de gauche sinologue et cinéaste, a certainement exercé une influence décisive sur lui. Entre eux, s’est instauré un équilibre exemplaire entre vie de couple et vie mondaine ou militante, préservant l’une par rapport à l’autre.
Si le SNA (syndicat national des acteurs) a échappé aux soubresauts de la scission de la CGT au lendemain de la Libération grâce à l’intervention de Jean-Louis Barrault et d’autres (Fernandel, Serge Reggiani, François Périer, Charles Vanel…), il en va tout autrement au mitan des années 50. L’élection de Gaby Morlay à la présidence en 1954 marque une forte poussée de conservatisme. Entre anciens et modernes, une nouvelle bataille d’Hernani s’engage : les jeunes multiplient les grèves de lever de rideau alors que les caciques paralysent l’action syndicale avec leurs luttes intestines ! Contre l’immobilisme, la fronde s’organise et cherche son leader.
Bernard Blier pense à Gérard Philipe, qu’il a rencontré sur le tournage du film « Les Grandes manœuvres ». Le futur « Prince d’Avignon », après réflexion, apporte son exceptionnelle popularité médiatique à la cause des minoritaires et organise l’offensive. Pétitions, motions, démissions massives au SNA et rencontre avec Benoît Frachon n’y changent rien : au regret de devoir quitter la CGT, Philipe et sa troupe fondent en août 1957 le CNA, le Comité national des acteurs dont il assume la destinée.
Et de lancer son cri dans l’arène publique. « Les acteurs ne sont pas des chiens », déclare-t-il en octobre 1957. « Qu’on soit acteur, fonctionnaire, commerçant ou ouvrier, les difficultés de transport, de logement, d’alimentation sont identiques… À partir de là, on songe aux rapports qui existent entre employeurs et employés et la lutte syndicale devient nécessaire… Le chômage engendre une misère morale déplorable. Quand le comédien ne joue pas, il est malade, déprimé, inquiet. Sa vie est continuellement remise en question. Il devient hypersensible. Il joue aujourd’hui, mais il sait que la stabilité n’existe pas dans ce métier… ». Et de poursuivre : « Le théâtre ne doit pas appartenir à ceux qui ont les moyens d’attendre ou la chance de trouver un second métier conciliable avec les impératifs de notre condition ». À cette époque, Gérard Philipe décrit déjà avec clarté la place de l’artiste dans la société. « L’amélioration des conditions sociales du comédien demeure le souci essentiel du syndicat », affirme-t-il en conclusion. « Que le public nous aide et prenne nos problèmes au sérieux… Plus le comédien sera assuré de la défense de ses intérêts, plus il sera détendu et épanoui ».
Un paradoxe : la majorité des scissionnistes demeurent proches de la CGT, leur initiative vise exclusivement à ébranler les conservatismes du SNA. Alors en charge des questions culturelles à la confédération, Henri Krasucki suit l’affaire de près ! Pour Gérard Philipe, cette situation ne peut s’éterniser d’autant que Force Ouvrière use de tous les arguments pour envenimer le débat ! Dès janvier 1958, le président du CNA présente au SNA un projet de réunification, Yves Robert s’emploie en coulisses pour aplanir les différents entre les deux organisations. La polémique fait rage au sein du Conseil du SNA, à la veille d’adopter la procédure de réunification. « Pensez que Gérard Philipe est homme d’entière bonne foi, dont l’action est de jour en jour plus constructive et admirable », souligne Louis Arbessier à l’adresse des dignitaires de la profession. Le 15 janvier 1958, au Théâtre des Bouffes Parisiens, sur les cendres du CNA et du SNA naît le SFA, le Syndicat français des acteurs dont Gérard Philipe assume seul la présidence six mois plus tard !
Et d’engager alors un combat syndical de tous les instants : pour élargir les droits des artistes, réformer le théâtre en province, animer la grève dans les théâtres privés… Une activité syndicale débordante qui agace Vilar, patron du TNP, priant par écrit « Monsieur le président… de ne point faire de réunion syndicale dans un théâtre et à l’entracte d’une œuvre dont vous avez la responsabilité scénique ».
En avril 1959, débordé par ses engagements théâtraux et cinématographiques, tant en France qu’à l’étranger, Gérard Philipe annonce qu’il ne renouvellera pas son mandat à la tête du SFA. Sept mois plus tard, il est hospitalisé et décède d’un cancer du foie. Gérard Philipe ? « Un homme entier, porté par une certaine utopie hors de tout académisme », souligne Noëlle Giret, commissaire de l’exposition que lui consacra la BNF. « Au-delà du personnage, la figure de Gérard Philipe symbolise avant tout une aventure humaine, un vrai condensé de l’histoire sociale et culturelle de France ». Sa grâce demeure, la clairvoyance de son combat aussi. Yonnel Liégeois
Jean-Louis Barrault, Fernandel, Jean Marais, Serge Reggiani, Michel Piccoli, Danièle Delorme, Bernard Blier, Yves Montand, Jean le Poulain… Au fil des pages du remarquable ouvrage de Marie-Ange Rauch, De la cigale à la fourmi, histoire du mouvement syndical des artistes interprètes français (1840-1960), défilent les noms illustres d’artistes et comédiens qui ont marqué une époque de la culture française autant que les batailles syndicales des années 50-60. L’historienne leur redonne vie, sous un jour nouveau et souvent méconnu : leur activité militante au service d’un art qu’ils désiraient populaire.
Certes, au firmament de ces étoiles de la scène ou du grand écran, Gérard Philipe en est la figure marquante. Marie-Ange Rauch dresse le portrait d’un homme exigeant et féru deconvictions. Acteur mythique de l’après-guerre, le héros du Diable au corps et de La Chartreuse de Parme ne s’est pourtant jamais laissé griser par sa notoriété internationale. Un homme à la conscience intègre, discret, travailleur acharné et militant infatigable.
De la cigale à la fourmi retrace les grandes heures de ce syndicalisme original, d’hier à aujourd’hui, quand les stars du soir se font petites mains en coulisses pour gagner l’adhésion de leurs partenaires. Un engagement promu sur les planches, un document historique d’une lecture facile et rafraîchissante.
Au Quai d’Angers (49), Marcial Di Fonzo Bo propose Au Bon Pasteur, peines mineures. L’histoire poignante de « mauvaises filles » placées par la justice dans les couvents de l’institution religieuse, un « seule » en scène d’Inès Quaireau d’une incroyable puissance.
En ce jour de septembre 1954, plaisir et joie ont déserté la vie d’Annette, 16 ans, gamine d’Aubervilliers (93). Son père l’a signalée à la protection de l’enfance, elle franchit la porte de la maison du Bon Pasteur d’Angers, tenue par les religieuses de la congrégation de Notre-Dame de Charité. Nue dans le grand couloir, fouillée, examinée par un gynécologue qui a « introduit ses doigts dans mon sexe, sans gant », elle s’est vue remettre trois robes : une pour le travail, l’autre pour les sorties et la troisième pour la prière. Une ambiance carcérale qui ne dit pas son nom, des centaines de jeunes filles « rebelles, aguicheuses, vicieuses » placées par décision de justice ou à la demande des familles en vue de modeler corps et esprit dans le respect de la norme sociale. Au programme d’Au bon Pasteur, peines mineures, travail, prière et pénitence. Le texte de Sonia Chiambretto est puissant, poignant. Au Bon Pasteur d’Angers et d’ailleurs, de prétendues « mauvaises filles » à d’authentiques mauvaises sœurs…
Avec force réalisme et conviction, Inès Quaireau narre le quotidien de ces filles en rébellion, exploitées et humiliées, qui n’espèrent qu’en la fuite… Bouillonnante de vie et d’espoir, vivace et alerte, la jeune comédienne vitupère contre un système qui avilit plus qu’il ne libère. Qui partage aussi les projets d’avenir de gamines victimes de la précarité, de conditions familiales et sociales indignes d’une société prospère. Le principe des gouvernants d’alors ? Rendre cette population invisible plutôt que favoriser leur insertion, une supposée protection qui se mue en punition et condamnation… Dans une mise en scène alerte et colorée de Marcial Di Fonzo Bo pour chasser le pathos, une interprète qui prête langue et corps à ces filles presque du même âge qu’elle. Un spectacle d’une profonde intensité où, avec humour et ironie souvent, elle salue leur combativité et leur soif d’existence, dénonce des principes éducatifs hors d’âge, propices aux pires dérives. Un vrai cri du cœur, la foi en la jeunesse ! Yonnel Liégeois
Au Bon Pasteur, peines mineures : les 24 et 25/11 au Qu4tre-Université d’Angers, les 29 et 30/01/26 au Quai-CDN d’Angers, Cale de la Savatte, 49100 Angers (Tél. : 02.41.22.20.20).
Disponible sur France.TV jusqu’au 23/12, Affaires sensibles : Fabrice Drouelle consacre son émission auxFilles oubliées du Bon Pasteur. Des années 40 jusqu’en 1980, 40 000 jeunes filles ont été placées par la justice dans les couvents de la Congrégation du Bon Pasteur. Une institution qui faisait office de « maison de redressement ». Des centaines d’anciennes pensionnaires se battent aujourd’hui pour dénoncer les mauvais traitements infligés par les religieuses. Auditionnées lors de l’affaire Bétharram par la Commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, avec leur association Les filles du Bon Pasteur, elles demandent des excuses officielles de l’État et la reconnaissance de leur statut de victime. Pays plus prompts que la France, Irlande et Pays-Bas ont agi en conséquence : excuses des gouvernants et versement d’indemnités réparatrices.
À lire, pour découvrir principes et dérives du Bon Pasteur : Mauvaises filles incorrigibles et rebelles (Véronique Blanchard et David Niget, éditions Textuel), Cloîtrées, filles et religieuses dans les internats de rééducation du Bon Pasteur d’Angers, 1940-1990 (David Niget, Presses universitaires de Rennes).
À voir, le film remarquable de Peter Mullan : Les Magdalene Sisters. Couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise 2002, il narre l’histoire authentique de ces institutions religieuses chargées de punir les femmes « déchues » d’Irlande. La pénibilité du travail de blanchisserie symbolisait la purification morale et physique dont les femmes devaient s’acquitter pour faire acte de pénitence. Quatre congrégations religieuses féminines (les Sœurs de la Miséricorde, les Sœurs du Bon Pasteur, les Sœurs de la Charité et les Sœurs de Notre-Dame de la Charité du Refuge) avaient la main sur les nombreuses Magdalene laundries réparties sur l’ensemble du pays (Dublin, Galway, Cork, Limerick, Waterford, New Ross, Tralee, et Belfast). À voir aussi Mauvaises filles, le film d’Émérance Dubas, l’histoire secrète des Magdalene Sisters françaises.
À la Manufacture des œillets d’Ivry (94), Nasser Djemaï présente Vertiges. L’histoire d’une famille française d’origine maghrébine, à l’heure où Nadir revient à la maison après une longue absence. Une chronique sociale et politique, à la fois sensible et drôle, au ton juste, qui le rappelle à chacun : tous, nous sommes nés quelque part !
Nasser Djemaï, l’auteur et metteur en scène de Vertiges, nous raconte simplement, et d’abord, l’histoire de Nadir qui, après une longue absence, revient voir ses parents. Il décide de rester quelques jours pour remettre de l’ordre dans les affaires de la famille. Les factures en souffrance, le père malade des poumons, le petit frère au chômage qui passe le plus clair de son temps sur les réseaux sociaux, la sœur cadette employée de cantine un peu frivole, la voisine du dessus qui erre comme un fantôme dans l’appartement de jour comme de nuit… Au plan médical, le vertige, c’est la peur ou le malaise ressenti au-dessus du vide, ou la sensation que les corps et les objets tournent autour de soi. Aîné d’une fratrie de trois, Nadir est respecté et écouté. Tout semble lui avoir réussi : propriétaire, chef d’entreprise, marié, deux enfants.
Dans la cité où il a grandi, les choses ne sont plus comme avant. Les gamins qui squattent au pied de l’immeuble, la présence marquée des barbus, l’ascenseur en panne… À bien y regarder, la vie de Nadir, non plus, n’est pas aussi limpide qu’il n’y paraît. Son épouse a demandé le divorce, les sourires de sa petite sœur sont de plus en plus forcés, derrière les paroles bienveillantes de sa mère et de son frère pointent l’amertume et les reproches. Progressivement, tout se dérobe. Il a beau se débattre, vitupérer, réclamer de l’ordre, il est hors de lui, comme s’il ne s’était jamais appartenu. Enfant d’un pays qui n’est pas celui de ses parents, Nadir ne cultive pas le mythe du retour. Lassé des faux-semblants et des chimères, il lance à son père : « Qu’est-ce qu’il t’a donné ton pays, à part l’envie de fuir ? ». À travers l’histoire d’une famille française d’origine maghrébine, Nasser Djemaï parle d’identité, de quête intérieure. Il montre sans volonté de démontrer, d’imposer un discours. « Vertiges nous invite simplement à prendre place dans la vie d’une famille orpheline de sa propre histoire, essayant de colmater les fissures d’un navire en plein naufrage », confie le metteur en scène. Un huis-clos familial parfois doux-amer où l’humour, l’amour, la poésie ne sont jamais absents.
Vertiges, c’est un double retour ! Celui de Nadir après une longue absence, celui d’une pièce originellement créée en 2017. Près de dix ans plus tard, Nasser Djemaï en donne une version enrichie d’intuitions nouvelles qui ouvrent le texte à de nouveaux imaginaires. Fable contemporaine, une re-création comme une mise en perspective pour raconter au temps présent cette odyssée intime où s’invitent les chimères, où le réel se teinte de fantastique. Yonnel Liégeois, photos Christophe Raynaud de Lage
Vertiges, Nasser Djemaï : jusqu’au 30/11. Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 16h. La Manufacture des œillets, Centre dramatique national du Val de Marne, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine (Tél. : 01.43.90.11.11).
Mathématicienne, écrivaine, Michèle Audin est décédée le 14 novembre, à 71 ans. Elle était la fille de Josette et Maurice Audin, assassiné en 1957 par l’armée française en Algérie. Membre de l’Oulipo, elle se fit historienne, passionnée par la Commune de Paris. Paru dans le quotidien L’Humanité, un article d’Aurélien Soucheyre.
Il y a les littéraires. Il y a les matheux. Et puis il y avait Michèle Audin, qui savait jouer avec brio de ces deux langues. Mêler les chiffres et les lettres, inventer des structures alliant rigueur, poésie et travail mémoriel était devenu son terrain d’art et d’expérimentation. Dans son équation personnelle, il y avait d’abord eu un gros manque, un moins l’infini même : son père, le mathématicien et militant communiste Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, en 1957. Elle avait seulement trois ans. Il avait eu le temps de lui apprendre à lire, à écrire, et à compter, un peu.
Ce sont les chiffres qu’elle explore d’abord, brillante mathématicienne et spécialiste de la géométrie symplectique et professeure à l’Institut de recherche mathématique avancée de Strasbourg à partir de 1987. Pour sa « contribution à la recherche fondamentale en mathématique et à la popularisation de cette discipline », le président de la République Nicolas Sarkozy lui propose en 2008 la Légion d’honneur. Michèle Audin la refuse aussi sec. La raison ? Un an auparavant, sa mère Josette Audin avait écrit à l’Élysée, demandant que vérité soit faite sur le meurtre de Maurice Audin, dont le corps et les assassins n’ont jamais été retrouvés. Le chef de l’État n’avait même pas daigné répondre. Il faudra attendre 2018 pour qu’Emmanuel Macron reconnaisse enfin la responsabilité de l’État et de l’armée française dans ce crime colonial. Une victoire à l’issue de la si longue quête de la famille Audin pour la justice, même si bien des zones d’ombre demeurent.
Membre de l’Oulipo
Plus tôt, en 2013, Michèle Audin avait écrit Une vie brève (Gallimard – Collection l’Arbalète), récit pudique consacré à ce père assassiné à 25 ans, et ce qu’il reste de lui tel qu’il était. « Ni le martyr, ni sa mort, ni sa disparition ne sont le sujet de ce livre. C’est au contraire de la vie, de sa vie, dont toutes les traces n’ont pas disparu, que j’entends vous parler ici », racontait-elle.. Mais c’est son tout premier récit, sur Sofia Kovalevskaïa, grande mathématicienne victime de sexisme, qui lui vaut immédiatement d’être repérée par l’Oulipo, l’ouvroir de littérature potentielle fondé par Queneau, où elle est élue en 2009.
Dès lors, Michèle Audin s’autorise toutes les audaces, en croisant prose et arithmétique, en inventant la très géométrique contrainte littéraire de Pascal et en usant d’onzine et de sixtine, jusqu’au roman La formule de Stokes(Cassini, 2016), où l’héroïne est carrément une formule mathématique ! À l’entrelacement des disciplines, va très vite s’ajouter celui des époques. Passé, présent et futur sont des temps métissés. Michèle Audin, prise de passion par la Commune de Paris, y consacre à la fois des romans, des travaux d’historienne, et un blog passionnant, d’une érudition phénoménale, reprenant le fil de la révolution de 1871 en la racontant au jour le jour pour le cent-cinquantenaire de la Commune, en 2021. Une entreprise titanesque, qui avait trouvé écho sur le site de l’Humanité, avec une chronique quotidienne.
Avec le peuple de 1871
D’où lui venait cet intérêt ? D’elle-même, Michèle Audin faisait le lien avec ses parents et l’Algérie. « J’ai été élevée dans une famille communiste. Une certaine idée de la Commune de Paris faisait partie de la culture ! », nous lançait-elle en 2021. Ou encore : « Comme l’a dit l’homme responsable du massacre des communards : » Le sol de Paris est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insurgés qui osaient se déclarer partisans de la Commune. «Il s’agissait de terroriser la population, pour interdire d’autres insurrections. C’est analogue, par exemple, aux massacres menés en Algérie, eux aussi par l’armée française, à Sétif et Guelma en mai 1945. »
C’est aussi le peuple révolutionnaire de 1871, son ambition démocratique et sociale qui happe Michèle Audin, ce peuple en mouvement du roman Comme une rivière bleue(Gallimard, 2017). Ce peuple vaincu qui se cache après la défaite dans Josée Meunier, 19 rue des Juifs (Gallimard, 2021), où l’écrivaine, à la manière de Georges Perec, « épuise » la litanie méticuleuse d’une perquisition, et décortique la vie d’un immeuble, d’un appartement à l’autre, et d’une révolution à l’autre : 1830, 1848, 1871… Ici, elle invente une histoire d’amour au sujet d’un personnage réel, Albert Theisz, délégué à la poste de la Commune de Paris, et témoin de mariage entre Charles Longuet et Jenny Marx.
Historienne de la Semaine sanglante
Sa rigueur toute mathématique la pousse parallèlement à devenir pleinement et très efficacement historienne. Michèle Audin avait déjà édité des textes d’Eugène Varlin, publiés en intégralité pour la première fois grâce à elle (Libertalia 2019). Elle avait aussi exhumé les lettres d’Alix Payen, ambulancière de la Commune (2020). Mais en 2021, elle se lance, avec l’ouvrage La semaine sanglante, dans un décompte précis des victimes. « Bizarrement, personne n’a fait cette histoire depuis Du Camp et Pelletan (1879-1880). À part une revitalisation des comptes de Du Camp par Tombs aussi tardivement qu’en 2010 », s’étonnait-elle alors.
La voilà plongée dans les archives, les registres de chaque cimetière, les documents des pompes funèbres. « On s’aperçoit vite qu’il n’est pas possible d’arrêter de « compter les morts » le 30 mai, comme l’ont fait Du Camp, puis Tombs. Par exemple, rien qu’au cimetière Montmartre, arrivent, le 31 mai, 492 nouveaux corps d’inconnus », signale-t-elle, avant de calculer, registres à l’appui, que 10 000 personnes ont été inhumées « pendant et après » la Semaine sanglante. À la fin, Michèle Audin est formelle : « il y a eu certainement 15 000 morts » lors de la répression versaillaise. Tout chiffre en dessous n’est pas sérieux.
Elle était la fois discrète, respectueuse et directe, sans filtre quand elle avait quelque chose à dire. Michèle Audin avait publié une belle géographie des luttes avec Paris, Boulevard Voltaire (Gallimard, L’arbalète) et s’était penchée sur le quotidien de Strasbourg sous l’Occupation, avec La maison hantée(Les éditions de minuit). Une capitale alsacienne qu’elle connaissait bien et où elle est morte. Elle avait 71 ans, 71 comme l’année de la Commune. Aurélien Soucheyre
À lire, paru dans L’Humanité, un autre article d’Aurélien Soucheyre : « Michèle Audin, l’une des plus justes continuatrices de Perec, l’hommage de son éditeur Thomas Simonnet ».
Lors de la publication d’une série d’articles sur La Commune de Paris ( du 22/03 au 31/05/2021), Chantiers de culture avait interrogé Michèle Audin sur les références et la pertinence de certains livres parus à l’occasion du 150ème anniversaire de l’événement. Elle avait répondu au courriel, le 16/04/21, avec le ton naturel et direct qui la caractérisait si bien : « Merci pour votre appréciation sur mon blog… Si vous n’avez rien trouvé sur ces livres, c’est simplement qu’il n’y a rien : je ne mentionne que les livres que j’ai utilisés dans tel ou tel article, et je n’utilise que des livres que j’ai lus. Mais je n’utilise pas tout ce que j’ai lu. Et, bien entendu, je n’ai pas tout lu ! Merci, en tout cas, pour les indications que vous me communiquez. Salut & égalité, Michèle Audin ». Une belle et grande figure des sciences et des lettres nous a quitté, une remarquable mathématicienne et flamboyanteécrivaine, une plume à l’écoute de l’Histoire et pétrie d’humanisme. Yonnel Liégeois
Au studio des Mathurins (75), Ismaël Saidi présente Jérusalem. La pièce, mise en scène et interprétée par l’auteur, est un plaidoyer pour la paix. Dans la lignée de Djiad, son précédent spectacle à succès.
Sur le plateau nu, un homme se lamente. Il a perdu son procès, il doit dans quelques minutes remettre les clés de la demeure à sa nouvelle propriétaire. La vieille petite maison se trouve à Sheikh Jarrah, quartier de Jérusalem-Est. Shahid et Delphine Lachance (Ismaël Saidi et Inès Weill-Rochant en alternance avec Fiona Lévy) sont des inconnus l’un pour l’autre. Et chacun se dit convaincu de ses droits car il s’agit, clament-ils en chœur, de la maison de leurs ancêtres. Sur ce canevas souvent drôle, Ismaël Saidi a imaginé, à l’occasion d’une éclipse du soleil, une aventure assez fantastique. Le texte est de 2022, mais le drame actuel qui plonge cette partie du monde dans une actualité incertaine, dans le désespoir, lui confère une force supplémentaire.
Sur la scène, le dialogue permet de se comprendre, de s’entendre. Et du passé jaillit la lumière du présent. Voilà que deux revenants prennent la parole. Ruth et Al Qodsi, par la bouche de Delphine et Shahid, donnent à comprendre le passé sombre qui d’une certaine façon les unit. Tous deux se souviennent de la bonne entente des hommes et des femmes d’alors, qui partageaient les mêmes terres à défaut d’avoir épousé la même religion. Mais le respect de chacun faisait que tous vivaient en bonne harmonie.
Shoah et Nakba
Ruth est une rescapée de la Shoah, et Al Qodsi un exilé de la Nakba (l’exode palestinien de 1948). Tous deux ont souffert, et espéré la paix et la fraternité humaine. À travers ces personnages, explique l’auteur, « deux douleurs s’affrontent mais ne se hiérarchisent pas ». Loin de toute « compétition victimaire ». Né en 1976 à Bruxelles, Ismaël Saidi a été policier avant de se laisser séduire par l’écriture. Son premier grand succès dans les pays francophones, Djihad en 2014, mettait en présence trois garçons enrôlés par des fanatiques et se retrouvant armes au poing à Homs en Syrie, sans comprendre grand-chose à leur aventure. Agissant au nom, tentaient-ils de dire, de la défense d’un coran… qu’ils n’avaient jamais lu.
Avec un humour dévastateur, Saïdi démontait la mécanique. Ont suivi d’autres temps forts de cette saga, comme Géhenne ou encore Tribulations d’un musulman d’ici. Avec Jérusalem, la visée est toujours la même : contribuer à dire avec conviction combien le dialogue et la connaissance sont nécessaires, mais aussi que « sans mémoire il ne peut y avoir de paix ». Gérald Rossi
Jérusalem, Ismaël Saidi : Jusqu’au 31/12, les mercredi et jeudi à 19h. Théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins, 75008 Paris (Tél. : 01.42.65.90.00).
Le 11 novembre, Montreuil (93) et d’autres villes rendent hommage aux animaux morts pendant la Première Guerre mondiale. Une plaque, sculptée par l’artiste Virgil, fut apposée en 2021 dans le cimetière de la cité. Retour sur une hécatombe
Ils n’ont eu d’autre sépulture que les champs de la Somme et de la Marne sur lesquels ils sont tombés, les carnassiers les débarrassant de leur chair pour s’en nourrir. Ils furent les derniers auxiliaires vivants des armées en guerre. La Grande Guerre a tué, les deux camps confondus, 9,7 millions de militaires et 8,9 millions de civils. En marge de ces destinées humaines tragiques, on estime à 11 millions d’équidés, à une centaine de milliers de chiens et à 200 000 pigeons le nombre de victimes animales du conflit.
Une hécatombe bestiale
Quel souvenir aurait-on de « cet autre cheval, un allemand, une bête de selle, un alezan clair, presque doré, aux attaches déliées et pures, une encolure gracieuse et souple, des yeux ardents qu’une buée triste commençait à éteindre… La fusillade crépitait… Lui était debout, au milieu de la chaussée, seul dans la pleine clarté… Une de ses jambes de devant, déchirée à hauteur du poitrail, ruisselait jusqu’au sabot. Par une artère ouverte, un flot rouge affluait sans trêve, inépuisable, et tachait la route à ses pieds. Quand se coucherait-il dans ce sang, cheval mort au milieu de la route ? » Quel souvenir en aurait-on sans Maurice Genevoix l’ancien combattant qui, après Ceux de 14 consacré aux hommes, y associa avec Bestiaire sans oublile sort des animaux de guerre.
Côté français, on a enrôlé 1,8 million de chevaux, et réquisitionné puis importé des ânes et des mulets, à hauteur de 570 000, des États-Unis lorsque les écuries du pays ont été taries. Des importations qui sont une source de mortalité avant même d’avoir atteint les champs de bataille. Sur le pont des bateaux, les animaux traversant l’océan Atlantique affrontent le froid et les vagues. Entassés dans les cales, ils subsistent dans leurs excréments et crèvent sans que l’on puisse évacuer les cadavres. La France, qui paie comptant les vendeurs pour passer les commandes à moindre coût, enregistre 40% de pertes à l’arrivée. Les Anglais, eux, ne paient qu’à réception et déduisent les pertes de la facture, ce qui ramène les pertes à 20 %.
Chevaux et mulets, chiens et pigeons
Les équidés se répartissent les rôles : aux chevaux de tirer charrettes et canons, aux ânes et mulets d’être bâtés de provisions et de munitions. Si pas moins de 700 000 chevaux français sont morts, tous ne sont pas tombés sous la mitraille. Qu’il soit de trait ou de selle, un cheval est incapable de parcourir les 50 à 80 km quotidiens qui lui étaient parfois imposés. Nombre d’entre eux sont morts d’épuisement. Et puis, il y a ceux qui, dans les plaines de Flandre, se sont enfoncés jusqu’à l’étouffement dans les trous de bombes dissimulés par la boue.
Les chiens sont impartis d’un rôle plus noble que celui de la traction ou du portage. À commencer par les « sanitaires » chargés de retrouver morts et blessés. « Avant de se concentrer sur les tranchées, le front de la Marne s’étendait sur plus de 50 km au long desquels il fallait repérer les blessés », rappelle Éric Baratay, historien et professeur à Lyon III, spécialisé dans les relations homme-animal. Nobles encore les tâches de chien messager ou de garde pour éviter les intrusions ennemies chargées de faire des prisonniers lorsque la guerre se confinera aux tranchées.
Cité à l’ordre de la Nation
En revanche, il en est qui seront sacrifiés à la détection des mines. À partir de 1917, aux chiens messagers chargés des missions à courte distance s’ajouteront les pigeons pour le long cours. Il en est un, le pigeon Vaillant, doté d’un numéro de matricule comme chaque soldat, qui s’est vu cité à l’ordre de la Nation pour avoir porté un message capital en traversant les nuages de gaz toxiques et au mépris des tirs.
Un honneur dont l’armée française fut avare au point d’avoir détruit dans les années 1930 les registres militaires qui mentionnaient les interventions des animaux. À l’inverse, ces auxiliaires de troupes ont été honorés à l’étranger. Un imposant monument de 18 mètres de large sur 17 de profondeur, nommé « Animals in War », a été érigé à Hyde Park, à Londres.
« Ils n’avaient pas le choix »
Australiens et Canadiens en ont fait de même dans des dimensions plus modestes, suivant en cela ce qui est sans doute un tropisme anglo-saxon. L’Australian War Animal Memorial Organisation a ainsi inauguré en 2017 un mémorial aux animaux à Pozières, dans la Somme. Sur le monument de Londres, une phrase d’Erich Maria Remarque extraite d’À l’Ouest rien de nouveau: « Ils n’avaient pas le choix ». Pas davantage que ceux des tranchées. Alain Bradfer
De Bressuire à Sète, jusqu’aux Bouffes du Nord à Paris, Estelle Meyer propose Niquer la fatalité. Un hymne passionné à la mémoire de Gisèle Halimi, un plaidoyer passionnant en faveur de l’égalité femme-homme. Du théâtre à la chanson, un spectacle électrique, une comédienne et chanteuse envoûtante au propos percutant.
Entre piano et batterie, en la salle du théâtre à l’ambiance surchauffée, Estelle Meyer s’avance face à la foule des hommes et femmes, toutes générations confondues, qui ont répondu à son appel… Longue crinière noire et lèvres rouge sang, elle s’apprête à chanter et crier, rire et pleurer à l’évocation de la relégation féminine au fil de l’histoire ! Révolte en bouche, main sur le cœur et chanson de douleur pour toutes celles qui l’ont précédée : maltraitées, répudiées, violées, assassinées, condamnées à ne pouvoir disposer de leur corps sous le diktat de la gente masculine. Au nom de la déesse grecque Niké-Victoire, l’heure est donc venue de Niquer la fatalité. La preuve est là, clamée et certifiée, « depuis des millénaires, le deuxième sexe a accouché le premier, le deuxième sexe a accouché l’humanité » ! D’entre les cuisses d’une femme, de tout temps, l’homme est né.
Lovée en un large fauteuil, dans son micro cravate, la femme soliloque. D’abord à mots couverts puis, levant les yeux, pudique, directement avec le public… Pour nous conter l’enfance de Gisèle Halimi, la célèbre avocate et féministe née en Tunisie, née femme et condamnée à servir, à obéir. Et d’emblée, enfant pourtant, la rébellion, la révolte, le refus de perpétuer les traditions et de consentir aux injonctions d’une société inégalitaire. Plus tard, jeune femme inscrite au barreau, s’adressant au général de Gaulle, le président de la République qui l’interpelle sur le « Madame ou Mademoiselle ? », elle lui répond avec aplomb « appelez-moi Maître » !
Estelle Meyer le confesse, en parole et chanson, « le combat de Gisèle Halimi, sa route, ses forces me devancent, me donnent du courage et du sang pour faire battre mes pas ». Et de la voix, tantôt langoureuse tantôt plantureuse, clins d’œil et battements de paupière au rythme de la batterie, s’élève un chant d’espoir, caressant et enveloppant homme-femme, main dans la main. Du vieux monde pourtant, il faut secouer les oripeaux, que le mâle conquérant laisser advenir sa part féminine, oser croire et reconnaître que le corps peut être beau, que la sexualité peut être belle, qu’il ne faut avoir peur ni de l’un ni de l’autre…
En dialogue constant avec son auditoire, Estelle Meyer s’avoue sœur complice de l’inoubliable Halimi, l’avocate et la femme. De la plaidoirie pour l’une à la partition pour l’autre, de mots en notes, une militante confiante hier pour l’aujourd’hui et une artiste rayonnante scandant ces lendemains, beaux jours d’humanité où chacune, chacun, enfin, trouvera et prendra place, toute sa place.«Tout le travail de Gisèle part d’une cause intime pour faire avancer le tout. Le combat, la défense d’une femme devenant celui de toutes les femmes et faisant avancer la société entière », déclare-t-elle de sa voix lumineuse et ensorceleuse. Qui en joue, autant que de son corps virevoltant en surprenant derviche tourneur, une interprète à la parole libérée, déshabillée mots autant que de ses vêtements carcans.
En robe d’avocate ou tenue légère, debout ou à genoux, féline ou mutine, battant tambour Estelle Meyer bat le rappel. Avec grâce, sensuellement, poétiquement, une invite à chanter et changer la vie, commun commune ! Yonnel Liégeois, photos Emmanuelle Jacobson Roques/Caroline Deruas Peano
« Niquer la fatalité est un récit parlé, chanté, hurlé, sur le chemin qu’est vivre (…) Avec Gisèle Halimi pour miroir, pour Mère, pour amie, pour protectrice et puissance de vie, nos chemins s’entrelacent pour créer une multitude de témoignages sur ce qu’est être femme, sur la façon dont tout ce continent a été transmis et vécu, sur comment survivre et renaître. Avec pour issue la liberté. La liberté d’être. Pour les hommes et les femmes ». Estelle Meyer
Niquer la fatalité, chemin(s) en forme de femme, Estelle Meyer dans une mise en scène de Margaux Eskenazi. Piano et clavier : Grégoire Letouvet, en alternance avec Thibault Gomez. Batterie et percussions : Pierre Demange, en alternance avec Maxime Mary.
Le 13/11, Scènes de Territoire, Bressuire. Du 18 au 19/11, SN Les Quinconces, Le Mans. Du 25 au 26/11, SN Le Théâtre, Saint-Nazaire. Le 17/01/26, SN Théâtre Molière, Sète. Le 03/03, Le Safran, Amiens. Le 06/03, Théâtre JF Voguet, Fontenay-sous-Bois. Le 08/03, Sud-Est Théâtre, Villeneuve-Saint-Georges. Le 10/03, Le Moulin du Roc, Niort. Les 12 et 13/03, La Blaiserie, Poitiers. Le 20/03, Espace culturel Odyssée / L’Autre Rive, Eybens. Du 2 au 11/04, théâtre des Bouffes du Nord, Paris. Disponible, la version radiophonique du spectacle, réalisée par Laurence Courtois.
Aux éditions du Campus ouvert, Scarlett Wilson-Courvoisier publie Le matrimoine, ce que nous ont transmis les pionnières de l’ESS. À l’aide d’une centaine de portraits de femmes engagées du XIXe et du XXe siècles,l’auteure met à l’honneur ce combat émancipateur au cœur de l’économie sociale et solidaire. Femmes pionnières, combattantes, affranchies et décideuses…
Il y a quelques années, les journalistes s’interrogeaient sur le sujet : « Pour être dirigeant de l’économie sociale et solidaire (ESS), faut-il être mâle sexagénaire et gaulois ? ». Aujourd’hui, Scarlett Wilson-Courvoisier nous propose le fruit d’un engagement de quarante années pour l’ESS et un long et passionnant travail, Le matrimoine, ce que nous ont transmis les pionnières de l’ESS (1830-1999). Ce sont plus de 100 portraits de femmes engagées du XIXe et du XXe siècles que l’autrice classe en « pionnières, femmes combattantes, femmes institutionnelles, affranchies et décideuses ».
Pédagogue et féministe
Certaines ont marqué durablement leur temps. Il y a les grandes pédagogues et militantes de l’éducation des filles et des femmes, Marie Pape-Carpantier et Élisa Lemonnier. Il y a l’écrivaine et militante Flora Tristan. Il y a les héroïnes de la Commune, Louise Michel et Nathalie Le Mel. Plus récemment, il y a Marie-Andrée Lagroua Weil-Hallé, fondatrice du Mouvement pour le planning familial, ou Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui présidera ATD-Quart monde. Mais on en retrouve (ou découvre) tant d’autres qui, le plus souvent dans le silence, ont, aux côtés des grands fondateurs, jeté les bases de l’économie sociale, structuré la société civile, mené le combat féministe.
Éclairée et émancipatrice
Émanation du collectif des femmes pour l’économie sociale et solidaire FemmESS, que Scarlett Wilson-Courvoisier a contribué à créer, Le Matrimoine permet de rendre justice aux anciennes et à toutes celles qui leur ont succédé et qui continuent de le faire. Le combat de FemmESS était nécessaire au sein d’une ESS qui se veut éclairée et émancipatrice, mais qui reproduit trop souvent des modèles patriarcaux. Une grande majorité des salariés de l’ESS sont des femmes, mais avec le plafond de verre et les distorsions hiérarchiques, elles se voient trop souvent confinées à l’exécution. Combien d’années Maguy Beau demeura seule au sein des instances dirigeantes de la Fédération nationale de la Mutualité Française ? Quelle est la place des femmes dans les présidences associatives ou coopératives ?
Avec Scarlett Wilson-Courvoisier qui fut longtemps l’une des très rares femmes au sein de la délégation interministérielle à l’économie sociale, sortent enfin de l’ombre des figures attachantes et impressionnantes par leurs réalisations. Si une civilisation se juge à la place qu’elle fait aussi aux femmes, il est grand temps que l’ESS se penche sur son histoire et sur sa réalité actuelle. Jean-Philippe Milesy
Le matrimoine, ce que nous ont transmis les pionnières de l’ESS, de Scarlett Wilson-Courvoisier (éditions Campus ouvert, 2 volumes, 500 p., 36€).
Le 20/11 à 18h, l’association Alpesolidaires organise à la Maison de la vie associative et citoyenne de Grenoble (6 rue Berthe de Boissieux, tél. : 04.76.87.91.90) une conférence, rencontre-débat, animée par Scarlett Wilson-Courvoisier.
Résidant en Creuse (23) depuis deux décennies, le réalisateur britannique Peter Watkins est décédé le 31/10. Auteur d’un cinéma engagé et pacifiste mêlant fiction et documentaire, dont La Commune en 2000, le cinéaste avait reçu un Oscar en 1967 pour La bombe. Disponible sur les réseaux sociaux, un article d’Abbas Fahdel.
Peter Watkins est mort, et avec lui s’éteint l’une des dernières consciences du cinéma occidental. Non pas un réalisateur parmi d’autres, mais un réfractaire. Un insurgé de l’image. Un homme qui aura passé toute sa vie à refuser la domestication du réel par les appareils du pouvoir, qu’ils soient médiatiques, politiques ou esthétiques. Né en 1935, il aura bâti une œuvre à contre-courant de tout ce que le cinéma institutionnel a produit. Dès The War Game (1965), son faux documentaire sur les effets d’une attaque nucléaire en Grande-Bretagne, il s’attaque à la première des hypocrisies modernes : celle des images “objectives”. En mêlant la forme documentaire à la fiction, Watkins invente une écriture nouvelle — une “reconstruction critique” — qui met à nu la manière dont les médias façonnent la perception du monde. Le film, jugé trop subversif par la BBC, sera interdit de diffusion pendant vingt ans. Ce bannissement préfigure tout le destin de Watkins : l’exil, le refus, la marginalisation.
Avant The War Game, Watkins avait déjà expérimenté cette hybridation radicale dans Culloden (1964), reconstitution de la dernière bataille livrée sur le sol britannique, en 1746, entre les troupes jacobites écossaises et l’armée anglaise. Filmée comme un reportage de guerre contemporain, avec interviews fictives et caméra à l’épaule, cette œuvre pionnière dénonce la barbarie du pouvoir impérial et la manipulation de l’histoire nationale. En transposant le langage télévisuel au XVIIIᵉ siècle, Watkins y démontre déjà la continuité entre les violences d’hier et celles d’aujourd’hui, entre la colonisation et la communication. C’est justement dans cette mise à l’écart que s’affirme son génie. Punishment Park (1971) transpose la répression du mouvement anti-guerre américain dans un désert californien devenu camp d’entraînement de la violence d’État. Watkins y déploie un dispositif implacable : les protagonistes, militants ou policiers, s’affrontent sous l’œil d’une fausse équipe de télévision — métaphore glaçante du spectacle contemporain, où tout devient image, même la souffrance. La caméra n’est plus l’instrument d’un récit : elle est le lieu même du conflit.
Cette mise en cause du médium, Watkins l’étend à toute l’histoire moderne. La Commune (Paris, 1871), tourné en 2000, est peut-être son œuvre la plus radicale. Avec des centaines de participants non-professionnels, il ressuscite l’expérience de la Commune, tout en la confrontant aux codes médiatiques du direct et du reportage. Le résultat est un film fleuve, d’une liberté presque insoutenable : un cinéma collectif, participatif, politique au sens le plus noble — non pas celui du pouvoir, mais celui du partage de la parole. Watkins refuse la séparation entre le spectateur et le sujet, entre la fiction et le réel, entre le passé et le présent. Tout est ici processus, débat, mémoire active. Entre Punishment Park et La Commune, une œuvre charnière condense la profondeur de sa démarche : Edvard Munch (1974). Watkins y explore la vie du peintre norvégien à travers un dispositif de fausse archive et de témoignages anachroniques, où les acteurs s’adressent directement à la caméra. Plus qu’un biopic, c’est une méditation sur la création, la douleur et l’aliénation de l’artiste dans une société bourgeoise qui transforme la sensibilité en marchandise. Edvard Munch devient ainsi le portrait de Watkins lui-même : un créateur en guerre contre les institutions culturelles, cherchant dans l’art un espace de résistance au conformisme des images.
Ce qui rend son œuvre unique, ce n’est pas seulement son courage politique, mais sa lucidité théorique. Watkins n’a cessé de dénoncer ce qu’il appelait le “Monoform”, cette grammaire audiovisuelle standardisée imposée par le cinéma et la télévision dominants : rythme rapide, montage autoritaire, narration fermée, émotion programmée. Contre cette forme totalitaire de l’image, il proposait un cinéma de la lenteur, de la contradiction, du dialogue — un cinéma où les spectateurs sont invités à penser, à discuter, à contester. Watkins fut ainsi l’un des rares cinéastes à faire du cinéma un espace démocratique réel, et non un simple reflet de la démocratie proclamée. En cela, il se rapproche de Brecht, de Godard, de Marker — mais avec une rigueur presque monastique, un refus absolu du compromis. Il a vécu en exil, loin des circuits commerciaux, tournant avec des moyens dérisoires, mais avec une fidélité rare à une idée : celle que l’image peut encore libérer, à condition qu’elle cesse de séduire.
Dans un monde saturé de flux, de contenus et de simulacres, Peter Watkins restera une balise : celle d’un cinéma qui ne cherche pas à “représenter” le réel, mais à le rendre à la parole, à le rendre au peuple. Ignorée ou censurée par les institutions, son œuvre continuera de hanter tous ceux qui refusent l’endormissement des consciences. Watkins n’a pas seulement filmé l’histoire, il a filmé la lutte contre la façon dont on nous empêche de la penser.Abbas Fahdel, cinéaste franco-irakien
Le 29 octobre 1981, disparaissait Georges Brassens. En compagnie de Rémi Jacobs, coauteur avec Jacques Lanfranchi de Brassens, les trompettes de la renommée, une petite balade amoureuse dans l’univers du grand poète et chanteur populaire. Sans oublier les deux conférences musicales, le 15/11 et 06/12, initiées par Philippe Gitton, contributeur aux Chantiers de culture.
« Auprès de mon arbre », « Fernande », « La cane de Jeanne », « Le gorille », « Une jolie fleur » : pour l’avoir fredonnée un jour, qui ne connaît au moins une chanson du répertoire de l’ami Jojo ? De son vivant déjà, nombreux sont encore aujourd’hui les interprètes qui s’amourachent des rengaines finement ciselées de Brassens. Une pléiade de textes toujours d’actualité, vraiment pas démodés qui font mouche là où ils touchent : les cocus, les cons, les curés, les pandores, les juges… En décembre 2021, pour le centième anniversaire de sa naissance, Sète, la ville natale du poète, organisait de nombreux événements. En particulier sur le bateau du centenaire, Le Roquerols. Compositeur et interprète, Brassens a marqué son époque par son regard incisif sur notre société. Avec, en fil conducteur, deux mots qui lui étaient chers : fraternité et liberté !
« Je fréquente Brassens dès mon plus jeune âge », avoue Rémi Jacobs, « je me souviens encore du scandale que ma sœur déclencha à la maison le jour où elle rentra avec le 45 tours du « Gorille » en main ! ». Le ver est dans le fruit, à cette date et en dépit des interdits familiaux, le coauteur de Brassens, les trompettes de la renommée ne cessera d’écouter le signataire de la « Supplique pour être enterré à la plage de Sète ». C’est en cette bonne ville du Sud, marine et ouvrière, que Georges Brassens naquit en octobre 1921. D’une mère d’origine italienne et fervente catholique, d’un père maçon farouchement laïc et libre penseur : déjà un curieux attelage pour mettre le pied à l’étrier, une enfance heureuse cependant pour le gamin à cheval entre règles de vie et principes de liberté, qui connaît déjà des centaines de chansons par coeur (Mireille, Misraki, Trenet…). Une rencontre déterminante au temps du collège, celle d’Alphonse Bonnafé, son professeur de français qui lui donne le goût de la lecture et de la poésie, Baudelaire – Rimbaud – Verlaine, avant qu’il ne découvre Villon, Prévert et bien d’autres auteurs… « On était des brutes à 14-15 ans et on s’est mis à aimer les poètes, tu mesures le renversement ? » confessera plus tard à des amis « Celui qui a mal tourné ».
« Des auteurs qui nourriront l’imaginaire de Brassens et l’inspireront pour composer des textes splendides et indémodables », souligne Rémi Jacobs. « Une versification, une prosodie qui exigèrent beaucoup de travail, on ne s’en rend pas compte à l’écoute de ses chansons, et pourtant… Brassens, ce grand amateur de jazz et de blues, révèle une extraordinaire habilité à poser des musiques sur les paroles de ses chansons ». D’où la question au fin connaisseur de celui chez qui tout est bon comme « tout est bon chez elle », il n’y a « Rien à jeter » : Brassens, un poète-musicien ou un musicien-poète ? « Les deux, tout à la fois », rétorque avec conviction le spécialiste patenté ! « Brassens est un musicien d’instinct, qui a cherché ses mélodies et a parfois cafouillé, mais il est arrivé à un statut de compositeur assez original. Musicien d’abord ou poète avant tout : d’une chanson l’autre, le cœur balance, il est impossible de trancher. Historiquement, hormis quelques chansons, on ne sait pas ce qui précède, chez Brassens, du texte ou de la musique ».
« Sauf le respect que je vous dois », ne sont que mécréants et médisants ceux qui prétendent que Brassens se contentait de gratouiller son instrument… « De même qu’il a su créer son style poétique, il est parvenu à imposer un style musical que l’on reconnaît d’emblée. Il me semble impossible de poser d’autres musiques sur ses textes. Par rapport à ses contemporains, tels Brel ou Ferré, il m’apparaît comme le seul à afficher une telle unité stylistique. Hormis Nougaro peut-être, plus encore que Gainsbourg… Brassens travaillait énormément ses mélodies, fidèle à son style hors des époques et du temps qui passe. D’une dextérité extraordinaire à la guitare au point que ses partenaires musiciens avaient du mal à le suivre sur scène », note Rémi Jacobs.
Un exemple ? « La chanson « Les copains d’abord » dont nous avons retrouvé le premier jet de la musique. Très éloigné du résultat que nous connaissons, la preuve qu’il a cherché longtemps avant d’arriver à cette perfection ». Et le musicologue de l’affirmer sans ambages : « Les copains d’abord ? Le bijou par excellence où Brassens révèle tout son acharnement au travail pour atteindre le sommet de son art, où il révèle surtout son génie à faire accéder ses musiques au domaine populaire dans le bon sens du terme. Ses chansons ont pénétré l’inconscient collectif, elles y demeurent quarante ans après sa disparition, elles y resteront encore longtemps pour certaines d’entre elles, comme « Les copains » ou « L’auvergnat ». Des chansons finement ciselées, au langage simple à force de labeur sur le vers et les mots ».
D’où la censure qui frappa certaines de ses chansons, jugées trop subversives et interdites de diffusion. En attestent les « cartons » des policiers des Renseignements Généraux, notant cependant que ce garçon irait loin… Il est vrai que « Le Gorille » fait fort là où ça peut faire mal ! Libertaire, anarchiste Brassens ? « Il s’élève avant tout contre l’institution, toutes les institutions, le pouvoir, tous les pouvoirs : la justice, la police, l’armée, l’église. Il suffit de réécouter « La religieuse », un texte ravageur, destructeur… Un vrai scud ! », s’esclaffe Rémi Jacobs.
Celui qui célébra « Les amoureux des bancs publics » au même titre qu’il entonna « La complainte des filles de joie » est avant tout un humaniste, tolérant, défenseur du mécréant et de la prostituée. Avec, pourtant, des sources d’inspiration étonnantes parce que récurrentes dans son oeuvre (Dieu, la mort…) et l’appel au respect d’un certain ordre moral. « Brassens ? Un homme d’une grande pudeur, fidèle en amitié, pour qui la parole donnée est sacrée », affirme en conclusion notre interlocuteur, « un homme qui se veut libre avant tout, qui prend fait et cause pour les causes désespérées. à l’image de François Villon, le poète d’une grande authenticité et d’une grande liberté de ton qui l’inspira tout au long de sa vie ».
Georges Brassens ? Au final, un ami peut-être, un complice d’accord. Un copain d’abord qui, plus de quarante ans après, coquin de sort, nous manque encore ! Yonnel Liégeois
Le 15/11 à 16h, en la salle des fêtes de Mézières (36), Philippe Gitton et Sylvain Guillaumet proposent une conférence musicale en hommage à Georges Brassens : le rappel de quelques dates essentielles dans la vie de l’artiste par l’un, une douzaine de chansons interprétées par l’autre. Quarante-quatre ans après sa mort, le répertoire du Sétois suscite toujours autant d’intérêt y compris parmi les nouvelles générations. Grand prix de poésie de l’Académie française en 1967, Georges Brassens a mis en musique des poèmes de François Villon, Victor Hugo, Paul Verlaine, Francis Jammes, Paul Fort, Antoine Pol, Théodore de Banville, Alphonse de Lamartine ou encore Louis Aragon.
Le 06/12 à 16h30, à la salle polyvalente de la Résidence AVH, 64 rue Petit, 75019 Paris (Métro Ourcq, ligne 5). Philippe Hutet et Alain Martial interpréteront les chansons. Le rendez-vous musical est organisé par le GIPAA (Groupement pour l’Information progressiste des Aveugles et Amblyopes). Réservation indispensable auprès de Sylvie et Yves Martin (07.81.91.37.17).
Poète et musicien
Qu’il soit diplômé du Conservatoire de Paris en harmonie et contrepoint pour l’un, titulaire d’un doctorat d’histoire pour l’autre, les deux l’affirment : Brassens fut tout à la fois un grand poète et un grand musicien ! Avec Brassens, les trompettes de la renommée, Rémi Jacobs et Jacques Lanfranchi signent un ouvrage passionnant et fort instructif. Un livre à double entrée aussi, analysant successivement textes et musiques. Révélant ainsi au lecteur des sources d’inspiration littéraire inconnues du grand public (Musset, Hugo, Aragon, Montaigne…), au même titre que les filiations musicales de celui qui voulait bien « Mourir pour des idées », mais de mort lente : l’opérette qui connaissait encore un grand succès dans les années 30, les musiques de films, le comique troupier et surtout le jazz, celui de Sydney Bechet et de Django Reinhardt…
Un essai qui permet véritablement de rentrer dans la genèse d’une œuvre pour assister, au final, à l’éclosion d’une chanson. Deux autres livres à retenir, à l’occasion du 40ème anniversaire de la mort de Georges Brassens : Le libertaire de la chanson de Clémentine Deroudille qui narre par le menu la vie du poète, le Brassens de Joann Sfar qui illustre avec talent et tendresse le texte des 170 chansons écrites et enregistrées par celui qui souffla plus d’une « Tempête dans le bénitier ». Y.L.
Elle est à toi, cette chanson…
Diffusé en exclusivité à la Fnac, le coffret de quatre albums Georges Brassens, elle est à toi cette chanson… conçu par Françoise Canetti surprendra les oreilles de celles et ceux qui pensent avoir écumé l’ensemble de l’œuvre.
Le premier album permet, explique Françoise Canetti « de découvrir Brassens autrement, à travers ses interprètes », pour damer le pion à celles et ceux persuadé·es qu’avec Brassens, deux accords de guitare et un « pom pom pom » final suffisent. « Mon père disait que ceux qui pensaient ça avaient vraiment des oreilles de lavabo, sourit Françoise Canetti. C’était en fait un immense mélodisteet les arrangements jazz, rock ou encore blues d’Arthur H, Sandra Nkake, Olivia Ruiz, Françoise Hardy ou encore Nina Simone révèlent toute la force de ces mélodies. »
Le deuxième album est consacré aux années Trois baudets, ces fameux débuts dans lesquels Brassens doit être littéralement poussé sur scène par Jacques Canetti. « Mon père a créé le phénomène d’artistes-interprètes, poussant les auteurs de chansons à interpréter leurs textes, parce qu’il croyait en eux, explique Françoise Canetti. Brassens, Brel, Vian : tous étaient à la base très mal à l’aise de se donner en spectacle mais mon père les encourageait avec bienveillance, parce qu’il avait vu leur immense potentiel. C’était un accoucheur de talent, qui ne dirigeait pas ses artistes comme d’autres dans le show business mais préférait suggérer en posant des questions, du type : Georges, pensez-vous que cette chanson soit à la bonne tonalité ? De fait, Brassens, qui aimait donner des surnoms à tout le monde, l’appelait Socrate. » Dans cet album, au milieu des classiques sont intercalées des morceaux d’interviews de l’artiste particulièrement émouvants.
Le troisième album est consacré aux artistes des premières parties de Brassens (Boby Lapointe, Maxime Le Forestier, Barbara, Rosita…) pour souligner le grand sens de l’amitié du chanteur. « Il s’est toujours rappelé que Patachou en premier puis mon père lui avaient tendu la main vers le succès et a mis un point d’honneur à faire de même pour de nombreux artistes débutant en retour. » Quant au quatrième CD, il rend grâce à son inséparable meilleur ami, le poète René Fallet. Une série de textes amoureux inédits de l’homme de lettres, mis en musique, à la demande de Brassens, par la mère de Françoise Canetti Lucienne Vernet, sont interprétés par Pierre Arditi. Exquis ! Anna Cuxac, in le magazine Causette (21/10/21)
Aux éditions Honoré Champion, sous la direction d’Henriette Levillain et Catherine Mayaux, est paru Saint-John Perse 1975-2025, priorité à la poésie. Cinquante ans après la mort du poète, prix Nobel de littérature en 1960, cet ouvrage collectif montre l’attraction qu’il exerce aujourd’hui auprès des chercheurs et créateurs. Un article d’Henriette Levillain, professeur à l’université de la Sorbonne.
Le 10 décembre 1960, Saint-John Perse reçut le prix Nobel de littérature à Stockholm. L’obtention du prix avait été le résultat d’une campagne longue de six années, au milieu desquelles l’attribution du prix à Albert Camus en 1957 parut compromettre définitivement la candidature de Perse. Le jury avait préféré un prosateur à un poète. En outre, il était devenu improbable qu’un candidat de nationalité française pût être à nouveau lauréat avant quelques années. Mais que la campagne ait été longue ne constitue pas la véritable singularité de l’attribution du prix à Saint-John Perse. L’enjeu symbolique du Nobel est tel qu’il est nécessairement précédé de tractations laborieuses et incertaines, au cours desquelles les considérations de politique mondiale ont un rôle prépondérant. En revanche, il est plus rare que le combat, au lieu d’avoir été engagé en France, ait été mené aux États-Unis où résidait Alexis Léger, après avoir été congédié du poste de secrétaire général du Quai d’Orsay en juin 1940.
Depuis son refus en 1942 de rallier le général de Gaulle, sa position de conseiller occulte du président Roosevelt, sa décision de ne pas rentrer en France dès la Libération alors qu’il avait été réintégré dans la plénitude de ses droits de citoyen français et de diplomate, Alexis Léger s’était enfermé dans la posture de poète exilé. Il y avait de fameux précédents ! Il était fâché avec les gaullistes qui le lui rendaient bien, observait non sans une certaine inquiétude le succès des jeunes écrivains existentialistes qui, de leur côté, l’ignoraient. Mis à part Claudel qui avait rédigé une belle étude sur Vents en 1949 et Jean Paulhan qui avait rassemblé avec ténacité quelques voix importantes dans un hommage international des Cahiers de la Pléiade (1950), peu de lecteurs prêtaient attention à ce poète lointain, dans tous les sens du mot. Le grand massif de son œuvre poétique avait pourtant été écrit entre 1941 et 1959 et publié chez Gallimard à partir de 1945. Lui-même, se sentant étranger aux milieux littéraires parisiens, affirmait ne plus rien attendre de toutes les formes de reconnaissance provenant de sa patrie.
C’est à Henri Hoppenot, ami de longue date, poète lui-même et diplomate de carrière, que revint l’initiative de chercher à obtenir le Nobel pour Saint-John Perse. En 1952, il avait été nommé chef de la délégation française auprès de l’ONU à New York. Son appui auprès du jury de Stockholm était tout trouvé. En 1953, Dag Hammarskjöld était nommé Secrétaire général de l’ONU. Il était suédois, venait d’être nommé membre de l’Académie suédoise et du comité Nobel de celle-ci, cultivait la poésie en secret, partageait avec Léger le goût du nomadisme ainsi que ses réticences vis-à-vis du général de Gaulle ; ceci a fortiori après le retour au pouvoir du général en 1958, puisqu’il devra s’affronter à l’anti-atlantisme de celui-ci. Or, en 1953, un important massif de l’œuvre de Saint-John Perse avait été réuni sous la couverture blanche des éditions Gallimard (Éloges, La Gloire des Rois, Anabase, Exil, Vents). Et, à cette même date, le précédent ensemble était accessible aux lecteurs anglophones grâce aux traductions de T.S. Eliot (Anabase), Denis Devlin (Exile and other poems), Hugh Chisholm (Winds), et au remarquable travail éditorial de la fondation américaine Bollingen.
Une poésie à valeur universelle
Convaincu de la valeur « universelle » de la poésie de Saint-John Perse, Hammarskjöld se fit donc l’intermédiaire entre le comité Nobel et la fondation américaine Bollingen ; parallèlement, il s’entremit pour obtenir du poète suédois Erik Lindegren qu’il traduise rapidement Exil, Vents et Amers, ce qu’il fit, et alla jusqu’à le doubler en s’attribuant lui-même la traduction de Chronique (1959) ; à partir de 1955, sans se décourager, il sollicita les recommandations des anciens Nobel, Martin du Gard et Mauriac, qui s’exécutèrent. La correspondance régulière qu’il entretint tout au long de ces années avec Saint-John Perse est un témoignage de ténacité autant que de science diplomatique. (Cahiers SJP, n° 10, Gallimard, 1993).
De son côté, Saint-John Perse accueillit l’initiative de Hoppenot avec une évidente fausse modestie, soutint les efforts de Hammarsjköld avec une évidente fausse indifférence et invita T.S. Eliot à entreprendre une nouvelle édition anglaise de ses œuvres avec une fausse innocence. S’étant posé la question d’un éventuel retour en France après la Libération, au fur et à mesure de la rédaction de Vents, le poète s’était persuadé qu’il ne connaîtrait jamais ailleurs que dans le Nouveau Monde l’énergie qui lui avait permis de respirer des poèmes de longue haleine. Dix ans plus tard, à l’approche de ses soixante-dix ans, il avait certes le sentiment d’avoir accédé à l’âge de la maturité poétique (Amers), mais aussi de pressentir celui de la défaillance du langage, du déclin des forces physiques, du bilan de vie : À d’autres d’édifier, parmi les schistes et les laves. À d’autres de lever les marbres à la ville (Chronique VIII). Si grand que fût son ressentiment vis-à-vis des milieux politiques et littéraires français, il ne perdait pas l’espoir d’être reconnu comme un des grands créateurs de ce temps. Mais ne pouvant l’être à partir de la France, il lui fallait se faire connaître de l’extérieur. La gloire du Nobel lui permettrait, pensait-il, de faire un pied de nez à la critique parisienne, de prendre sa revanche sur l’opinion des gaullistes et de s’imposer au-dessus des factions littéraires et politiques comme le poète « de l’universel ».
Réconcilier l’homme avec lui-même
Encouragés dans cette direction par l’efficace parrain suédois, les membres du jury avaient motivé l’affectation du prix « pour l’envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente. » Face à l’œuvre de Saint-John Perse, le comité Nobel n’avait pas évité la tentation trop fréquente de la grandiloquence. Néanmoins il avait saisi que, en dépit de son éloignement géographique et d’une solitude revendiquée, le poète était un contemporain ; et que sa poésie, en dépit d’une tendance à l’intemporel et à l’impersonnel, cherchait à réconcilier l’homme de « l’heure présente » avec lui-même.
Dans l’allocution qu’il prononça à Stockholm, devant la cour, Saint-John Perse rendit tout au long hommage à la poésie. Précédée d’une majuscule, celle-ci en est tout à la fois l’intitulé, le sujet et l’objet. L’enregistrement vaut la peine d’être écouté (INA) : la haute tenue oratoire du discours, faisant écho aux panégyriques du siècle classique, souligne la solennité de l’événement ; l’intonation déclamatoire et les ravalés de l’accent créole accentuent l’impression insolite d’une voix venue de loin : que la poésie puisse éclairer la conscience de l’homme et, mieux encore, le relier à la circulation de l’énergie spirituelle dans le monde, était à l’époque une révélation de taille dont l’intention était de discréditer les philosophies du néant. Au vu de l’usage et de la fréquence des citations du Discours de Stockholm, il peut être déduit sans risque que la révélation est encore d’actualité. Henriette Levillain, in FranceArchives.
Saint-John Perse, 1975-2025, Priorité à la poésie montre l’influence d’une œuvre au fil des générations. De jeunes lecteurs livrent des approches nouvelles, graves ou teintées de drôlerie. Ensuite, des spécialistes plus âgés relisent l’œuvre dans un contexte littéraire et critique tout autre que celui des années 70, au miroir de notre époque menacée des mêmes spectres qu’au XXe siècle. Enfin, écrivains antillais, poètes et artistes proposent leur rencontre stimulante avec un aîné qui, s’interdisant de s’abandonner à la tristesse, n’a cessé de chanter « l’émerveillement d’être au monde » (éditions Honoré Champion, 258 p., 42€).
La fondation Saint-John Perse : Elle rassemble le patrimoine littéraire et politique dont l’écrivain a fait don à la ville d’Aix-en-Provence. Les objectifs de la fondation ? Valoriser le fonds (plus de 14 000 documents), développer la recherche, organiser divers événements. Bibliothèque Méjanes, 8/10 rue des Allumettes, 13100 Aix-en-Provence (fondationsaintjohnperse@orange.fr).
Saint-John Perse, poète et diplomate : Jusqu’au 30/12/25, une grande exposition se tient à Pointe-à-Pitre.Poète de l’exil, diplomate de la République, prix Nobel de littérature, Saint-John Perse a porté haut le nom de la Guadeloupe et de Pointe-à-Pitre, sa ville natale. Son œuvre, exigeante et visionnaire, a su puiser dans la lumière des Caraïbes, ses paysages et son souffle créole, les ressources d’un lyrisme souverain et ouvert à l’universel. Pavillon de la ville, angle des rues Alexandre Isaac et Bebian, 97110 Pointe-à-Pitre (entrée libre, du lundi au vendredi).
Saint-John Perse, à lire : Œuvres complètes (La Pléiade Gallimard, 1472 p., 67€). Dictionnaire Saint-John Perse, sous la direction d’Henriette Levillain et Catherine Mayaux (éditions Honoré Champion, 664 p., 60€).