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Montreuil, la jeunesse à livre ouvert

Jusqu’au 1er décembre, se tient à Montreuil (93) la 41e édition du Salon du livre et de la presse jeunesse qui ouvre ses portes sous le signe de l’empathie et de « L’art de l’autre ». Rencontre avec Alain Serres, auteur et fondateur des éditions Rue du monde.

En 2026, Rue du monde fêtera ses 30 printemps. Maison consacrée à la littérature jeunesse, elle publie inlassablement, malgré les zones de turbulence qu’une maison d’édition indépendante rencontre, des albums illustrés, des récits historiques, des livres scientifiques, de la poésie, des contes, des romans… Avec 650 titres à son actif, elle n’hésite pas à faire appel à des auteurs et autrices, des illustrateurs et illustratrices du monde entier. Certains livres sont devenus des classiques, des incontournables de la littérature jeunesse.

Marie-José Sirach – « Les oiseaux ont des ailes, les enfants ont des livres ! », peut-on lire sur la page d’accueil de votre site. Une phrase qui résume votre projet éditorial ?

Alain Serres – La formule magique nous accompagne depuis que nous sommes sortis de l’œuf, en 1996. Le défi était de bâtir une maison indépendante autour de l’enfant considéré comme être social, acteur et rêveur. Faire des livres nourris de chacun des droits des enfants, dont celui de tout découvrir, l’art et les sciences, le monde naturel et l’histoire… plus l’imagination et la pensée critique, ces vitamines que l’école néglige tant dans ses programmes. Je suis convaincu que, dans la tourmente déstabilisante de ce siècle, le compagnonnage des livres et des enfants est la chance de leur liberté, tout autant que la nôtre. Alors on s’applique encore…

M-J.S. – Dès le départ, vous avez mis en place un réseau qui passe par les bibliothèques et les librairies, les enseignants et les éducateurs. Pourquoi ce choix ?

A.S. – J’aime déjà l’idée que les enfants se tissent des petits réseaux de livres qui résonneront longtemps en eux, loin des pièges de ces autres réseaux prétendument sociaux. Je n’ai jamais perdu de vue l’« Apoutsiak » de Paul-Émile Victor, de mes 5 ans : le petit Inuit m’aide toujours à regarder les autres. Et, un peu en miroir, oui, les réseaux professionnels de l’enfance, de la culture et de l’éducation populaire ont été décisifs pour nous. On a pu commencer à dérouler notre rue de papier grâce à un millier d’écoles et de bibliothèques, qui ont préacheté les premiers livres, les rendant possibles. Ça coûte cher de faire des albums de belle facture. Et je voulais faire du beau.

M.-J.S. – Comment se porte cette chaîne du livre aujourd’hui ?

A.S. – Tant de bonheurs éditoriaux ! Des centaines de rencontres, de débats, de sourires. Mais, aujourd’hui, la situation est violente.… La chaîne du livre bat de l’aile. Quand on touche à la culture, aux services publics, forcément des chaînons se disloquent et les enfants trinquent. Même si, dans ces domaines, les plaies ne se voient pas immédiatement.

M.-J.S. – Comment le vivez-vous au quotidien ?

A.S. – Il faut éliminer, s’empêcher de réimprimer, lutter pour surnager… Dans les familles, il y a beaucoup moins de moyens pour acheter des livres, il y a tellement plus urgent. Les ventes globales en librairies se tassent donc, mais les chiffres dissimulent une autre réalité. Les piles de titres très séducteurs invisibilisent de plus en plus de livres audacieux. Désormais certains livres naissent mort-nés. Et ce sont peut-être les meilleurs ! Les écoles et les bibliothèques manquent aussi dramatiquement de moyens, de formation, de perspectives… Pourvu que les bonnes librairies tiennent le choc, que les auteurs survivent, que les professionnels de l’enfance, dès la crèche et la maternelle, ne désespèrent pas !

M.-J.S. – Des maisons comme la vôtre ont-elles la force de résister ?

A.S. – Nous sommes nombreux à ne tenir qu’à un fil. Comment accepter que l’on ne touche pas aux trésors accumulés des grandes fortunes et qu’on pioche dans les menus trésors culturels que les enfants ont en poche, le passe culture, par exemple ? Comment tolérer que des bulles opaques comme les holdings puissent légalement détourner les richesses produites par nos intelligences vers des placements financiers stériles ? Et, oui, Rue du monde est en danger. Mais on sait que l’on peut compter sur beaucoup d’énergies, le public, mais aussi des syndicats, des associations, des personnalités. On va tout faire pour tenir alors que débute l’année de nos 30 ans !

M.-J.S. – Vous êtes partenaire du Secours populaire. Depuis 2003, 125 000 ouvrages ont été offerts aux enfants. Vous êtes aussi associé au Printemps des poètes. En quoi ces initiatives sont-elles constitutives de votre ligne éditoriale ?

A.S. – J’ai grandi dans une modeste famille de cheminots, mais il y avait toujours un billet pour le Secours populaire ou une petite ambulance à vendre pour aider le peuple vietnamien. Alors, aujourd’hui, Rue du monde tient naturellement sa place côté solidarité, et avec le Secours populaire qui a toujours inclus les droits culturels des enfants parmi leurs nourritures vitales. Quant à la poésie, elle est un point fort de notre maison. Avec, chaque année, trois ou quatre nouveautés, au printemps. Comment les enfants pourraient-ils espérer vivre libres et heureux sans apprendre à ouvrir cette porte en eux ?

M.-J.S. – Vous publiez des livres devenus des classiques, des signatures incontournables comme Daeninckx, Siméon, Pef, Place, Zaü, et de nombreux auteurs venus d’Argentine, du Japon… C’est un signe d’hospitalité offerte au monde ?

A.S. – Notre Rue veut être celle des rencontres heureuses. On dit aux jeunes, et à leurs familles, voilà ce qui se crée là-bas en Finlande, en Iran… Ça te ressemble et tu ne t’en doutais pas. On a même un livre-CD qui fait découvrir 20 langues. Si Trump l’avait lu, gamin, peut-être que ça l’aurait sauvé !

M.-J.S. – Le Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil est un rendez-vous incontournable pour le public mais aussi les professionnels. En quoi est-il un marqueur de l’édition jeunesse ?

A.S. – C’est la plus grande manifestation publique en Europe autour du livre jeunesse, pour tous les dévoreurs de bouquins, mais aussi pour ceux qui ne savent pas encore qu’ils vont le devenir. C’est festif, revigorant. On y parlera aussi beaucoup de ce qui nous tire vers le bas, cette année. Au-delà de nos grandes signatures, nous recevons Gee-eun Lee, venue de Corée, et le duo Romanyshyn-Lesiv, de Lviv, en Ukraine, pour la sortie de leur documentaire événement « Tout le monde se parle ! », qui raconte en images l’aventure de la communication chez les humains et les espèces vivantes.

M.-J.S. – Si vous aviez trois livres à conseiller ?

A.S. – Sûrement Loup noir, loup blancla haine et la bienveillance qui s’opposent dans le monde et parfois en nous. Les images d’Aurélia Fronty nous transportent aux sources cherokees de ce conte. C’est puissant, et important d’en parler ensemble. Peut-être aussi ces Fables pour le pays de Demain !, toutes écrites au futur et réalisées pour les 80 ans du Secours populaire, avec le peintre Laurent Corvaisier. À apporter à l’école… pour rafraîchir La Fontaine ! Et, pour les plus petits, la Cité des lettres, un album signé par deux jeunes architectes suédois qui transforment chaque lettre de l’alphabet en une maison ouverte aux mille découvertes. Un bel ouvrage qui donne envie d’apprendre à lire et à créer, à son tour. Là encore, c’est aussi la force de la littérature jeunesse. Propos recueillis par Marie-José Sirach

41ème Salon du livre et de la presse jeunesse, 400 éditeurs – 2000 auteurs et illustrateurs, du 26/11 au 01/12 (entrée libre, avec présentation obligatoire d’un billet) : Paris Montreuil expo, 128 rue de Paris, 93100 Montreuil. Les éditions Rue du Monde, 5 rue de Port Royal, 78960 Voisins-Le-Bretonneux (Tél. : 01.30.48.08.38).

Une quadruple sélection

– Mais qui est donc Naruhito Tanaka ? Autrefois ancien samouraï, désormais arboriculteur bonsaïka, sa reconversion est le fruit d’une prise de conscience : trop de morts sur les champs de bataille. L’ancien guerrier devient jardinier pacifiste, sculpte désormais les bonzaïs à l’aide de son katana. Sa réputation parvient aux oreilles de l’empereur… À partir de photographies d’intérieurs miniatures, Thierry Dedieu reconstitue chaque scène avec un soin précieux et sculpte personnages et objets, en pâte à modeler. Un album photo très zen.

Naruhito Tanaka, de Thierry Dedieu. Seuil jeunesse, 14€. À partir de 4 ans.

– Un livre poème dédié à « tous les enfants rêveurs et aux bénévoles du Secours populaire ». Trente petites fables écrites au futur et à lire au présent, un pied de nez salutaire et joyeux à tous les racistes et obscurantistes. Quand l’amitié, la fraternité et la solidarité l’emportent sur la bêtise, la violence et la peur… Les mots d’Alain Serres font mouche et les dessins, vifs et colorés, de Laurent Corvaisier participent de cet enchantement. Un album à lire en famille.

Fables pour le pays de demain, Alain Serres-Laurent Corvaisier. Rue du monde, 16€. À partir de 6 ans.

– Le troll hante les forêts et attaque les promeneurs solitaires ; le phooka est un gnome qui dévore les enfants mais épargne les nains et les elfes ; le korrigan est un lutin qui vit dans les dolmens et danse jusqu’au bout de la nuit ; le farfadet, un esprit malin qui adore faire des blagues ; le dyona se transforme en monstre et dévore les hommes, mais le djinn, lui, peut vous rendre heureux… Depuis la nuit des temps, ces créatures hantent les légendes. Imaginés et dessinés par Nadja, ces monstres constituent un bestiaire passionnant et même amusant. À lire pour conjurer toutes les peurs.

Le Livre des créatures, de Nadja. Actes Sud jeunesse, 25€. À partir de 6 ans.

– Dans la ville grise, un rayon de soleil : le bus jaune, celui qui transporte les enfants à l’école, emmène les anciens se balader à la campagne. Un jour, on le remise à l’écart de la ville ; plus tard, on le laisse encore plus loin, aux pieds des montagnes. Cette histoire réserve de belles surprises. Jamais le bus jaune n’est abandonné à son sort, il va servir d’aire de jeu pour les gamins, de refuge aux sans-abri, aux animaux… Les dessins au crayon, réalisés à partir de maquettes minutieuses, évoquent tous les paysages de ce conte fantastique et fantaisiste, illuminés par le jaune vif du bus.

Le Bus jaune, de Loren Long. HongFei, 16,90€. À partir de 5 ans.

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Abdallah Akar, maître calligraphe

Jusqu’au 06/12, en l’espace Com’Unity et à la médiathèque de Bezons (95), Abdallah Akar donne à voir ses créations. Il est l’invité d’honneur de l’exposition Mare Nostrum, la Méditerranée ! Entre littérature et spiritualité, lettres et volutes sur bois, tissu, fer et verre, le maître calligraphe décline son alphabet ! Une œuvre inspirée, pleine de grâce et de beauté.

Enfant des sables, natif de Tataouine en Tunisie et fils de la tribu Daghari, Abdallah Akar a vécu sa jeunesse entre dunes et pâturages. Berger de chèvres et moutons, comme tous les gamins de son âge la vie de semi-nomade fut son école : la beauté des paysages, la grandeur du désert, la découverte des mystères de la nature. Son plaisir pour vaincre l’ennui de longues journées à surveiller les bêtes ? Pister les traces des serpents et gerboises, les capturer… « Une enfance simple, agréable, avec l’essentiel pour vivre : figues, sucre, sel et piment », témoigne l’artiste.

L’accession au pouvoir du président Bourguiba, en 1957, transforme sa vie. Les portes de l’école lui sont ouvertes, il se prend d’amour pour la langue arabe et la poésie ! Plus tard, il rejoint son frère en France pour poursuivre des études scientifiques et décrocher une licence en physique. Au cœur de ce parcours scolaire puis universitaire, il fait alors une rencontre éblouissante. Percutante, étonnante qui va bouleverser sa vie : Léonard de Vinci ! C’est un copain qui lui a prêté un petit bouquin sur le génial italien. Subjugué par la démarche du maître, tant artistique que scientifique, il se met à le copier. La démarche classique pour tout néophyte avant de tracer sa propre voie, des plus anciens à Picasso tous ont emprunté le même chemin.

Obsédé par les images du résident d’Amboise, Abdallah Akar pousse la porte de la MJC (Maison des jeunes et de la culture) de La Courneuve, « en ce temps-là les banlieues parisiennes fourmillent de richesses insoupçonnées ! ». Il commence à manier gouaches et pinceaux, il s’inscrit à un atelier de sérigraphie où il s’initie à l’art du trait. La calligraphie s’invite en son univers mental et artistique, d’abord à la lecture d’un livre sur ce coup de plume si particulier, ensuite avec la rencontre d’un maître, un contemporain cette fois, le calligraphe irakien Ghani Alani, natif de Bagdad mais vivant en France.

Le grand maître par excellence, ses œuvres exposées dans toutes les grandes capitales du monde… Qui l’exhorte à percer les secrets de « la belle écriture », du grec kallos (beauté) et graphô (écrire) : le plein, le délié, le trait…. Plus tard, c’est la découverte d’un autre créateur en la matière, « le maître, l’artiste », Hassan Massoudy qui mêle calligraphie traditionnelle et style contemporain pour tracer un nouveau chemin à l’art de la calligraphie arabe. « Son art d’une profonde et sobre beauté devient comme un chant d’éternité qui ne nous quitte plus », témoignera Andrée Chedid, la grande poétesse. De confrontations en rencontres diverses, un cheminement naturel pour Abdallah le postulant aux belles lettres, il organise sa première exposition en 1986 à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis comme il se doit !

« Par ce lien fondamental avec la langue arabe, je crée mon monde intérieur, inspiré par les grandes œuvres littéraires », confesse Abdallah Akar, mêlant avec grâce et beauté textes sacrés et poésie. Délaissant de temps à autre le papier pour oser s’aventurer vers de nouveaux supports : le bois, le textile, le fer et le verre…

« Si j’avais su qu’il existait une chose telle que la calligraphie islamique, je n’aurais jamais commencé à peindre » Pablo Picasso

Ainsi, l’installation dans une église de Blois de quatre planches à peine équarries sur lesquelles se déploie la sourate XIX du Coran, celle consacrée à Marie, ainsi son Hommage aux Muallaqu’àt, les célèbres poèmes antéislamiques devenus sous sa plume « Poèmes suspendus » : de grand format, seize textiles calligraphiés ! Du grand art, quand le trait et le mot s’unissent en un grandiose mariage des formes et des couleurs.

« J’honore à ma façon le dialogue interreligieux et interculturel », commente Abdallah Akar d’une voix sage et douce, empreinte d’une sincère modestie. Ses Dormants d’Ephèse présentés à la Villa Médicis de Rome, exposant par-delà les frontières, des pays arabes aux grandes capitales européennes, il est à son tour reconnu grand maître en calligraphie ! Loué pour son esprit créatif, la magie de sa plume, la flamboyance de ses œuvres… Ainsi dansent, pleurent ou chantent les lettres sur la toile. De Mahmoud Darwich à Rimbaud, entre Orient et Occident, une invite inédite à partager la saveur de nos alphabets. Yonnel Liégeois, photos Salah Mansouri

Mare Nostrum, Abdallah Akar et 34 artistes : Biennale d’art contemporain Rev’Arts 2025, du 18/11 au 06/12. En l’espace Com’Unity, dans le cadre de l’exposition Mare Nostrum, chaque toile se fait fragment de Méditerranée, une traversée entre silence et parole, visible et invisible. « Elle n’est pas une mer qui sépare, elle relie et unit : elle est mémoire, langue et lumière partagée ». Chaque signe calligraphié contient le murmure des rivages et le souffle des peuples. Avec Abdallah Akar, la calligraphie respire, se déploie, se libère. Elle devient peinture, rythme, danse. Le noir de l’encre dialogue avec la lumière du papier, les couleurs éclatent comme des orages méditerranéens. Poète du visuel, Abdallah Akar invite à la méditation et au voyage intérieur. Espace Com’Unity, 1 rue Emile Zola, 95870 Bezons.

Calligraphies inédites, Abdallah Akar : jusqu’au 06/12. Peintre et poète, Abdallah Akar fait de la lettre un paysage, du mot un souffle. Entre tradition et modernité, son œuvre relie les cultures et les âmes, transformant la calligraphie en peinture, rythme et lumière. Dans le cadre de l’exposition REV’ARTS à la médiathèque, il présente un ensemble inédit en parfaite résonance avec le lieu du livre et des mots. La médiathèque Maupassant, 64 rue Édouard Vaillant, 95870 Bezons (Tél. : 01.79.87.64.00).

Jusqu’au 19/01/26, à la Villa Médicis de Rome, Abdallah Akar participe à l’exposition collective Lieux saints partagés, voyage entre les religions : une installation de sept tissus représentant les sept Dormants d’Ephèse ( extrait de la Sourate 18/ Al Kahf/La Caverne). L’exposition réunit des œuvres majeures issues des collections françaises, italiennes et vaticanes mises en dialogue avec des créations contemporaines. De Gentile da Fabriano à Marc Chagall en passant par Le Corbusier, elle s’attache à mettre en lumière à travers des œuvres d’art un phénomène religieux parfois méconnu mais très présent en Méditerranée : les sanctuaires partagés par des fidèles de religions différentes. Académie de France à Rome – Villa Médicis, Viale della Trinità dei Monti, 100187 Roma.

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Quand Lacroix se taille un costume…

Jusqu’en janvier 2026, à Moulins dans l’Allier (03), le Centre national du costume et de la scène présente Christian Lacroix en scène. Une rétrospective consacrée à l’ancien créateur de mode, désormais réclamé par les scènes de théâtre, de danse et d’opéra.

Profession, costumier ! Christian Lacroix, qui a participé à la grande fiesta périodique de la mode, avec ses défilés et chroniques mondaines, pendant plus de 20 saisons dès les années 1980, n’a « jamais aimé coudre ». Désormais, mais en fait depuis une quarantaine d’années, le Camarguais natif d’Arles, qui porte beau ses 73 printemps, est un homme de spectacle« Je suis designer », s’amuse-t-il. En vérité, il conçoit, dessine, assemble (avec toute une équipe il est vrai) des tenues pour la scène, que ce soit au théâtre ou à l’opéra. Jusqu’en janvier, le Centre national du costume et de la scène (CNCS), installé depuis 2006 dans l’ancienne caserne de cavalerie construite en 1768 à Moulins, lui consacre une imposante et belle exposition, judicieusement intitulée Christian Lacroix en scène. La rétrospective, avec environ 140 costumes, vaut le déplacement dans l’Allier. Même si la ligne de chemin de fer qui dessert la cité auvergnate montre souvent des signes de fatigue.

Un artiste flamboyant et baroque

Christian Lacroix est un peu chez lui à Moulins. D’une part, parce qu’il est depuis 2009 président d’honneur de ce musée national, mais aussi parce qu’il est avec quelques autres, dont Martine Kahane, la première directrice, un des fondateurs de cette maison unique en son genre. Déjà par deux fois, en 2007 et 2012, ses créations pour le plateau ont été montrées au public, notamment pour la danse à l’Opéra de Paris. Cette fois, il est incontestable que l’on a sous les yeux le véritable cheminement d’un parcours passionné. Delphine Pinasa, la directrice du CNCS et commissaire de cette exposition, évoque « l’univers fascinant » d’un « artiste visionnaire, célèbre pour son style flamboyant et baroque ». De vitrine en vitrine, s’exprime en effet toute la palette vibrante de celui qui n’envisage pas de travailler autrement que comme un artisan. Véronique Dollfus, la scénographe de cette exposition, fut également celle de Tous Léger au musée du Luxembourg, à Paris.

Dans chacune des vitrines, devant des toiles peintes rappelant l’univers du spectacle, les costumes présentés sur des mannequins sont mis en lumière comme pour une représentation. Ils témoignent des spectacles créés comme le Phèdre mis en scène par Anne Delbée en 1995, ou encore, en 2006, le Cyrano de Bergerac, par Denis Podalydès et la troupe de la Comédie Française. Avec quelques absents, car ils sont encore en tournée ou annoncés pour des reprises. Christian Lacroix a créé les costumes de plus de 30 productions lyriques, pour l’Opéra de Paris, le Festival d’Aix-en-Provence, le Capitole de Toulouse, l’Opéra du Rhin, la Monnaie de Bruxelles, et d’autres scènes lyriques en Allemagne, Suisse, Espagne, Chine, etc…

Sans oublier, en décembre 2024, le Soulier de satin, de Paul Claudel, mis en scène au Français par Éric Ruf. Lequel, visiteur d’un jour, devant la tenue de Lucrèce Borgia portée sur la scène de la salle Richelieu par Elsa Lepoivre, souligne « la qualité de ce costume, qui était la même que celle des robes portées par les jeunes académiciennes de la troupe. Preuve que, pour Lacroix, les figurants ont droit aux mêmes égards que les premiers rôles ».

Des gens qui aiment les puces

« Je n’ai pas une façon de dessiner très académique », affirme Christian Lacroix. Désormais, il utilise surtout une palette graphique. N’empêche, l’exposition démarre par la présentation dans le Salon d’honneur de dizaines de croquis. Suivent, dans une sorte de chronologie : la Renaissance, le XVIIIe siècle, la mythologie, etc… En passant par la vitrine des robes de mariée, un peu comme dans les présentations de mode, quand elles concluent le défilé. Mais ici chacune porte la trace de son rôle, sanglant parfois. Voici celles de Roméo et Juliette, Pelléas et Mélisande

Elles n’en sont que plus saisissantes, rappelant les drames vécus par les héroïnes qui les ont portées. Un peu plus loin, saluons le Bourgeois gentilhomme, mis en scène par Podalydès, puis le Georges Dandin de Michel Fau. Toujours, poursuit le costumier, « je travaille avec des gens qui aiment l’archive, les puces… J’ai la chance de pouvoir utiliser beaucoup de bijoux récupérés, des broderies qui viennent parfois de vêtements liturgiques. Cela fait partie d’une magie qui m’est très chère, mais qui n’est pas forcément très onéreuse ». Une pratique qui assure cependant la richesse de ces costumes et la symphonie de leurs couleurs.

Plus loin, le « grand final » dans une vaste salle tout habillée de noir accueille « Anges et démons ». Place aux « momies enluminées des catacombes de Roméo et Juliette ». Mais aussi aux trolls du Peer Gynt d’Éric Ruf, lesquels voisinent avec les squelettes des ecclésiastiques de l’Aïda de Johannes Erath donnée à Cologne. Sans oublier le pape échappé de la Vie de Galilée joué en 2019 à la Comédie-Française.

La patte du costumier se retrouve sans difficulté dans chacune de ces réalisations fantastiques, qu’elles soient en tissus patinés et usés par la vie ou délicatement assemblées en papiers collés. Avec toujours une intention particulière. Parfois dans la création pure et libre, d’autres fois, dans le respect des origines, comme pour les tenues de la Carmen de Bizet donnée en janvier dernier à l’Opéra royal de Versailles, dans des costumes absolument fidèles à ceux de la création initiale en 1875 à Paris, salle Favart. L’histoire continue. Gérald Rossi

Christian Lacroix en scène : jusqu’au 04/01/26, tous les jours de 10h à 18h. L’exposition permanente consacrée à Noureev, l’espace dédié à la scénographie, les salles présentant Une petite histoire de la création des costumes sont ouvertes toute l’année. Le CNCS, quartier Villars, route de Montilly, 03000 Moulins (Tél. : 04.70.20.76.20).

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Art brut, la folie du monde

Jusqu’au 21/09 à Paris, le Grand Palais donne à voir un échantillon de la donation d’art brut de Bruno Decharme au Centre Pompidou. Sur plus de 1000 œuvres de 242 artistes, un choix de 400 peintures et sculptures qui invite à un périple émouvant. Un itinéraire en treize stations à travers ces créations inclassables, miroirs grossissants tendus à notre société en souffrance.

Dans leur Lettre aux Médecins-chefs des asiles de fous du 15 avril 1925, les surréalistes écrivaient « Les fous sont les victimes par excellence de la dictature sociale » et concluaient « Nous réclamons qu’on libère ces forçats de la sensibilité ». Jean Dubuffet fut l’un des premiers à répondre à l’appel, en inventant le concept d’art brut, un art hors normes « insaisissable, farouche et furtif comme une biche », éloigné des codes élitistes et de l’enseignement académique et qui, par son inventivité poétique, s’émancipe de son contexte pathologique. Associé un temps à André Breton et Jean Paulhan, puis à Raymond Queneau, le peintre et sculpteur fonda la Compagnie de l’art brut et rassembla, dès 1945 jusqu’à sa mort en 1985, une impressionnante collection issue de l’art asilaire : des œuvres aujourd’hui reconnues, au même titre que d’autres formes contemporaines.

Sur les pas de l’artiste, en collectionneur passionné, le cinéaste Bruno Decharme écluse depuis quarante-cinq ans les lieux les plus variés en Europe, au Brésil et au Japon, à la recherche de ces productions issues de la marge, souvent sauvées in extremis de l’oubli. À ce jour, il a rassemblé près de 6 000 pièces qu’il a rendues accessibles en créant l’association abcd (art brut connaissance & diffusion), un pôle de recherche dirigé par Barbara Safarova, qui a pour objet de populariser cet art en France et à l’étranger. L’exposition du Grand Palais offre, à côté des grands « classiques », des œuvres « contemporaines », pour partie inconnues du grand public. 

Ce n’est pas la chronologie qui a guidé l’agencement de ce périple, mais ce que ces œuvres ont à dire sur les questionnements communs entre ces artistes et nous. Ils sont, selon Bruno Decharme, « des éponges du monde » car, bien que marginalisés socialement ou psychiquement, ils entretiennent avec le monde une proximité réelle. Ils en donnent une lecture souvent radicale, à fleur de peau : ils inventent des langues, redéfinissent l’histoire, la géographie, la science à l’aune de leur sensibilité. Tous les moyens sont bons pour s’exprimer : écriture, griffonnage, bricolage, dessin, sculpture ou peinture, parfois sur des supports ou avec des matériaux de fortune. Leur créativité, comme on peut le voir ici, est sans borne. Dans chaque salle, de petits films présentent rapidement les artistes et resitue leurs œuvres. Un éclairage utile.

Dès l’entrée, sous la rubrique Réparer le monde, on découvre les tentatives de conjurer le chaos qui hante ces esprits dérangés. L’Américain J.B. Murray (1908-1988) rédige en lettres de feu des messages de l’au-delà, dictés par une voix divine. Zdenek Kosek, lui, dans son asile de Prague, tente de « résoudre les problèmes de l’humanité » en restituant sur le papier des informations reçues de la Galaxie : ses cartographies fourmillent de traits, de signes et grouillent de chiffres pour proposer un nouvel ordre salvateur. Il y a aussi les devins qui nous préviennent de catastrophes. George Widener, atteint d’une forme légère d’autisme qui se caractérise par une capacité de calcul et une mémoire extraordinaires, nous explique, sur un calendrier de son invention (Sunday’s crash), pourquoi il ne faut jamais prendre l’avion un dimanche, de nombreux accidents s’étant produits ce jour-là. De même, les lundis sont propices aux naufrages, comme l’indique son tableau bleu couvert de chiffres et de lettres, où est immergé un bateau (Blauer Montag).

À moi les langues de feu qui embrasent ! est le titre du second chapitre, emprunté à la medium britannique Madge Gill (1882-1961). Elle brode ou dessine, au fil de nuits sans sommeil, des compositions complexes inspirées par Myrninerest, nom dérivé de My inner Rest (ma paix intérieure). Dans un enchevêtrement d’ornementations, une figure féminine insolite portant un chapeau se répète. Des « visiteurs » enjoignent Augustin Lesage à peindre, ce qu’il fera avec un soin méticuleux.  Malgré une mauvaise vue, il peindra jusqu’à sa mort. Les esprits, par leurs voix et leurs cloches, font vibrer les couleurs de ses grandes huiles, dignes d’un miniaturiste, qu’il peaufine pendant des mois. D’autres inventent des langues, dans des écrits énigmatiques fascinants, ainsi la lettre adressée de Hambourg par Harald Stoffers à sa « chère maman ». Calligraphiées comme une succession de partitions collées sur un rouleau long de plusieurs mètres, ses phrases commencent toutes par « Meine Liebe Mutti ». Au détour de la visite, on s’arrête sur les figures colorées, multipliées à l’infini, de princesses, cantatrices, militaires ou entités mythologiques, d’Aloïse Corbaz. Internée toute sa vie à Lausanne elle a produit, dès 1918, un peuple foisonnant, sur des rouleaux de papier.

Ce sont des êtres fantasmagoriques qui apparaissent dans la section Chimères, monstres et fantômes. Parmi ces cauchemars graphiques, le molosse blanc de l’Afro-américain Jimmy Lee Sudduth (1910-2007) nous menace face à la monture extravagante de l’Allemand Friedrich Schröder (1892-1982), Der Lebensspazierritt. Envelopper ses peurs et ses angoisses est une tactique connue. Le japonais Katsuya Kitano enferme ses soupirs, un syndrome irrépressible qui affecte son quotidien, dans de petites balles de coton entassées dans un coin. Et que cache la tornade graphique de la Britannique Georgiana Houghton (1814-1884) derrière ces lignes fluides et entremêlées ?  Des trouvailles de Judith Scott (1943-2005) nous ne verrons rien, elles sont protégées tels des trésors dans d’étranges sculptures de fils colorées. Des formes à la fois concrètes et abstraites apparaissent dans un écheveau de lignes composé par la Pragoise Anna Zemánková (1908-1986) ; selon un rituel immuable, chaque matin en état de transe, elle peint, dessine ou colle animaux, plantes, minéraux, grappes de fruits hybrides…

À l’étage, plusieurs sections sont consacrées aux ateliers de l’art brut. Il convient de les distinguer de l’art-thérapie pour laquelle le critère artistique est secondaire. Ce sont des lieux de création où interviennent souvent des plasticiens professionnels, qui ont pour but d’accompagner, de soutenir les artistes et d’aider à faire tomber les obstacles liés à leur handicap ou à leurs troubles mentaux. Parmi eux, le Creative Growth Art Center d’Oakland en Californie a soutenu de travail de l’américaine Judith Scott. Des productions issues de l’atelier du centre artistique de Guggingprès de Vienne en Autriche, révèlent des talents particuliers, notamment August Walla (1936-2001), qui invente des mots et les mêle à des personnages très colorés. Parfois un peu touffue, et malgré un découpage thématique assez arbitraire, l’exposition nous offre un panorama varié, dans lequel chaque visiteur pourra puiser selon sa propre sensibilité. Il est passionnant de s’attarder sur les productions des artistes cubains, en particulier les petites télévisions de Martinez Duran confectionnées sur des boites en carton avec des images d’actualité et l’omniprésence du Líder Máximo. Les Japonais nous réservent aussi de belles surprises dans ce tour du monde de l’Art brut.

Parmi les œuvres les plus saisissantes, il ne faut pas manquer l’épopée fantasmatique d’Henry Darger (1892-1973), déployée sur plusieurs tableaux, au format panoramique. Ce natif de l’Illinois, homme de ménage dans un hôpital, après une vie de solitude, a laissé derrière lui quinze volumes illustrés : The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion (l’histoire des Vivian Girls aux Royaumes de l’irréel, la guerre éclair Glaneco-Angelinnienne, provoquée par la révolte de l’enfant esclave). Un récit épique de 15.143 pages où il raconte les violents combats entre les Angéliques et les Glandeliniens. Plus de 300 illustrations (aquarelle, dessins, collages) l’accompagnent dont nous sont présentés ici quelques échantillons. L’artiste s’inspire de comics américains, les copie, les découpe puis les fait agrandir et démultiplier en différents formats, au rayon photographie du bazar local. Puis il les décalque et les colorie, pour former des compositions complexes, pourvues de nombreux plans. À certains endroits, il les rehausse de couleurs éclatantes, rouge sang ou jaune vif.

Dans un décor de paradis, les grandes images de Darger révèlent, avec une force troublante, l’innocence perdue et l’Éden ébranlé. Des paysages dans lesquels l’ombre de l’horreur plane, discrète mais persistante. Mireille Davidovici

Art Brut, dans l’intimité d’une collection : Donation Decharme au Centre Pompidou. Commissaires de l’exposition : Bruno Decharme (collectionneur et réalisateur), Barbara Safarova (enseignante à l’École du Louvre et chercheuse). Scénographie : Corinne Marchand (Centre Pompidou). Jusqu’au 21/09, du mardi au dimanche de 10h à 19h30, nocturne le vendredi jusqu’à 22h. Grand Palais, 17 avenue de Général Eisenhower, 75008 Paris.

En marge du parcours, il est proposé une immersion en réalité virtuelle librement inspirée de l’univers d’Henry Darger. Insider-Oursider mêle musique pop, animation hybride (2D/3D) avec une reconstitution fidèle de la chambre de l’artiste, à partir d’archives photographiques et de témoignages. Un projet transmédia porté par le musicien Philippe Cohen Solal (Gotan Project) mêlant musique pop, animations et performances artistiques.

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Frantz Fanon, figure du tiers-mondisme

Le 20 juillet 1925, à Fort-de-France en Martinique, naissait Frantz Fanon. Le centenaire de la naissance d’une figure majeure du tiers-mondisme et de l’anticolonialisme, solidaire du combat du FLN en Algérie. Un personnage historique, médecin et essayiste, mis en lumière par le street artiste JBC avec sa fresque spectaculaire réalisée à Montreuil (93) ! Sans oublier le roman graphique Frantz Fanon signé Frédéric Ciriez et Romain Lamy, ainsi que la biographie Frantz Fanon, une vie en révolutions d’Adam Shatz.

Il fut l’ancêtre des « french doctors » en leur ajoutant une dimension révolutionnaire et littéraire. Un Français qui partage avec Jacques Derrida le paradoxe d’être davantage étudié dans les universités américaines que françaises. Il est vrai que Fanon, né Frantz à Fort-de France et enterré Omar Fanon à Aïn Kerma en Algérie, aura du attendre que soient à peu près cicatrisées les séquelles de la guerre d’Algérie pour retrouver droit de cité dans les facultés de l’hexagone.

Autant qu’un petit français de Martinique, c’est un futur républicain forcené qui naît en 1925, fils d’un fonctionnaire des douanes, franc-maçon comme l’est à l’époque la petite bourgeoise radicale-socialiste de l’île. L’élève du Lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France est aussi brillant que le sera l’étudiant, quelques années plus tard, de la Faculté de Médecine de Lyon. Entretenu pour expliquer son évolution, un mythe est à détricoter : il ne fut pas l’élève d’Aimé Césaire, poète et chantre de la négritude. En revanche, le lycéen de 17 ans, pas encore bachelier, rejoint clandestinement la Dominique en 1942 pour s’enrôler dans les Forces de la France Libre. Fanon entend défendre cette République qui, en 1848, a aboli l’esclavage. Le débarquement de l’Amiral Robert quelques mois plus tôt, avec 10 000 marins pour appliquer les lois de Vichy, achève de le convaincre. Sa candidature rejetée, il regagne le Lycée Schoelcher jusqu’en 1944.

À 19 ans, il peut intégrer le 5ème Bataillon de Marche des Antilles et arrive à Casablanca pour y attendre le débarquement de Provence. Au commencement, les notes du livret militaire ne sont guère brillantes. On passe de « soldat quelconque au mauvais esprit » à « élève brillant mais esprit militaire douteux » avant d’atteindre en avril 1944 « s’est révélé courageux et de sang-froid. Fait l’admiration de ses camarades. Blessé et cité ». C’est à Casablanca qu’il prend conscience de la société racialisée dans laquelle il est appelé à évoluer. Le camp y est divisé en trois sections : les Européens auxquels sont assimilés les 500 Antillais parce que citoyens français, les Arabes « indigènes » et enfin les « Sénégalais » qui regroupent tous les ressortissants de l’Afrique noire française. Son bataillon remonte le Rhône, atteint le Doubs en plein hiver avant Strasbourg qu’il est chargé de libérer. La propagande hitlérienne usant du « nègre qui violera vos femmes s’il n’est pas cannibale » a fait son œuvre. La population libérée craint ses soldats « de couleur ». Et l’attitude de la hiérarchie militaire, forcément blanche, en ajoute au désappointement dont il fait part à ses parents dans une lettre du 12 avril 1945 : « Aujourd’hui, il y a un an que j’ai quitté Fort-de-France. Pourquoi ? Pour défendre un idéal obsolète. Je doute de tout, même de moi… Je me suis trompé ». Cette confrontation à la vision du noir, même antillais, par le Français de métropole, l’ouvre à la réalité du fait colonial.

Retour à Fort-de-France en 1945, il y passe son bac. Lecture passionnée des philosophes Maurice Merleau-Ponty et Jean-Paul Sartre. Actif soutien à la candidature d’Aimé Césaire aux législatives. Il entre ensuite à la Faculté de Médecine de Lyon avant d’intégrer l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère où il rencontre son maître de stage André Tosquelles et des pratiques de traitement en décalage avec la doxa de l’époque. En 1952, Frantz Fanon publie Peau noire, masques blancs : un essai vigoureux et volontiers satirique, dans lequel il interroge l’aliénation et les relations Noirs-Blancs. Nommé en 1953 médecin-chef d’une division psychiatrique de l’hôpital de Blida-Joinville en Algérie, il découvre un univers psychiatrique conformiste, mâtiné d’esprit colonialiste, ségrégant Européens et « indigènes ». Sa prise de conscience du fait colonial continue de se parfaire lorsqu’il doit traiter des tortionnaires de la police française. L’hôpital ayant hébergé clandestinement des combattants des deux organisations indépendantistes, l’Armée de libération nationale (ALN) et le Front de libération nationale (FLN), Robert Lacoste, gouverneur du territoire, expulse Fanon, croit-il, vers Paris.

Le militant anticolonialiste et tiers-mondiste rejoint en fait Tunis. Il y exerce son travail de psychiatre dans un hôpital déserté par les Français et devient ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne. Il collabore à l’organe de presse du FLN, El Moudjahid, dont il devient l’un des principaux rédacteurs. En 1959, il publie L’an V de la révolution algérienne (aussi appelé Sociologie d’une révolution). En 1961, affaibli par une leucémie, il rencontre Jean-Paul Sartre à Rome pour trois jours de conversations ininterrompues. Dont le philosophe tirera la substance de la préface, tant souhaitée par Fanon, de son dernier ouvrage qui deviendra un  classique mondial de la littérature politique de combat. Les damnés de la terre ? Un élément d’enseignement dans la plupart des universités américaines aujourd’hui. Frantz Fanon meurt aux États-Unis le 6 décembre 1961, quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie. Alain Bradfer

Les écrits de Frantz Fanon : Œuvres (Peau noire, masques blancs / L’An V de la révolution algérienne / Les damnés de la terre / Pour la révolution africaine. La Découverte, 800 p., 30€00). Écrits sur l’aliénation et la liberté (La découverte, 832 p., 18€00).

La fresque (voir photo ci-dessus) : l’œuvre du street artiste JBC, réalisée à Montreuil (93), se donne à voir à l’angle du  160 Boulevard Théophile Sueur et de la rue Maurice Bouchor.

Le film de Jean-Claude Barny (2024) : Fanon, avec Alexandre Bouyer (Frantz Fanon), Déborah François (Josie Fanon), Olivier Gourmet (Darmain), Stanislas Merhar (le sergent Rolland), Mehdi Senoussi (Hocine).

Toujours disponible sur le site de Radio France, les Grandes Traversées de France Culture : Frantz Fanon l’indocile, le podcast d’Anaïs Kein en cinq épisodes.

FANON, CIRIEZ ET LAMY

Signé Frédéric Ciriez et Romain Lamy, un magnifique ouvrage d’une fulgurante audace qui nous plonge dans la vie et les combats du célèbre psychiatre martiniquais, durablement engagé en faveur de l’indépendance algérienne. D’un dessin l’autre, grâce à la couleur et au graphisme original, le décryptage à portée de chacun d’une réflexion souvent complexe. Les deux auteurs, de la plume et du crayon, nous projettent à Rome, lorsque Fanon rencontre Sartre le philosophe : le dialogue entre deux grands de la pensée, deux mondes et deux couleurs de peau. Ce roman graphique se donne à lire non seulement comme la biographie intellectuelle et politique de Frantz Fanon mais aussi comme une introduction originale à son œuvre, plus actuelle et décisive que jamais (La Découverte, 240 p., 28€). Yonnel Liégeois

Frantz Fanon, le damné

Aux éditions La Découverte, Adam Shatz a publié Frantz Fanon, une vie en révolutions. La biographie d’un « damné » auquel la France n’a pas pardonné son soutien à l’Algérie indépendante, un penseur éminemment reconnu aux États-Unis. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°368, mai 2024), un article de Frédéric Manzini.

Même né il y a près d’un siècle, Frantz Fanon (1925-1961) reste notre contemporain. Remise au centre des débats de société par le mouvement Black Lives Matter notamment, son œuvre radicale interpelle et suscite encore des polémiques. Après tout, ne contient-elle pas, au nom de la lutte anticoloniale, une apologie du terrorisme ? Pour nous faire mieux comprendre ce qu’il appelle la « vie en révolutions » de Frantz Fanon (« revolutionary lives » dans la version originale anglaise), l’essayiste Adam Shatz, rédacteur en chef pour les États-Unis de la London Review of Books, brosse de lui un portrait tout en complexité et en nuances grâce aux témoignages de ceux qui l’ont intimement connu.

Révolutionnaire fervent, écrivain passionné

Pendant toute sa courte existence, l’auteur de Peau noire, masques blancs (1952) justifia le recours à une certaine forme de violence comme moyen pour les opprimés de regagner leur dignité et le respect d’eux-mêmes. Son expérience personnelle du racisme, sa pratique clinique auprès des malades dans les différents hôpitaux où il a exercé comme psychiatre, sa fréquentation des philosophes – notamment Jean-Paul Sartre –, son opposition à l’idée d’une « négritude » qui figerait l’homme noir dans une essence, son engagement corps et âme en faveur du FLN : tout l’a conduit à devenir ce révolutionnaire fervent et cet écrivain passionné, parfois lyrique, toujours animé par les idéaux républicains de liberté, d’égalité et de fraternité qu’il a tout fait pour traduire en actes.

Son combat pour l’indépendance de l’Algérie lui vaudrait, selon Adam Shatz, une certaine rancune en France, qui expliquerait qu’il n’occupe pas toute la place que sa pensée mérite sur la scène intellectuelle de ce côté-ci de l’Atlantique. « Près de six décennies après la perte de l’Algérie, la France n’a toujours pas pardonné la “trahison” de Fanon », écrit-il. Cette importante biographie contribuera peut-être à faire évoluer les choses. Frédéric Manzini

Frantz Fanon. Une vie en révolutions, d’Adam Shatz (La découverte, 512 p., 28€).

Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel Sciences Humaines sur sa page d’ouverture au titre des « Sites amis ». Un excellent magazine dont la lecture est vivement conseillée.

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Michel Guyot, seigneur de Guédelon

Châtelain de Saint-Fargeau en Puisaye, initiateur du site médiéval de Guédelon, Michel Guyot n’est point duc de Bourgogne. Juste un homme passionné de vieilles pierres, surtout un étonnant bâtisseur de rêves qui construit des châteaux pour de vrai.

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En cet après-midi ensoleillé, les portes du château s’ouvrent aux visiteurs. Quittant le banc installé en la somptueuse cour de Saint-Fargeau, l’homme se lève subitement pour sonner la cloche. Une vraie, une authentique pour rassembler la foule sous l’aimable autorité de la guide du moment… Le groupe de touristes s’en va remonter le temps, plus de 1000 ans d’histoire, dans des salles magnifiquement rénovées sous les vigilants auspices des Monuments Historiques. Le « patron » des lieux les suit d’un regard attendri. Michel Guyot est ainsi, seigneur en sa demeure : sonneur de cloches, collectionneur de vieilles locomotives à vapeur, metteur en scène de spectacles son et lumière, « murmureur » à l’oreille de ses chevaux, veilleur éclairé devant un tas de vielles pierres… À plus de soixante-dix piges, il garde ce visage de gamin toujours émerveillé d’avoir osé donner corps à ses rêves. Les pieds bien en terre, les yeux toujours fixés sur la ligne d’horizon. Du haut de son donjon, bien réel ou imaginaire…

Né à Bourges en 1947, Michel Guyot n’est pas peu fier de sa famille. Une lignée implantée dans le Berry depuis sept générations, un papa formé à la prestigieuse École Boulle, spécialisé dans la vente de meubles et la décoration. Un père et une mère bien accrochés à leur terre natale, qui transmettent aux six enfants le goût et l’amour du terroir, le goût et l’amour des chevaux à Michel et son frère Jacques. Dès cette date, l’achat d’une jument de concours aux seize ans du Michel, ces deux-là ne se quittent plus et batifolent de concert dans tous leurs projets et aventures, aboutis ou inachevés… Après cinq ans d’études aux Beaux-Arts de Bourges, le « Don Quichotte » du Berry organise d’abord des stages d’équitation dans les prestigieuses écuries du château de Valençay, encore plus obnubilé par sa passion : celle des châteaux, pas des moulins à vent !

En 1979, c’est le coup de foudre : Jacques et lui découvrent celui de Saint-Fargeau, décor d’une série télévisée. À la recherche déjà d’une « ruine » depuis de longs mois, ils n’hésitent pas : ce sera celle-là, pas une autre ! « On n’avait pas un sou, on était jeunes, ce ne fut pas facile de convaincre les banquiers à nous consentir les prêts indispensables. Notre seule ligne de crédit ? Nos convictions, notre passion communicative, nos projets fous mais pas éthérés ». Et les deux frangins réussissent l’impossible : pour un million de francs, les voilà propriétaires d’un château vide et délabré avec deux hectares de toitures à restaurer, pas vraiment une sinécure ni une vie de prince héritier ! Quatre décennies plus tard, le visiteur succombe d’émerveillement devant la splendeur de ce bijou architectural, ce mastodonte aussi finement ciselé et rénové : le château et son parc, la ferme et ses dépendances.

Chez les Guyot, outre poursuivre leur quête de châteaux à sauver et rénover, n’allez pas croire qu’un rêve chasse l’autre ! Freud ne les démentira pas, on nourrit surtout le suivant. Encore plus fou, plus démesuré, plus insensé : en construire un vrai de vrai, quelque chose de beau et de fort, un château fort donc, pour l’amoureux de l’histoire médiévale.

C’est ainsi que Guédelon voit le jour ! Un chantier ouvert en 1997, où se construit un authentique château fort comme au temps du roi Philippe Auguste, dans le respect des techniques du XIIIème siècle. Un chantier du bâtiment au silence impressionnant : seuls se font entendre le chant des oiseaux, le hennissement des chevaux, sur la pierre les coups de ciseau… Une leçon d’histoire à ciel ouvert pour écoliers et collégiens durant toute l’année, pour petits et grands durant l’été ! La spécificité de l’entreprise médiévale ? Ce sont les parchemins d’antan qui livrent les procédés de fabrication, rien n’est entrepris qui ne soit certifié par les archéologues, chercheurs et universitaires composant le comité scientifique… Fort du travail de la cinquantaine d’hommes et de femmes à l’œuvre au quotidien, le château de Guédelon impose enfin sa puissance et sa majesté en Puisaye. Le vœu de Michel Guyot, pour chacun ? « Aller jusqu’au bout de ses rêves, petits ou grands », vivre ses passions et surmonter les échecs, tenter toujours pour ne point nourrir de regrets. Yonnel Liégeois

Une idée, un projet, un rêve : la réalité

L’idée de construire de toute pièce un château fort a vu le jour en 1995 au château de Saint-Fargeau. Nicolas Faucherre, spécialiste des fortifications, et Christian Corvisier, castellologue, rendent à Michel Guyot, le propriétaire du château de Saint-Fargeau, les conclusions d’une étude intitulée « Révélations d’un château englouti ». Cette étude est surprenante : enfoui sous le château de briques rouges, existe un château médiéval ! Elle présente en conclusion l’ensemble du bâtiment redessiné et le dernier paragraphe se termine par « Il serait passionnant de reconstruire Saint-Fargeau ». Cette phrase ne laisse pas Michel Guyot indifférent. Fort d’une expérience de plus de vingt années passée à sauver des châteaux en péril, il réunit autour de lui une petite équipe de passionnés pour se lancer dans cette folle aventure. Parmi eux, Maryline Martin qui orchestre aujourd’hui encore l’aventure Guédelon.

« Ce qui m’a immédiatement séduit dans ce projet, c’était d’engager une longue histoire avec des gens. Cela signifiait leur offrir une formation, un vrai travail et un horizon à long terme ». Maryline Martin (extrait de Guédelon Des hommes fous, un château fort. Éd. Aubanel, 2004)

Très vite, la reconstruction du château de Saint-Fargeau est oubliée, « cela n’aurait été qu’un projet de reconstruction servile d’un édifice existant ». L’équipe préfère construire un château « neuf », inspiré des châteaux voisins et gardant comme période de référence le premier tiers du 13e siècle et l’architecture philippienne. Leur détermination indéfectible permet d’obtenir les aides à l’achat des terrains, la rémunération des premiers salariés, la construction de la grange d’accueil des visiteurs… Guédelon n’étant pas une restauration mais une construction à part à entière, il faut adopter une méthodologie pour les choix architecturaux. D’où des déplacements et relevés sur d’autres châteaux de référence de la même période, forts des mêmes caractéristiques : Druyes-les-Belles-Fontaines (89), Ratilly (89), Yèvre-le-Châtel (45), Dourdan (91).

En 2025, les œuvriers poursuivent les maçonneries de l’imposante porte entre deux tours. Ils attaquent aussi la maçonnerie de la courtine Est avec la construction d’une nouvelle porte vers le village. Les charpentiers taillent et assemblent une passerelle piétonne reliant le château et l’escarpe Est . En forêt, les talmeliers, appellation médiévale du boulanger, proposent des cuissons de pain dans le four banal terminé l’année dernière.

Une page d’histoire à ciel ouvert

Plus grand site d’archéologie expérimentale au monde, la construction du château de Guédelon associe depuis 1997 le savoir-faire des artisans à l’expertise des historiens et archéologues, notamment ceux de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Tailleur de pierre, forgeron, bûcheron, tisserand, potier, charpentier, cordelier, berger, boulanger et cuisinier : plus qu’un château fort en construction, c’est tout un village du Moyen Âge qui revit sur le site de Guédelon ! Où les maîtres oeuvriers du jour sont régulièrement conviés, par les visiteurs qui déambulent sur le chantier, à expliquer leurs gestes, commenter le pourquoi et comment de leurs tâches : une authentique leçon d’histoire à ciel ouvert ! En ces lieux, le geste artisanal se conjugue avec connaissance et rigueur scientifiques, lecture des textes anciens et respect des techniques ancestrales.

Nul besoin d’éteindre son smartphone, les liaisons ne passent point en ce lopin de terre de Puisaye ! Logique en ce XIIIème siècle florissant, petit vassal de Philippe Auguste d’abord, fidèle ensuite à Blanche de Castille qui assure la régence de son jeune fils Louis IX (le futur Saint Louis), le seigneur de Guédelon a décidé d’ériger sa demeure. Pour asseoir son autorité sur cette parcelle de Bourgogne, se protéger de rivaux souvent belliqueux et conquérants. Un château sans grand faste, plutôt austère, avec ses tours de guet, sa chapelle et les dépendances… Un site historique, un lieu unique : alors que le chantier de Notre-Dame de Paris interrogeait les problématiques de conservation du patrimoine, l’archéologie expérimentale de Guédelon se révélait d’autant plus précieuse !

À visiter : le site de Guédelon est ouvert jusqu’au 02/11/25. Jusqu’au samedi 31/08 : de 9h30 à 18h30, tous les jours. Du 01/09 au 02/11 : de 10h à 17h30 (fermé les mardis et mercredis sauf les mardis 21 et 28/10). Dernier accès : 1 heure avant la fermeture du chantier. Le château de Saint-Fargeau, avec son spectacle Son et Lumière en soirée, « 1000 ans d’histoire ».

À lire : « J’ai rêvé d’un château », par Michel Guyot (Éditions JC Lattès). « La construction d’un château fort », par Maryline Martin et Florian Renucci (Éditions Ouest-France). « L’authentique cuisine du Moyen Âge », par Françoise de Montmollin (Éditions Ouest-France).

À regarder : « Guédelon, la renaissance d’un château médiéval » et « Guédelon 2 : une aventure médiévale ».

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Paris, noir c’est noir !

Jusqu’au 30/06, le Centre Pompidou propose Paris noir. Une exposition qui retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France entre les années 1950 et 2000. De l’Afrique aux Amériques, en passant par la Caraïbe, 150 artistes dont les œuvres ont rarement été montrées en France. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°379, juin 2025), un article de Mariette Thom.

Georges Coran, Délire et paix 1954

Donner à voir Paris comme un berceau des pratiques culturelles noires, tel est l’objectif ambitieux de l’exposition « Paris noir » du Centre Pompidou. Elle retrace cinquante ans de production artistique noire dans la capitale, de la fondation de la maison d’édition Présence africaine en 1947, carrefour intellectuel où s’élabore une conscience internationale noire, jusqu’aux cultures urbaines de la fin des années 1990. Au début des années 1950, Paris est un lieu d’accueil pour les artistes noirs fuyant la ségrégation américaine ou l’apartheid sud-africain – alors même que la France est encore un empire colonial. Ces artistes viennent s’y former à l’histoire de l’art européen, se familiariser aux collections d’art africain du Musée de l’homme, et fréquenter les penseurs de la négritude.

Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, Paris 1956

Dans les décennies suivantes, c’est dans les combats politiques qu’ils puisent leur inspiration, de la décolonisation à l’antiracisme en passant par la lutte pour les droits civiques. Autant d’ingrédients qu’on retrouve dans ces productions artistiques uniques, souvent novatrices, et oubliées du canon de l’histoire de l’art. La dispersion, voire la disparition de nombre d’œuvres, a ainsi constitué un défi majeur pour le Centre Pompidou, tout comme les lacunes de la recherche en histoire de l’art. Un des buts affichés est d’ailleurs d’encourager les institutions françaises à acquérir, étudier et publier sur ces artistes.

Bob Thompson, The Struggle 1963

Les moyens mis en œuvre se montrent à la hauteur de cette ambition : plus de 150 artistes africains, afro-américains et caribéens sont exposés en 15 salles. On passe facilement deux à trois heures à y déambuler, découvrant des noms, des œuvres, des sujets, des motifs et des méthodes. Par exemple, les nombreux portraits de personnalités noires réalisés par Beauford Delaney (1901-1979), dont on apprend vite à reconnaître le style et la palette où le jaune a la part belle ; le « grand balayage » d’Ed Clark (1926-2019), qui brosse ses tableaux abstraits à l’aide d’un balai ; ou les compositions de perles de verre colorées de Clem Lawson (né en 1954), dont les Parisiens retiendront le saisissant Angoisse sur l’escalator inspiré de la station des Halles.

Elodie Barthélémy, Hommage aux ancêtres marrons 1994

L’objectif de mettre en avant ces artistes méconnus est atteint. Toutefois, on pourra regretter que Paris s’y réduise à un prétexte pour donner à voir ces œuvres au lieu de constituer un acteur à part entière de l’exposition, comme son titre le laisse à penser. De même pour les concepts théoriques convoqués, en particulier le « Tout-Monde » d’Édouard Glissant, dont on peine à comprendre le sens alors même que deux salles lui sont dédiées. Enfin, le spectateur attentif notera l’absence totale d’artistes femmes dans la première moitié de l’exposition, sans que ce manque soit thématisé. Heureusement, la seconde moitié, plus contemporaine, apparaît plus généreuse à cet égard. Mariette Thom

Paris noir : jusqu’au 30/06, du lundi au dimanche de 11h à 21h, le jeudi de 11h à 23h, fermé le mardi. Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris (Tél. : 01.44.78.12.33). L’album de l’exposition (éditions Centre Pompidou, 60 p., 10€50).

« Sciences Humaines s’est offert une nouvelle formule », se réjouit Héloïse Lhérété, la directrice de la rédaction. L’objectif de cette révolution éditoriale ? « Faire de Sciences Humaines un lien de savoir à un moment où l’histoire s’opacifie et où les discours informés se trouvent recouverts par un brouhaha permanent ». Au sommaire du numéro 379, un remarquable dossier sur la santé mentale des jeunes et deux passionnants sujets (un entretien avec l’historien Johann Chapoutot, « La droite et le centre ont fait alliance avec le nazisme »/Jean-Marie Pottier, « Le trumpisme une contre-révolution intellectuelle »). Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un magazine dont nous conseillons vivement la lecture. Yonnel Liégeois

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Et Picasso peint Guernica !

Le 26 avril 1937, en pleine guerre civile espagnole, les bombardiers allemands anéantissent la petite ville basque de Guernica. Pour la première fois dans l’histoire moderne, une population civile est sciemment massacrée par les militaires. À Paris, Picasso peint son célèbre tableau en réponse à l’horreur.

 Fouler des pieds les ruines, marcher sur les décombres d’une ville sous lesquels on imagine les corps ensevelis… Dans le parcours de cette originale salle du Musée de la Paix à Guernica ( Gernica y Luno en espagnol, Gernika-Lumo en langue basque) où le plancher est vitre transparente, certains visiteurs déambulent ainsi avec d’infinies précautions, osant à peine marquer le pas, tant l’émotion est forte ! Le sol vibre, le bruit assourdissant des bombardiers en approche envahit l’espace.

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En ce mois d’avril 1937, la guerre civile en Espagne fait rage depuis neuf mois déjà. Le général Franco, soutenu par une partie de l’armée, n’a pas admis le choix de ses concitoyens et s’oppose par la force, depuis juillet 36, au gouvernement républicain sorti démocratiquement des urnes. Au nord du pays, le Pays basque subit les conséquences de la guerre civile. Mobilisation et rationnement touchent toutes les familles, des réfugiés commencent à affluer, la frontière avec la France est proche… Dans ce contexte particulier, la petite ville de Guernica représente plus qu’une paisible bourgade, plus qu’un point anodin sur la carte du conflit. « Gernika est la capitale spirituelle du Pays basque, s’attaquer à Gernika c’est vraiment s’attaquer à un symbole », rappelle Iratxe Momoitio Astorkia, la jeune directrice du Musée de la Paix. « Celui d’un peuple à l’esprit libre et indépendant, celui d’un pays à l’identité forte et reconnue ». Franco ne s’y trompe pas, les historiens attestent qu’une réunion s’est tenue à Hendaye quelques jours avant le bombardement entre généraux franquistes et militaires allemands.

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Le 26 avril, c’est jour d’affluence à Gernika, c’est jour de marché. C’est le jour que choisit la Légion Condor, la sinistre unité aérienne créée par Hitler, pour piquer sur la ville : obus, bombes incendiaires, mitraillage des civils en déroute par des vols en rase-mottes… En près de quatre heures, 50 tonnes de bombes et 3000 engins incendiaires lâchés ! Ville anéantie, gigantesque incendie, 300 morts et des milliers de blessés, l’horreur à son comble. Comme le souligne Alain Serres dans Et Picasso peint Guernica publié chez Rue du monde, « le bombardement de Guernica marque l’histoire des hommes : il est le premier qui vise une population aux mains nues, non une cible militaire« .

En son atelier des Grands – Augustins à Paris, à la lecture de la presse Picasso découvre l’ampleur de la tragédie. C’est décidé, en réponse à la commande que lui a passée la République espagnole pour la prochaine Exposition internationale qui ouvrira bientôt à Paris, Picasso peindra « Guernica ». Le 1er mai 1937, il se met au travail et couche sur le papier ses premiers croquis : un cheval hennissant, une tête de taureau, un visage d’enfant… Dès les premiers jours, s’impose aussi à l’esprit du peintre l’idée d’une grande fresque : au final, près de huit mètres sur quatre ! Grâce aux dizaines de documents contenues dans le livre conçu par Alain Serres, chacun plonge alors véritablement dans le processus de création. « Une démarche passionnante », avoue l’auteur, « tel ce tout premier dessin de Picasso lorsqu’il apprend l’événement : la porteuse de lumière y apparaît déjà comme si, dans la nuit de l’horreur, l’artiste ne veut surtout pas perdre espoir ! Plus d’une centaine d’esquisses suivront, c’est important que les enfants en particulier découvrent ce colossal chantier ». Pour Alain Serres, il est évident que l’immersion dans l’élaboration de l’œuvre met à mal un point de vue un peu primaire mais fort répandu : « c’est facile de faire un Picasso ! ».

Proximité géographique oblige, la ville française d’Hendaye fut aussi durement ébranlée, tant par les événements de la guerre d’Espagne que par le bombardement de Guernica. « Dès l’été 1936, Hendaye assistait depuis les berges de la Bidassoa à la bataille et à l’incendie d’Irun, la ville frontière voisine.  Seul un pont nous sépare, ou nous réunit », témoigne Marie-Carmen Nazabal, la maire – adjointe à la culture. « Beaucoup comprirent que la déferlante des avions d’Hitler et de Mussolini annonçait la seconde guerre mondiale. L’arrivée massive de réfugiés a fait ainsi de notre ville une cité d’accueil, beaucoup de ces réfugiés se sont installés définitivement à Hendaye et bon nombre d’Hendayais aujourd’hui en sont les descendants. Pour moi comme pour mes frères et sœurs, Guernica est tout un symbole, mon père y est né ! ». Yonnel Liégeois

PICASSO, LE LIVRE

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« Ce qui importe avec ce livre, c’est permettre aux petits et grands de cheminer avec un artiste à la parole multiple qui n’hésite pas à pousser un cri contre la barbarie », témoigne avec force Alain Serres. Outre que Et Picasso peint Guernica soit un formidable outil pour apprendre à lire un tableau dans la foulée du souffle créateur d’un artiste, l’ouvrage invite aussi chacun, à la suite de Picasso, à prendre plume ou pinceau pour imaginer de nouveaux « Guernica », en peinture – en littérature – en musique – en film, pour secouer les consciences engourdies. Comme l’affirme Alain Serres, « le monde a plus que jamais besoin d’art et de culture pour ne pas perdre le nord« . Un livre de référence, un bel objet à se procurer d’urgence qui, dans un double mouvement, place d’emblée le lecteur au cœur de l’idée de résistance et au sommet de l’inventivité artistique. Y.L.

Et Picasso peint Guernica, Alain Serres : éditions Rue du monde, 56 pages (dont une quadruple page centrale reproduisant le célèbre tableau, 70 images et photographies), 23€90.

GERNIKA, LE MUSEE

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« Au Musée de la paix de Gernika, nous recevons beaucoup de groupes scolaires. Et des visiteurs adultes, majoritairement en provenance de Catalogne, d’Angleterre, d’Allemagne ou de France », souligne Iratxe Momoitio Astorkia, philologue de formation et directrice du musée. « Notre projet muséologique, mis en œuvre depuis 1998 ? À partir de l’événement tragique d’avril 1937, proposer une thématique centrée sur la culture de la paix et organisée autour de trois questions : qu’est ce que la paix ? Qu’est ce que l’héritage de Gernika ?  Qu’en est-il aujourd’hui de la paix dans le monde ?« . En lien avec chercheurs et historiens, le musée participe aussi à la collecte de la mémoire des derniers survivants, organise colloques et expositions en partenariat avec les musées étrangers, tel celui du Mémorial de Caen. Le rêve de la jeune directrice ? Dans son souci d’éducation à la paix, rénover la partie du musée consacrée au conflit basque… « Il nous faut sortir de l’amalgame entre terrorisme et identité basque. Moi qui, depuis mon enfance, suis habituée à vivre dans le conflit, je suis en même temps fière de diriger ce musée dévolu à la construction de la paix. Ici comme ailleurs, il reste encore beaucoup de chemin et de travail à faire, le musée y contribue, pour ouvrir le dialogue et sortir de la spirale de la souffrance et de la mort ». Y.L.

Musée de la Paix : Foru Plaza 1, 48300 Gernika-Lumo (ouvert du mardi au dimanche. Tél. : (34) 94 627 02 13).

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Miss.Tic, frondeuse et indocile

Jusqu’au 18 mai, à la Maison Elsa Triolet-Aragon (78), sont exposées quelques œuvres emblématiques de Miss.Tic. L’irrévérence et l’audace de la pionnière du street art, frondeuse et indocile, manquent cruellement depuis sa disparition en 2022.

Il fut un temps, du côté de la Butte-aux-Cailles, où, au détour d’une rue, sur un mur ou une porte de garage, on tombait nez à nez sur un dessin réalisé au pochoir ou à la bombe aérosol signé Miss.Tic. Geste artistique clandestin, il faudra attendre le passage à l’an 2000 pour que le street art soit « reconnu », l’artiste imprime dans les rues de la capitale des silhouettes de femmes longilignes à la chevelure brune, sexy, provocantes et libres. Libres de clamer des phrases-poèmes, des haïkus féministes qui amusent les passantes et peuvent décontenancer les passants. Se jouant des stéréotypes masculins avec une apparente légèreté, Miss.Tic prend un malin plaisir à détourner les mots, semant des éclairs poétiques facétieux qui claquent sur les pavés parisiens. « Sorcière égarée dans un monde sans magie », Miss.Tic est une artiste totale, frondeuse et indocile. Son audace comme son irrévérence manquent cruellement depuis sa disparition en 2022.

Provocation et fantaisie pour ne pas sombrer

L’exposition que lui consacre la Maison Elsa Triolet-Aragon comprend une trentaine de ses œuvres qui donnent un aperçu de son talent. Elle est intitulée « L’homme est le passé de la femme », ce pochoir réalisé en 2011 sur des affiches lacérées façon Jacques Villeglé qui renvoie forcément au vers d’Aragon chanté par Ferrat « la femme est l’avenir de l’homme ». Clin d’œil amusant et amusé d’une artiste au poète où la femme le prend au mot et reprend la main. D’autres œuvres sur affiche, comme De l’ego au Lego, témoignent, au-delà d’une filiation certaine avec le pionnier du street art qu’était Villeglé, d’une reconquête de l’espace urbain pour raconter le monde. Qu’elle parle d’amour et de désamour, du machisme ou de la guerre, Miss.Tic use de la provocation et de la fantaisie pour ne pas sombrer. Mains sur les hanches, regard noir, une femme nous somme de choisir : « To yield or resisting », céder ou résister. Une autre, lunettes noires, robe fendue laissant entrevoir de longues jambes musculeuses, prête à l’assaut, affirme : « Pas d’idéaux, juste des idées hautes », tandis que celle-ci, en débardeur, tient une hache à la main, prête à en découdre : « Cette ville a les folles qu’elle mérite ». Il y a là une colère muette qui ne demande qu’à éclater.

Au moulin de Villeneuve, l’exposition permet de découvrir une autre facette de Miss.Tic. Avec ses détournements plastiques et poétiques, le visiteur mesure sa connaissance des grands maîtres, qu’elle n’a pas hésité à copier. Que ce soit cette Maja desnuda de Goya sur un mur, avec « Demain j’enlève tout » pour légende ; un pastiche de Toulouse-Lautrec, Femme au bord d’elle même ; une Joconde qui murmure « pour sourire il faut avoir beaucoup pleuré » ou cette femme en crinoline aux bras d’un danseur tout droit sortie d’un tableau de Renoir, dans ces dessins qui font partie d’une série réalisée pour l’exposition « Muses et hommes » en 2000, on mesure combien Miss.Tic connaissait jusqu’au bout de son pochoir l’histoire de la peinture. Marie-José Sirach

L’homme est le passé de la femme, Miss.Tic : Jusqu’au 18/05, tous les jours de 14h à 18h. Maison Elsa Triolet-Aragon, moulin de Villeneuve, 78730 Saint-Arnoult-en-Yvelines (Tél. : 01.30.41.20.15).

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Picasso, ambassadeur de la paix

Jusqu’au 20/05, à Cordes-sur-Ciel dans le Tarn (81), se tient l’exposition Le printemps de Pablo. Une cinquantaine d’œuvres du peintre de Guernica (affiches, unes de journaux, couvertures de livres), réalisées en faveur de la paix. Vive le printemps, vive Picasso !

Alors que le bruit des canons se fait plus assourdissant tout autour de la planète, admirer les colombes dessinées par Pablo Picasso met un peu de baume au cœur. Patrick Maurieres, ancien conseiller en communication et grand collectionneur d’affiches, nouvellement installé à Cordes-sur-Ciel dans le Tarn, a ouvert une galerie, la Maison Ladévèze. Pour l’inauguration, il a choisi d’exposer des dessins que le peintre a réalisés pour des affiches, des couvertures de journaux ou de livres en lien avec les causes qui lui tenaient à cœur : l’amitié entre les peuples, l’anticolonialisme, le communisme et bien sûr la paix.

Le pinceau contre le chaos

Pour ce faire, il a cherché tous azimuts : dans les vide-greniers, sur le Bon Coin, chez Emmaüs, auprès de ses connaissances… Il a dégoté une cinquantaine de pièces. Soutenue par le Mouvement de la Paix qui lui a offert deux grandes affiches et la mairie de Cordes-sur-Ciel, adhérente à l’Association française des communes, départements et régions pour la paix (AFCDR), l’expo a fière allure !

Du Picasso, ambassadeur de la paix, on pense forcément à son Guernica de 1937, peint après le bombardement de la ville basque par les nazis et les fascistes italiens. On aime se rappeler sa répartie face à un officier allemand lui demandant : « C’est vous qui avez fait ça ? » : « Non, c’est vous ! ». On revoit sa colombe de 1949 à l’occasion du premier Conseil mondial de la paix à Paris. Mais au-delà de ces œuvres, Picasso n’a eu de cesse de brandir son pinceau contre les guerres. Quelques exemples de sa foisonnante production pacifiste : en 1945, il peint Le Charnier après les découvertes des camps nazis ; en 1951, il crée Massacre en Corée où des hommes en armes visent des femmes et des enfants nus ; en 1952, installé à Vallauris, il réalise La Guerre et la Paix, deux immenses panneaux représentant la laideur de l’une et la beauté de l’autre, dans une chapelle de la ville, rebaptisée « Temple de la paix » ; à la fin de sa vie, il peint encore contre la guerre du Viêt Nam…

Des colombes à foison

« Que croyez-vous que soit un artiste, interrogeait-il en 1945, dans un entretien aux Lettres françaises. Un imbécile qui n’a que des yeux s’il est peintre, des oreilles s’il est musicien ou une lyre à tous les étages du cœur s’il est un poète, ou même, s’il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents ou doux mouvements du monde, se façonnant de toutes pièces à leur image… »

L’exposition Le printemps de Pablo, à Cordes-sur-Ciel, nous offre à voir des pièces originales où se déclinent à l’envi ses façonnages. Ainsi, l’affiche à la colombe du Congrès mondial de la Paix de 1949, Le foulard de la paix créé pour le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants pour la Paix à Berlin en août 1951, le Relais de la jeunesse à l’occasion des Rencontres de la Paix à Nice en 1950. On pourra aussi admirer une lithographie de 1963 qui allait avec le bon de soutien pour la fête du journal communiste Le Patriote de Nice et du Sud Est, le dessin d’une danse de joie Vive la paix en une de l’Humanité Dimanche en juillet 1954 pour fêter le cessez-le-feu en Indochine… Mais aussi son magnifique Don Quichotte, dessiné pour le 350e anniversaire de la publication du roman de Cervantès dans Les Lettres françaises en 1955. « Confronter notre regard avec cet artiste, Don Quichotte du siècle dernier, est l’ambition de cette exposition », confie Patrick Maurieres.

Colombes, branches d’olivier, rondes joyeuses, bouquets de fleurs : l’exposition Le printemps de Pablo nous convie à retrouver tous ces motifs déclinés par l’artiste, devenus symboles. Vive la paix, vive le printemps et vive Picasso ! Amélie Meffre

Le printemps de Pablo : Jusqu’au 20/05, du vendredi au dimanche et à la demande. La Maison Ladévèze, 71 Grand rue Raymond VII, 81170 Cordes-sur-Ciel.

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Camille Claudel, à la lettre

Au Théâtre des Deux Rives, à Rouen (76), Brice Berthoud propose Du rêve que fut ma vie. À travers billets d’humeur et lettres d’amour, Camille Trouvé plie et déplie la vie de Camille Claudel, la grande sculptrice. Entre génie, poésie et beauté, un spectacle bouleversant.

Femme, muse et rebelle… Après Les Mains de Camille qui explorait l’enfance de l’artiste, ses liens avec famille et contemporains, la compagnie Les Anges au Plafond plonge dans la correspondance de Camille Claudel, sculptrice de génie et sœur de Paul. Des missives libertaires et provocatrices de sa jeunesse parisienne aux courriers non expédiés de lasile où elle fut internée, durant trente ans jusqu’à sa mort en 1943, se dévoile le portrait de Camille entre silences et colères. En quatre soirées, Du rêve que fut ma vie nous apprend à lire entre les lignes, à déchiffrer les billets d’humeur, à décoder les lettres d’amour ou de menace pour tenter de saisir ce moment où l’intelligence vacille face au poids de la douleur et de l’incompréhension.

Avec justesse et doigté, entre mots dits et non-dits sur scène, Camille Trouvé se joue de grands et « petits papiers », les mêle et démêle, les plie et déchire au son de la contrebasse de Fanny Lasfargues (en alternance avec Raphael Schwab). Un duo poignant qui révèle une femme et artiste en lutte pour recouvrer raison et liberté d’expression. Une histoire d’amour et de création que la comédienne et marionnettiste conte avec finesse et poésie. Beau et bouleversant. Yonnel Liégeois

Du rêve que fut ma vie, Brice Berthoud et Camille Trouvé : du 19 au 22/03, le mercredi à 19h, les jeudi et vendredi à 20h, le samedi à 18h. Théâtre des Deux Rives, CDN Normandie-Rouen, 48 rue Louis Ricard, 76000 Rouen (Tél. : 02.35.70.22.82).

Les mains de Camille, par la compagnie Les anges au plafond (Brice Berthoud et Camille Trouvé, directeurs du CDN Normandie-Rouen) : du 10 au 12/04, le jeudi à 14h30, le vendredi à 20h30, le samedi à 19h. Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale, avenue des Lissiers, 23 200 Aubusson (Tél. : 05.55.83.09.09).

Rouen, autour du spectacle :

RENCONTRE : avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du jeudi 20 mars.

ATELIER : la Galerie des arts du feu vous invite le samedi 22 mars à 10h à un cours dédié au modelage en écho aux créations de la sculptrice. Quelles que soient vos connaissances et votre pratique, venez vivre une expérience unique.
➔ Durée 2h | Tarif 25 € | Réservation auprès de cecile.lebert@cdn-normandierouen.fr

VISITE AU MUSÉE : le Musée des Beaux-Arts de Rouen vous propose le samedi 22 mars à 15h une visite guidée autour des figures de femmes peintres. Au-delà des difficultés liées à leur formation, des femmes ont dû se défendre pour devenir les artistes qu’elles souhaitaient être. Certaines ont lutté, d’autres se sont éteintes ou adaptées.
➔ Durée 1h | Tarif 3,5 € | Nombre de places limité | Retrait des billets le jour même (Tél. : 02.76.30.39.18)

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Debout pour la culture !

Alors que partout en France, les artistes appellent le public à se « mettre debout pour la Culture », afin de protester contre les coupes budgétaires drastiques des financements publics de l’État et des collectivités, un ensemble de 40 000 professionnels de la Culture, issus de toutes les disciplines (spectacle vivant, cinéma, littérature, musique, arts plastiques, etc.), rejoint par des citoyennes et citoyens de tous horizons professionnels, lance aujourd’hui la pétition « Debout pour la Culture ! Debout pour le service public ».

En décembre 2024, présidente de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais (Horizons) faisait fort déjà : elle annonçait 75 % de baisse des subventions au secteur de la culture. Mieux ou pire encore, le conseil départemental de l’Hérault, présidé par Kléber Mesquida (Parti socialiste), a décidé « une coupe de 100 % du budget alloué à la culture ». Hormis les financements obligatoires d’un département (lecture publique dans les médiathèques, les écoles de musique, les actions dans les maisons d’enfants à caractère social et les Ehpad)… En outre, la région Occitanie a d’ores et déjà annoncé une baisse de 100 000 euros pour la culture dans l’Hérault. Prochainement, la présidente socialiste de la région, Carole Delga, doit donner le détail de ces baisses. Pendant ce temps, que fait Rachida Dati, la ministre de la Culture ? Silence sur toute la ligne ! Chantiers de culture a signé la pétition, et vous ? Yonnel Liégeois

DEBOUT POUR LA CULTURE DEBOUT POUR LE SERVICE PUBLIC !

Les coupes budgétaires de l’État et des collectivités plongent le service public de l’art et de la culture dans une situation alarmante. Chaque fois qu’une coupe budgétaire de 20.000 euros est annoncée, c’est l’équivalent d’un emploi permanent dans une structure culturelle ou d’un emploi artistique, technique ou administratif intermittent, qui est menacé de disparition.

À chaque perte d’emploi, c’est l’accès à l’art et à la culture qui recule pour toute la population française, dans les villes, dans les villages ruraux, dans les banlieues. C’est moins de créations, moins de représentations, moins d’éducation artistique dans les établissements scolaires, moins d’interventions culturelles dans les hôpitaux ou ailleurs. À chaque perte d’emploi, les risques augmentent de cessation d’activité des équipes artistiques et des lieux qui nous permettent de nous réunir et de faire débat.

Le contexte d’austérité budgétaire ne peut pas occulter les menaces qui planent sur notre démocratie. C’est pourquoi nous disons que sacrifier les services publics, dont celui de l’art et de la culture, est un calcul dangereux au regard des grands bénéfices sociétaux qui en découlent. Que l’État consacre 0,8 % de son budget à cette politique publique est déjà largement insuffisant pour répondre aux besoins exprimés par la population et par les professionnels. Aussi, nous toutes et tous, bénéficiaires du service public de l’art et de la culture, publics, artistes, technicien.ne.s, salarié.e.s, directeur.ices de lieux, nous nous tenons debout, ensemble, pour affirmer notre besoin d’une culture vivante qui stimule les imaginaires, partage les savoirs, reflète notre diversité et favorise le bien vivre ensemble.

Ensemble, nous nous tenons DEBOUT et nous signons LA PÉTITION pour défendre notre service public, ses emplois et les revendications portées unitairement par les syndicats d’employeurs et de salariés.

LES PREMIERS SIGNATAIRES 

Parmi les 40 000 premiers signataires dont vous pouvez découvrir les noms ici, on trouve notamment :

Laure Calamy / François Morel / Marina Foïs / Vincent Dedienne / Camille Cottin / Ludivine Sagnier / Denis Podalydes / Adèle Haenel / Jeanne Added  / Pascal Legitimus / Emily Loizeau / Joey Starr / Nancy Huston /  Vincent Macaigne / Julie Gayet / Philippe Torreton / Jeanne Balibar / Swann Arlaud / Corinne Masiero / Wajdi Mouawad / Agnès Jaoui / Bruno Solo / Nicole Garcia / Louis Garrel / Marie Ndiaye / Judith Henry / Cyril Dion / Juliette Binoche / Barbara Schulz / Emmanuel Mouret / Anouk Grinberg / Yann-Arthus Bertrand / Leonore Confino / Denis de Montgolfier / Robin Renucci / Romane Bohringer / Caroline Guiela Nguyen / Mathilda May / Julien Gosselin /  India Hair / Stanislas Nordey / Leslie Kaplan / Julie Delpy / Jacques Gamblin / Clara Ysé / Charles Berling / Gisèle Vienne / Philippe Quesne / Irène Jacob / François Schuiten / Maguy Marin / Benoît Delepine / Ariane Ascaride / Mathias Malzieu / Claire Nebout / Yves Pagès / Isabelle Carré / Albin de La Simone / Charlelie Couture / Régine Chopinot / Boris Charmatz / Dominique Blanc / Antoine Wauters / Rosemary Standley / Benoît Peeters / Anna Mouglalis / Olivier Saladin / Barbara Carlotti / Xavier Duringer / Alice Zeniter / Gaël Morel / Olivier Cadiot / Emmanuelle Huynh / Jean Bellorini / Claudine Galea / Jean-Loup Hubert / Sonia Rolland / Rafi Pitts / Emilie Dequenne / Camille Besse / Kader Attou / Gisèle Vienne / Adama Diop / Julie Brochen / Jean-Charles Massera / Mariana Otero / Jerôme Bel / Julie Bertuccelli / Jean-Louis Martinelli / Valérie Dréville / David Bobée / Anne Alvaro / Sylvain Creuzevault / Phia Ménard / Mohamed El Khatib / Jil Caplan / Jean-François Sivadier / Irène Bonnaud / Stéphane Braunschweig / Eva Darlan / Céline Sallette / Pascal Rabaté / Françoise Breut / Boubacar Sangaré / Gaelle Bourges / Michel Lussault / Véronique Vella / Gaëtan Châtaignier / Marie Morelle / Koya Kamura / Nadia Beugré / Thierry Thieu Niang / Chloé Moglia / Jean-François Zygel / Julie Deliquet / Vincent Dieutre / Valerie Bonneton / Martin Page / La  Ribot…

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Prévert, rêveur d’images

Jusqu’au 16/02, le musée de Montmartre (75) organise une originale exposition Jacques Prévert, rêveur d’images. Disparu le 11 avril 1977, un immense poète louangé de la maternelle à l’université, surréaliste puis sous influence communiste un temps mais toujours iconoclaste. Apprécié des plasticiens pour ses collages, chanté par les plus belles voix, encensé par les plus grands noms du cinéma.

« À l’occasion de la célébration du centenaire du surréalisme et du 70ème anniversaire de l’installation de Prévert en 1955 à la Cité Véron, au-dessus du Moulin Rouge dans le 18ème arrondissement, le musée de Montmartre met à l’honneur celui qu’on connaît d’abord et surtout comme poète et scénariste, mais dont la création s’étend bien au-delà. Jacques Prévert est un artiste aux multiples facettes (…) qui a consacré une part importante de sa vie aux arts visuels.

Planches de scénarios illustrées, éphémérides, collaborations artistiques avec des peintres, sculpteurs et photographes, collages surréalistes : tel un alchimiste, il jongle avec les images comme il manie les mots. Il les décortique, les assemble, construit et crée des mondes « à la Prévert », nous emportant dans sa rêverie et son temps. Profondément poétiques et visuelles, elles viennent enrichir notre compréhension de l’univers prolifique de l’artiste ».

Eugénie Bachelot Prévert et Alice S. Legé, commissaires d’exposition

La subversion poétique

S’éteint en terre normande, le 11 avril 1977, Jacques Prévert, l’auteur des Feuilles Mortes. « L’une des cinq chansons françaises qui ont fait le tour du monde, avec une version japonaise, chinoise, russe, arabe… », soulignait Françoise Canetti en 2017, l’année du 40ème anniversaire du décès du poète où nouveautés littéraires et discographiques se ramassaient à la pelle ! Elle fut la maître d’œuvre d’un formidable coffret de trois CD rassemblant 45 chansons et 25 poèmes du grand Jacques avec pas moins de 35 interprètes. De Cora Vaucaire à Bob Dylan, d’Iggy Pop à Jean Guidoni, de Jeanne Moreau à Philippe Léotard… Clope au bec, chapeau sur la tête et toutou à ses pieds, le regard songeur sur les quais de Seine comme l’immortalisa son copain photographe Robert Doisneau, Prévert s’en moquerait aujourd’hui : près de 500 établissements scolaires portent son nom, le plaçant juste derrière Jules Ferry en tête de ce classement honorifique !

Une notoriété qui eut l’heur de déplaire à certains. « Jacques Prévert est un con », déclarait sans préambule Michel Houellebecq dans un article aux Lettres Françaises en 1992. Pourquoi ? Parce que ses poèmes sont appris à l’école, qu’il chante les fleurs et les oiseaux, qu’il est un libertaire donc un imbécile… Si d’aucuns n’apprécient guère les auteurs populaires, ils furent pourtant nombreux, les gens de renom, à saluer la sortie du recueil Paroles en 1946 : André Gide, René Char, Georges Bataille, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre ! « Ses détracteurs n’ont certainement pas lu toute son œuvre, mon grand-père avait conscience d’être enfermé dans son rôle de poète des écoles », déplore Eugénie Bachelot-Prévert. Pourtant, « il a aussi écrit des textes très subversifs, en réalité les personnes qui l’attaquent estiment que la poésie doit être réservée à une élite ». Avec Prévert, il faut apprendre à dépasser les clichés, à goûter la force de son verbe autant que celle de ses engagements politiques et sociaux, à mesurer la pluralité de son talent.

Qui ne se souvient du célèbre Dîner de têtes, du Cancre ou de Barbara ? Des poèmes passés à la postérité que des générations de lecteurs, d’abord en culottes courtes puis montés en sève sous leurs cheveux blancs, ne cessent de déclamer avec bonheur et volupté… La mémoire, tenace, ne peut oublier ce qui fait trace ! D’aucuns pourtant l’ignorent, selon l’expression même du grand Jacques, certains de ces poèmes furent proférés, « gueulés » en des lieux où la poésie ordinairement n’avait pas droit de cité : à la porte des usines, à l’entrée des cités. Ainsi, en va-t-il de cette hilarante et pourtant dramatique Pêche à la baleine écrite en 1933 et publiée dès 1946 dans le recueil Paroles. C’est ce que nous révèle André Heinrich, patient et éminent collecteur de l’intégralité des Sketches et chœurs parlés pour le groupe Octobre. Même s’il refusa toujours de « se faire mettre en cellule », Prévert très tôt afficha une sensibilité proche des milieux communistes. Déjà, au temps du surréalisme, avec Tanguy et Duhamel, le trio infernal clamait son indépendance, juste pour contrarier André Breton dont il ne supportait pas l’autoritarisme ! Ami du peuple, des pauvres et des miséreux, Prévert ne cessera de dénoncer l’injustice mais il demeurera toujours rétif à tout embrigadement, tout système, toute hiérarchie. À l’image de son compère Boris Vian, dont il sera voisin de palier cité Véron à Paris, derrière le Moulin-Rouge.

Jacquot l’anarchiste ne pouvait supporter la charité mielleuse du cercle familial, les généraux, les évêques et les patrons… Alors, il écrit des textes et des chansons pour la FTOF, la Fédération du Théâtre Ouvrier Français, d’inspiration communiste. Qu’il joue ensuite, avec la bande des joyeux lurons du groupe Octobre (Maurice Baquet, Sylvia Bataille, Roger Blin, Raymond Bussières, Paul Grimault, Pierre Prévert…), aux portes des usines Citroën en grève par exemple ! Un grand moment de révolte où le nom du patron rime avec millions et citron, un appel ouvert à la grève généralisée clamé à la Maison des syndicats en mars 1933… Suivront d’autres pamphlets, devenus des classiques aussi célèbres que les écrits dits « poétiques » de Jacques Prévert : La bataille de Fontenoy, L’émasculée conception ou La famille Tuyau – de – PoêlePrévert brandit haut « La crosse en l’air » contre cette société qui s’enrichit sur le dos des exclus. C’est pour tous ces gens de peu qu’il part en croisade « crier, hurler, gueuler… Gueuler pour ses camarades du monde entier, ses camarades cimentiers…, ses camarades égoutiers…, ses camarades surmenés, exploités et mal payés…, pour ses camarades de toutes les couleurs, de tous les pays ». La lecture réjouissante d’une œuvre puissante qui, de nos jours, n’a rien perdu de son acuité.

Une œuvre, une écriture que Prévert le scénariste décline aussi au cinéma avec les plus grands réalisateurs (Marcel Carné, Jean Renoir, Paul Grimault…) et comédiens (Jean Gabin, Arletty, Michèle Morgan, Michel Simon, Louis Jouvet…) de son temps ! Des répliques ciselées au cordeau, passées à la postérité, dont chacun se souvient (« Bizarre, moi j’ai dit bizarre, comme c’est bizarre », « T’as d’beaux yeux, tu sais ») comme des films culte dont elles sont extraites : « Le crime de monsieur Lange », « Drôle de drame », « Quai des brumes », « Les enfants du paradis »… Le cinéma ? Un art auquel l’initie son frère Pierre dans les années 30, qu’il affine après guerre en compagnie de Paul Grimault, l’un des précurseurs du cinéma d’animation en France. Ensemble, ils signent « Le roi et l’oiseau », un authentique chef d’œuvre à voir ou revoir absolument.

Prévert adore aussi rassembler des éléments divers (photos, tissus, dessins..) pour épingler encore le monde par-delà les mots… Des collages qu’il offre ensuite à Minette sa fille ou à Picasso son ami. C’est en 1948, suite à un grave accident, que Prévert alité se prend à jouer du ciseau, de la colle et du pinceau. Un passe-temps qui se transforme très vite en une véritable passion, encouragée par ses potes Picasso et Miro. Il maraude gravures et documents chez les bouquinistes des quais de Seine, il taille menu les photographies de Brassaï et de Doisneau, il cisaille sans vergogne images et cartes postales. Au terme de son existence, il aura réalisé pas loin de 1000 collages, d’aucuns étonnants de beauté, d’humour et d’imagination. De surprenantes œuvres d’art au parfum surréaliste et fantaisiste, méconnues du grand public… En un superbe coffret, outre le recueil Paroles, les éditions Gallimard ont eu la bonne idée d’y ajouter un fascicule des plus beaux collages de Prévert. Où l’humour et la couleur explosent à chaque page, un superbe cadeau à offrir, voire à s’offrir !

Au panthéon de La Pléiade, la célèbre collection sur papier bible, Jacquot l’anticlérical doit bien rigoler en son éternelle demeure. Il en est une, en tout cas, qu’il n’a jamais déserté de son vivant, qui nous le rend immortel : celle du Verbe proclamé, chanté, colorié ou filmé. « La poésie, c’est ce qu’on rêve et qu’on imagine, ce qu’on désire et ce qui arrive, souvent », écrivait Jacques Prévert. À vos plumes, poètes des villes et des champs, v’là le printemps ! Yonnel Liégeois

Jacques Prévert, rêveur d’images : Jusqu’au 16/02, ouvert tous les jours de 10h à 18h. Musée de Montmartre, 12 rue Cortot, 75018 Paris (Tél. : 01.49.25.89.39).

À lire, à écouter :

– Jacques Prévert, œuvres complètes : deux volumes à La Pléiade, sous la direction de Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster. Paris Prévert, de Danièle Gasiglia-Laster en collaboration avec Fatras/Succession Jacques Prévert.

Paroles : un coffret comprenant le recueil de poèmes et un fascicule de collages.

Jacques Prévert n’est pas un poète : une biographie dessinée d’Hervé Bourhis et Christian Cailleaux.

Prévert&Paris, promenades buissonnières, Le cinéma dessiné de Jacques Prévert : les principaux ouvrages signés par Carole Aurouet, docteur en littérature et civilisation françaises à l’université Paris III-Sorbonne nouvelle et éminente érudite de l’univers « prévertien ».

– Jacques Prévert, ces chansons qui nous ressemblent : un coffret de trois CD comprenant 70 chansons et poèmes.

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Culture, le naufrage programmé

À vous tous, lectrices et lecteurs au long cours ou d’un jour, en cette époque toujours aussi troublante et troublée, meilleurs vœux pour 2025 ! Que cette année nouvelle soit pour vous un temps privilégié de riches découvertes, coups de cœur et coups de colère, passions et révoltes en tout domaine : social et artistique, culturel ou politique.

Radios et télés le claironnent, l’État est en déficit ! Pas les actionnaires du CAC 40 dont les dividendes s’élèvent à 72 milliards d’euros, ni les grands patrons de l’industrie française dont les profits atteignent 153,6 milliards d’euros pour 2024… Ce ne sont pas quelques communistes ou gauchistes attardés qui révèlent ces chiffres, encore moins deux ou trois écologistes contrariés, juste divers économistes et journalistes de la presse spécialisée. En conséquence, au gré de gouvernants qui valsent plus vite que leur ombre, étoiles filantes qui dégainent au fil du temps et des vents, les décisions s’affichent : faibles augmentations des salaires et des retraites, hausse des étiquettes dans la santé, les transports et les biens essentiels ( électricité et eau), dotations des villes et régions au régime sec.

Les premiers budgets à couler ? Ceux de la culture, de l’enseignement et de la santé… Avec effets immédiats en certaines collectivités ! Christelle Morançais, présidente de la région Pays de Loire et amie d’Édouard Philippe, n’a pas fait dans la dentelle. Un sinistre cadeau de Noël à ses administrés, le 20 décembre : 82 millions d’euros d’économies dès 2025, et 100 millions à l’horizon 2028 ! Les coupes sombres ? Culture, sport et vie associative (4,7 millions d’euros en moins en 2025, -10,59 millions en 2028), enseignement secondaire (– 17,5 millions), formation (– 11,03 millions)… « On nous demande de prendre pour modèle le monde de l’entreprise, en nous traitant d’incapables qui ne savent pas dépenser l’argent public », dénonce Catherine Blondeau, la directrice du Grand T. Lourdes les conséquences, de Saint-Nazaire à Laval, d’Angers à La Roche-sur-Yon : pas moins de 2400 emplois et 43% des structures menacés à court terme !

Rédacteur en chef au quotidien Le Monde, Michel Guerrin le précise dans sa chronique en date du 27 décembre. « Si la présidente de la région Pays de la Loire a fait voter à une large majorité un budget culturel en baisse de 73%, il n’y a pas qu’autour de la Loire que la culture est coupée en morceaux. La baisse va de 20% à 30% en Ile-de-France. Autour de 10% en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Un peu moins en Auvergne-Rhône-Alpes ou en Nouvelle-Aquitaine ». Il n’empêche, « Christelle Morançais fait passer Laurent Wauquier, l’ex-président d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui a fortement amputé la culture en 2022, pour un enfant de cœur » !

Co-animateur d’une compagnie théâtrale au Mans, le romancier Daniel Pennac ne décolère pas. « Un tel budget veut tout simplement dire que culture et sport sont du luxe« , commente l’auteur de la saga Malaussène. « Que les théâtres ferment, que les festivals meurent, que les libraires, les acteurs, les techniciens n’aient plus les moyens de travailler et que la musique se taise, nous irons beaucoup mieux, voilà ce que nous dit Christelle Morançais ». Dans une tribune au quotidien Le Monde, le comédien Philippe Torreton ne mâche pas ses mots. « Cette personne insinue en un élan populiste que ne bouderait pas Donald Trump que le monde de la culture ne serait qu’une niche de gens gâtés qu’il serait grand temps de confronter au réel, afin, dixit, qu’ils se réinventent ».

De la beauté du monde à sa compréhension

Des décideurs qui feignent d’ignorer combien l’écosystème culturel rapporte à la nation, avec les emplois qu’il crée, l’activité économique qu’il génère… Selon les calculs de l’Insee et les études du ministère de la Culture, en 2013 les activités culturelles contribuaient sept fois plus au PIB français que l’industrie automobile avec 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée par an ! Plus grave au delà des chiffres, réduire la culture à peau de chagrin, c’est amputer la jeunesse en ses capacités d’agir, de réfléchir et de penser à la beauté du monde, les priver des outils essentiels à la compréhension et à la transformation de leur humanité, réduire tous les citoyens au vil statut d’animal sans conscience… « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude », déclarait déjà en 1951 Albert Camus, prix Nobel de littérature ! « La société marchande couvre d’or et de privilèges les amuseurs décorés du nom d’artistes et les pousse à toutes les concessions ». Ils sont légion, intellos médiatiques et spécialistes auto-proclamés, à squatter les plateaux télé !

Avec force et vigueur, Chantiers de culture désavoue ces fossoyeurs de l’esprit et leur politique d’austérité. En harmonie avec tous les acteurs de la cité, amoureux des arts et lettres. Fidèle au propos d’Antonin Artaud : « Pas tant défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim que d’extraire, de ce qu’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim », affirmait avec conviction l’écrivain dans Le théâtre et son double. Yonnel Liégeois

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Merlier sort du bois !

À proximité d’Auxerre (89), se niche le musée Pierre Merlier. Des centaines de sculptures en bois y sont exposées. L’occasion de découvrir l’incroyable univers d’un créateur quelque peu oublié.

On ne se doutait pas en empruntant le chemin menant au Moulin du Saulce près du village d’Escovilles-Sainte-Camille (Yonne) qu’on allait découvrir les œuvres d’un sculpteur majeur. On y apprend que Pierre Merlier (1931-2017) fut un artiste reconnu qui obtint plusieurs prix dont en 1956, celui de la Jeune Sculpture. Il exposa à Paris, Lausanne, Londres, Québec ou Los Angeles. Grâce au 1% artistique, un dispositif né en 1951 qui prévoit des commandes d’œuvres à des artistes lors de la construction ou l’extension de bâtiments publics, ses sculptures monumentales créées de 1974 à 1980 trônent dans les villes de la région mais aussi à Die, Dijon, Beaune, Le Creusot, Chambery, Montélimar ou Paris. Si son nom résonne moins aujourd’hui, son œuvre magistrale perdure grâce à l’ouverture d’un musée en 2019 dans un ancien moulin devenu une usine hydroélectrique que le couple Merlier rachète en 1976. L’artiste va y créer durant plus de trente ans une grande partie de son œuvre foisonnante. À la veille de sa mort, alors que quelque 600 pièces sont entreposées dans le domaine, Pierre Merlier demande à sa femme Michèle : « Qu’est-ce que tu vas faire de tout ça ?… Tu n’as qu’à tout brûler ! ». Elle lui répond : « J’ai une meilleure idée, je vais te faire un musée ! ». Avec Sylvie Ottin, elle répertorie, trie et dépoussière les pièces en vue de les exposer. Pour déposer les statuts de l’association en 2018,, ouvrir le musée en juin 2019.

Dès l’entrée de la première salle, on est frappé par la diversité des œuvres : des forêts de femmes nues hautes de deux mètres, portant de longs manteaux ou des chapkas pour la série « La Perestroïka » mais aussi de personnages plus petits en costumes ou chapeautés surnommés « Les banquiers », taillés dans de l’orme et du tilleul à la tronçonneuse puis poncés et peints. Dans son étrange « Forêt humaine », les silhouettes nues ont plusieurs têtes aux chevelures hirsutes, ciselées dans le tilleul ou des souches de cerisiers inversées. « La racine devient la tête, les branches sont les bras et les jambes. À l’envers, comme le monde », expliquait l’artiste. Au gré des formes des morceaux de bois récoltés, les postures se diversifient telles celle d’un magnifique arlequin penché, jambes écartées. On se perd dans cette fantasmagorie où des regards, souvent tristes, semblent nous interroger. 

« J’ai laissé jaillir mon émotion de mes tripes et par la diversité de mes personnages, mis en scène la société et ses côtés dramatiques, caustiques, humoristiques, fantastiques, sans oublier l’érotisme et la laideur », déclarait Pierre Merlier. Dans ces bas-reliefs en terre cuite ou en polyuréthane, il ironise sur le Bicentenaire de la Révolution ou sur les élections quand une foule s’amasse autour d’une urne, parfois aux cotés d’une tête d’animal. « De Gaulle avait déclaré que les Français étaient des veaux », sourit Michèle Mercier qui assure la visite. Dans une autre salle, on retrouvera une statue du Général nu, bras ouverts, dans la posture de « Je vous ai compris ». Pas loin, ce sera un petit Hitler, tout aussi nu, les mains dans le dos, qui semble puni. Parce qu’il fait œuvre de tout bois, quand il récupère des chutes de poutres d’une scierie, l’artiste en fait des totems bigarrés où des humains filiformes sont coiffés de têtes d’oiseaux. On croise encore une armée de monstres bedonnants mi-tristes, mi-suppliants ou des couples entrelacés qui nous interpellent.

Lors de son service militaire, l’artiste découvre l’expressionnisme à Berlin et des artistes qui influenceront son œuvre. Il rend ainsi hommage à Otto Dix avec des statues de soldats ou à Gustave Klimt en faisant une sculpture de son fameux « Baiser » et de personnages affichant les couleurs du maître. « Je fais une sculpture figurative, ironique, satirique, mais jamais anodine », déclarait-il. Pour sûr, on ressort de ce voyage en terre singulière enchanté par tant de créativité. Au total, trois salles d’exposition ont été créées – Michèle Mercier n’a pas ménagé sa peine même en pleine canicule pour retaper les lieux, sans toucher vraiment de subventions – pour nous faire admirer près de 400 œuvres. Avec ce musée implanté au bord de l’historique canal du Nivernais, le créateur génial que fut Pierre Merlier sort ainsi de l’oubli. On ne peut que vivement conseiller une visite de cet endroit magique. Amélie Meffre

Musée Pierre Merlier : Moulin du Saulce, 89290 Escolives/Sainte-Camille. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 à 18h30, de Pâques à la Toussaint et sur rendez-vous (Tél. : 06.74.86.17.05). Jusqu’au 30/09, exposition de peintures et de sculptures sur le thème Art&Sports olympiques : le regard singulier d’un artiste sur les activités sportives (tous les jours, sauf le mardi, de 11h à 18h30).

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