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Ernaux, la mémoire d’une fille

L’une au théâtre Présence Pasteur d’Avignon (84), l’autre en la salle Tchaïkovski du Conservatoire de danse, Violette Campo et Pauline Ribat présentent Mémoire de fille. L’adaptation du récit d’Annie Ernaux, au titre éponyme, qui dissèque au scalpel le corps intime de l’adolescente qu’elle fut. La mise à jour de l’expérience fondatrice de sa première aventure sexuelle.

« L’idée que je pourrais mourir sans avoir écrit sur celle que très tôt j’ai nommée « la fille de 58 » me hante », Annie Ernaux peut donc être apaisée.. . En revanche, pour le lecteur ou plutôt la lectrice, pour peu qu’elle ait vécu sa prime jeunesse avant 68, à la lecture de Mémoire de fille tout se bouscule, remonte à la surface à son grand dam parfois…. La jeune Annie Duchesne, future Ernaux, pour la première fois quitte ses parents, et le bourg d’Yvetot, pour être monitrice dans une colonie de vacances d’un village de l’Orne. « Je la vois arrivant à la colonie comme une pouliche échappée de l’enclos, seule et libre pour la première fois, un peu craintive ». Vertige d’une indépendance pour laquelle elle n’est guère armée. « La mixité la déconcerte… Au fond, elle ne connaît pour parler aux garçons que le mode de la joute populaire, à la fois défensive et encourageante, faite d’aguicherie et de moquerie dans les rues où ils suivent les filles ». La fille rêve de s’intégrer au groupe des moniteurs et monitrices mais « elle n’a aucune pratique d’autres milieux que le sien, populaire d’origine paysanne, catholique ».

Un désir d’homme sans retenue

Le samedi suivant son arrivée, elle assiste à sa première surprise-partie : H est là, « grand, blond et baraqué ». Ils dansent. « Elle est troublée parce qu’il ne cesse de la fixer intensément…..elle n’a jamais été regardée avec des yeux aussi lourds ». Il a à peine quelques années de plus qu’elle mais il a le prestige de la fonction, il est le chef des moniteurs. Ce n’est pas un garçon, c’est un homme qui la fascine et qu’elle suit docilement dans sa chambre. Tout s’accélère. « Elle n’en revient pas de ce qui lui arrive… Il va trop vite… Elle est subjuguée par ce désir qu’il a d’elle, un désir d’homme sans retenue… Elle dit qu’elle est vierge… Elle crie. Il la houspille, « j’aimerais mieux que tu jouisses plutôt que tu gueules ».  Il ne parvient pas à la pénétrer. Mais, déjà, elle est totalement à lui de corps et d’esprit. Elle raconte fièrement son aventure à qui veut l’entendre mais à peine plonge-t-elle dans le vertige romantique de ce premier amour qu’il la délaisse pour une blonde, sans doute moins empotée… « Elle est dans l’affolement de la perte, dans l’injustifiable de l’abandon ».

Elle l’attend, le guette,  espérant un signe de lui, même par pitié, en vain. Sur son passage, les quolibets fusent, « je ne suis pucelle que vous croyez ». Elle fait fi des sarcasmes pour continuer à faire partie du groupe. Elle est ivre de la découverte de la force de son désir (à défaut de plaisir). « Depuis H, il lui faut un corps d’homme contre elle, des mains, un sexe dressé. L’érection consolatrice ». Elle est grisée par les désirs qu’elle suscite, faisant fi des recommandations maternelles, « elle a toujours été tenue par sa mère à l’écart des garçons comme du diable ». Ivre de liberté, elle pactise  désormais allègrement avec le diable et collectionne les diablotins tout en préservant son intégrité virginale ! Était-elle « une avant-gardiste de la liberté sexuelle, un avatar de Bardot dans « Et Dieu créa la femme » qu’elle n’a pas vu… ? », s’interroge Annie Ernaux. Sur la glace de son lavabo, elle découvre « Vive les putains » écrit avec son dentifrice rouge Émail Diamant. L’injure rappelle les humiliations infligées à cette époque aux adolescentes fille-mères recluses dans les asiles maternels par la bonne société quand religieuses ou sages-femmes laïques leur lancent des « comment, à 15 ans, pouvez-vous coucher avec des hommes …? ». Alors qu’elles étaient enceintes d’un garçon de leur âge, leur premier et unique amour …

Des maux, mais pas les mots…

Le 11 septembre 1958, la veille de son départ de la colonie de vacances, H lui fera l’aumône d’une ultime (partie de) nuit, qui réactive sa dépendance et ses faux espoirs. L’auteure n’en finit pas de s’étonner de la « disproportion inouïe entre l’influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne ». Effectivement. Si, à son retour, elle fanfaronne  de ses expériences auprès de ses amies, elle ne réalise pas qu’elle a vécu un séisme dont l’onde de choc se propagera dans tout son corps. Si elle n’a pas encore Les mots pour le dire, comme le titrera plus tard Marie Cardinal, son corps aura très vite les maux pour lui dire de façon radicale. « Mon sang s’est arrêté de couler dès le mois d’octobre ». Aménorrhée, le diagnostic médical est tombé, rassurant la mère puisque « la tragédie n’a pas eu lieu ». Il faut comprendre que « c’est dans des romans devenus illisibles, des feuilletons féminins des années 50, qu’on peut approcher le caractère immense, la portée démesurée de la perte de la virginité. De l’irréversibilité de l’événement ».

Elle n’oublie pas H, elle est obsédée par le désir de le reconquérir l’été suivant. Pour parvenir à ses fins, elle pense qu’elle doit se transformer  radicalement. Pour l’éblouir. Dans sa tête, un rétro-planning exigeant qui aura l’unique mérite de mobiliser son énergie : acquérir de nouvelles compétences (nager, danser, conduire), briller intellectuellement, devenir blonde, maigrir…. Le piège est là, dans ce dernier mot. « Depuis la rentrée de janvier, j’ai cessé de me nourrir au foyer d’autre chose que d’un bol de café au lait le matin, de la mince tranche de viande servie tous les midis, de la soupe le soir ». Elle craquera, bien sûr, notamment dans l’épicerie de ses parents. Elle glisse dans le tsunami de l’anorexie/boulimie. Elle fait cependant une bonne année scolaire en classe de Philo, ses résultats lui permettent de choisir de longues études. Pourtant, face à l’arrogance tranquille des filles de la bourgeoisie, elle intègre la différence de classe et rejoint finalement l’ambition modeste de son père qui « exulte quand il apprend qu’elle ne veut plus continuer, qu’elle veut entrer à l’École normale d’institutrice ». Brillamment reçue au concours d’entrée, deuxième sur soixante, elle intègre l’école en septembre 1959. Elle n’y fera pas long feu, «  vous n’avez pas la vocation, vous n’êtes pas faite pour être institutrice ». Rejet brutal, mais salvateur.

Le deuxième sexe de Simone

Elle se rapproche d’une compagne de déboires à la rentrée de janvier 1960. Elles font un projet commun, « quitter l’École normale, aller travailler comme filles au pair en Angleterre, revenir et entrer à la fac de lettres en octobre ». La découverte des écrits de Simone de Beauvoir contribue, à cette époque, à de nombreuses prises de conscience. Le dépaysement de l’expérience anglaise l’aide à se dépoussiérer de la honte, à entreprendre sa reconstruction. A la rentrée universitaire, elle « vit dans une effervescence intellectuelle, une expansion heureuse ». Elle s’abonne aux Lettres Françaises fondées et dirigées par Aragon, lit Robbe-Grillet et Sollers. « A la première dissertation littéraire de mon groupe de travaux pratiques, j’ai eu la meilleur note ». La plénitude de l’esprit a raison enfin du corps qui cède. « Mon appétit est redevenu celui d’avant la colonie. J’ai  revu le sang fin octobre ». Avec l’acharnement d’une archéologue et la précision d’une entomologiste, l’écrivaine ne néglige aucun signe, aucune trace pour s’approcher de sa vérité, plutôt de la vérité de l’instant. Comme toujours, lecteurs et lectrices ne lâchent un livre d’Annie Ernaux qu’à regret. Certainement parce que « écrire n’est pas pour moi un substitut de l’amour, mais quelque chose de plus que l’amour ou que la vie », confesse l’auteure.

Commence alors le travail de résonance en chacun(e)… « Il y aura forcément un dernier livre, comme il y a un dernier amant, un dernier printemps, mais aucun signe pour le savoir », écrit Annie Ernaux. Que cette mémoire de fille-là ne soit pas le dernier ouvrage de cette écrivaine majeure de notre temps. Chantal Langeard

Mémoire de fille, Violette Campo : jusqu’au 26/07 à 13h, relâche les 08-15-22/07. Présence Pasteur, 13 rue Pont-Trouca, 84000 Avignon (Tél. : 04.32.74.18.54).

Mémoire de fille, Pauline Ribat : sous le patronage de la SACD, le 11/07 à 16h, salle Tchaïkovski. Conservatoire de danse, 20 Rue Ferruce, 84000 Avignon (Tél. : 04.32.44.46.95).

Annie Ernaux, Nobel de littérature

Le jeudi 6 octobre 2022, l’Académie royale suédoise décernait son prix Nobel de littérature à Annie Ernaux. Chantiers de culture s’est réjoui fort de cette haute distinction internationale attribuée pour la seizième fois à un écrivain français depuis sa création en 1901. Huit ans après Patrick Modiano, quatorze ans après Jean-Marie Gustave Le Clézio, Annie Ernaux est couronnée pour l’ensemble de son oeuvre : des Armoires vides, son premier livre en 1974 au Jeune homme paru en mai 2022.

En 1984, Annie Ernaux reçoit le prix Renaudot pour La place, en 2008 de multiples prix pour Les années, dont le prix de la Langue Française et le prix François-Mauriac de l’Académie Française… Du supermarché au RER, de l’avortement à la dénonciation de l’état d’Israël, de l’exploitation à la libération de la femme surtout, aucun sujet n’échappe à la réflexion et à la plume de l’écrivaine. Une femme d’intelligence et de cœur, native de Normandie et citoyenne de Cergy (95). Issue d’un milieu social modeste, une intellectuelle qui n’a jamais oublié ses origines malgré son intrusion dans un autre monde grâce aux études, professeure et agrégée de lettres.

Entre mémoire individuelle et mémoire collective, oscille la plume de la romancière. Qui refuse d’être identifiée sous le label « littérature autobiographique », même si ces écrits s’enracinent dans une enfance et une jeunesse, le rapport aux géniteurs et à une culture sociale qui lui sont propres…

« Je me considère très peu comme un être singulier, au sens d’absolument singulier, mais comme une somme d’expérience, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent), le tout formant, oui, forcément, une subjectivité unique. Mais je me sers de ma subjectivité pour retrouver, dévoiler les mécanismes ou des phénomènes plus généraux, collectifs ».

Annie Ernaux revendique une écriture « sans jugement, sans métaphore, sans comparaison romanesque », un style « objectif qui ne valorise ni ne dévalorise les faits racontés ». Affirmant haut et fort qu’il n’existe « aucun objet poétique ou littéraire en soi », et que son écriture est motivée par un « désir de bouleverser les hiérarchies littéraires et sociales en écrivant de manière identique sur des objets considérés comme indignes de la littérature, par exemple les supermarchés, et sur d’autres, plus nobles, comme les mécanismes de la mémoire ou la sensation du temps ».

Une oeuvre puissante, attachante et bouleversante, telles L’autre fille et Mémoire de fille… En 2011, est parue dans la collection Quarto une anthologie intitulée Écrire la vie, comprenant la plupart de ses écrits d’inspiration autobiographique et proposant un cahier composé de photographies et de larges extraits de son journal intime inédit. Yonnel Liégeois

L’oeuvre d’Annie Ernaux est publiée essentiellement chez Gallimard, dans la collection de poche Folio.

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Un oiseau à la mer !

En tournée dans les centres de vacances de Bretagne, la metteure en scène Lisa Guez présente Loin dans la mer. Librement inspiré du conte d’Andersen, La petite sirène, un spectacle superbement interprété par l’originale bande de comédiens de l’Oiseau-Mouche.

Elle en rêve, la petite sirène, de cette belle paire de chaussures à talons ! Pour s’en aller, Loin dans la mer, rejoindre la terre ferme, retrouver son prince qu’elle a sauvé de la noyade et dont elle est tombée amoureuse… Un projet ambitieux, si l’amour a vocation à soulever des montagnes, pour l’heure il provoque bien des remous et des vagues. Au fond des mers, son audace surprend, étonne, désarçonne ses amis et proches. Les uns approuvent le projet fou de la petite sirène et l’encouragent, les autres s’interrogent et la mettent en garde : que sait – elle du monde des humains ? Que penser de ce garçon dont elle a juste entrevu le visage ? Prise aux filets de ses rêves et des belles histoires que ne cesse de lui conter la grand-mère des poissons, elle s’obstine et mord de plus belle à l’hameçon : quitter les bas-fonds et faire enfin surface !

Entre le monde d’en haut et celui d’en bas, comédiens et comédiennes (Marie-Claire Alpérine, Dolorès Dallaire, Chantal Foulon, Frédéric Foulon, Kévin Lefebvre) s’en donnent à cœur joie pour dépeindre les deux univers. Passant de l’humour à la tendresse, du rire aux larmes au fil des aventures de l’héroïne : contrainte de céder aux injonctions de la sorcière, condamnée à perdre la langue pour accéder à la forme humaine, incapable alors de raconter l’histoire de son amour transi à l’amoureux enfin retrouvé ! Une mise en scène inventive et enjouée, des lumières savamment dosées, quelques effets nuageux pour imager l’écume des vagues et la douceur des embruns qui colorent l’espace scénique…

Sise à Roubaix, composée d’artistes professionnels handicapés mentaux ou psychiques, la troupe de l’Oiseau-Mouche fait preuve d’un grand talent à nous conter cette histoire à l’inspiration et aux interrogations bien contemporaines : les chemins tortueux de l’amour entre fantasmes et vie réelle, entre le quotidien et l’imaginaire ? Le respect de la différence entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, les accidentés de la vie et les prétendus bien-portants ? Le droit de chacun à la parole, à s’exprimer quels que soient sa place et son statut ? Une tempête d’émotions, plaisir garanti aux quarantièmes rugissants, un spectacle pétillant de créativité ! Qu’on se le dise, la compagnie de l’Oiseau-Mouche fourmille de qualités. Auxquelles nous avions déjà goûté lors de Bouger les lignes-Histoires de cartes, la création de Bérangère Vantusso.

Un plaisir renouvelé, lorsque la chorégraphe Julie Desprairies avait ouvert la saison avec un spectacle de belle intelligence et de haute créativité : de la cave au grenier, un périple poético-ludique, à forte dose humoristique, des lieux où ils chantent, répètent et jouent. L’un dansant en un langoureux déshabillé, l’autre psalmodiant tirades et vers avec force conviction, l’une jouant à la transformiste dans la réserve des costumes, l’autre déclamant divers couplets allongée sur le lit du studio de résidence des artistes de passage. Avec un final du plus bel effet, comique garanti : porte du garage ouverte, une partie de la troupe se donnant en spectacle en pleine rue, déambulant entre voitures et poubelles stationnées sur le trottoir ! Aussi, n’hésitez point si vous êtes dans les parages, osez l’envol, franchissez la porte, une sacrée bande d’allumés, garçons et filles sous leur plumage et maquillage, vous accueillera de son plus bel imaginaire ! En outre, cerise sur le gâteau, avec un menu varié en cas de grande faim, le restaurant du Colibri partage son nid.

Fondée en 1978, unique en France, la troupe de vingt permanents confie son sort, au fil des saisons et des spectacles, à un metteur en scène invité : David Bobée, Nadège Cathelineau, Boris Charmatz, Noëmie Ksicova, Michel Schweizer… « Chacune de ces créations reflète l’originalité et la complicité d’une rencontre entre l’artiste et la compagnie », témoigne Léonor Baudouin, la directrice du lieu. « Ce mode de travail permet une diversité de formes et de formats artistiques qui symbolise nos valeurs d’ouverture et de diversité ». Enfin, l’ancrage dans le territoire déborde la région Nord. L’objectif ? Bouger les lignes, brouiller les pistes, rebattre les cartes en Avignon, comme à Paris et à l’étranger, au sujet de la pluralité artistique.  Yonnel Liégeois

Loin dans la mer, écriture et mise en scène de Lisa Guez. Tournée dans les centres de vacances de la CCAS : le 07/07 à Baden, le 08/07 à Bénodet, le 10/07 à Plonévez-Porzay, le 11/07 à Trégastel, le 12/07 à Morgat. L’Oiseau-Mouche, 28 avenue des Nations Unies, 59100 Roubaix (Tél. : 03.20.65.96.50).

La Petite sirène brûle d’une flamme impossible pour le prince qu’elle a sauvé du naufrage. Elle sacrifie sa voix pour avoir des jambes et une chance d’être aimée. Loin dans la mer questionne la douleur d’un amour rejeté, le désir et la peur d’être différent. L’adaptation du conte prend toute sa force dans l’interprétation des comédiens de l’Oiseau-Mouche. Cette troupe d’acteurs permanents, en situation de handicap, formés à toutes les expériences et esthétiques de la scène, reste une utopie. On le découvre encore dans cette création puissante et subtile. Marina Da Silva, critique dramatique

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Avignon, le Verbe incarné

Quand retentit la trompette de Maurice Jarre à l’heure des spectacles IN du festival d’Avignon, la Chapelle du Verbe Incarné, dédiée aux créations d’Outre-Mer, s’impose parmi les 139 théâtres du OFF. Dirigé par Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain, un lieu que salua en son temps Édouard Glissant, le grand poète et romancier antillais.

« L’histoire de la Chapelle du Verbe Incarné, à partir du moment où elle a commencé d’être un lieu de théâtre, confirme un tel cheminement, et consacre un tel passage, de l’invitation à la relation, à la présence de la diversité, au chant du monde chanté par les poètes. Nous nous y reconnaissons donc, qui entrons ensemble dans cette nouvelle région du monde (un théâtre de la totalité), que nous nous offrons mutuellement ».

« Grâces en soient pour cette fois rendues à Marie-Pierre Bousquet et à Greg Germain. Grâces en soient louées, pour les vieilles pierres et les mots neufs. De la face de cette Chapelle au remuement du monde. La façade de tout théâtre, ou l’ouverture d’espace qui en tient lieu, est de toutes les manières une horloge muette qui mieux que tout oracle nous indique l’heure qu’il est dans notre vie ».

« Faire entendre la langue du théâtre de celles et ceux que l’on ne voyait que trop rarement sur les scènes de l’hexagone. Pourtant quelles extraordinaires richesses culturelles entre la France, la Caraïbe, l’Afrique, l’Océan Indien et tout ce vaste monde des Grands Larges. C’est long, très long de convaincre de la beauté, de la diversité, de la richesse qui se dévoilent lorsque s’entrechoquent des imaginaires divers… »

 « La vie du théâtre, dans sa recherche de cette totalité qui ne serait pas totalitaire, est d’abord de tremblement. Ce qui nous étonne dans la programmation de ce lieu-ci, c’est qu’elle nous a donné à fréquenter des installations de scène qui ont allié les calmes sérénités des traditions les plus fondées, ou leurs transports les plus ingénus, d’Océanie, de la Caraïbe ou des Amériques, aux hésitations de formes de théâtre qui s’essayaient là et qui, venues elles aussi du monde, approchaient en effet le monde, tâtant et devinant. Il n’était pas étonnant qu’un tel effort fût mené en Avignon, où les théâtres de vrai se bousculent, s’interrogent et s’insurgent, et où les fumées  montent de partout, parmi les carnavals d’affiches et les bals d’échasses ».

« Ces fumées des flambeaux, flambées des mots qui brûlent en chacun, sont un autre lieu de mise en scène du monde, comme le sont éternellement nos Baies et nos Anses, autour de leurs Rochers prophétiques ». Édouard Glissant

La chapelle, toute une histoire !

 C’est en 1997 que le comédien Greg Germain, en compagnie de Marie-Pierre Bousquet, obtient, par convention avec la ville d’Avignon, le droit d’occuper la Chapelle du Verbe Incarné, une ancienne chapelle désaffectée. L’enjeu ? En incluant les créateurs d’Outre-Mer dans le concert culturel national, permettre que l’identité culturelle soit reconnue comme un élément de la richesse culturelle de la France d’aujourd’hui, et non comme un motif d’exclusion explicite ou implicite.

L’année suivante, celle du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, la première édition du TOMA, Théâtres d’Outre-Mer en Avignon, y est donnée !

Depuis lors, la Chapelle s’est imposée en notoriété et qualité. Désormais incontournable dans le paysage artistique du festival, donnant à voir et applaudir talents et créations d’Outre-Mer et d’Afrique, faisant connaître la diversité des théâtres de langue française, créant des liens entre artistes par la confrontation et l’exigence des regards croisés, instaurant parmi les opérateurs du théâtre dans l’hexagone une réelle prise en compte des compagnies de l’Outre-Mer en les intégrant aux circuits de diffusion nationaux. Yonnel Liégeois

La Chapelle du verbe incarné, 21G rue des Lices, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.14.07.49).

Une sélection pour l’édition 2025

Comment devenir un dictateur : Dresseur de tyrans depuis toujours, le Formateur apprend à la prochaine génération de dictateurs les recettes du pouvoir. Manipulation, mensonge, usage de la force… Tout y passe ! Une formation nécessaire pour contrôler toute population récalcitrante. Créé à la Réunion, terriblement d’actualité, Comment devenir un dictateur est un seul en scène qui s’amuse du pouvoir et des figures marquantes qui l’ont détenu trop longtemps. C’est un cri d’alerte pour l’auteur et comédien du spectacle, Nans Gourgousse. Pour la metteuse en scène, Camille Kolski, c’est une formidable machine à jouer.

Entre les lignes : Un solo de danse inspirée qui rend hommage aux petites mains ouvrières qui ont participé à l’essor de l’industrie textile. Entre les lignes, de la chorégraphe Florence Boyer, met en dialogue les gestes textiles de trois territoires français : mouvements des ouvrie·re·s et des machines à tisser de Roubaix, des broderies de Cilaos à la Réunion et des gestes de l’art tembé des noirs marrons de Guyane…. Le travail de la vidéo ajoute diverses couches de sens permettant à la chorégraphe et interprète de faire revivre cette époque où malgré tout, ce qui est ravivé est le souvenir de la solidarité, de ces attentions et manière de prendre soin. Une pièce qui invite à prendre soin de soi… pour mieux prendre soin des autres… du vivant… des visibles et des invisibles.

Laudes des femmes des terres brûlées : Quatre soeurs, femmes mythiques, allégories des quatre points cardinaux, elles régissent l’orientation des civilisations. À quel moment, leur pouvoir leur a-t-il échappé ? En ces temps, elles interrogent la Déesse-Mère, le Monde, leurs Chimères, comme les enfants d’une mère absente, au soir de leur vie… Ce sera le jugement des morts, rite des peuples marrons de Guyane, pour la mère silencieuse. Comme des Reines-Mages, les soeurs se retrouvent au mitan de la nuit pour le jugement profane… « Femmes premières, c’est vers notre mère que nous cheminons, jusqu’au bord du monde. Oui, Mère, par ce jour et par cette nuit profanes, nous allons te juger… Répondez à mon chant, mes sœurs ! Pour vous guider jusqu’à moi, le vent vous le portera…». Odile Pedro Leal texte et mise en scène, poèmes de Marie-Célie Agnant, Le grand théâtre itinérant de Guyane

Kanaky 1989 : En 1988, Fani et sa sœur partent vivre en Nouvelle-Calédonie. Les violences qui secouent l’île et la mort de Jean-Marie Tjibaou sont des chocs pour les enfants qu’elles sont. Mais il faut bien questionner ce qui nous a marqué, ce qui nous a fait grandir ou laisser terrorisé par la violence du monde. Questionner les événements qui, malgré tout, nous constituent, en bouleversant les relations familiales et en détruisant nos rêves d’enfant. Kanaky 1989 lie la petite et la grande histoire, l’histoire intime et l’histoire universelle. À travers le regard des différents protagonistes, il s’agit aussi de retracer la vie de Jean-Marie Tjibaou, ses combats, ce moment déterminant de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. La parole est partagée comme une confidence pudique mais sincère. L’Histoire avec un grand H n’a de sens que dans l’émotion qu’elle crée en chacun de nous. Fani Carenco, texte et mise en scène

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La patte de Feydeau

Au théâtre Le Lucernaire (75), Florence Le Corre et Philippe Person mettent en scène Un fil à la patte. Le premier grand succès populaire de Georges Feydeau. Avec des comédiens endiablés issus de l’école parisienne du théâtre du Lucernaire.

Fernand de Bois-d’Enghien n’est pas un joli coco. Mais il a belle allure, il sait embobiner femmes et familles. Pour preuve, ce soir il doit épouser la charmante et désabusée Viviane Duverger, fille de la baronne du même patronyme. Mais parce que ce Bois-d’Enghien est un couard, il ne dit rien à son amante du moment, la belle et charmante Lucette Gautier, chanteuse de son état et réellement amoureuse du bonhomme. Voilà pour l’intrigue de ce Fil à la pattepremier succès populaire de Georges Feydeau. Pour peu que la mécanique soit bien huilée, il faut dire que la pièce est une succession de gags et de quiproquos d’une drôlerie absolue. La mise en scène de Florence Le Corre et Philippe Person, de facture certes classique, développe tous les atouts du succès. Avec ce Fil, le théâtre parisien du Lucernaire propose un spectacle rafraîchissant jusqu’à la fin du mois de juillet.

Un vaudeville haut de gamme

Le soir de notre venue, les personnages, plus ébouriffants les uns que les autres, étaient interprétés par Nina Bard-Bonnet, Faïrouzou Anli, Julien Jansen, Julien Bottinelli, Jean-Gérald Dupau, Alexandre Jaboulet, Mathilde Réchaux, April Civico et Théo Brugnans. Trois équipes jouent en alternance, tous issus de l’école du Lucernaire, que dirige Philippe Person. Personne ne rechigne à la peine, et le succès est au rendez-vous. Feydeau, qui se plaisait à raconter qu’il pourrait bien être le fils de Napoléon III – ce que lui aurait dit sa mère née Leokadia Bogusława Zalewska – plutôt que celui de l’écrivain Ernest Feydeau, a toujours écrit des farces. Après quelques années sans éclat au théâtre, l’auteur renoue avec le succès dès 1886 avec Tailleur pour dames. Viendront ensuite d’autres pièces toujours reprises comme Monsieur chasse, Le système Ribadier, La dame de chez Maxims, etc… Mais déjà, Un fil à la patte possède tous les ingrédients du style « vaudevillesque », caractérisé par des situations sans grande profondeur psychologique. Les maris (cocus) y sont légion, comme les épouses sans complexe, et des pièces comme On purge bébé ou bien encore Mais ne te promènes donc pas toute nue en sont de beaux exemples.

Les mœurs sont légères dans le vaudeville et les portes claquent souvent. C’est ainsi que Bois-d’Enghien se retrouve en caleçon (long) sur le palier de son appartement avec la clé à l’intérieur. Mais ces morceaux de bravoure ne sont cependant pas dénués de critique. Car c’est bien la société de son temps que vilipende gentiment l’auteur. En montrant que c’est l’argent et le brillant du paraître dans le beau monde qui guide la plupart des protagonistes. En fait, seule Lucette est sincère et donc malheureuse dans cette aventure. Gérald Rossi, photos Raphaei Marchand

Un fil à la patte, Florence Le Corre et Philippe Person : jusqu’au 27/07, du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 17h. Théâtre Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris (Tél. : 01.45.44.57.34).

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L’espoir de Valérie Lesort

Au théâtre de l’Atelier (75), Valérie Lesort propose Que d’espoir ! La mise en scène des textes du dramaturge israélien Hanokh Levin, disparu en 1999. Un propos toujours cru, un univers poétique et comique totalement imprévu.

Par définition, le genre cabaret est une succession de sketches, plus ou moins musicaux, plus ou moins emplumés, plus ou moins délirants, plus ou moins hors du temps. Que d’espoir !, mis en scène par Valérie Lesort, coche toutes les cases, et d’autres aussi. En s’emparant des textes écrits par Hanokh Levin (mort à 55 ans en 1999), elle surfe en parallèle sur l’humour de ces textes et sur l’amertume de la destinée humaine. Le dramaturge israélien a écrit de nombreuses pièces de théâtre, des romans et poèmes. Ainsi que des textes assez inclassables, comme ce Que d’espoir ! paru aux éditions théâtrales en 2007 dans la traduction française de Laurence Sendrowicz. « Hanokh Levin dépeint avec un humour décapant et une grande tendresse notre misérable condition humaine. Il explore, comme personne, nos angoisses existentielles, notre course effrénée derrière un bonheur chimérique », commente Valérie Lesort.

Sur la scène, Hugo Bardin, David Migeot, Céline Milliat-Baumgartner, en alternance avec la metteure en scène, sont tous excellents dans leurs rôles décalés et totalement déjantés. Sans oublier le remarquable Charly Voodoo au chant et au piano. Depuis 2015, le chanteur qui officie au cabaret parisien de Madame Arthur fait ici la démonstration de ses ondes positives pour ensorceler toute une salle. Tout ce petit monde bénéficie des étonnants costumes et prothèses multiples créés par Carole Allemand. Car si Que d’espoir ! doit beaucoup au texte des scènes qui se succèdent et au jeu de chacun, les tenues sont autant délirantes. Qu’il s’agisse des plus que généreuses poitrines féminines, des pectoraux masculins, ou des fessiers rebondis comme peuvent l’être ceux des peintures et sculptures du colombien Fernando Botero. Le tout dans des couleurs franches, vertes, jaunes, rouges… Des masques complètent le tableau avec des chevelures bien peignées qui pourraient faire penser à des personnages en plastique de la compagnie Playmobil sous ecstasy.

On croise des individus qui n’ont plus qu’un rapport distendu avec le sens commun. Tel ce client de l’hôtel demandant à la réception qui le bordera dans son lit, ou cette femme qui refuse de « passer le sel » et pique une crise reprochant à son mari d’être « tout ramolli », pas seulement dans son attitude d’homme courtois en public, mais au lit bien sûr ! Le sexe, comme d’autres thèmes, est source de plaisanteries imagées. Le propos est cru, sans ambiguïté, avec des urgences pipi-caca en prime. Impossible de ne pas rire devant ce burlesque assumé. Avec, dans le même viseur, un regard vers le bout du chemin inévitable pour tout un chacun. Le rire est réservé aux vivants ! Gérald Rossi, photos Frédéric Robin

Que d’espoir !, Valérie Lesort : jusqu’au 13/07, les mardi et jeudi, vendredi et samedi à 21h. Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, 75018 Paris (Tél. : 01.46.06.49.24).

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Sarah Pèpe, le dire ou pas ?

Au Local des autrices (75), Sarah Pèpe présente Celle qui ne dit pas a dit. Superbement orchestrée, la parole libératrice de trois femmes face à des parcours de vie au travail trop bien ordonnés. Une pièce emblématique, à l’affiche d’un lieu consacré aux écritures féminines.

Un même lieu de travail, trois blouses aux couleurs différentes, trois femmes au discours clairement identifié : celle qui dit, celle qui dit après, celle qui ne dit pas… Qui a pouvoir et devoir à interpeller le patron ? Comment exprimer mécontentement et revendications ? Les réparties fusent, échanges serrés entre trois femmes au profil qui ne trompe pas : la taiseuse toujours en retrait, la suiveuse au propos sans risque, l’allumeuse au tempérament bien trempé. Une étrange impression, toute aussi réjouissante que déconcertante, à l’heure où s’allument les dialogues sur scène : dans la joute verbale entre les enjeux de dire et les raisons de ne point dire, superbement écrite et orchestrée, on se croirait plongé dans un sketch à la Raymond Devos !

Avouons-le d’emblée, une jolie rencontre que celle avec l’imaginaire de Sarah Pèpe, découverte lors de son « seule en scène » Croî(t)re ? Ou la fulgurante chute de Mme Gluck… et son irrésistible ascension. La comédienne et metteure en scène excelle dans le maniement des mots et la gestuelle des corps. Une écriture sobre, efficace, une construction fine et équilibrée de dialogues qui touchent leur cible en flèches acérées, un esprit qui se nourrit d’humour et de réparties follement décalées, un travail au plateau où dansent les mots quand le jeu des comédiennes métamorphose le trio d’interprètes en corps de ballet : avec Celle qui ne dit pas a dit, une bluffante incarnation de figures féminines qui, au travail ou à la maison, osent la transgression.

Avec ce coup de théâtre fracassant, au détour d’une scène anodine : elle a osé ! Sans informer ses collègues et copines, celle qui ne dit pas a osé : parler, dire au petit ou grand chef ce qui ne va pas, s’exprimer, se libérer de ses peurs et de ses souffrances. De son silence, surtout… C’est émouvant, fort, poignant quand la parole se libère, quand trois femmes au bord de la crise de nerfs se retrouvent unies, complices solidaires pour affronter l’à-venir. Un superbe moment d’authenticité et de parler vrai, du sérieux et de l’humour intelligemment conjugués, face aux conditions de travail avilissantes un subtil regard « décalé » qui préserve de la prise de tête sur l’aliénation capitaliste.

Trois filles inspirantes (Sonia Georges qui dit après, Mayte Perea Lopez qui ne dit pas, Sarah Pèpe qui dit) qui chavirent les à priori, dits et non-dits du public. Yonnel Liégeois

Celle qui ne dit pas a dit, texte et mise en scène Sarah Pèpe : Les lundi 09-16-23/06, à 20h. Le local des autrices, 18 rue de l’Orillon, 75011 Paris (Tél. : 06.87.37.13.12). Du 05 au 26/07, la majorité des pièces programmées durant la saison au Local se retrouvent à l’affiche du Théâtre des Lila’s, sa version avignonnaise durant le festival Off.

Le local des autrices

Situé à Belleville, dans le 11ème arrondissement de Paris et porté par Sarah Pèpe, autrice, metteuse en scène et comédienne, le Local des autrices ambitionne de mettre en lumière les voix féminines, encore trop souvent invisibilisées. Avec sa programmation engagée, le lieu s’annonce comme un espace vivant, propice aux échanges et aux réflexions autour des thématiques féministes et sociales.

« Le monde artistique a historiquement été conçu par et pour les hommes. Quand on observe nos bibliothèques, nos musées, ou même les grandes scènes de théâtre, on voit principalement des œuvres d’hommes, des récits qui se nourrissent du point de vue et du désir masculins. Ces dernières ont façonné notre vision du monde, et nous avons été exclues de cette narration. Cela a conduit à la marginalisation de nombreuses voix, notamment celles des femmes, des personnes racisées et des minorités.

Mon objectif est de donner aux femmes la possibilité d’investir pleinement cet espace créatif. Et ce faisant, de réinventer l’imaginaire collectif, de l’enrichir en offrant une place centrale aux voix féminines et aux expériences diverses, celles qui ont été spoliées pendant des siècles. C’est aussi une manière de créer un monde plus riche et inclusif, où chaque histoire, chaque perspective a droit de cité. Cela s’inscrit dans une logique d’éducation populaire et de médiation culturelle, au-delà de la simple dimension théâtrale.

Mon ambition à long terme ? Faire de ce lieu un véritable espace de création et de réflexion, où chaque personne se sente légitime à prendre la parole, que ce soit en tant que spectateur.ice ou participant.e. Je souhaite que la voix des femmes et des minorités soit non seulement entendue, mais qu’elle devienne un moteur pour de nouveaux récits et débats. Le local des autrices doit être aussi un carrefour de rencontres humaines, où les gens viennent non seulement pour les spectacles, mais aussi pour rencontrer, échanger, discuter, oser l’altérité.

Enfin, puisque l’argent diminue, puisque tout est fait pour créer de la concurrence entre les compagnies, réinventons l’échange, la mutualisation, le partage des ressources. Une autre façon de faire vivre les lieux de culture ! » Sarah Pèpe, propos recueillis par Périne papote

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Valentina, une histoire de cœur

Au théâtre des Abbesses (75), Caroline Guiela Nguyen présente Valentina : une enfant roumaine se fait interprète pour sa mère, venue se faire soigner en France. D’un battement de cœur l’autre, la froideur du monde médical et l’inflexibilité du système scolaire.

Avec les outils du conte et aux frontières du documentaire, Caroline Guiela Nguyen nous entraine dans le parcours tortueux qui mène une jeune Roumaine à jouer les interprètes pour sa mère malade, venue se faire soigner en France. La fillette de neuf ans est confrontée à une série d’épreuves, à l’école comme à l’hôpital, dont elle sortira non sans encombres. Après des pièces chorales, comme Lacrima dont l’action a lieu au cœur d’un atelier de haute couture à Paris, de dentelle à Alençon et de broderie à Mumbaï, Carolyne Guiela Nguyen se focalise sur un récit plus intime, présenté en ouverture des Galas du Théâtre national de Strasbourg, qu’elle dirige depuis 2023.

Exil et santé

Ce nouveau festival rassemble dans tous les lieux du TnS « des artistes qui ont créé leurs spectacles avec des personnes dont les trajectoires de vie n’ont pas encore rencontré nos plateaux ». Y fut programmé Marius, d’après Marcal Pagnol, créé par Joël Pommerat avec des détenus. Dans le même esprit, Valentina est joué par une mère (Loredana Iancu) et sa fille Angelina (en alternance avec Cara Parvu), rencontrées parmi des personnes de la communauté roumaine et rom venues passer des auditions pour le projet. La metteuse en scène souhaitait explorer une langue latine, proche du français, mais pas suffisamment pour être comprise quand il s’agit de parler de pathologie complexe, de patient à médecin. La pièce est née d’une rencontre avec l’association Migrations Santé Alsace qui favorise l’accès des populations exilées aux soins de santé, notamment grâce à des interprètes. C’est là qu’elle a appris que, « faute de professionnels pouvant assurer la traduction, les familles avaient recours à leurs propres enfants ».

« Il était une fois », annonce une voix off qui accompagnera les épisodes de Valentina. Mais cet appel à l’imaginaire et au merveilleux est vite rompu par une question bien réelle. Comment, une fois arrivée en France avec sa fille, la maman va-t-elle se débrouiller pour se faire entendre du médecin et saisir ses explications ? Arrivera-t-elle a faire réparer son cœur qui flanche ? Après de vaines tentatives par gestes ou traductions de son téléphone, elle n’a d’autre solution que de s’en remettre à Valentina qui a vite appris le français à l’école. La fillette est alors confrontée à la gravité de la maladie maternelle et se sent également obligée de mentir à l’école pour couvrir ses absences et garder secret l’état de sa mère. La tâche est trop lourde pour la petite : elle est prise au piège de ses propres mensonges, sa mère la voit dépérir sans rien y comprendre, isolée dans sa langue. Seul un miracle pourra sauver la situation. Il advient par la magie  de l’amour et la narration se boucle sur un happy end.

Du conte au documentaire

Le réalisme de la mise en scène, appuyé par la présence constante d’une caméra qui projette en gros plan les faits et gestes des comédiens, entre en contradiction avec l’univers du conte. D’autant que les battements de cœur qui, au plateau, soulignent les émotions des personnages, tirent la pièce vers le pathos. La féérie a du mal à opérer. Pour autant, on se laisse davantage convaincre par l’aspect documentaire du projet. Il renvoie à des histoires bien réelles : face au droit fondamental de se soigner que les institutions publiques devraient leur garantir par souci d’égalité, certaines personnes allophones n’y ont pas accès faute d’interprètes. Les questions de langue et de traduction sont l’autre fil rouge qu’on peut suivre pour apprécier ce spectacle.

La metteuse en scène s’y entend à passer d’un idiome à l’autre, à faire valser les sonorités chez les acteurs. Les mots s’entrelacent et se mêlent aux accents des violons de Marius Stoian et Paul Guta, deux autres Roumains embarqués dans cette aventure. On entre en sympathie avec Loredana Iancu, parfaite en femme vaillante et mère dévouée. Angelina Iancu pétille de malice et d’intelligence : elle excelle dans son rôle d’interprète simultanée et de petite menteuse, jouant avec nuance et retenue les épreuves que traverse l’héroïne. Chloé Catrin, tour à tour cardiologue et directrice d’école, incarne la froideur du monde médical et l’inflexibilité du système scolaire. Mireille Davidovici, photos Jean-Louis Fernandez

Valentina, Caroline Guiela Nguyen : jusqu’au 15/06, du lundi au samedi à 20h (relâche le jeudi), le dimanche à 15h. Théâtre des Abbesses, 31 Rue des Abbesses, 75018 Paris (Tél. : 01.42.74.22.77). Du 16/09 au 03/10, TNS de Strasbourg. Du 08 au 12/10, Célestins de Lyon. Valentina ou la vérité est paru chez Actes-Sud-Papiers.

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Fragile et attachante ménagerie !

Jusqu’au 01/06, au Lucernaire (75), Philippe Person propose La ménagerie de verre. Le premier grand succès de Tennessee Williams, avec des comédiens sensibles et attachants. Un univers familial banal, mais plutôt déglingué. Sans oublier la 12ème édition de la Biennale internationale des arts de la marionnette  organisée en Île-de-France par le théâtre Mouffetard.

Quelque chose ne tourne pas rond chez les personnages de cette Ménagerie de verre, écrite en 1944 par un auteur jusque-là méconnu, un certain Thomas Lanier Williams III pour l’état civil. Tennessee Williams, c’est son nom de plume, devient célèbre du jour au lendemain avec ce texte, pensé d’abord pour le cinéma. Il a trente-quatre ans. S’enchaînent alors les succès et les récompenses, comme pour le toujours célèbre Tramway nommé désir, joué 885 fois à New York puis porté à l’écran par Elia Kazan. Tennessee Williams est un auteur prolifique, en même temps qu’un homme qui affronte la vie avec difficulté. S’en suivent traitements médicaux, vie sentimentale tendue, drogue et boisson…

Entre fiction et monde réel

Son œuvre en témoigne, dès cette Ménagerie de verre, souvent présentée comme en bonne partie autobiographique. Le père de Tennessee était un homme imprévisible et celui évoqué dans la pièce en est un reflet aux contours acides. Sur la scène du Lucernaire, la photo accrochée au mur pourrait être la sienne. C’est en fait celle de l’auteur, ce qui a pour effet d’accentuer l’intimité, la proximité entre la fiction et le monde réel. La mise en scène de Philippe Person veille à cette sensibilité confortée par le jeu des acteurs.

Tom Wingfield, interprété par Blaise Jouhannaud, travaille dans le service des expéditions d’une usine de chaussures. Comme l’auteur dans sa jeunesse. Tom veut fuir sa condition misérable et l’univers familial, souvent drôle mais étouffant. Le soir, il dit aller au cinéma. Peut-être ment-il ? Peut-être va-t-il retrouver quelque ami ou compagnon d’infortune ? Amanda Wingfield, la mère, interprétée par Florence Lecorre, tente de maintenir le groupe à flot. Tâche ardue depuis la fuite du père. Alors elle se réfugie dans son passé, quand elle savait parler aux garçons et les ensorceler. Mais c’était hier. Avant-hier même. Aujourd’hui, il est plutôt question de caser Laura, interprétée par Alice Serfati. La jeune fille boitille, mais surtout souffre d’une timidité paralysante. Ce qui ne rebuterait pas Jim (Antoine Maabed) jeune homme invité un soir, mais déjà engagé auprès d’une autre demoiselle.

Pas désespérés, juste broyés

Laura n’est pas en phase avec les espoirs des uns et des autres. Elle n’est pas une demeurée, juste une jolie jeune fille perdue dans le monde. Tom essaie d’exister sans éteindre trop tôt sa jeunesse, Amanda tente toujours d’éviter le naufrage. Même si elle sait qu’elle écope parfois le Titanic avec une petite cuillère… On l’aura compris, et ce n’est pas dévoiler un peu plus l’intrigue, que de dire que rien ne va en s’améliorant. Il faut souligner le dynamisme et la délicatesse du jeu de chacun, jamais réduit à des inadaptés à la vie sociale. Les personnages de cette ménagerie ne sont pas désespérés, rien que broyés par une société où les salaires sont misérables, les emplois rares et les rêves vraiment innombrables. Gérald Rossi, photos Juliette Ramirez

La ménagerie de verre, Philippe Person : jusqu’au 01/06, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30. Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris 6e (Tél. : 01.45.44.57.34).

La marionnette dans tous ses états

Jusqu’au 28/05, le théâtre Mouffetard (Centre national de la marionnette) organise la 12ème édition de la Biennale internationale des arts de la marionnette. Des spectacles qui font la part belle à la création contemporaine, engagée et militante, à voir à Paris ou en divers lieux d’Île-de-France : Pantin, Noisy-le-Sec, La Courneuve, Montreuil. Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine. Réservation sur place ou au Théâtre Mouffetard, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris (Tél. : 01.84.79.44.44).

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Guerre d’Algérie et propagande tenace

Dès que pointe un espoir de reconnaissance des crimes commis pendant la guerre d’Algérie, une nouvelle polémique enflamme le débat et la propagande se met en branle. Jean-Marie Le Pen, un para respectable ? Jean-Michel Apathie, un révisionniste ? La guerre chimique, une chimère ? Les travaux des historiens démontrent le contraire. Il est temps de stopper les surenchères.

« La bataille d’Alger », film de Gillo Pontecorvo (1966)

« Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? », déclarait Jean-Michel Apathie le 25 février sur RTL. Suspendu d’antenne, il a décidé de quitter la radio, non sans explications. « J’ai été roulé dans le mépris et l’injure par le « Bolloréland ». Cyril Hanouna m’a insulté, c’est un réflexe. Pascal Praud m’a insulté, c’est corporate », écrit-il sur le réseau X. « Jean-Michel Apathie a eu l’audace extraordinaire de faire une comparaison qui ne choque absolument pas les historiens », déclarait le 6 avril Fabrice Riceputi dans l’émission La Dernière sur Radio Nova. L’élève de Pierre-Vidal Naquet, auteur récemment de Le Pen et la torture. Alger 1957, l’histoire contre l’oubli (Le Passager clandestin, 2024) sait de quoi il retourne. « Il y a avec l’Algérie une pathologie française spécifique, de tout ça les gens ont eu comme récit une mythologie qui date de l’époque coloniale ». Fabrice Riceputi démonte sans mal « la théorie des torts partagés », mettant sur le même plan les crimes commis par les indépendantistes et ceux perpétrés par un État surpuissant. Comme lui, ils sont nombreux à avoir dénoncé et rétabli les faits : Pierre Vidal-Naquet, Jean-Luc Einaudi, Benjamin Stora, Alain Ruscio, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault et tant d’autres. Torture, viols, meurtres, enlèvements perpétrés par l’armée française et couverts par les autorités de l’époque sont largement avérés.

En 1999, le terme de guerre qualifia enfin les crimes commis par l’armée françaises. Les événements médiatiques ont suivi. Il faut lire à ce propos Algérie, une guerre sans gloire de Florence Beaugé qui vient de reparaître au Passager clandestin. Elle y détaille par le menu – et ça remue les tripes – ses six ans d’investigations dès 2000 pour informer les lecteurs du Monde des atrocités commises en Algérie. Le témoignage de Louisette Ighilahriz sur les sévices et les viols qui l’ont à jamais traumatisée fera boule de neige. La journaliste interroge les généraux Aussaresses, Bigeard, Massu et ça rue dans les brancards. Jean-Marie Le Pen intente des procès à tout va à l’encontre des médias qui relatent ses atrocités. « Le Monde » n’y échappe pas. Les responsables du journal comparaissent avec Florence Beaugé qui a retrouvé le poignard égaré dans la Casbah d’Alger en pleine Bataille par l’ancien para. Un couteau des jeunesses hitlériennes avec une croix gammée et un fourreau siglé « J.M.Le Pen, 1er RP ».  Henri Alleg, auteur de La Question, fait sa déposition et déclare : « Florence a fait davantage avec ses enquêtes pour rapprocher la France et l’Algérie que quarante ans de diplomatie franco-algérienne ».

C’était il y a vingt ans. Aujourd’hui, la diplomatie continue à vaciller. Si en 2020, Emmanuel Macron charge Benjamin Stora de « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, il se fait vite girouette. Il accuse la nation algérienne de s’être construite sur « une rente mémorielle » et décide de réduire le nombre de visas accordés aux pays du Maghreb, en raison de leur « refus » de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière. Maintenant, c’est la course à l’échalotte entre le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui menace de démissionner si le bras de fer faiblit sur la question, Laurent Wauquiez qui évoque la réouverture d’un bagne à Saint-Pierre-et-Miquelon quand le garde des Sceaux Gérald Darmanin veut expulser les prisonniers étrangers on ne sait où.

Pendant que les uns et les autres se tirent la bourre pour choper la première place sur le podium, France Télévisions déprogramme un documentaire sur l’usage des armes chimiques durant la guerre d’Algérie. Prévue mi-mars dans l’émission La Case du siècle sur France 5, l’enquête de Claire Billet et Christophe Lafaye Algérie, sections armes spéciales ne sera visible que sur le site de la chaîne, dans un premier temps. Elle révèle « un crime de guerre inconnu sauf de quelques spécialistes. Des milliers de Français ont utilisé des gaz contre des milliers d’Algériens. C’est une information majeure dont on parle très peu. On tape dans un édredon, c’est effrayant », dit Fabrice Riceputi. D’autant que si on ne peut toujours pas faire toute la lumière sur la tragédie de la colonisation française en Algérie, on laisse faire n’importe quoi dans les colonies actuelles, de la Nouvelle-Calédonie à Mayotte. Amélie Meffre

Fabrice Riceputi et ses confrères animent deux sites pour faire la lumière sur la colonisation passée et présente (histoirecoloniale.net) et sur les enlèvements lors de la Bataille d’Alger (1000autres.org).

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Amour, à mort, Amor(t) !

Aux Plateaux sauvages (75), la metteure en scène et comédienne Lou Wenzel présente Amor(t). Entre théâtre et danse, la directrice artistique du Garage théâtre en terre nivernaise s’interroge sur les arcanes de la relation amoureuse : de la séduction au rejet, de la tendresse à la violence. De la beauté formelle à la puissance charnelle, un spectacle d’une rare intensité.

Devant le miroir de la chambre, joliment vêtue dans sa robe d’un rouge éclatant, la jeune femme s’apprête et soliloque tout en fignolant son maquillage. Une ultime petite touche et la voilà parée, enjouée mais inquiète tout de même… « Heureuse », dit-elle, « même si ça ne se voit pas », s’empresse-t-elle d’ajouter ! Son rendez-vous amoureux semble contrarié, il n’est pas encore arrivé, il ne va certainement pas tarder. Comme Madeleine que le grand Jacques attend là avec ses lilas, il n’arrive pas, pour elle son Amérique et son espoir. Une attente qui fait poindre en la mémoire de l’amante un passé autrement plus anxiogène : amour, à mort, Amor(t) ? À dire vrai, une précédente relation sentimentale qui semble générer des souvenirs douloureux : des mots dits et maudits, maux dits ou maux réels, violences physiques ou verbales… Est-ce phantasme ou réalité ? Tandis que l’éprise s’efface en fond de scène, surgis des coulisses ou dessous la couche, jaillissent alors deux couples de danseurs. Qui s’enlacent et se repoussent, s’embrasent et s’éloignent, s’embrassent et s’égarent. Pour toujours, pour un instant seulement ? Nul ne sait encore.

La danse, solo ou duo, prend le pas sur la parole. Tendresse à fleur de peau ou mouvements hachés et saccadés, tantôt langoureuse, tantôt tumultueuse, la gestuelle des corps supplée la litanie des mots. Outre la beauté des êtres animés ainsi ballotés entre passion et répulsion, une chorégraphie ciselée au cordeau qui embarque le public en un ballet de questions : il n’y a pas d’amour heureux, a chanté Aragon le poète, entre force et faiblesse rien n’est jamais acquis ! « Qu’est-ce qui fait que l’amour dérape, nous échappe ? Où se niche la violence en nous, en l’autre ? », s’interroge Lou Wenzel. « Qu’est-ce qui fait aussi qu’on reste debout, qu’on résiste ? ». Un spectacle où la sensualité des corps irradie le plateau, cinq talentueux interprètes sur le fil de l’inconscient qui habillent l’espace scénique de leur imaginaire charnel. Des figures d’une rare intensité où perle l’émotion, parlent les corps : le geste brise le silence, entrelacs et chutes bruissent sur le parquet. En toute intimité, la vérité d’un langage autre qui révèle la face cachée de nos amours. Yonnel Liégeois, photos Pauline Le Goff

Amor(t) de Lou Wenzel, avec Hortense Monsaingeon et les danseurs-danseuses de la compagnie Yma : Jusqu’au 24/05, du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 17h30. Les plateaux sauvages, 5 rue des Plâtrières, 75020 Paris (Tél. : 01.83.75.55.70).

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Vire roule À vif !

Jusqu’au 21/05, le CDN de Normandie-Vire, Le Préau, organise À vif, l’édition 2025 de son festival en direction de la jeunesse. Des spectacles, des rencontres et débats autour d’une thématique commune, « surprenante » : comment on réinvente sa vie dans un faire ensemble porteur d’avenir et de richesses partagées.

Jamais peut-être, le festival À vif n’aura aussi bien porté son nom depuis l’arrivée de Lucie Berelowitsch à la direction du Préau, le Centre dramatique national de Normandie-Vire ! Hérité des précédents dirigeants, Pauline Sales et Vincent Garanger, des « ados » ciblé comme public privilégié il s’élargit alors à l’appellation Jeunesse pour favoriser la rencontre sous tous les modes : le dialogue avec les parents, l’approche des divers milieux sociaux et des territoires, la découverte des cultures venues d’ailleurs… Durant une dizaine de jours, jusqu’au 21/05, la fête et le partage sur le parvis du théâtre, en salle et dans les communes du Bocage normand.

Mettre tous les partenaires en mouvement, impliquer toutes les forces vives du territoire, tel fut l’objectif de Lucie Berelowitsch en cette nouvelle édition : favoriser échange et partage entre conservatoire de musique, section théâtre des lycées, école de danse. Plus et mieux encore : associer intensément les femmes ukrainiennes réfugiées dans la région, les musiciennes-chanteuses et danseuses du groupe Dakh Daughters. L’argument rassembleur ? La découverte de La chanson de la forêt, un conte écrit par Lessia Ukraïnka (1871-1913), grande poétesse et féministe, considérée comme l’une des auteures les plus importantes de la littérature ukrainienne. Au cœur de ce texte qu’elle affectionne particulièrement, la metteure en scène retrouve ses axes de prédilection : le théâtre musical, la force de l’imaginaire, le lien entre réel et invisible, le conte et la fable politique.

Dans la forêt, entre plaines et montagnes, le jeune joueur de flûte Lucas rencontre Dryade, la belle protectrice des arbres ! L’amour naît et grandit entre le petit d’homme et la divine jeune fille. Las, contrarié par une multitude de personnages qui ne voient pas la romance d’un bon œil et préfèrent des noces plus « humaines »… Entre conte poétique et drame social, fol espoir et désillusions terrestres, au public d’en découvrir l’épilogue, texte et pièce ouvrent à des interrogations de portée universelle : l’accueil de l’autre, le respect des différences, la conquête de la liberté ! Sur le vaste plateau du Préau, se mêlent alors les énergies de tous, petits et grands, acteurs professionnels et amateurs, musiciens et danseurs pour qu’éclatent magie, féérie et puissance du conte. Sur la scène, pas moins de 70 garçons et filles qui ont travaillé toute l’année avec enthousiasme et sérieux, un spectacle qui s’affinera au fil des représentations, un pari déjà gagné pour les intervenants : la mise en commun des potentiels et richesses de chaque groupe, le « faire ensemble » promu et reconnu comme force vitale, humaine et citoyenne.

Le public en est témoin : malgré faiblesses et manque de fluidité entre les tableaux, seulement trois jours de répétition en commun pour les divers groupes, plaisir d’être ensemble et joie de la créativité ont fait l’unanimité ! Une jeunesse qui prend sa vie en main et n’a plus envie de lâcher celle de l’autre, quel qu’il soit, est tout bonheur ! Qui se répand à vif, de la ville au bocage environnant, un festival comme temps privilégié avec le fol espoir de perdurer ! Yonnel Liégeois

Le festival À vif, jusqu’au 21/05 avec cinq spectacles à l’affiche : La chanson de la forêt ( du 16 au 20/05, 14h au Préau), I’m deranged (les 16 et 20/05, 11h à la Halle Michel Drucker), Les Histrioniques (les 16 et 20/05, 11h au lycée Marie Curie), My Loneliness in killing me (les 16 et 20/05, à 11h au lycée Mermoz. Le 21/05, 20h30 à St Germain-du-Crioult), L’arbre à sang (le 17/05, 20h30 à La Ferrière-Harang. Le 20/05, 20h30 à Domfront). Le Préau, 1 place Castel, 14500 Vire (Tél. : 02.31.66.66.26).

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Un Feydeau à tout casser

Au théâtre Châteauvallon-Liberté à Toulon (83), puis à Poitiers (86), Karelle Prugnaud présente On purge bébé de Georges Feydeau. Une mise en scène qui épouse l’esprit tordant du grand auteur comique qu’elle assortit, avec la complicité de Nikolaus Holtz, d’un jeu de clowns hardiment prononcé.

Karelle Prugnaud (Cie l’Envers du décor) met en scène On purge bébé (1910), de Georges Feydeau, en collaboration artistique avec Nikolaus Holtz, qui anime la compagnie Pré-O-Coupé. De cette pièce brève, d’emblée fameuse, Jean Renoir fit un film en 1931. Feydeau n’y va pas de main morte. Un beau matin, chez les Follavoine, Madame s’émeut, en brandissant un seau hygiénique, que leur fils, Hervé, dit Toto (7 ans) « n’y a pas été ». Le père ambitionne d’obtenir le marché des pots de chambre pour l’armée française. Il compte sur le piston de M. Chouilloux, haut placé dans les sphères, ancien constipé réputé cocu. Lancés contre le mur, les pots de chambre, soi-disant incassables, se brisent. La scène de ménage reprend de plus belle, d’autant que cet animal de Toto refuse mordicus de prendre sa purge… Georges Feydeau, mirobolant artificier, place des mines antipersonnel sous les pieds de ses personnages, idéales figures d’une société grotesque, à deux pas de la boucherie en gros de 1914-1918.

Karelle Prugnaud épouse l’esprit tordant du grand auteur comique, qu’elle assortit d’un jeu de clowns hardiment prononcé. La scénographie de Pierre-André Weitz (il signe aussi les costumes), constitue un parfait modèle de persiflage d’un intérieur bourgeois de ladite Belle Époque. On retrouve les rayures criardes des murs sur le pyjama de Patrice Thibaud, qui joue un Follavoine aux gestes furieusement saccadés, face à l’épouse, Anne Girouard, exquise pétardière en bigoudis et savant négligé. Cécile Chatignoux campe Rose, la servante bougonne à grosse voix, tandis que Nikolaus Holtz (Chouilloux), auguste impérial long comme un jour sans pain, jongleur émérite, se balade avec quatre pots de chambre sur la tête sans les laisser choir. Et puis il y a Martin Hesse (Toto), acrobate et cascadeur adulte, expert en sauts périlleux et roulades expressives.

Avec un masque de chimpanzé, il a déjà bondi dans la salle avant que ça ne commence. À la fin, pas purgé, il passe à travers les murs et va du stade anal au stade œdipien, en tétant goulûment la prothèse mammaire de sa mère. Freud et Feydeau sont contemporains ! Bien sûr, les portes claquent et le rire jaillit à grands flots à ce spectacle superbement pensé et millimétré, entamé sous l’égide de Mack Sennett, bouclé sur un saccage digne de Dada. Peu avant sa mort, Feydeau, qui avait vu Charlot soldat, saluait le génie de Chaplin. Jean-Pierre Léonardini

On purge bébé, Karelle Prugnaud et NiKolaus Holtz. Du 14 au 16/05, à 20h : Châteauvallon-Liberté, Grand Hôtel – Place de la Liberté, 83 000 Toulon (Tél. : 09.80.08.40.40). Du 20 au 22/05, à 20h30 : TAP, 6 rue de la Marne, 86000 Poitiers (Tél. : 05.49.39.29.29).

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Miss.Tic, frondeuse et indocile

Jusqu’au 18 mai, à la Maison Elsa Triolet-Aragon (78), sont exposées quelques œuvres emblématiques de Miss.Tic. L’irrévérence et l’audace de la pionnière du street art, frondeuse et indocile, manquent cruellement depuis sa disparition en 2022.

Il fut un temps, du côté de la Butte-aux-Cailles, où, au détour d’une rue, sur un mur ou une porte de garage, on tombait nez à nez sur un dessin réalisé au pochoir ou à la bombe aérosol signé Miss.Tic. Geste artistique clandestin, il faudra attendre le passage à l’an 2000 pour que le street art soit « reconnu », l’artiste imprime dans les rues de la capitale des silhouettes de femmes longilignes à la chevelure brune, sexy, provocantes et libres. Libres de clamer des phrases-poèmes, des haïkus féministes qui amusent les passantes et peuvent décontenancer les passants. Se jouant des stéréotypes masculins avec une apparente légèreté, Miss.Tic prend un malin plaisir à détourner les mots, semant des éclairs poétiques facétieux qui claquent sur les pavés parisiens. « Sorcière égarée dans un monde sans magie », Miss.Tic est une artiste totale, frondeuse et indocile. Son audace comme son irrévérence manquent cruellement depuis sa disparition en 2022.

Provocation et fantaisie pour ne pas sombrer

L’exposition que lui consacre la Maison Elsa Triolet-Aragon comprend une trentaine de ses œuvres qui donnent un aperçu de son talent. Elle est intitulée « L’homme est le passé de la femme », ce pochoir réalisé en 2011 sur des affiches lacérées façon Jacques Villeglé qui renvoie forcément au vers d’Aragon chanté par Ferrat « la femme est l’avenir de l’homme ». Clin d’œil amusant et amusé d’une artiste au poète où la femme le prend au mot et reprend la main. D’autres œuvres sur affiche, comme De l’ego au Lego, témoignent, au-delà d’une filiation certaine avec le pionnier du street art qu’était Villeglé, d’une reconquête de l’espace urbain pour raconter le monde. Qu’elle parle d’amour et de désamour, du machisme ou de la guerre, Miss.Tic use de la provocation et de la fantaisie pour ne pas sombrer. Mains sur les hanches, regard noir, une femme nous somme de choisir : « To yield or resisting », céder ou résister. Une autre, lunettes noires, robe fendue laissant entrevoir de longues jambes musculeuses, prête à l’assaut, affirme : « Pas d’idéaux, juste des idées hautes », tandis que celle-ci, en débardeur, tient une hache à la main, prête à en découdre : « Cette ville a les folles qu’elle mérite ». Il y a là une colère muette qui ne demande qu’à éclater.

Au moulin de Villeneuve, l’exposition permet de découvrir une autre facette de Miss.Tic. Avec ses détournements plastiques et poétiques, le visiteur mesure sa connaissance des grands maîtres, qu’elle n’a pas hésité à copier. Que ce soit cette Maja desnuda de Goya sur un mur, avec « Demain j’enlève tout » pour légende ; un pastiche de Toulouse-Lautrec, Femme au bord d’elle même ; une Joconde qui murmure « pour sourire il faut avoir beaucoup pleuré » ou cette femme en crinoline aux bras d’un danseur tout droit sortie d’un tableau de Renoir, dans ces dessins qui font partie d’une série réalisée pour l’exposition « Muses et hommes » en 2000, on mesure combien Miss.Tic connaissait jusqu’au bout de son pochoir l’histoire de la peinture. Marie-José Sirach

L’homme est le passé de la femme, Miss.Tic : Jusqu’au 18/05, tous les jours de 14h à 18h. Maison Elsa Triolet-Aragon, moulin de Villeneuve, 78730 Saint-Arnoult-en-Yvelines (Tél. : 01.30.41.20.15).

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Grand blanc et lointain océan

Les 24 et 25/04, en partenariat avec la Cité des arts de St Denis de La Réunion (97), le Centre dramatique national de l’Océan indien présente Grand blanc. Une pièce mise en scène par Vincent Fontano, auteur de grands récits qui interrogent la société réunionnaise au regard des traumatismes qui parcourent l’Océan indien.

Après Le feu et Loin des hommes (Prix Tarmac 2019, avec la comédienne Véronique Sacri), sur les planches de la Scène nationale d’Amiens, se joue le Grand Blanc. Pour tout décor, un long arbre abattu qui symbolisera une sorte de frontière entre les trois protagonistes :  une jeune femme est venue rendre visite à son père dans une étrange forêt ! Les retrouvailles avec ce géniteur oublié se révèlent âpres et houleuses quand soudain, au cœur de la nuit, surgit un homme blanc qui n’est autre que son père adoptif. Au centre de ce conflit de loyauté, sur fond de racisme et de maladie, elle devra choisir lequel de ses pères elle pourra sauver. Désormais, la pièce de Vincent Fontano vogue son chemin sur les berges de l’Océan indien. Sous la houlette du Centre dramatique national sis à St Denis de La Réunion, sous la protection du piton de la Fournaise qui culmine à plus de 2600m d’altitude…

Dernier né des 38 centres dramatiques, le seul implanté hors de la métropole, le CDN de l’Océan Indien développe un projet culturel et artistique axé sur les écritures et la création théâtrales contemporaines. Soucieux de rayonner sur l’ensemble de son territoire insulaire mais aussi au-delà des océans, il propose un projet solidaire et participatif axé sur l’Ici et l’Ailleurs, la langue et la culture créole, les espaces de confrontation artistique entre culture de référence et culture populaire. Première réunionnaise diplômée de l’école nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) à Lyon, comédienne et metteure en scène, Lolita Tergemina en assure la direction depuis 2024. « Ce qui m’anime véritablement ? L’avenir de la filière théâtrale à La Réunion, actuellement en pleine effervescence », confie-t-elle. En l’espace d’une dizaine d’années en effet, de nombreuses compagnies s’y sont établies, suscitant d’importants besoins en accompagnement.

Au cœur du projet « Faire ensemble » de la nouvelle directrice, les dynamiques de coopération se voient renforcées par la nécessité imposée au CDN de quitter ses murs jusqu’en 2028, le Théâtre du Grand Marché étant inopérant pour cause de reconstruction. Tel le partenariat engagé avec la Cité des arts pour le Grand blanc… Entre compagnies associées et résidences de création, en dépit des coupes budgétaires qui frappent l’ensemble des structures culturelles, le CDNOI affiche envers et contre tout un bel avenir. Yonnel Liégeois

Grand blanc : les 24 et 25/04, à 20h. La cité des arts, 23 rue Léopold Rambaud, 97400 Saint-Denis (Tél. : 02.62.92.09.90). Le CDNOI, 2 rue du Maréchal Leclerc, 97400 Saint Denis (Tél. : 02.62.20.33.99).

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Jules Verne, un autre regard

Au TNP de Villeurbanne (69), Émilie Capliez présente Le château des Carpathes. Une mise en scène et en images d’un Jules Verne gothique et romantique sur la musique d’Airelle Besson. Un défi relevé avec talent par une équipe artistique en harmonie et porté par huit comédiens et musiciens. Publié sur le site Arts-chipels, un article de notre consœur et contributrice Mireille Davidovici.

Émilie Capliez, codirectrice de la Comédie de Colmar, a un penchant pour le fantastique : après Little Nemo ou la vocation de l’aube, d’après la bande dessinée de Winsor McCay et L’Enfant et les sortilèges, opéra de Ravel sur un livret de Colette, elle s’attaque à un roman peu connu de Jules Verne, inclus dans la série des cinquante-quatre Voyages extraordinaires. Moins épique que Vingt mille lieues sous les mers ou Voyage au centre de la terrele Château des Carpathes flirte avec le romantisme gothique et nous entraîne dans un petit village, au cœur de la lointaine Transylvanie, dominé par un mystérieux château. Pas de vampires, ici – Dracula de Bram Stoker sera écrit cinq ans plus tard, en 1897 – mais de la sinistre bâtisse parviennent des bruits insolites, s’échappent d’étranges fumées. De quoi terroriser les habitués de la petite auberge où se prépare une noce…

Du conte populaire à la science-fiction

Dans ce paysage pittoresque de montagnes et de forêts, survient un voyageur, Franz de Telek. Le hasard fait bien les choses, le jeune homme ayant eu maille à partir avec le propriétaire du château, le baron de Gortz. Il a rencontré cet inquiétant personnage à Naples, dans le sillage d’une jeune et belle cantatrice à la voix envoûtante : la Stilla. La fascinante jeune femme, qu’il voulait épouser, est morte en scène, comme foudroyée. De terreur ? D’amour ? On ne sait. Mais son image et son chant continuent de hanter la suite du roman, par la magie d’un savant de génie, inventeur d’une machine extraordinaire. Nous basculons alors en pleine science-fiction. Les trois cents pages de Jules Verne sont ici ramenées à un spectacle d’une heure et demi qui met en tension l’ambiance rustique des Carpathes, l’univers sophistiqué de l’opéra italien et un futurisme technologique. Une narratrice omniprésente nous guide d’un monde et d’une péripétie à l’autre. Condensé grâce à des scènes dialoguées et le recours à des images vidéo, le récit se double de bribes de texte, souvent en caractères gothiques, projetées sur le décor. Ils donnent une couleur d’époque à ces aventures palpitantes et renvoient à la lecture du roman.

Coupant court à de longues descriptions, la scénographie nous balade d’un lieu à l’autre. Elle utilise un vieux procédé qui consiste à faire descendre les décors des cintres. Un toit de chaume avec une cheminée qui fume, et nous voici à l’auberge du village. Une maquette de château convoque notre imaginaire. Un panneau où se découpent des balcons d’opéra nous transporte au Teatro San Carlo de Naples… Le spectacle s’ouvre sur un paysage à la Caspar David Friedrich : les pieds dans les nuées, un berger vêtu d’une houppelande rencontre un colporteur. Le marchand ambulant lui vend une « lunette d’approche » qui va permettre aux villageois de voir au-delà de leur vallée, et d’observer le château maudit… Ainsi commence le Château des Carpathes, introduisant d’entrée la technologie dans ce coin perdu. C’est qu’il y a toujours, dans les romans de Jules Verne, le goût du voyage et de l’aventure mêlé à la science et à une quête de modernité. Ce mélange des genres permet à la metteuse en scène de jongler avec les styles. Elle utilise avec parcimonie la vidéo pour des effets spéciaux, correspondant aux subterfuges technologiques visuels et sonores que l’auteur introduit dans son récit.

Un conte musical illustré

La musique emprunte le même trajet. La trompettiste Airelle Besson, lauréate des prix Django-Reinhardt de l’Académie du jazz et Révélation des Victoires du Jazz, a composé des thèmes jazzy pour ponctuer les différentes séquences dont, en ouverture, un magnifique solo de trompette. Elle a écrit, pour la mort de la Stilla, un air d’opéra baroque, chant du cygne spectaculaire interprété en direct par Emma Liégeois, figure évanescente comme la cantatrice du roman. Les scènes napolitaines sont dialoguées en italien, plongeant le spectateur dans l’univers des grandes divas. Les instrumentistes Julien Lallier (piano), Adèle Viret (violoncelle) et Oscar Viret (trompette) se fondent dans le récit : leurs apparitions et disparitions subreptices contribuent à la magie des trucages. De même, les comédiens, qui endossent plusieurs rôles, jouent à cache-cache avec leur image qu’ils voient démultipliée sur des écrans mobiles.

Pour subvertir le point de vue du romancier sur les femmes, male gaze qui n’a rien d’étonnant à son époque, Émilie Capliez et Agathe Peyrard opèrent de subtils changements, attribuant aux héroïnes d’ailleurs peu nombreuses, une part plus active dans cette histoire. L’aubergiste devient un personnage féminin, Carmen (interprétée par Fatou Malsert), et assure aussi la narration. La pièce donne la parole à la Stilla, muette et réduite à un pur fantasme masculin, dans le roman. Les deux amoureux de la diva, chacun à sa manière, tentent de posséder l’objet de leur désir. Franz en l’épousant, le baron de Gortz en la poursuivant d’un regard fasciné d’oiseau de proie, qui la tuera, et en se l’accaparant, post-mortem, via des artifices technologiques. « Je suis une artiste, je suis libre », répond la diva à Franz quand il lui demande sa main. Et quand, au final, son image et sa voix disparaissent à jamais, elle est, dit la narratrice, « libérée » des regards masculins. Cette élégante touche de féminin ne gâte nullement le fantastique et le suspense convoqués par le Château des Carpathes, rendus sur les planches avec justesse et talent. Mireille Davidovici, photos Simon Gosselin

Le Château des Carpathes d’après Jules Verne, Émilie Capliez : Jusqu’au 17/04, du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h30, le dimanche à 16h. Théâtre National Populaire, 8 Place Lazare-Goujon, 69100 Villeurbanne (Tél. : 04.78.03.30.00).


Tournée nationale : les 06 et 07/05, Opéra de Dijon (21). Les 15 et 16/05, Bonlieu, Scène nationale Annecy (74). Les 08 et 09/10, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13). Les 14 et 15/10, Théâtre d’Arles (13). Du 05 au 07/12, Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux (92). Du 10 au 14/12, Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne (94). Du 16 au 19/12, Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie (31). Les 14 et 15/01/26,Théâtre de Lorient, CDN (56). Le 27/01, Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan (57).

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