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Le livre et l’extrême droite

Dans une tribune au quotidien Le Monde, Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot alertent sur la multiplication des menaces qui pèsent sur le monde de l’édition. Ils s’inquiètent du « climat de chasse aux sorcières qui s’instaure à tous les échelons de la société française ».

Il existe plusieurs façons pour la droite et l’extrême droite, chaque jour plus indiscernables l’une de l’autre, de s’en prendre au monde du livre que, par nature, elles craignent. Elles peuvent par exemple racheter à coups de millions des maisons d’édition pour tenter d’en faire les officines de leurs idéologies ou s’en prendre à ce qui leur résiste en multipliant les agressions et les campagnes calomnieuses. Que l’on soit victime de l’une ou l’autre de ces stratégies, il faut garder à l’esprit qu’elles sont complémentaires et même, en un sens, parfaitement alignées.

La dénonciation des crimes commis à Gaza par l’armée israélienne a fourni une nouvelle prise à ces opérations de dénigrement quand des publications ou des personnalités ancrées très à droite de l’échiquier politique se sont brusquement découvert une vocation pour la lutte contre l’antisémitisme – sans trop d’égards pour les premiers concernés. Les voilà qui se lancent dans l’exégèse empressée, à travers des campagnes de presse qui visent désormais des livres, leurs éditeurs et leurs auteurs, et valent condamnation sur la place publique. Notre maison d’édition, comme d’autres, en a régulièrement fait les frais suivant des motifs qui ont varié. C’était l’ »éco-terrorisme » il n’y a pas si longtemps, c’est le « révisionnisme historique » aujourd’hui.

Un livre a pourtant le caractère de la pérennité : on ne supprime pas ses pages comme on supprime un tweet. Ce qui s’écrit est encadré par des lois et des instances juridiques veillent à leur respect. Chacun, chacune peut en consulter librement le contenu grâce au service public des bibliothèques. Et il reste encore possible, par un débat public rigoureux, de confronter les points de vue divergents qui s’y expriment. Il existe donc diverses manières de vérifier que ces campagnes sont mensongères. Qu’importe pour ceux qui en sont à l’origine, car l’objectif de la manœuvre est ailleurs : faire taire incessamment toute expression de solidarité envers le peuple palestinien, clouer au pilori les voix subversives, protéger le statu quo climatique, éloigner toute perspective de transformation sociale.

Mais le plus alarmant dans l’affaire, c’est la conjonction, aucunement fortuite, entre des saillies trumpiennes – « les antiracistes sont des racistes, les écologistes des terroristes », etc… – la prolifération des agressions contre les librairies et le durcissement répressif des pouvoirs publics à l’égard du livre et des pensées critiques. Ne serait-ce qu’au cours des dernières semaines, on a vu plusieurs dizaines de librairies attaquées, leurs vitrines dégradées, leurs soirées perturbées par des individus ou groupes qui se sentent autorisés à censurer des livres par voie de fait alors même que les autorités compétentes n’y ont rien trouvé à redire. On a vu un colloque scientifique sur la Palestine suspendu par le Collège de France, du jamais vu depuis le Second Empire. On a vu des élus au Conseil de Paris obtenir l’annulation d’une subvention à 40 librairies indépendantes ; on a vu encore une dessinatrice italienne refoulée à l’aéroport de Toulouse et empêchée de participer à un festival de bande dessinée au prétexte que sa venue constituerait une « menace pour l’ordre public » du fait de ses prises de position antifascistes. Il y a là de nombreux motifs d’inquiétude et au moins un motif de satisfaction. Sous le climat de chasse aux sorcières qui s’instaure à tous les échelons de la société française, le livre tient son rang dans la résistance.

Il le fait grâce aux éditeurs indépendants qui garantissent la diversité éditoriale et la diffusion des opinions minoritaires. Il le fait grâce aux libraires qui ne cèdent pas aux pressions des censeurs encagoulés et abritent vaille que vaille un indispensable espace de discussion. Il continuera de le faire par la solidarité active de tous ses acteurs et actrices quand ils se trouvent malmenés par le pouvoir comme par les groupuscules fascisants. N’est-ce pas d’ailleurs une leçon de l’antifascisme historique ? Ne jamais baisser la tête. Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot, gérants de la maison d’édition La fabrique

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Le Papotin, sans langue de bois

Le 20/09, sur France 2 à 20h30, c’est le retour des Rencontres du Papotin ! D’abord journal atypique, le Papotin est le fruit d’une aventure peu banale. Initié par l’éducateur Driss El Kesri, chaque semaine il donne la parole à de jeunes autistes de la région parisienne. Sans langue de bois, dans l’écoute et le respect.

Le Papotin ? Avant tout, un journal atypique fondé par Driss El Kesri, éducateur à l’hôpital de jour d’Antony (92). Il y a plus de trente ans déjà que l’aventure a débutéAujourd’hui, la conférence de rédaction hebdomadaire rassemble des jeunes d’une quinzaine d’établissements de la région parisienne pour mener à bien, et dans la gaieté, l’accouchement de leur journal. Julien Bancilhon, psychologue, est désormais le rédacteur en chef de cette petite entreprise de concertation qui ne connait pas la langue de bois ! Bien au contraire, la leur est verte, les questions décomplexées, les interventions déconcertantes de naïveté et parfois percutantes de vérité : une fraîcheur oubliée ou censurée par nos esprits trop formatés.

Chacun a ses thèmes de prédilection, ses obsessions, ses interrogations récurrentes qui, au final, composent un patchwork brut de décoffrage, poétique et drôle. Fidèle au poste, Arnaud est présenté affectueusement par Driss comme le « 1er Papotin », c’est ensemble qu’ils ont conçu le journal à ses débuts : un personnage attachant, très calme et réservé, gérant avec une extrême courtoisie ses questions sur l’âge, le tutoiement ou la permission éventuelle de « renifler les doigts de pied » d’une fille… Assis à sa gauche, Thomas, un beau brun rieur d’une vingtaine d’années, serre fort sa chérie Diane.

Les prises de parole se succèdent, les sentences fusent « les femmes sont moins fortes que les hommes ! », avec une réponse immédiate « Ah ! vous ne connaissez pas ma mère ! ». Un éclat de rire général, qui n’atteint pas Esther, jeune femme brune au regard noir et inquiet : c’est la portraitiste du groupe, elle demande à toute personne l’autorisation  de la dessiner. . Très vite on en vient au sujet à la « Une » du prochain numéro, l’interview du lendemain. La première personnalité à s’être volontairement soumise à cette expérience fut Marc Lavoine, compagnon de route depuis le début, co-auteur avec Driss el Kesri de l’ouvrage Toi et  moi  on s’appelle par nos prénoms- le Papotin, livre atypique.

Nombreux sont celles et ceux qui ont accepté de se prêter au jeu de cette interview corrosive, sans filet : Jacques Chirac, Barbara, Philippe Starck, Christiane Taubira, Renaud, Ségolène Royal, Thomas Pesquet, Josiane Balasko, Denis Lavant, Angèle, Grand Corps Malade… En l’attente du prochain invité qu’ils doivent rencontrer, personnalité culturelle-politique-scientifique, à chaque fois l’excitation est à son comble. Pour Arnaud, une  question cruciale : « Driss, tu crois que je pourrai le tutoyer ? », « sans doute, il faudra lui demander ». Nicolas annonce « qu’il mettra un costume » et Johan, comme à son habitude, préparera un discours politique blindé de chiffres et de détails. Dans la salle, un groupe de jeunes, élèves du lycée Expérimental de Saint-Nazaire, n’ont pas perdu une miette des échanges. Peut-être, deviendront-ils des adultes plus tolérants et plus ouverts dans leur vie au quotidien…

La conférence de rédaction s’achève, le groupe se disperse. Alors, une évidence s’impose : ces jeunes autistes communiquent sans faux semblants ni tabous, s’écoutant mutuellement et se respectant. En fait, tout le contraire de la façon de faire des gens dits « normaux », pourtant censés ne pas avoir de problèmes de communication. Chantal Langeard

Le 20/09, c’est Valérie Lemercier qui ouvre la quatrième saison des Rencontres du Papotin  ! Récompensée par plusieurs César, l’actrice, réalisatrice et humoriste, navigue depuis plus de trente ans entre comédie populaire et élégance décalée. Les rencontres du Papotin sont diffusées un samedi par mois à 20h30 sur France 2 et en replay sur France TV.

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Festivals, Avignon et les autres

Le 05 juillet, la Cité des Papes (84) frappe les trois coups de la 79ème édition de son festival. Durant trois semaines, le théâtre va squatter la capitale du Vaucluse. Et déborder hors les remparts pour le meilleur et le pire… Un feu de planches hors norme, d’Avignon à d’autres festivals d’été : Bussang, Châteauvallon, Cosne-sur-Loire, Île de France, Paris, Pont-à-Mousson, Sarlat, Vitry.

« La langue arabe est l’invitée de l’édition 2025 du festival d’Avignon afin de partager avec le public la richesse de son patrimoine et la grande diversité de sa création contemporaine« , souligne son directeur Tiago Rodrigues, « des dizaines de spectacles, lectures, débats, expositions et autres créations célébreront cette langue du savoir et du dialogue, parlée par des personnes de toutes convictions et confessions ». Et de poursuivre : « Langue de lumière, de connaissance et de transmission, l’arabe est souvent pris en otage par les marchands de violence et de haine qui l’assignent à des idées de fermeture et de repli sur soi, de fondamentalisme et de choc des civilisations ». Lors de cette 79ème édition, l’arabe sera représenté par des créatrices et créateurs venus de Tunisie, de Syrie, de Palestine, du Maroc, du Liban, d’Irak… « L’inviter au Festival, c’est choisir de faire face à la complexité politique plutôt que l’esquiver, nous croyons en la capacité qu’ont les arts d’ouvrir des espaces de débat et de rencontre« , conclue le dramaturge portugais et ordonnateur de la manifestation. Une déclaration d’intention que nous faisons nôtre, pour la proclamer d’emblée hors les remparts et affirmer sa pérennité toute l’année !

C’est la raison d’être des Chantiers de culture, formulée autrement par Antonin Artaud, « extraire, de ce qu’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim ». Avec le théâtre, parmi tous les arts comme expérience privilégiée, rencontre inattendue et parfois improvisée du vivant avec des vivants, qui a le don de transformer une foule en peuple, des consciences isolées en communautés d’esprit, des interrogations individuelles en émotions partagées. Quand la force d’une réplique passe la rampe, ce n’est plus une troupe de saltimbanques qui fait face à une masse de spectateurs, c’est l’humanité qui fait spectacle ensemble : qu’il soit « dégénéré » ou avant-gardiste, l’art est fondamentalement expression de l’humain en construction ou en interrogation de son devenir. Que cet art se nomme littérature, peinture, théâtre ou autre, peu importe, il importe juste que la rencontre de l’un se fasse avec l’autre, que l’un et l’autre prennent conscience de leur irréductible nécessité pour exister en humanité. D’où l’enjeu de se remémorer les propos de Jean Zay et d’affirmer haut et fort que demeure d’une urgente actualité le renouveau de la réflexion autour de ce que l’on nommait éducation populaire en des temps pas si reculés ! Sans céder aux sirènes de l’opposition factice entre populaire et élitaire : le populaire recèle les ressources de l’élitaire, l’élitaire s’offre sans retenue au populaire !

Avignon, in et off

Ainsi en va-t-il du IN d’Avignon. Des noms de metteurs en scène, des titres d’œuvres peuvent guider le festivalier en perdition sur le pont de cette 79ème édition : les Mille et une nuits (chef d’œuvre de la littérature arabe) dans la Cour d’honneur par la chorégraphe cap-verdienne Marlène Monteiro Freitas, le Canard sauvage d’Ibsen mis en scène par Thomas Ostermeier, le « Brel » par la flamande Anne Teresa de Keersmaeker, La distance écrite et mise en scène par Tiago Rodrigues, la comédienne Dida Nibagwire et le metteur en scène Frédéric Fisbach qui adaptent Petit Pays (le roman de Gaël Faye sur le génocide rwandais), enfin Le soulier de satin de Claudel mis en scène par Eric Ruf avec la troupe de la Comédie Française… Un choix forcément partiel et partial qui n’oblige en rien, sinon de ne point chuter aveuglément dans la fosse aux artistes !

Et le risque est multiplié par cent et mille face au catalogue pléthorique du Off qui déploie aussi ses festivités du 05 au 26/07. Où le beau côtoie le laid, l’exigence esthétique le banal divertissement, l’engagement citoyen la platitude consumériste… Aussi, vaut-il mieux d’abord s’attarder sur la programmation de quelques lieux emblématiques où prime le choix de l’art avant celui de la recette : Avignon-Reine Blanche, le Théâtre des Halles, la Bourse du travail, La Chapelle du verbe incarné, le Théâtre des Doms, Présence Pasteur, Le chêne noir, Le Théâtre des Carmes, Le chien qui fume, Espace Alya, 11*Avignon, Le petit Louvre, l’Artéphile, La Manufacture, La Rotonde, la Scala, les Lila’s, Au coin de la lune, les Corps saints, Contre courant, Les Lucioles… Dans ce capharnaüm des planches (1724 spectacles, 1347 compagnies, 139 théâtres), tout à la fois charme et déplaisir de l’événement, il est jouissif d’oser aussi le saut dans l’inconnu : en se laissant porter par le bouche à oreille, en se laissant convaincre par le prospectus offert en pleine rue !

D’un festival à l’autre…

« Il y a exactement 60 ans naissait une Utopie réaliste nommée Châteauvallon ; aujourd’hui, sur la colline, elle continue de vibrer comme une réalité flamboyante« , clame Charles Berling, le directeur de la Scène nationale. Jusqu’au 29/07 à Toulon (83), entre musique, sauts périlleux, mots doux ou furieux, repas au clair de lune… En cette gare désaffectée de Vitry (94), originaux chefs de train, Diane Landrot et Yann Allegret convoient leurs passagers hors des sentiers battus avec leur festival Théâtre, Amour&Transats. Pour un dépaysement garanti, du 06 au 12/07, à la rencontre de moult compagnies et artistes. À l’image de Bussang (88) au cœur de la forêt vosgienne où, cathédrale laïque en bois qui fête ses 130 ans, le Théâtre du Peuple arbore fièrement sur son fronton sa devise légendaire « Par l’art, pour l’humanité » depuis 1895 !

Un site mythique, célébré par Romain Rolland, où chaque année la foule s’enthousiasme de la prestation des comédiens amateurs entourant les professionnels, marque de fabrique du lieu, s’émerveille à la traditionnelle ouverture des lourdes portes du fond de scène à chaque représentation. « Cette saison auront lieu les 130 ans de notre Théâtre, âge vénérable mais qui demeure peu de chose s’il n’était accompagné de sa dimension symbolique », clame la directrice et metteure en scène Julie Delille. « Cet été, au milieu de multiples célébrations, nous croiserons dès la mi-juillet un roi aussi tyrannique que ridicule, inspiré par quelques-uns de ce monde. À la tombée des nuits d’août, une mystérieuse bête nous emmènera pour un voyage au cœur de la forêt sauvage ». Et de clore son propos avec force utopie puisque cette année encore, « comme depuis les (presque) cent trente passées, il s’agira de partager, de s’émouvoir et s’émerveiller : de faire humanité« .

Quant au Garage Théâtre (58) où s’invitent chaque année de grosses cylindrées, la sixième édition de son festival se déroulera du 27 au 31/08. Sous la conduite de Jean-Paul Wenzel et de Lou, la directrice artistique des lieux, s’affichent à nouveau quelques sacrés comédiens, prompts à dépoussiérer les planches ! Le 27/08 à 21h, Jean-Paul Wenzel propose Au vert !, l’ultime volet de sa trilogie Loin d’Hagondange initiée il y a cinquante ans. Le lendemain, Felipe Castro présente son Voyage au bout de la nuit, d’après le fameux roman de Céline. Quant au formidable Thierry Gibault, il sera de retour à Cosne le 29/08 : en compagnie d’Olivier Ythier dans L’intranquillité de Fernando Pessoa, mis en scène par Jean-Paul Sermadiras.

S’annonce aussi la fameuse Mousson d’été, le rendez-vous incontournable pour qui veut partir à la découverte des écritures contemporaines ! Au cœur de la Lorraine, à Pont-à-Mousson (54), le superbe et prestigieux site de l’Abbaye des Prémontrés ouvre ses portes aux auteurs dramatiques, aux metteurs en scène, aux universitaires, aux comédiens et au public pour venir écouter le théâtre d’aujourd’hui. Du 21 au 27/08, un authentique terrain de rencontres nationales et internationales avec lectures, mises en espace et spectacles, un temps comme suspendu en bord de Moselle où s’écoulent et s’écoutent joyaux et pépites qui irrigueront les scènes du futur.

En Île de France Les Tréteaux de France, le Centre dramatique national dirigé par Olivier Letellier, seront présents les 11 et 12/07 sur l’île de loisirs de Créteil (94), les 13 et 14/07 sur l’Île de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines (78), du 22 au 27/07 sur celle du Port aux cerises de Draveil (91), du 01 au 06/08 sur celle de Cergy-Pontoise (95). Entre ateliers et lectures, ils présenteront moult spectacles de diverses formes tout à la fois virtuoses, esthétiques, parfois bordéliques et acrobatiques ! Sans oublier le festival Paris l’été qui, du 12/07 au 05/08, propose cirque-danse-musique et théâtre aux quatre coins de la capitale, ni le Théâtre de verdure dans le bois de Boulogne jusqu’au 28/09. Lyon (69) organise ses Nuits de Fourvière jusqu’au 26/07, Sarlat (24) son 73e Festival des Jeux du Théâtre du 17/07 au 02/08, le plus ancien de France après Avignon !

Quelles que soient vos destinations vacancières, à chacune et chacun, lecteur des Chantiers de culture, bel été, folles escapades et superbes évasions culturelles. Yonnel Liégeois

Une sélection de RDV en Avignon

Exposition : Jusqu’au 26/07, l’exposition L’Arrière-pays/Territoires arabes en archipel rassemble en l’église des Célestins des artistes de langue arabe, issus de territoires géopolitiquement instables, interrogeant la mémoire et la transmission, l’exil et les frontières. À travers récits photographiques et vidéo, en résonance avec la langue invitée, ces artistes collectent archives et témoignages, redonnant la parole à des sujets privés, à la recherche de cet arrière-pays où il redevient possible de dire je.

Au cœur de la Maison Jean Vilar, Antoine de Baecque présente Les clés du Festival : une sélection exceptionnelle de photographies, films, enregistrements sonores, témoignages, affiches, programmes, notes et correspondances inédites, décors emblématiques, dessins originaux, maquettes et costumes de légende… Une exposition pour revivre la grande aventure du Festival d’Avignon des origines à nos jours, l’occasion d’en explorer l’histoire, d’en comprendre les enjeux et les grandes étapes, de découvrir les œuvres et les artistes qui ont marqué la programmation et d’entrer dans les coulisses de sa fabrication. C’est tout le premier étage de la Maison Jean Vilar qui est squattée pour l’occasion ! Pour s’immerger, cœur et corps, dans les créations qui ont fait les grandes heures du festival : du Prince de Hambourg signé Jean Vilar au Mahabharata de Peter Brook, de L’école des femmes de Didier Bezace au Cesena d’Anne Teresa de Keersmaeker… Une exposition itinérante en 2026 pour irriguer les territoires, rencontre privilégiée de la culture avec tous et pour tous.

Débat : Le 15/07 à 16h30 au Cloître St Louis, le Syndicat de la critique organise ses Conversations critiques. Un moment privilégié où critiques et spectateurs débattent des spectacles du Festival, de l’avenir du IN et du OFF. Un temps fort aussi pour s’interroger sur l’art et le contenu de la critique, son rôle et sa place dans le paysage médiatique (à lire : Qu’ils crèvent les critiques ! de Jean-Pierre Léonardini, paru aux Solitaires intempestifs). Quant à l’association Travail&Culture, elle organise la 7ème édition de ses rencontres Culture-Arts/Travail Quand le travail entre en scène, le 14/07 de 13h30 à 18h30, au Théâtre de la Bourse du travail : une rencontre pour dire et mettre en débat la diversité des enjeux du travail contemporain avec le regard de chercheur.euse.s, d’artistes et d’acteurs du monde du travail.

Media : Le 11/07 à 22h30, en direct de la Cour d’honneur, France 5 diffuse Not. Dans Les Mille et Une Nuits, chef-d’œuvre de la littérature arabe, Marlene Monteiro Freitas entrevoit un exercice de survie. De la tradition orale, ces contes ont gardé l’énergie des histoires qui circulent et sont sans cesse réinventées. La chorégraphe capverdienne traduit par le geste ce flux de paroles qui s’engendrent, se croisent et se contredisent. La scène devient l’espace ambigu dans lequel s’affrontent le vice et la vertu, le grand et le petit, le désir et son ombre. Le 22/07 à 22h30, Arte présente Les incrédules. Une femme reçoit un coup de téléphone qui lui annonce la mort de sa mère au moment même où celle-ci passe la porte. À partir de cette situation insensée, Samuel Achache, Sarah Le Picard, Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang ont composé un opéra où l’invraisemblable le dispute au tragique. Habitués aux spectacles mêlant théâtre et musique, ils emploient ici les grands moyens : un orchestre en fosse de 52 musiciens, augmenté d’un saxophone, d’un accordéon, de percussions et d’un mystérieux instrument destiné à fabriquer de l’aléatoire musical.

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De la douceur à la violence

Au théâtre du Rond-Point (75), Élise Chatauret met en scène Les moments doux. Un véritable abécédaire de la violence (à l’école, en famille, au travail) à partir d’un fait divers fort médiatisé : des manifestants déchirant les chemises de deux dirigeants d’Air France, la violence d’un plan de 2900 licenciements largement occultée.  

En fait de Moments doux, c’est un véritable abécédaire de la violence qu’Élise Chatauret et Thomas Pondevie nous assènent avec une réelle efficacité dans leur dernière œuvre. Si le duo, à la direction de la compagnie Babel, est aux manettes, c’est cependant comme toujours selon le principe d’une démarche développée à partir d’entretiens réalisés avec toute l’équipe d’interprètes, mieux à même ainsi de restituer sur le plateau le plus fidèlement possible, au plan de l’esprit, les paroles d’habitants, cette fois-ci des villes de Sevran, Nancy, Fontenay-sous-Bois et Béthune. Un travail de belle qualité, intelligent et subtil dans sa composition puis son écriture-réécriture pour tirer la substantifique moelle de la… violence.

Mieux qu’un travail documentaire, banalement réaliste, Élise Chatauret et Thomas Pondevie préfèrent, à juste titre, une approche… documentée. Un écart, une nuance qui permettent à l’art théâtral de s’installer. Avec comme point de départ le rappel maintes fois répété entre différentes séquences de ce fait divers qui fit réagir nos bien-pensants de la politique, un acte d’une violence « inouïe », celle perpétrée par des manifestants contre deux dirigeants d’Air France à qui l’on avait arraché et déchiré les chemises. De la violence « inqualifiable » de la suppression de 2900 postes de l’entreprise, il ne fut bien évidemment pas question, pas plus que de la violence qui mène à la violence, ce qui aurait demandé un minimum de réflexion…

Le spectacle, composé d’une série de brèves séquences, est mené à un rythme ternaire d’enfer. Elles tournent autour des thématiques concernant l’école, la famille et le travail, autrement dit les bases mêmes de nos vies. Une vraie ronde dans laquelle les six comédiens (François Clavier, Solenne Keravis, Samantha Le Bas, Manumatte, Julie Moulier et Charles Zevaco), tous épatants car jouant le « jeu » volontairement à la limite de la caricature, s’en donnent à cœur-joie, passant selon les séquences d’une figure à une autre sans coup férir, enfant – parent – patron – employé…, dans un perpétuel entrecroisement que l’astucieux dispositif scénique créé de Charles Chauvet permet de se déployer au mieux. C’est d’une grande drôlerie… vacharde qui n’occulte en rien, bien au contraire, la réflexion sur le phénomène de la violence dont nos vies sont soumises à notre insu. Jean-Pierre Han

Les moments doux, d’Élise Chatauret et Thomas Pondevie : jusqu’au 30/03, du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h30 et le dimanche à 15h30. Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris (Tél. : 01.44.95.98.00).

Le 08/04 au théâtre Gallia de Saintes (17), les 10 et 11/04 au théâtre d’Angoulême (17), le 15/04 au théâtre L’empreinte de Brive-Tulle (19), le 16/05 au théâtre Les passerelles de Pontault-Combault (77).

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Extrême droite et syndicalisme

Depuis toujours, le Rassemblement national hait les syndicats, surtout la CGT ! Certes, le programme actuel du RN en matière de syndicalisme reste très flou. Il n’empêche, les anciens programmes du Front National, comme les multiples prises de position des membres du parti, laissent imaginer le pire pour les syndicats et la démocratie sociale en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. 

« Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail, ils ne servent à rien. » Les mots de Louis Alliot, maire RN de Perpignan, au micro de BFM TV le 25 août 2022, sont au diapason d’à peu près toutes les déclarations des membres du parti frontiste au sujet des syndicalistes et leurs actions. Depuis toujours, le Front National, devenu Rassemblement national, se distingue par une franche hostilité à l’égard des syndicats. Édité par la FTM-CGT, un livret tente d’ailleurs de compiler les déclarations de ses membres à ce propos  : pour Marion Maréchal-Le Pen, la CGT est un « syndicat groupusculaire, [une] organisation d’extrême-gauche, ultimes adeptes d’une lutte des classes périmée », tandis que pour sa tante, « le verrou syndical est le premier verrou à faire sauter pour débloquer l’économie », quand pour Thibaut de la Tocnaye, membre du bureau du RN, « l’immense majorité des centrales médiatisées profite à fond du système qui les nantit de subventions et de châteaux… Ils sont souvent corrompus (…) toujours gavés grâce à l’argent, parfois sale ».

Cette aversion se retrouve par ailleurs dans les actes violents dont les syndicats sont régulièrement les cibles : à la Bourse du travail CGT d’Avignon où une croix celtique a été taguée début juillet, ou encore à Montpellier où une militante de l’Union syndicale Solidaires 34 a été agressée par un groupuscule d’extrême droite à la fin du mois de juin.

Une matrice, l’idéologie corporatiste

À la base de cette hostilité du RN pour le syndicalisme, on retrouve une vision très particulière du social : « La matrice idéologique originelle de l’extrême droite c’est le corporatisme, qui consiste à remplacer le conflit entre capital et travail par le patriotisme économique, l’appartenance nationale », explique Karel Yon, chargé de recherche au CNRS et sociologue à IDHES-Nanterre (Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société). « Historiquement, lorsqu’elle a été au pouvoir en France ou ailleurs, l’extrême droite a toujours persécuté les syndicats et dissous les organisations de travailleurs et celles représentatives du patronat. Les « Chartres du travail » ont alors inventé des nouvelles organisations par branches professionnelles qui rassemblaient les ouvriers et les patrons, abonde Cédric Bottero, président de Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA). « Malgré les discours de « lissage » du Rassemblement national, pour nous, l’ADN du RN, c’est toujours le corporatisme fasciste traditionnel : la négation de la lutte des classes. » Cette négation de la lutte des classes se retrouve, par exemple, lorsque qu’Éric Zemmour, alors candidat à l’élection présidentielle de 2022, se présente comme le candidat de la « réconciliation des classes ». Pour Cédric Bottero, l’horizon du Rassemblement national ne fait aucun doute : « le projet final, c’est de faire disparaître les syndicats tels qu’ils existent aujourd’hui, c’est-à-dire des syndicats de classe. »

Syndicat maison

À l’exception de la promesse de la réunion d’une conférence sociale à l’automne, le programme de Jordan Bardella est bien vide en matière de démocratie sociale. « Le Rassemblement national n’a pas de programme codifié et clair sur le syndicalisme », explique Jean Grosset, directeur de l’Observatoire du dialogue social, rattaché à la Fondation Jean Jaurès. « Pour comprendre leur ligne, il faut recouper leurs déclarations. »

Une des prises de position constante des membres du parti frontiste, c’est la volonté d’une « grande réforme des syndicats ». De façon récurrente, Marine Le Pen s’est ainsi prononcée en faveur de la « liberté syndicale ». Une expression qui de fait renvoie à différents scénarios : une baisse drastique des seuils de représentativité ou la suppression du monopole de présentation des listes syndicales pour le premier tour des élections professionnelles. Depuis la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, le seuil de représentativité des syndicats est fixé à 10 % des voix dans les entreprises et à 8% au niveau de la branche professionnelle. Au niveau interprofessionnel, les organisations sont reconnues comme représentatives lorsqu’elles obtiennent 8% des suffrages au niveau national et si elles ont aussi été reconnues représentatives au niveau des branches à la fois dans l’industrie, la construction, les services et le commerce. L’idée sous-jacente du Rassemblement national ? Permettre la création de nouveaux syndicats, afin d’amoindrir les organisations syndicales existantes. « Ce genre de mesures qui peuvent paraître un peu techniques, auraient pour effet de renforcer un syndicalisme « maison », qui n’aurait de légitimité qu’à la condition d’être le partenaire du patronat, au lieu d’être un contre-pouvoir au capital » analyse Karel Yon.

Couper les vivres

Le financement des syndicats est une autre obsession du parti frontiste. Dans une interview sur Cnews le 21 mai 2024, Marion Maréchal Le Pen affirme ainsi qu’il ne faut « plus de subventions publiques, dorénavant les syndicats doivent vivre de leurs adhésions. » Réduire les moyens financiers dont disposent les syndicats ne figurent dans aucun programme écrit, mais rejoint un autre axe du RN en matière de syndicalisme : celui de restreindre le droit syndical.

« Pour l’extrême droite, dès que les syndicats sortent des entreprises, ils sont accusés de faire de la politique » analyse Karel Yon. Ainsi, lors de plusieurs prises de parole, ses membres ont affirmé vouloir restreindre le droit syndical à l’entreprise ou à l’administration, afin d’empêcher que les élus syndicaux ne puissent mener une activité au-delà de leur lieu de travail. Une telle mesure revient, par ailleurs, à transférer le coût des détachements des élus aux syndicats. « Cela revient à couper les moyens humains des confédérations, des fédérations et des unions départementales » analyse Jean Grosset. Autre attaque fréquente du Rassemblement national sur le paritarisme, le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), rebaptisé par Marine Le Pen « le palais des copains et des coquins. « Le Rassemblement national a indiqué à plusieurs reprises vouloir le fermer » explique Jean Grosset.

Encadrement du droit de grève et de manifestation

Si le RN prétend être du côté des travailleurs, la réalité est toute autre. « Dans toutes ses déclarations, le FN/RN s’est opposé aux syndicats et a toujours été du côté d’un patronat de choc. Jamais ce parti n’a consenti à voir dans l’action syndicale un facteur de progrès et de démocratie sociale. Il a toujours sévèrement condamné tous les mouvements et toutes les mobilisations syndicales » écrit Alain Olive dans une publication de l’Observatoire du dialogue social. Parmi les modes d’action des syndicats les plus honnis par le RN, la grève. « Pendant longtemps, l’interdiction pénale des piquets de grève faisait parti du programme du FN« , rappelle Cédric Bottero. « Depuis 2012, dans son entreprise de dédiabolisation, le RN a fait disparaître cette mention de son programme. Nul doute qu’en cas de prise de pouvoir, ils reviendront dessus« .

Plusieurs représentants de l’extrême droite plaident pour un encadrement renforcé du droit de grève. Marion Maréchal Le Pen s’est prononcée pour l’interdiction du droit de grève aux moments des vacances scolaires et des jours fériés dans la fonction publique. « Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que le Rassemblement national aurait à sa portée tout un tas de leviers qui ont déjà été posés pour aggraver la situation de fragmentation et d’affaiblissement du syndicalisme », alerte Karel Yon. Ainsi du droit de grève, déjà largement raboté par plusieurs réformes votées ces dernières années (à la SNCF, dans les écoles maternelles et élémentaires, dans le secteur aérien). Aucun doute possible, le RN est bien l’ennemi des travailleurs. Pauline Porro

Lire et comprendre :

Voter par temps de crise, portraits d’électrices et d’électeurs ordinaires par Eric Agricoliansky, Philippe Aldrin et Sandrine Lévêque ( PUF, 384 p., 23€).

Les classes populaires et le FN, explications de vote par Gérard Mauger et Willy Pelletier (éditions du Croquant, 282 p., 18€).

Des électeurs ordinaires, enquête sur la normalisation de l’extrême droite par Félicien Faury (Le Seuil, 240 p., 21€50).

Sociologie politique du rassemblement national, enquêtes de terrain par Safia Dahani, Estelle Delaine, Félicien Faury et Guillaume Letourneur (Presses universitaires du Septentrion, 328 p., 25€).

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Les illusions perdues de Pauline Bayle

Du 07/09 au 06/10, au Théâtre de l’Atelier (75), Pauline Bayle propose Illusions perdues, une formidable adaptation du roman de Balzac. Avec fougue et passion, sensualité et dérision, une plongée vertigineuse dans la comédie humaine. Un spectacle où la littérature prend ses quartiers tout en haut de l’affiche.

Plus dure est la chute pour Lucien Chardon, Monsieur de Rubempré, celui qui avance masqué sous le nom de sa mère ! D’Angoulême à Paris, de la province à la capitale, les feux de la rampe se métamorphosent en incendies crépusculaires qui réduisent en cendres rêves et ambitions. Si Balzac se révèle maître des Illusions perdues en son magistral roman, la metteure en scène Pauline Bayle l’incarne avec fougue et passion, sensualité et dérision.

Le public installé en format quadri-frontal, sous la baguette de Pauline Bayle désormais directrice du Théâtre Public de Montreuil, seuls six comédiennes et comédiens se lancent à l’assaut d’un roman de 700 pages avec plus de 70 personnages… Grand Prix 2022 du Syndicat de la Critique, une gageure relevée haut les corps par la troupe entre battement de cils et frappe de pieds, séduction et répulsion, petits bonheurs et grandes douleurs ! Lucien a commis un recueil de poésie auquel son égérie du jour, insatisfaite de la banale reconnaissance angoumoise et forte de ses relations,  promet plein succès dans les salons parisiens et la presse nationale. En ce XIXème siècle débutant, il est vrai que Paris brille de mille feux et bruisse de mille bruits : ceux de la presse toute puissante, de la population grossissante, de l’industrie naissante. La vie bouge et grouille autour de nos héros de papier, comme les spectateurs qui cernent et scrutent la scène où se joue l’avenir du poète.

En des plans serrés où les corps s’étreignent ou se bousculent, où les prétentions littéraires favorisent ou percutent les passions amoureuses, où les émotions transfigurent ou noircissent les visages, la metteure en scène rend pleine mesure au roman fleuve de Balzac : les turpitudes de la gente politique, les compromissions des milieux journalistiques, la montée en puissance des affairistes, les ambitions affichées de prétendants à la palme littéraire… Nul décor sinon un sol de craie blanche, changement de costumes à vue, des répliques qui claquent au visage des spectateurs, un rythme effréné et soutenu : argent et notoriété, sourires et baisers, cris et frayeurs, pleurs et sueurs nourrissent ainsi le quotidien du bel intrigant qui vend sa plume au plus offrant. De l’ascension à la chute finale, l’illusion ne dure qu’un temps ! Yonnel Liégeois

Illusions perdues, Honoré de Balzac, adaptation et mise en scène Pauline Bayle : Du 07/09 au 06/10, du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 16h. Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris (Tél. : 01.46.06.49.24).

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Bélâbre dit oui au CADA !

En 2023, s’est constitué à Bélâbre (36) le collectif « Oui au CADA » ! En faveur de la création d’un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile sur la commune, en soutien à la municipalité qui fait face à une opposition venue d’ailleurs. Pour l’ouverture à l’autre, le vivre ensemble et l’acceptation de la différence.

Un collectif « Oui au CADA » s’est constitué en 2023 à Bélâbre, une petite commune de l’Indre. Un soutien à la création d’un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile, répondant aux manifestations de rejet du projet par une partie de la population du village. Une opposition entretenue par l’intervention de nombreux militants d’extrême droite, extérieurs à la commune, qui entendaient ainsi médiatiser cette affaire pour faire valoir leur rejet de toute forme d’immigration.

Aujourd’hui, le projet demeure malgré plusieurs mois d’extrême tension et pression exercée sur le maire et les élus. La municipalité maintient sa volonté d’avancer sur la mise en place d’un dossier qui doit désormais tenir compte d’un certain nombre de réalités : l’attente de décisions de justice dues à deux recours au Tribunal Administratif, un changement de lieu d’implantation sur le territoire de la commune en raison du coût des travaux, des renégociations avec de nouveaux interlocuteurs en charge de l’opération, une répartition différente des demandeurs d’asile sur les points d’accueil. En tout état de cause, le maire Laurent Laroche a bon espoir de finaliser le projet.

Le droit d’asile, une protection internationale

C’est en février 2023 que le conseil municipal de Bélâbre décidait de vendre les locaux d’une ancienne chemiserie en réponse à un projet de Viltaïs, une association qui agit pour l’insertion sociale. Au cas précis, son action vise à accueillir des demandeurs d’asile. Elle se porte acquéreur du bâtiment pour créer un centre d’une capacité maximale de 38 personnes. Laurent Laroche, maire de Bélâbre, et le conseil municipal ont rappelé le sens et l’ambition de l’opération : faire tout simplement preuve d’humanisme ! « Un demandeur d’asile (selon le communiqué adressé à la population) est une personne qui sollicite une protection internationale hors des frontières de son pays, mais qui n’a pas encore été reconnue comme réfugiée.(…) Un être humain qui cherche à survivre dans un autre pays, qui est déraciné, parce que dans son pays c’est l’enfer, qu’il y est exposé à un risque de préjudice grave (insécurité, persécution, menaces, guerre, etc…)« .

Pour se convaincre de la dureté du vécu des demandeurs d’asile, il suffit de lire les articles de presse consacrés aux parcours d’un certain nombre d’entre eux. En 2023, la Nouvelle République, le quotidien régional, a relaté l’histoire d’Alhassane. Ce jeune papa a fui la Guinée avec sa petite fille de 3 ans. Après un périple à travers l’Algérie, le Maroc et l’Espagne, le voilà enfin posé depuis le 4 août à la résidence de la Roche-Bellusson, à Mérigny. « Avoir la paix et la tranquillité après tout ce qu’on a traversé, c’est tout ce qu’on demande. On se sent bien ici. En sécurité. On est tous venus chacun de son côté mais maintenant on est comme une famille », confie le jeune homme, qui ne peut s’empêcher d’avoir un mot de gratitude pour Cynthia Rochet, l’intervenante sociale de Viltaïs, chargée du centre d’accueil temporaire de Mérigny.

L’intranquilité, prétexte au rejet de l’étranger

Des portraits émouvants, tel que celui d’Alhassane, les journaux en ont publié bien d’autres. Montrant à la fois les épreuves surmontées et la farouche volonté de s’intégrer. Les témoignages sont particulièrement parlant à Buzançais où la plupart des demandeurs d’asile participent pleinement à la vie locale. Un reportage du Monde à Sommières-du-Clain dans la Vienne, en apporte les mêmes conclusions. Mais d’affirmer que ces accueils se déroulent sans problème, ne semble pas dissiper les peurs d’une partie des habitants de Bélâbre. Les craintes d’un trouble de la tranquillité, due à l’arrivée d’une quarantaine de personnes ne devraient pas résister longtemps à la réalité des faits, une fois les demandeurs installés. Autre chose est le rejet de l’étranger, traduit à Bélâbre par un tag affirmant : « Pas de CADA chez les gaulois ».

Un slogan aux relents des thèses nauséabondes d’un Le Pen, revendiquant la supériorité des Français dits de souche. L’actualité démontre pourtant que l’assimilation des individus de diverses horizons est une chance pour la France. Ainsi, parmi les Français qui ont fait vibrer le pays dans les épreuves des Jeux Olympiques, nombreux sont celles et ceux qui ne sont pas descendants directs du peuple de Vercingétorix. Peut-être qu’au milieu de la foule qui acclame ces sportifs, à Bélâbre comme ailleurs, il y en a qui ont glissé un bulletin RN ou Reconquête lors des dernières élections. Deux partis animés par la haine de la différence qui opposent et divisent les humains entre eux, cultivent le rejet de l’autre et contestent une évidence.

La nationalité est une affaire de sol et non de sang. Le vivre ensemble se cultive dans la fraternité et l’ouverture à l’autre, non dans le rejet et le repli sur soi. Philippe Gitton

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D’os et Dac, quel micmac !

Jusqu’au 21/07, au Petit Chien d’Avignon (84), Anne-Marie Lazarini propose L’os à moelle. La mise en voix des annonces parues dans l’hebdomadaire loufoque lancé en 1938 par Pierre Dac. Le saut dans un grand bain d’humour entre absurdité et délire assumé.

Divers numéros grand format de l’hebdomadaire en fond de scène, deux petits bureaux d’où émergent les têtes des trois protagonistes, rédacteurs éphémères de ce journal insolite au succès inattendu : en une seule journée, cent mille exemplaires vendus du quatre pages ! Un titre incongru déjà, L’os à moelle, qui attise la curiosité, soulève questions et soupçons. « Pourquoi ce titre ? et pourquoi pas… », répond Pierre Dac du tac au tac, sans autre explication. Une révolution journalistique en fait, ce 13 mai 1938, jour de parution du premier numéro : d’apparence austère, un véritable brûlot qui, sous couvert d’absurdité et de loufoquerie, renverse l’esprit cartésien, sème le trouble et le doute dans la tête des lecteurs. Avec une dose d’humour à décrocher la mâchoire d’un kangourou égaré sur la banquise, des articles de fond (que l’on râcle…), des recettes de cuisine (forcément épicée…) ou des petites annonces déjantées (la plupart rédigées par un débutant, Francis Blanche) : vente de pâte à noircir les tunnels, de porte-monnaie étanches pour argent liquide, de trous pour planter les arbres…

On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons seul

Il vaut parfois mieux passer hériter à la poste que passer à la postérité

Ce n’est pas une raison, parce que rien ne marche droit, pour que tout aille de travers

Quand on prend les virages en ligne droite, c’est que ça ne tourne pas rond dans le carré de l’hypoténuse

Tout avare de pensée est un penseur de radin

Le fait d’avoir la tête en feu n’exclut pas, toutefois et néanmoins, d’avoir le feu au cul

« Organe officiel des loufoques », chaque semaine l’hebdomadaire fait le bonheur de ses lecteurs, un canard déchaîné avant l’heure… D’autant plus qu’il n’a de cesse de rappeler régulièrement dans ses colonnes qu’Hitler n’a toujours pas réglé son abonnement ! En cette année des accords de Munich et de l’entrée des troupes allemandes à Vienne, Pierre Dac ne rate jamais l’occasion d’apostropher, voire de vilipender, les dictateurs en puissance. Jusqu’à passer une petite annonce significative : « Recherchons, mort ou vif, le dénommé Adolf. Taille 1m47, cheveux bruns avec mèche sur le front. Signe particulier : tend toujours la main, comme pour voir s’il pleut… Énorme récompense ». Le 31 mai 1940, une semaine avant que les Allemands n’envahissent Paris, paraît le 108ème et dernier numéro : « Il est bien connu que l’os à moelle se décompose au contact du vert de gris ». Après un long périple (Espagne, Portugal, Algérie) et diverses incarcérations, Pierre Dac rejoint alors la capitale anglaise. Pour animer les ondes de Radio Londres, incarner la célèbre voix des Français qui parlent aux Français : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » !    

Il vaut mieux prendre ses désirs pour des réalités que de prendre son slip pour une tasse à café

Le crétin prétentieux est celui qui se croit plus intelligent que ceux qui sont aussi bêtes que lui

Si rien n’est moins sûr que l’incertain, rien n’est plus certain que ce qui est aussi sûr

Les pommes sautées par la fenêtre sont des pommes de terre qui se suicident

Celui qui dans la vie est parti de zéro pour n’arriver à rien dans l’existence n’a de merci à dire à personne

Un amour débordant, c’est un torrent qui sort de son lit pour entrer dans un autre

En ces jours d’imbroglios politiques, un tel spectacle a l’outrecuidance de nous signifier que le rire, l’humour peuvent être de formidables armes de résistance ! Le non-sens éclaire d’un puissant feu de projecteur les aberrations et désastres d’un monde en totale déshérence. Sur le plateau du Petit Chien, puisant dans l’imagination débridée d’Anne-Marie Lazarini, les trois comédiens (Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet) s’y emploient avec force talent. Faisant vivre, rebondir et exploser sur scène les calembours et autres élucubrations du « Maître 63 », du Pape de l’absurde ! Entre humour et désespoir, tragique et dérision, derrière le bon mot perce la lucidité d’un homme qui, envers et contre tout, tenta de garder confiance en la force rédemptrice de l’humanité. De la seconde guerre mondiale aux conflits contemporains, la transposition s’impose, jeux de mots et sautes d’humour affichent leur cinglante actualité. Dérisoires signaux d’alarme, nous alertant qu’aux éclats d’obus sont préférables les éclats de rire ! Yonnel Liégeois

L’os à moelle, Anne-Marie Lazarini : jusqu’au 21/07, 16h. Théâtre Le petit chien, 76 Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon (Tél. : 04.84.51.07). Les Pensées qui jalonnent l’article sont extraites de l’album Les pensées de Pierre Dac, illustrées par Cabu (Le cherche midi éditeur, 202 p., 15€). Chez le même éditeur, est parue l’intégrale des Petites annonces de L’os à moelle.

Les temps sont durs, votez MOU !

Pierre Dac et Cabu sont nés à Châlons-en-Champagne, à des années d’écart mais à seulement quelques centaines de mètres de distance. Le roi des loufoques est resté jusqu’à l’âge de 3 ans dans une ville qui s’appelait alors Châlons-sur-Marne et que, origines juives obligent, il voulait faire rebaptiser Chalom-sur-Marne.

Le père du Grand Duduche et du Beauf y a grandi et commencé sa vie professionnelle dans le journal local. Pendant ses jeunes années, il a nourri son humour naissant en dévorant des numéros de L’Os à moelle conservés dans le grenier familial.

S’il est vrai, comme l’a écrit Guillaume Apollinaire, que sous le pont Mirabeau coule la Seine, il est non moins vrai, comme l’a écrit le préfet de la Seine, que sur le pont Mirabeau ne poussent pas les mirabelles

Le leader du MOU (le parti du Mouvement Ondulatoire Unifié, fondé lors de l’élection présidentielle de 1965) et Cabu se sont rencontrés qu’une seule fois, en 1969, à Paris. Les voici à nouveau réunis à travers Les Pensées du maître 63, devenues des classiques, illustrées par des dessins en noir et blanc mais résolument hauts en couleur. Pour le meilleur, mais surtout pour le rire.

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Le 1000ème article, quel chantier !

Une date à saluer pour Chantiers de culture : le 30/04, la mise en ligne du 1000ème article ! Sans bruit ni fureur, en une décennie, le site a tissé sa toile sur le web et les réseaux sociaux. Un succès éditorial adoubé par ses lecteurs et contributeurs.

Quelle belle aventure, tout de même, ces insolites Chantiers de culture ! En janvier 2013, était mis en ligne le premier article : la chronique du roman de Lancelot Hamelin, Le couvre-feu d’octobre, à propos de la guerre d’Algérie. Ce même mois, suivront un article sur l’auteur dramatique Bernard-Marie Koltès, un troisième sur Le Maîtron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Le quatrième ? Un entretien avec Jean Viard, sociologue et directeur de recherches au CNRS, à l’occasion de la parution de son Éloge de la mobilité. Le ton est donné, dans un contexte de pluridisciplinarité, Chantiers de culture affiche d’emblée son originalité… 39 articles en 2013, 176 pour l’année 2023, près d’un article tous les deux jours, le millième en date du 30 avril : un saut quantitatif qui mérite d’être salué !

Au bilan de la décennie, le taux de fréquentation est réjouissant, voire éloquent : un million six cent mille visites, plusieurs centaines d’abonnés aux Chantiers ! Nulle illusion, cependant : Chantiers de culture ne jalouse pas la notoriété d’autres sites, la plupart bien instruits et construits, ceux-là assujettis cependant à la manne financière ou aux messages publicitaires. Au fil des ans, Chantiers de culture a tissé sa toile sur le web et les réseaux sociaux. Tant sur la forme que sur le fond, la qualité du site est saluée fréquemment par les acteurs du monde culturel. Des extraits d’articles sont régulièrement publiés sur d’autres média, les sollicitations pour couvrir l’actualité sociale et artistique toujours aussi nombreuses.

Une progression qualitative, nous l’affirmons aussi… Des préambules énoncés à la création du site, il importe toujours de les affiner. En couvrant mieux certains champs d’action et de réflexion : éducation populaire, mouvement social, histoire. Un projet fondé sur une solide conviction, la culture pour tous et avec tous, un succès éditorial à ne pas mésestimer pour un outil riche de ses seules ambitions, indépendant et gratuit ! Chantiers de culture ne sert ni dieu ni maître. Sa ligne de conduite ? La liberté de penser et d’écrire sur ce que bon lui semble, comme bon lui semble. L’engagement pérenne et bénévole d’une équipe de contributrices et contributeurs de belle stature et de haute volée signe la réussite de cette aventure rédactionnelle, les félicitations s’imposent.

Pour les mois à venir, se profile un triple objectif : ouvrir des partenariats sur des projets à la finalité proche des Chantiers, développer diverses rubriques journalistiques (bioéthique, septième art, économie solidaire…), élire cœur de cible privilégiée un lectorat populaire tout à la fois riche et ignorant de ses potentiels culturels. Au final, selon le propos d’Antonin Artaud auquel nous restons fidèle, toujours mieux « extraire, de ce qu’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim » ! Yonnel Liégeois

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Montreuil, la jeunesse à la page

Jusqu’au 04/12, se tient à Montreuil (93) la 39ème édition du Salon du livre et de la presse jeunesse. Avec 280 auteurs et dessinateurs invités, 400 exposants pour illustrer La tectonique des corps, la thématique de l’événement.. Rencontres et débats, lectures dansées ou théâtralisées, expositions et ateliers, radio et télé dédiées : un temps fort incontournable, hexagonal et international !

Seuls pour les plus grands, accompagnés par leurs parents ou en groupes avec leurs enseignants, ils sont nombreux déjà en ce jour d’ouverture à faire la queue devant l’entrée du Centre d’expos de Montreuil ! Un rituel pour certains, une première pour d’autres… En ce 29 novembre, le Salon du livre et de la presse jeunesse a frappé les trois coups de sa 39ème édition. Pour illustrer le cru 2023, une affiche intrigante signée de l’illustratrice Albertine : pas vraiment une panthère, une grenouille rose peut-être ? Un allien atteint de moult coups de soleil ? Que nenni, foi de Sylvie Vassallo, la directrice de ce rendez-vous prisé des collégiens et bambins, un original « chewing gum », dans le parler de Molière une gomme à mâcher couleur fraise ou framboise, les yeux pétillants de malice… Le doute n’est point de mise, l’imagination a pris le pouvoir avant même de franchir les portes du Salon !

Outre une grande exposition pour illustrer la thématique de l’événement, quatre espaces dédiés à quatre artistes fabriquant images et dessins (la suissesse Albertine, le franco-canadien Gérard Dubois, la norvégienne Mari Kanstad Johnsen, la française Roxane Lumeret), la tectonique des corps s’affiche donc comme le fil rouge de l’événement. « Les corps des enfants et des adolescent∙e∙s sont aujourd’hui au centre de sujets de société́ », commente Sylvie Vassallo, « les interminables débats sur la bonne longueur des jupes en sont un exemple, comme les polémiques sur le genre, le rejet des corps non normés, les affaires de harcèlement ».  Et de poursuivre, « nous voulons regarder de quelle manière la littérature jeunesse traite de ces changements, les accompagne, permet de prendre de la distance aussi, et comment elle peut aider les jeunes à vivre dans cette société́ ». Pour l’occasion, 280 auteurs, hommes et femmes, ont répondu présents au rendez-vous et pas moins de 400 maisons d’édition, petites ou grandes !

Incontournable désormais dans le paysage festivalier, le Salon de Montreuil, contrairement aux affirmations encore avancées de-ci de-là, n’est pourtant pas le premier du genre en territoire hexagonal. C’est en province que l’idée germa, à Rouen plus précisément : à l’initiative de feu la librairie La Renaissance et, plus étonnant, de la CGT locale ! En 1983, dans les locaux de l’organisation syndicale, sise rue du Renard (l’emblématique animal devenant la mascotte de l’événement), se déroule le premier Festival du livre de jeunesse en France : 240 visiteurs pour 15 éditeurs sur 250 m² ! Quarante et un ans plus tard, du 10 au 12 novembre, sous la prestigieuse Halle aux toiles rouennaise, classée monument historique et avec l’auteur-illustrateur Barroux en invité d’honneur, il a rassemblé plus de 10 000 visiteurs en culotte courte !

Montreuil met aussi les dessinateurs à l’affiche de son Salon. Avec le dévoilement en avant-première des illustrations des futures stations du super-métro qui encerclera Paris en 2025, avec une lecture dessinée au théâtre Berthelot autour du travail de Régis Lejonc, avec l’exposition au Centre d’art Tignous : sommité dans la catégorie livres pour la jeunesse, Antonin Louchard expose 250 tableaux, petits ou grands, sous le label Enfantillages ! Plaisir de la découverte et de la rencontre, plaisir à lire et comprendre la société qui nous entoure, les allées du Centre d’expos ne manqueront pas de bruisser à nouveau de mille saveurs et clameurs à tourner les pages du grand livre du monde. Yonnel Liégeois

Le 39ème Salon du livre et de la presse jeunesse : jusqu’au 04/12, de 9h à 18h les mercredi-jeudi-lundi, jusqu’à 21h le vendredi, 20h le samedi, 19h le dimanche. Espace Paris Montreuil Expo, 128 rue de Paris, 93100 Montreuil. Enfants, parents, gratuits ou payants, billet d’entrée obligatoire : gratuit les mercredi-jeudi-vendredi pour tous, payant les samedi-dimanche-lundi (sur le web exclusivement, le billet à 5€ comprend un chèque lire de 4€).

Grande ourse et Pépites d’or

Lors de cette 39ème édition, le Salon a décerné sa Grande ourse 2023 à Béatrice Alemagna. Créée en 2019, cette distinction vient éclairer l’œuvre d’une créatrice ou d’un créateur francophone dont l’écriture, le geste, la créativité, d’une ampleur ou d’une audace singulière, marque durablement la littérature jeunesse.

La Pépite d’or est décernée à Nous traverserons des orages, d’Anne-Laure Bondoux. Elle est attribuée par un jury de critiques littéraires et sacre le meilleur titre de l’année parmi les 20 en compétition.

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Maryam Madjidi, une femme de nuance

Au lendemain du 7 octobre, le monde a basculé dans la sidération. L’horreur s’est affichée sur une muraille prétendument imperméable entre Israël et la bande de Gaza, là où plus de deux millions de personnes osaient encore survivre dans leur prison à ciel ouvert, dans leur pré carré. Il y belle lurette que les grandes puissances, y compris les états arabes, ne se souciaient plus de leur sort.

La terreur a réveillé les consciences internationales, impotentes et somnolentes depuis 1948…  D’un côté une organisation terroriste, de l’autre un gouvernement israélien composé « d’ultraorthodoxes et de nationaux-religieux messianiques, la version juive du Hamas », selon les propres termes d’Elie Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël en France ! Alors que chaque camp comptabilise ses morts, plus de 1400 en Israël et presque quatre fois plus déjà en territoire gazaoui, experts autoproclamés et responsables politiques décervelés se livrent une sinistre bataille sémantique à l’heure où les mots ont perdu tout sens commun, surtout humain.

D’un côté, syndicaliste-footballeur-simple citoyen, le couperet tombe lorsque leurs voix s’élèvent pour la défense des droits du peuple palestinien, de l’autre un ministre de l’Intérieur français désavoué par le Conseil d’état et la présidence européenne embourbée entre son soutien inconditionnel à Israël et son silence au regard du respect du droit international et de la protection des populations civiles à Gaza… Au rebus, la nuance et la complexité : un état de fait que déplore l’écrivaine Maryam Madjidi dans les colonnes du quotidien L’Humanité. Une chronique, fort lucide et éclairante, proposée à l’appréciation des lecteurs de Chantiers de culture. Yonnel Liégeois

Née en 1980 à Téhéran, Maryam Madjidi quitte l’Iran avec sa famille en 1986 pour s’installer en France. Après des études de lettres à la Sorbonne, elle enseigne le « français, langue étrangère » auprès de réfugiés et de mineurs non accompagnés. Elle publie en 2017 son premier roman, Marx et la poupée, couronné du Goncourt du premier roman. En août 2021, sort Pour que je m’aime encore, toujours aux éditions Le nouvel Attila.

Le rameau d’olivier

Un ami m’envoie une vidéo de Yasser Arafat qui date du 13 novembre 1974. Il s’agit de son discours à l’ONU. « Je suis venu, un rameau d’olivier dans une main, un fusil de combattant dans l’autre. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main, ne le laissez pas tomber, ne le laissez pas tomber ». Cinquante ans après, le rameau d’olivier est bel et bien tombé, et a même été carrément piétiné. Samedi 7 octobre, un coin du monde a basculé dans l’enfer et, avec lui, le monde entier. Il est difficile de penser à autre chose, de détourner le regard, de vivre comme si ce tout ce sang n’avait pas coulé. Je suis suspendue aux informations, aux images déchirantes et aux vidéos sidérantes.

Je revis la même force écrasante de l’actualité qu’à l’automne 2022 en Iran, après la mort de Mahsa Amini. Cette actualité que l’on se doit de porter sur les épaules. Je ne suis pas palestinienne, je ne suis pas israélienne, je ne suis pas musulmane, je ne suis pas juive, mais cette guerre me frappe en tant qu’être humain sur cette terre. Je me répète sans cesse comme tout le monde : comment en est-on arrivé là ? Une multitude d’éléments, d’événements, de conjonctures pourrait être invoquée : j’en laisse le soin aux spécialistes qui travaillent depuis des années à comprendre, éclairer, analyser ce coin de terre qui n’a jamais connu de paix durable. Je ne prétends pas les compiler et les exposer ici. Ce n’est pas mon travail.

Mon travail d’écrivaine me porte ailleurs. Vers une région que j’appellerai la nuance. La nuance qui révèle la complexité. L’une et l’autre marchent ensemble sur le chemin de la vérité, comme deux amies, deux sœurs. Or, ces deux mots semblent disparaître de plus en plus du débat.

Nous n’avons que faire de la nuance et encore moins de la complexité. Elles demandent du recul, de la réflexion, du temps. L’époque est à la vitesse, à l’emporte-pièce. C’est intéressant l’origine du mot « emporte-pièce » : « instrument généralement d’acier qui permet de découper d’un seul coup et en une seule pression une pièce aux contours déterminés… », selon la définition du « Trésor de la langue française ». Nous découpons d’un coup un morceau de la réalité et voilà l’opinion tranchée et le débat terminé. La nuance demande surtout de se décentrer, de se déplacer, de se mettre à la place de. Elle nécessite de faire de la place à l’autre. Cet autre peut être l’opprimé aussi bien que l’oppresseur. D’ailleurs, dans le conflit israélo-palestinien – c’est là un aspect de sa complexité –, les deux figures se fondent l’une dans l’autre. Mais l’opinion radicale et tranchée doit immédiatement distribuer et figer les rôles. T’es pour ou contre ? Choisis ton camp ! Fin du débat.

Parce que la littérature est le terrain privilégié de la nuance, je voudrais vous parler d’un livre. Il s’intitule Apeirogon. Écrit par Colum McCann et publié en 2020. Sa lecture est d’une nécessité salvatrice en cette période de guerre et d’horreur. Le roman est construit par fragments, 400 au total qui disent, par cette forme éclatée, la confusion et la complexité de la réalité de ce conflit. C’est l’histoire vraie de deux pères, l’un israélien, l’autre palestinien. Ils ont tous deux perdu une fille dans ce conflit. Ils auraient pu se haïr mais ils ont fait le choix de se parler, de mettre des mots sur leur douleur et de combattre ensemble pour la paix. Ils ont ramassé le rameau d’olivier tombé à terre et ont tout fait pour le planter. Maryam Madjidi

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Entre fanatisme et incurie

Les actions terroristes du Hamas, à la frontière entre Israël et Gaza, ont sidéré l’opinion internationale. Ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi estime que ces événements sont « la résultante d’une conjonction de deux facteurs : une organisation islamiste fanatique et une politique israélienne imbécile ». Une tribune parue le 08/10, dans les colonnes du quotidien Le Monde.

Il se produit dans l’histoire des événements à la fois surprenants et prévisibles. Tel fut l’attaque du Hamas contre les localités israéliennes de « l’enveloppe » de la bande de Gaza. Surprenant par le moment choisi, l’ampleur et l’audace inédites de l’opération et la dévastation qu’elle a provoquée, ainsi que, côté israélien, par la totale incurie des renseignements militaires et civils (Shin Beth) et le désarroi initial des forces de défense.

Des scènes de cauchemar : des combattants juchés sur des pick-up munis de fusils automatiques, façon Etat islamique, qui franchissent sans coup férir une formidable barrière érigée à coups de milliards et hérissée de senseurs technologiques dernier cri ; des terroristes armés qui marchent une heure durant, sans rencontrer personne sur leur chemin, pour investir villes et kibboutz ; hommes, femmes et enfants tués à bout portant dans la rue ou dans leur maison, pris par dizaines en otages et emmenés de l’autre côté de la frontière, où les réseaux sociaux les montrent exhibés, battus, insultés ; des familles qui étouffent dans leurs abris et dont la radio répercute les appels désespérés à l’aide ; un reporter de radio gazaoui qui transmet en direct (!) depuis la cour d’un immeuble où opèrent les terroristes ; et, lorsque l’armée arrive enfin, des combats acharnés rue par rue, maison par maison, tout au long d’une journée, d’une nuit et une journée encore…

Surprenant, oui. Car enfin, comment l’armée la plus puissante de la région, l’une des premières au monde nous assure-t-on, comment des services secrets aussi performants, capables de localiser un chef terroriste au troisième étage à gauche dans un immeuble qui en compte trente, ont-ils été incapables de voir venir le coup, puis de le prévenir ? C’est là qu’intervient le second terme : prévisible. Car ce que nous venons de subir n’est pas un décret du ciel. C’est la résultante d’une conjonction de deux facteurs : une organisation islamiste fanatique dont l’objectif déclaré est la destruction d’Israël ; et une politique israélienne imbécile à laquelle se sont accrochés les gouvernements successifs et que le dernier a portée à l’incandescence.

Au fil des ans, un rapport de force s’est installé entre Israël et le Hamas, où ce dernier a fini par s’assurer une sorte de droit d’initiative. C’est lui qui décidait de la hauteur des flammes, en fonction de l’évolution de ses intérêts. Ainsi, que le Qatar, son financier, ne se montre pas assez généreux à son gré, ou assez rapide, il lui suffisait d’une salve de roquettes pour entraîner Israël dans une spirale d’où les habitants sortaient meurtris. Mais lui obtenait ce qu’il voulait au prix d’un cessez-le-feu nécessairement éphémère. Pour sortir de ce cercle vicieux, il eût fallu que le gouvernement de Jérusalem imagine une solution : la réhabilitation politique de l’Autorité palestinienne couplée à celle, économique, de la bande de Gaza. Cela supposait toutefois la résurrection du « processus de paix », alors que le découplage des deux tronçons du territoire palestinien était précisément censé éviter cela. Le Hamas, finalement, était bien utile.

Avec l’actuel gouvernement, cette « politique » a atteint son point de perfection. L’unique souci du premier ministre étant de s’extraire du mauvais pas judiciaire où il s’est fourré, il a composé sa coalition d’ultraorthodoxes et de nationaux-religieux messianiques – la version juive du Hamas –, dont l’Etat de droit est le dernier souci, et avec lesquels il a conclu un pacte faustien : à lui la tête des juges de la Cour suprême, à eux la « Judée-Samarie » biblique et le libre accès au mont du Temple, de plus en plus investi par les zélotes.

Comme on sait, ce pacte a eu un prix : l’insurrection civile de l’Israël démocratique et libéral, le coup grave porté à la cohésion de l’armée et des services, l’atmosphère de guerre civile latente qui s’est installée dans le pays. Le Hamas, comme le Hezbollah au Nord et son patron iranien à l’Est, a bien étudié la situation. Mais les zélotes n’en ont eu cure, le premier ministre non plus. A la question de savoir où était l’armée au moment de l’attaque, la réponse est simple : en Cisjordanie. Détail anecdotique : à la veille de l’attaque, un bataillon entier était affecté à la protection d’une prière publique et d’une « leçon de la Torah » sur la chaussée qui traverse la ville d’Huwara, au sud de Naplouse. Il n’en fallait pas davantage pour faire barrage à l’invasion des commandos du Hamas. L’opération du Hamas ne s’intitule-t-elle pas le « Déluge d’Al-Aqsa » ? La prochaine Intifada est une question de temps.

Immanquablement, on a évoqué la catastrophe de Kippour, cinquante ans auparavant à un jour près. A juste titre. Même « conception » arrogante – ils n’oseront pas, ils savent qui nous sommes, ils ont tout à perdre et rien à gagner –, même surprise douloureuse, mêmes échecs initiaux… En un sens, c’est même plus humiliant aujourd’hui. A l’époque, on a eu affaire à deux armées nationales suréquipées et bénéficiant, en sus de l’effet de surprise, de la supériorité numérique. Aujourd’hui, même si le Hamas a beaucoup appris, il ne fait pas le poids face à Tsahal. Pis encore, pour la première fois depuis la guerre d’Indépendance, en 1948, il a fallu se battre sur le sol souverain.

La comparaison s’arrête cependant là. La guerre du Kippour fut une épreuve suprême, existentielle ; pendant quelques jours, le pays a tremblé au bord du précipice. Rien de tel aujourd’hui, évidemment. Pour autant, ce mini-Kippour est, comme l’autre, susceptible de bouleverser les équilibres régionaux. J’ignore sur quelle configuration il débouchera. Une chose, néanmoins, est certaine : le rêve de Benyamin Nétanyahou de s’entendre avec l’Arabie saoudite sur le dos des Palestiniens a du plomb dans l’aile. C’est un axiome de sa diplomatie, apparemment justifié par les accords d’Abraham de septembre 2020, que les Etats sunnites se moquent du sort des Palestiniens et que l’on peut faire la paix avec ceux-là tout en ignorant ceux-ci. Cela va s’avérer compliqué.

Qui sait, peut-être l’énigme de Samson va-t-elle se vérifier sur la terre où il l’a proposée aux Philistins (Juges, 14-14) : « Du fort est sorti le doux ». Elie Barnavi

Ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002, l’historien et essayiste Elie Barnavi dirige le comité scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Israël-Palestine, une guerre de religion ? (Bayard, 2006), Israël, un portrait historique (Flammarion, 2015), Dix thèses sur la guerre (Flammarion, 2015).

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Philippe Sollers, maître écrivain

Décédé le 5 mai à Paris, Philippe Sollers s’était imposé dans le monde des lettres : romancier, essayiste, directeur de revue, critique littéraire ! De la recherche abstraite dans le champ de l’écriture jusqu’au retour figuratif dans la verve du récit, ce maître écrivain infiniment libre, qui a épousé alternativement plusieurs causes, ne doit pas cesser d’être lu et relu.

On a du mal à croire que c’est à 86 ans que Sollers est mort ce 5 mai. On le revoit toujours jeune, insolent, sarcastique, encore gravement penché sur sa machine à écrire portative, dans sa maison de l’île de Ré survolée par les mouettes, ou dans ce bureau exigu de directeur de collection, chez Gallimard. Il n’y a qu’un an, il publiait Graal. « Tout est maintenant immédiat, y écrivait-il au début, le temps ne coule plus, et le plus stupéfiant est que personne ne semble s’en rendre compte. »

C’est que ce temps n’était plus le sien, qui eut à voir avec un moment intense de l’histoire des idées, dans lequel il prit part avec vigueur dans la seconde moitié du XXe siècle. On sait qu’en 1958 il fut élu par Aragon et Mauriac, à la sortie de son premier roman, Une curieuse solitude, écrit à 22 ans. On dirait que le reste de sa longue vie a consisté à déjouer ces bénédictions initiales, que d’autres auraient gravées sur leurs cartes de visite. Sollers, né coiffé, talentueux comme pas deux, ne s’est-il pas ingénié, fiévreux dialecticien, à cultiver la contradiction en permanence, quitte à se contredire lui-même, jusqu’au retournement, voire la palinodie. Ce lui fut alternativement reproché à droite, à gauche, au centre.

Réfractaire d’instinct, il avait été viré par les jésuites de Versailles pour « indiscipline chronique et lecture de livres surréalistes ». Il simule la folie pour ne pas être incorporé lors de la guerre d’Algérie. Il passe trois mois en observation à l’hôpital militaire de Belfort. Il est réformé sur intervention de Malraux. À la fin des années 1960, il est proche du Parti communiste. Le 29 mai 1968, il participe à la grande manifestation de la CGT, aux côtés d’Aragon, Elsa Triolet, Jean-Luc Godard… En mars 1969, il est à la Semaine de la pensée marxiste, sur le thème « Les intellectuels, la culture et la révolution ». Il fait partie du comité national de soutien à la candidature de Jacques Duclos à l’élection présidentielle. En 1970, Tel Quel (revue qu’il a fondée en 1960) et l’organe communiste la Nouvelle Critique organisent, de concert, le colloque de Cluny, qui ne débouche sur aucun accord quant aux différents aspects de la recherche en littérature et le mouvement socio-politique immédiat. J’y étais, avec mon camarade Charles Haroche, pour le compte de l’Humanité.

Il a fait entendre Artaud, Bataille,

Ponge, Barthes, Derrida, Foucault

Il y eut ce chemin de Damas qui s’ouvrit devant Sollers et d’autres, non des moindres, vers la Chine de Mao. En 1971, Maria-Antonietta Macciocchi, journaliste à l’Unità, publie De la Chine. Le livre ne sera pas admis à la vente à la Fête de l’Humanité. En Chine, Sollers se rend en 1974, avec Julia  Kristeva (épousée sept ans plus tôt), Roland Barthes, François Wahl… Ce qui le fascine là-bas, me semble-t-il, est d’abord d’ordre esthétique ; la calligraphie, l’élan de masses en effervescence, les vers sibyllins de Mao… Il était nourri de la Pensée chinoise, l’indispensable ouvrage du sinologue Marcel Granet. Le virage chinois de Tel Quel lors de la Révolution culturelle fut cause de scissions. Jean-Pierre Faye crée la revue Change. Jean Ricardou et Jean Thibaudeau claquent la porte. Sollers reconnut plus tard un emballement excessif. L’époque était politiquement très dure, mais en est-il de douces ? 1973 avait vu la parution de l’Archipel du goulag, de Soljenitsyne. Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, « nouveaux philosophes », tenaient le haut du pavé. Il n’était facile pour personne d’avoir la conscience tranquille. Le monde d’alors ne dessinait-il pas le brouillon du monde actuel ?

Rebelle constant, Philippe Sollers a multiplié les causes à embrasser, jusqu’à donner quitus à la papauté, grâce à l’art de la Contre-Réforme : vengeance de jésuites. Il a tout lu, tout digéré et métamorphosé par l’écriture, en une période historique où ce mot a dûment remplacé celui de littérature. La revue Tel Quel, dont il fut l’actif chef de bande, constitua le tambour battant d’une avant-garde dont on recueille encore les fruits dans la pensée, même si l’air du temps pue la réaction. Lorsqu’il a défini la France comme « moisie », quel tollé ! Artaud, Georges Bataille, Francis Ponge, Roland Barthes, Jacques Derrida, Michel Foucault, entre autres, il a contribué à les faire entendre et nombreux furent ceux à qui il mit le pied à l’étrier.

Il a expérimenté sa vie durant, a lutté contre la métaphysique en prônant le matérialisme, tout en ayant la mystique de l’expression au plus haut prix. De l’écriture sérielle au récit hardiment troussé, chercheur inlassable, expert en coulées verbales inextinguibles ( LoisHParadis…), il a su, quittant soudain le ciel des conceptions novatrices inspirées de Joyce et consorts, retrouver avec Femmes, en particulier, la verve pamphlétaire ancestrale. Il a chéri la langue dans tous ses états. Son œuvre de journaliste dans le Monde a été considérable. Il a magnifié l’esprit musical du XVIIIe siècle. Il faut lire Sollers de A à Z, sans oublier son lumineux visage de moine libertin. Jean-Pierre Léonardini

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Jaurès, le pari de l’éducation

Aux éditions Privat, est paru Jean Jaurès ou le pari de l’éducation. Sous la direction de Gilles Candar et Rémy Pech, historiens, juristes, philosophes et théoriciens de l’enseignement décryptent la pensée jaurésienne en matière d’éducation. Paru dans le quotidien régional La Dépêche, un article de Philippe Rioux.

Évoquer Jean Jaurès, c’est convoquer une figure de la République qui repose au Panthéon ! Une figure aux multiples facettes… D’abord, il y a le député du Tarn qui défendit les mineurs en grève de Carmaux, l’agrégé de philosophie qui s’engagea en faveur de Dreyfus. Ensuite, se présente l’artisan de la loi de séparation des Église et de l’État de 1905, pilier de la laïcité. Enfin, se dresse l’homme de presse qui fonda L’Humanité et fut l’une des plus belles plumes de La Dépêche, le socialiste qui combattit le nationalisme et défendit la paix jusqu’à y laisser la vie.

Mais dans cette vie, cet exceptionnel destin français, la place de l’éducation reste centrale. Ce n’est pas pour rien que lorsqu’il s’est agi, en octobre 2020 de trouver un texte pour rendre hommage au professeur Samuel Paty, lâchement assassiné, c’est tout naturellement la Lettre aux instituteurs et institutrices de Jaurès, publiée dans L’Humanité le 15 janvier 1888, qui apparut comme une évidence. Ce constant « pari de l’éducation » établi par Jaurès fait l’objet d’un livre passionnant publié aux éditions Privat. Jean Jaurès ou le pari de l’éducation rassemble les contributions d’historiens, de philosophes, de juristes, de praticiens et de théoriciens de l’enseignement, réunies sous la direction de Gilles Candar, historien des XIXe et XXe siècles et président de la Société d’études jaurésiennes et par Rémy Pech, professeur d’histoire contemporaine, ancien président de l’université Toulouse-II-Jean-Jaurès et président de l’association des amis de Jean Jaurès.

Quels sont les principes édictés par Jaurès notamment en matière d’innovation pédagogique ? Quelles sont ses pratiques à l’école, au collège, à l’université ? À quels prolongements ont donné lieu ses préceptes ? En répondant à ces questions, les spécialistes dessinent non seulement la carte de la pensée jaurésienne en matière d’éducation, mais aussi fournissent à tous ceux qui enseignent des outils conceptuels et des pistes de réflexion utiles. Autant dire que le « pari de l’éducation » auquel croyait Jaurès est plus que jamais d’actualité en 2023. Philippe Rioux

Jean Jaurès ou le pari de l’éducation, sous la direction de Gilles Candar et Rémy Pech (Éditions Privat. 216 pages. 19,90 €).

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Lucien Attoun, une vie pour le théâtre

Homme de radio au métier sûr, critique dramatique, Lucien Attoun est mort à Paris le 28 avril. Les deux grandes passions de sa vie ? La radio avec France Culture et la création de Théâtre Ouvert avec son épouse Micheline. Le théâtre de service public lui doit beaucoup.

Lucien Attoun vient de s’éteindre à l’âge de 88 ans, le 28 avril à Paris. J’en éprouve du chagrin. Lucien, je l’ai connu, fréquenté, apprécié depuis un demi-siècle au bas mot. Le théâtre de service public lui doit une fière chandelle et France Culture, en la matière, se devrait, en bonne logique, d’afficher à son égard une gratitude éperdue.

L’amour du théâtre, il le tient de son père, comédien et chanteur populaire en Tunisie, où Lucien naît en 1935 à la Goulette, au nord de Tunis. Il débarque en France en 1947, avec sa sœur cadette et sa mère. A 12 ans, pensionnaire au lycée Maimonide de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), il y croise Micheline Malignac, qui n’a qu’un an de moins que lui. Ils ignorent alors qu’ils se marieront en 1963 et qu’on leur devra cette magnifique aventure vécue en commun, Théâtre Ouvert, qui fera tant pour l’écriture dramatique dans notre pays, mais n’anticipons pas.

Lucien a 16 ans quand meurt sa mère. Elle lui avait dit : « Veille sur ta sœur ». Jeune homme de devoir, il cumule les « petits boulots » sans perdre de vue le champ culturel. En 1958, il fait partie du Groupe de théâtre antique de la Sorbonne. La même année, il devient secrétaire général puis président du cercle international de la jeune critique, fondé sous l’égide du fameux Théâtre des Nations. Il enseigne dix ans dans un collège de Lyon, est nommé adjoint au directeur chargé de l’animation culturelle à HEC, de 1956 à 1969. Critique dramatique, il publie dans la revue Europe, puis aux Nouvelles littéraires, à Témoignage chrétien, à la Quinzaine littéraire…

Son exceptionnelle carrière d’homme de radio s’ouvre en 1967, lorsqu’il est embauché à France Culture, en qualité de chroniqueur, dans la Matinée du théâtre, rebaptisée la Matinée des arts du spectacle. Il est producteur des Heures de culture française, plus tard devenues les Chemins de la connaissance, et d’Une Semaine à Paris. De 1969 à 2002, Lucien Attoun crée et produit, toujours sur France Culture, le Nouveau répertoire dramatique, une série d’émissions d’une importance capitale (la première pièce de Koltès, l’Héritage et l’Ignorant et le fou, de Thomas Bernhard, entre autres, y sont diffusées). A son actif encore, les collections Radiodrame et Cycle de fiction. Son activité de production sur les ondes ne laisse pas d’être impressionnante. Récapitulons : On commence (1965-1997), Mégaphonie (1984-1997), Profession spectateur (1997-2002) et Passage du témoin (2002-2004). Il a été conseiller artistique de Giorgio Strehler, quand celui-ci dirigeait l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

La grande affaire de la vie de Micheline et Lucien Attoun, ce sera l’invention de Théâtre Ouvert, à la suite naturelle, pour ainsi dire, de leur vif intérêt pour les auteurs vivants. En 1970, Lucien crée chez Stock la collection Théâtre Ouvert, justement. L’été 1971 à Avignon, peu avant la disparition de Vilar, Lucien lui fait remarquer que la création contemporaine n’a pas droit de cité au festival. Vilar met alors Lucien au défi de joindre le geste à la parole. C’est d’emblée le succès dans la Chapelle des Pénitents-Blancs, haut-lieu soudain de « mises en espace » (douze jours de répétition) et du »gueuloir« où se profèrent des textes neufs.

En 1981, Théâtre Ouvert s’installe au Jardin d’Hiver, passage Véron, à côté du Moulin Rouge, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dans un immeuble hanté par les souvenirs poétiques de Valentin-le Désossé, Jacques Prévert et Boris Vian. En 1988, Théâtre Ouvert, ayant à la boutonnière la révélation d’une multitude de pièces d’auteurs vivants (les moindres n’étant pas Koltès et Lagarce), obtient le statut, ô combien mérité, de Centre dramatique national de création. Jean-Pierre Léonardini

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