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Anne Sylvestre, l’embellie !

Au Café de la danse (75), Merieme Menant présente Emma la clown ose Anne Sylvestre. Un spectacle chansonnier où l’artiste revisite le répertoire de la dame aux fabulettes. Accompagnée au piano par Nathalie Miravette, entre humour et émotion, du grand art !

Le doute n’est point de mise : Anne – Merieme – Nathalie, trois prénoms faits pour s’entendre, trois femmes faites pour se comprendre… La Miravette fut la pianiste de la Sylvestre pendant plus de dix ans. Merieme l’a rencontrée un soir, la grande dame venue la féliciter au final de son spectacle Emma la clown. L’une et l’autre le reconnaissent, sans fausse pudeur : amour, admiration et respect pour Anne Sylvestre, la femme et l’artiste ! De toute façon, ce spectacle devait voir le jour, il ne pouvait en être autrement, Emma la clown connaît son répertoire par cœur et les sondages ont révélé qu’elle est la plus grande admiratrice sur la planète de l’auteure-interprète, il suffit d’oser !

Et en complicité avec Nathalie Miravette au piano, Emma la clown ose tout sur la scène du Café de la danse. Jouant des mimiques de son personnage au nez rouge, s’emparant du balai maudit ou béni de la Sorcière comme les autres, flânant sur les berges du Lac Saint Sébastien, se dandinant telle la Bergère au chevet de son troupeau, Les blondes courant aux abris tandis que résonne impérativement le Tiens-toi droitOn rit beaucoup, la tendresse au rendez-vous, l’émotion surtout à l’évocation des Lettres d’amour. D’une chanson l’autre, ce n’est point un banal récital chansonnier auquel le public est convié, c’est un spectacle à part entière. Les deux interprètes, parole et musique, mêlent leur partition à la perfection. Un dialogue tout à la fois pudique et public entre les deux artistes où perle leur bonheur d’avoir croisé la route d’Anne la bourguignonne, douleur et nostalgie lorsqu’elle déserta la scène en 2020, presque une mort par effraction.

Emma la clown a osé, elle a bien fait et elle le fait bien ! Un spectacle comique assurément, émouvant et touchant certainement, revitalisant absolument. Yonnel Liégeois

Emma la clown ose Anne Sylvestre, Merieme Menant et Nathalie Miravette : jusqu’au 20/12, ouverture des portes à 19h30, 1ère partie à 20h (Margot Madani/Les filles du vent). Le Café de la danse, 5 Passage Louis-Philippe, 75011 Paris (Tél. : 01.85.09.78.63). Le 06/02/26, au Centre culturel d’Isle (87), le 07/02 au festival « Détours de chant » à Toulouse (31), le 13/02 au Cratère d’Alès (30), le 06/03 à l’Espace Victor Hugo de Ploufragan (22), le 08/05 au festival Bernard Dimey à Nogent (52), le 16/05 au festival de l’Oreille en fête à Salins les Bains (39)

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Les jeux d’échecs de Samuel Beckett

En cette fin d’année, la revue Europe consacre son numéro à Samuel Beckett. À l’évocation de son nom, ce sont les silhouettes de deux clochards dépenaillés qui viennent immédiatement à l’esprit. Pour la postérité, Beckett restera avant tout l’auteur d’En attendant Godot. L’une des plus grandes déflagrations de l’histoire du théâtre.

La revue Europe, qu’anime avec rigueur le poète Jean-Baptiste Para, consacre à Samuel Beckett un numéro des plus exaltants. Une pléiade de chercheurs, français et britanniques, passent au crible les tenants et aboutissants de la « grande œuvre solitaire » – ainsi que le dit Robin Wilkinson en introduction – de celui qui devint soudain célèbre au lendemain de la première, le 4 janvier 1953 au Théâtre de Babylone, de la pièce En attendant Godot mise en scène par Roger Blin. De son propre aveu, Beckett vint au théâtre pour s’éloigner de la « sauvage anarchie des romans ». Son premier (Murphy, 1938) fut publié à Londres après des poèmes, des nouvelles, des essais, notamment sur Proust et Joyce, dont il fut l’intime. Son installation à Paris fut le prélude à un prodigieux bilinguisme, avec des allers et retours d’un idiome à l’autre, sans oublier l’allemand, qu’il pratiquait aisément. Venant après les biographies de James Knowlson et Deirdre Bair, Europe apporte, sur l’Irlandais enragé d’écrire, des éclaircissements d’une importance capitale.

Rien n’est laissé sous silence (un mot-clé pour lui) de ses textes brefs, récits et « dramaticules » de plus en plus portés en scène, autant que ses pièces de la voie royale. Quant à son passage à la mise en scène de ses œuvres – on le sait extrêmement pointilleux – les analyses sont primordiales. Inventeur de rapports inédits du personnage à l’espace, au temps et à un langage ressassé, Beckett inaugure bel et bien « une esthétique du ratage et de la disparition programmée » (Thierry Robin). Le français de Beckett, tout à la fois savant et populaire, monté cut, elliptique, fondé sur « l’arbitraire du signe », ajoute un chapitre inouï à l’histoire de notre langue. En regard de la dépense langagière démiurgique de James Joyce (son Finnegans Wake mêle soixante langues), Beckett s’astreint à la plus stricte économie. Pour lui, à l’instar de l’architecte américain Mies van der Rohe, Moins c’est plus (less is more). Cela suffit, à ses personnages à bout de souffle qui rampent dans la boue, s’enlisent dans la terre ou mettent la tête hors de poubelles…

Né protestant, Samuel Beckett (1906-1989) a respiré la Bible : « Tu es poussière et tu retourneras poussière ». Au final de ce brillant numéro, à lire l’admirable texte de Denis Lavant, Beckett la merveille. Devenu, au fil des années, l’acteur idéal digne d’incarner ces figures en perdition, il en souligne l’humour fracassant comme l’exigence spécifique de la mise en corps qu’elles impliquent. Jean-Pierre Léonardini

Samuel Beckett, la revue Europe : novembre-décembre, n° 1159-1160, 362 p., 22€00.

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Figaro, une folle journée !

Au théâtre de la Scala (75), Léna Bréban propose La folle journée ou Le mariage de Figaro. L’adaptation du brûlot de Beaumarchais écrit en 1778, créé sur la scène de la Comédie Française en 1784, interdit régulièrement, autorisé, censuré… Un regard cuisant, et réjouissant, sur des sujets qui n’ont rien perdu de leur acuité : le pouvoir des puissants, la place des femmes.

Sur la grande scène de la Scala, se déroule une folle journée… Heureusement pour le public, réduite de 5h à 2h de spectacle dans l’adaptation de Léna Bréban, la metteure en scène ! Avec un florilège de personnages hauts en couleurs pour qui l’avenir se joue en cet espace temps : un comte lassé de son épouse, une servante convoitée par son maître en dépit de l’abrogation du droit de cuissage, un bourgeois déclassé promis à une vieille dame s’il ne peut lui rembourser ses dettes, un valet qui s’égare dans les rubans parfumés de la dame du logis. Il va sans dire qu’entre répliques et quiproquos, portes qui s’ouvrent et claquent, duos amoureux et dialogues houleux, la journée ne sera pas de tout repos. Le nœud de toute l’affaire ? Le mariage de Figaro avec la charmante Suzanne, plutôt compromis…

Comme chez Molière, tout est bien qui finit bien, Chantiers de Culture ne déflore aucun mystère : l’inceste est évité de justesse, coup de théâtre, la vieille Marceline se révèle être la mère de Figaro ! La servante épousera donc son galant, le comte libidineux s’excusera auprès de son épouse… Sous couvert de vaudeville, Beaumarchais s’en donne à cœur joie pour vilipender nantis et puissants, dénoncer la comédie de mœurs d’un régime qui a fait son temps. « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus », tempête Figaro à l’encontre de son seigneur et la brave Marceline, forte de l’expérience liée à son âge avancé de plaider la cause des femmes, « leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ». Songeons aux répercussions de tels propos en ce XVIIIème siècle, finissant et agonisant !

Les bons mots fusent, les sentences pleuvent, tel Figaro au cœur de son fameux monologue, « Sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ! ». Derrière le rire et l’humour des situations, à la veille de la Révolution Française, se dévoile toute la violence sociale et humaine d’un système en train de vaciller.

« C’était hier mais c’est aujourd’hui », commente Léna Bréban, la metteure en scène, « l’écrasement des plus pauvres, la valorisation du pouvoir, les femmes devant gérer les assauts continus d’hommes à qui elles n’ont rien demandé ». Mûri par le temps, Philippe Torreton s’impose de la voix et du geste dans le rôle-titre, toute la troupe à l’unisson. Entre flamboyance du verbe et qualité d’interprétation, classicisme et modernité, le plaisir des planches ! Yonnel Liégeois, photos Ambre Reynaud

La folle journée ou Le mariage de Figaro, d’après Beaumarchais, Léna Bréban : jusqu’au 04/01/26, du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 17h. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30).

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Les folies d’Olivier Py

Au théâtre du Châtelet, Olivier Py présente La cage aux folles. Une recréation de la comédie musicale d’après le musical new-yorkais, lui-même adapté de la pièce éponyme de Jean Poiret. 50 ans après, le spectacle n’a rien perdu ni de son irrévérence ni de son acuité.

Dans le hall du Théâtre du Châtelet, la foule se presse sous des éclairages stroboscopiques rose vif. Ouvreuses et ouvreurs portent à la boutonnière quelques plumes, probablement réchappées du boa de Zaza. Lorsque le rideau se lève sur le décor, somptueux, on devine que la Cage aux folles, revue par Olivier Py, sera à la hauteur d’une mise en scène qui va se révéler audacieuse, joyeuse et politiquement irrévérencieuse. Au tout début de l’histoire, il y a la pièce, écrite par Jean Poiret. Créée au Théâtre du Palais-Royal en février 1973, elle met en scène l’histoire d’un couple homosexuel, Albin à la ville, Zaza à la scène et Georges, interprétés par Michel Serrault et Jean Poiré. Ils tiennent un cabaret de travestis à Saint-Tropez et ont élevé, ensemble, le fils de Georges. Une pièce dans la pure tradition du théâtre de boulevard où l’homosexualité est prétexte à rire. Pourtant, derrière les rires boulevardiers, c’est bien l’homosexualité qui tient le haut de l’affiche. Pour le meilleur et pour le rire. Le succès est immédiat. En 1978, la pièce est adaptée au cinéma par Édouard Molinaro.

Un succès populaire jusqu’à Broadway

Le film explose le box-office et s’exporte dans le monde entier. L’histoire parvient aux oreilles du compositeur Jerry Herman, qui propose alors à Harvey Fierstein de l’adapter pour Broadway. Ce dernier hésite, finit par accepter, « à la seule condition de transformer l’œuvre en une revendication politique »La Cage aux folles, version comédie musicale, est créée en 1983. La chanson phare, I Am What I Am, popularisée par Gloria Gaynor, devient l’hymne de toutes les Pride qui, depuis 1970 aux États-Unis, célèbrent les émeutes de Stonewall en 1969, premier mouvement de contestation gay et lesbien à la suite d’une descente de police dans ce club de Greenwich Village, à New York. Mais l’apparition du sida au début des années 1980 marque la fin d’une époque, la fin de l’insouciance. L’Amérique reaganienne et homophobe stigmatise la communauté homosexuelle. En France, Jean-Marie Le Pen estime que « le sidaïque est une espèce de lépreux (…) contagieux par ses larmes, sa salive »…

Cinquante ans plus tard, Olivier Py remet sur le métier la Cage aux folles, d’après le livret du musical new-yorkais. Son adaptation tient du pur divertissement, mais un divertissement qui ne baisse pas la garde. Ne rien lâcher… Car si les mentalités ont évolué, la montée des populismes a des relents d’homophobie, alimentés par des discours virilistes et transphobes exacerbés depuis les Manif pour tous. Olivier Py, qui a le sens de la repartie et la plume toujours aussi aiguisée, ne les loupe pas. Les Dindon, future belle-famille bourgeoise tendance tradi dont le père est député du parti Tradition, Famille et Moralité, est joyeusement moquée, ridiculisée. Le grotesque est élevé au rang d’argument politique, le rire se métamorphose en un rire de combat. Les Cagelles, perchées sur leurs talons aiguilles, ne se contentent plus de lever les gambettes : derrière les plumes et les faux cils, elles sentent le danger et revendiquent leur liberté.

Flamboyance et démesure

La mise en scène jette un éclairage vif sur l’homoparentalité, passé dans les précédentes lectures de la pièce pour un argument mineur. Ce qui ne faisait pas sujet alors surprend aujourd’hui par son aspect visionnaire. Alban-Zaza et Georges sont tous deux les pères de ce garçon qui s’apprête à quitter le nid familial. Interprétés par Laurent Lafitte et Damien Bigourdan, ils forment un duo chic et choc qui échappe à la caricature pour jouer la sensibilité sans pleurnicherie, la féminité loin des clichés efféminés, l’amour et les chagrins qui rythment la vie de tout couple. Pendant deux heures et demie, on nage dans la flamboyance, dans la démesure, à tout point de vue, l’émotion à fleur de larmes. Les décors, somptueux, de Pierre-André Weitz, tournent et nous projettent tour à tour au cœur du cabaret, dans les loges, les coulisses, l’appartement familial ou sur un bord de mer totalement kitsch avec des paysages peints sur toile de Saint-Tropez. Weitz a aussi dessiné les costumes, qui ruissellent de paillettes et de strass.

Si l’on ajoute les chorégraphies au cordeau d’Ivo Bauchiero, les lumières virevoltantes de Bertrand Killy, le chœur des Tropéziennes et Tropéziens et la présence vibrante de l’orchestre des Frivolités parisiennes sous la baguette de Christophe Grapperon, tous les ingrédients de la réussite sont là. Les tableaux s’enchaînent avec grâce et magie. Ils, elles et iels nous font rire et pleurer. Olivier Py signe une Cage aux folles exubérante, délurée, joyeuse et émouvante. Marie-José Sirach

La cage aux folles, Olivier Py : jusqu’au 10/01/26, du mardi au vendredi à 20h, les samedi et dimanche à 15h et 20h, le 25/12 à 15h, le 31/12 à 15h et 20h. Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet, 75001 Paris (Tél. : 01.40.28.28.40).

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Entre humeur et humour

Au théâtre de La Scala (75), Robin Ormond présente Peu importe. Les prises de tête et sautes d’humeur d’un couple partagé entre vie professionnelle et obligations familiales. Avec Marilyne Fontaine et Assane Timbo, au mieux de leur forme dans ce délire conjugal !

Le calme règne, les enfants sont couchés. De retour d’un déplacement professionnel, comme d’habitude elle rapporte un cadeau à son mari. Simone et Erik semblent s’aimer d’un amour tendre, mais… Peu importe ! Curieux, tout de même : le salon est envahi de paquets plus ou moins volumineux, aux couleurs diverses et chatoyantes, toujours pas déballés. Les retrouvailles, chaleureuses d’un prime abord, ne tardent guère à dégénérer en un pugilat verbal fort insolite. De mauvaise humeur, Erik refuse d’ouvrir le présent : avec un enfant malade, c’est vrai qu’il a passé une mauvaise semaine, son épouse trop fréquemment absente à cause de son travail. Traducteur littéraire, au boulot à la maison, il s’estime ni considéré ni respecté. D’autant que son épouse ne manque pas de lui rappeler que c’est son salaire, plus élevé, qui fait vivre la famille… Les critiques fusent !

Les reproches aussi, de bouche en bouche, en accéléré. La phrase à peine finie de l’un, l’autre embraye à grande vitesse, normal pour celle qui opère dans l’industrie automobile ! La conversation s’envenime, les propos échangés ne sont plus très aimables, de vrais uppercuts distribués et encaissés en pleine face. « Peu importe », telle est la formule qui clôt au final chaque point de désaccord… Jusqu’au basculement, vicieusement imaginé par l’auteur allemand de ce brûlot, Marius von Mayenburg : c’est Erik qui rentre de déplacement cadeau en main, c’est Simone qui veille à la bonne tenue du foyer. Et les projecteurs à nouveau braquer sur le champ de bataille, les mêmes invectives inversées, les mêmes querelles ! Une lutte acharnée des deux protagonistes pour gagner raison, un affrontement cœur à corps au risque de débordements irréparables. De coups de pied en coups de colère, la montagne de cadeaux qui submerge l’espace s’effondre, les paquets voltigent comme les paroles échangées. Tout est dit sans reprendre souffle, la respiration suspendue, le couple suffoque sous les injonctions professionnelles et sociétales qui étouffent leur univers.

Il semble loin le temps où les deux amoureux s’imaginaient construire un autre monde, bâtir un autre avenir pour eux, se poser comme figures inspirantes pour les autres. Le modèle se fissure, les contraintes imposées par leurs supérieurs respectifs ont fait exploser rêves et désirs partagés. D’un futur imaginaire, le présent est champ de ruines. Devant nous, se déploie la critique acerbe d’une société où la seule image de la réussite impose de fouler aux pieds les valeurs qui ont guidé l’humanité de chacun. Derrière un humour omniprésent qui permet au public de garder quelque distance, la charge est féroce. Portée par un duo de comédiens, Marilyne Fontaine et Assane Timbo, excellents dans leur prestation à couteaux acérés. Capitalisme ou matérialisme triomphants ? Un infime signe d’espoir : quand sonne le téléphone, à l’ultime seconde de la pièce, ni l’une ni l’autre ne répondent ! Yonnel Liégeois

Peu importe, Robin Ormond : jusqu’au 04/01/26, les vendredi et samedi à 21h15, le dimanche à 15h15. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30).

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Garance Legrou, sans alternative

Au théâtre Lepic (75), Garance Legrou présente T.I.N.A. La comédienne et autrice se grime en clown blanc pour dénoncer les dérives du néolibéralisme contemporain. Un spectacle humoristique, et politique sans avoir l’air d’y toucher : réjouissant !

C’est à Margaret Thatcher, première ministre du Royaume Uni du 4 mai 1979 au 28 novembre 1990, que l’on doit cette phrase devenue célèbre : « There is no alternative », T.I.N.A. en abrégé. Ce qui signifie « Il n’y a pas d’alternative » dans la version française. Mais la Dame de fer, comme on la surnommait alors, chantre d’une économie libérale XXL qui se traduisit par une crise économique subie avec violence par les plus modestes, a-t-elle imaginé que sa doctrine serait utilisée au théâtre ? T.I.N.A., dit Garance Legrou, c’est le résumé du « rouleau compresseur néolibéral lancé à pleine vitesse ». Et la comédienne ajoute qu’il s’agit de « la mise en place de la concurrence généralisée de tous contre tous et la destruction pure et simple de toute solidarité ». Dans les lumières joliment dessinées par Fabrice Peineau, Garance Legrou entre sur la scène presque vide, en habit de clowne blanche. S’installe alors un quiproquo bien amené.

Le personnage, poli, mutin, attend du public qu’il joue un rôle. Alors que bien évidemment tout spectateur est en attente des premiers mots de l’artiste. T.I.N.A est ainsi. Tout en demie teinte, même dans la danse de la chenille ! Mais n’allons pas trop vite, façon de dire, évidemment. Mise en scène par Alexandre Pavlata, assisté de Lucie Reinaudo, Garance Legrou, dans le texte dont elle est l’autrice, parle d’elle ou plus précisément de sa famille, ou plus précisément encore du monde tel qu’il est… Tant et si bien que l’on ne sait trop dans quel tiroir ranger ce spectacle. Une certitude, c’est dans le rayon humour. Et aussi celui des saines colères. Andy Warhol est évoqué, tout comme Francis Bacon, ou encore, plus en détails : Valéry Giscard d’Estaing (dit VGE), président de la République française de mai 1974 à mai 1981. Elle le présente comme un « néolibéral à l’état de diamant brut ». Bien vu. Gérald Rossi, photos Barbara Buchman-Cotterot.

T.I.N.A., Garance Legrou : jusqu’au 19/01/26, le lundi à 19h. Théâtre Lepic, 1 avenue Junot, 75018 Paris (Tél. : 01.42.54.15.12). Avion (62), le 13/02 à 14h30 et 20h30. Muret (31) au Théâtre Marc Sebbah, le 08/03 à 17h. Au théâtre de Pézénas (34), le 09/04 à 20h. Aux nuits théâtrales de Simone à Six-Fours-les-Plages (83), le 26/06 à 21h.

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Bigre, le retour !

Au théâtre de L’Atelier (75), Pierre Guillois présente Bigre. Molière de la comédie en 2017, la pièce fait son retour sur la scène parisienne. Sans paroles mais d’une imagination débridée, la saga décervelée de trois personnages incongrus, égarés dans leur chambre de bonne.

Un petit gros, un grand échalas et une blonde voluptueuse, Bigre… Trois personnages incongrus, égarés dans leur chambre de bonne contigüe au dernier étage de leur immeuble ! Le premier, Olivier Martin-Salvan (en alternance avec Jonathan Pinto-Rocha ou Pierre Delage) squatte un logement glaciaire, tout de blanc comme sur la banquise islandaise. Où tout est réglé comme du papier à musique, lit et wc rétractables au bouton électronique, qui n’hésite pas parfois à dérober le paquet de gâteaux de son voisin… Celui-là au regard radicalement éthéré et à l’ébouriffée chevelure, Pierre Guillois (en alternance avec Bruno Fleury), vit dans un bordel monstre où rien ne se jette, tout se recycle. Le décor est planté, à peine le rideau levé, le public s’esclaffe déjà de rire aux premières apparitions, et bourdes qui s’enchaînent, de ce duo surgi du cinéma muet d’antan. De la musique, des sons venus d’ailleurs, un antique poste radio qui distille d’étranges messages : vue plongeante sur les trois pièces dont l’une encore inoccupée, les toits de Paris avec son ancestrale antenne télé, le ciel bleu et dégagé avant que la tempête ne survienne !

Sous l’apparence d’une charmante blonde plantureuse et savoureuse, Agathe L’Huillier (en alternance avec Éléonore Auzou-Connes ou Anne Cressent), qui débarque avec sa petite valise pour emménager la chambre d’à côté… Un choc, une surprise pour les deux garçons à la solitude ainsi brisée, tantôt charmés tantôt agacés par les allées et venues de l’arrivante, ses tenues et coiffures abracadabrantes, ses fâcheuses habitudes à faire parfois plus de bruit qu’il n’en faut. Il n’empêche, Cupidon volette d’un appart à l’autre, le maigre et le gros succombent, alternativement ou ensemble, aux attraits de la Vénus de quartier ! Ce qui n’est pas sans créer tensions, querelles, ruptures et réconciliations improbables. S’improvisant tantôt coiffeuse tantôt infirmière, osant tout mais compétente en rien, virevoltant du lit de l’un au hamac de l’autre, elle réussira seulement à griller la chevelure du gros et à libérer l’hémoglobine du maigre ! Un trio singulièrement décalé, totalement déjanté, à l’image des Gros patinent bien à l’affiche de La Pépinière jusqu’à fin mars 2026.

Les gags s’enchaînent, à pleurer de rire et couper la respiration ! Une comédie inénarrable, tant les scènes ubuesques défilent à grande vitesse, de l’intérieur des trois appartements jusque sur les toits où flottent au vent les dessous de la dame, jusqu’au soupirail électronique qui engloutit son locataire. Sans paroles mais à l’imagination plus que foisonnante, un spectacle d’une sensible humanité derrière le rire ravageur. Les temps modernes de Charlie Chaplin revisités à la sulfureuse sauce Guillois, à ne pas manquer. Yonnel Liégeois, photos Fabienne Rappeneau

Bigre, Pierre Guillois : jusqu’au 04/01/26, du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 16h. Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, 75018 Paris (Tél. : 01.46.06.49.24)

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L’Algérie, sans espoir

Au théâtre de L’Essaïon (75), Emmanuel Hérault propose Emma Picard. Dans les années 1860, des paysans français deviennent colons en Algérie. Seule en scène pour dénoncer les pièges de l’aventure, Marie Moriette est éblouissante dans l’adaptation du roman de Mathieu Belezi.

Assise sur une chaise de paille, face au public, dans sa robe sale de paysanne, Emma Picard ne se lamente pas, ne pleure pas. Simplement, elle dit son histoire, son malheur, avec ses mots simples, bruts. Peu d’accessoires sont nécessaires, le drame frémit sous chaque parole. La désolation l’entoure. Au départ de l’aventure, le roman de Mathieu Belezi, Emma Picard, titre qui inspire celui de la pièce adaptée et mise en scène par Emmanuel Hérault. La comédienne Marie Moriette, seule en scène, a également participé à cette adaptation rude, sans espoir au final. En plein accord avec l’auteur, désormais installé en Italie, et dont le déracinement comme l’exil constituent la matrice essentielle de son œuvre (plus de quinze romans et nouvelles).

Dans les années 1860, la France entreprend la colonisation de l’Algérie. Quand les militaires sont en place, elle propose à des citoyens volontaires d’aller coloniser ces territoires lointains, autrement dit de s’installer sur ces terres qu’elle leur offre, avec la promesse de s’y enrichir. Las, la plupart de ces petits colons déchantent rapidement et se retrouvent plus démunis qu’à leur arrivée. Emma Picard en fait partie. Marie Moriette dans le rôle n’est pas seulement poignante, elle est juste, éblouissante, offrant une maîtrise parfaite de son désespoir.

Jeune veuve, mère de quatre garçons, elle a cru à ce « qu’un homme à cravate assis derrière son bureau de fonctionnaire (lui) conseillait de faire pour sortir du trou dans lequel (elle) (s) e débattai (t) ». Rien n’est épargné à la famille : la pauvreté, la sécheresse, les nuées de sauterelles dévastant les récoltes, un tremblement de terre assassin… Emma Picard ne laisse à aucun moment le spectateur en repos. Pas un seul instant de relâchement ne permet de se réjouir, ni même de sourire. Le récit est glaçant. Un grand moment de théâtre. Gérald Rossi, photos emh

Emma Picard : Jusqu’au 16/12, le mardi à 19h. Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre-au-lard (à l’angle du 24 rue du Renard), 75004 Paris (Tél. : 01.42.78.46.42).

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Macbett et Ionesco

Au théâtre de Châtillon (92), la compagnie des Dramaticules présente Macbett. La pièce de Ionesco à ne pas confondre avec Macbeth, la tragédie de Shakespeare…  Folie du pouvoir, cupidité et cruauté, les mêmes ingrédients sont présents sur scène mais, entre humour et ironie, férocement décalés par le maître de l’absurde.

Assoiffés de pouvoir, Macbett et Banco assassinent le roi Ducan et s’emparent du trône. Las, l’entente cordiale entre les deux généraux tournent vite au vinaigre quand le second se sent quelque peu rejeté par son compère nouvellement coiffé de la couronne ! Qu’on ne peut manquer, d’ailleurs : dans le décor minimaliste au réalisme assumé avec ces figurines en bois grandeur nature, elle préside les festivités, pardon, les hostilités… Si le Macbeth shakespearien se voulait l’archétype de la tragédie politique, celui de Ionesco représente la farce politique par excellence : le pouvoir n’est qu’absurdité et folie, caprice d’hommes imbus d’une volonté de puissance diabolique.

Jérémie Le Louët, le metteur en scène, a très bien compris le message de Ionesco. Qui, pour les vingt ans de la compagnie, reprend leur première création qui actait en 2005 la naissance des Dramaticules. Avec l’humour et le sens du jeu qui honore l’excellence de cette bande de comédiens hors pair, trahisons et assassinats pour la conquête du pouvoir s’enchaînent et se ressemblent. Jusqu’à la chute du tyran, lâchement trompé par Lady Macbett… Ubu rôde en coulisse, la bêtise et le grotesque aussi sous couvert d’un rire ravageur. La soirée est plaisante, festive, l’action menée tambour battant et les interprètes, présents sur scène presque d’un bout à l’autre de la représentation, s’en donnent à cœur joie dans cette parodie où seul le ridicule ne tue pas. Au final, le public est-il conduit à s’interroger sur le spectacle que nous offrent les Macbett d’aujourd’hui, tels Trump ou Poutine ? Il faut l’espérer. Yonnel Liégeois

Macbett, Jérôme Le Louet et Les Dramaticules : les 05 (20h) et 06/12 (18h) au Théâtre de Châtillon, 3 rue Sadi Carnot, 92320 Châtillon (Tél. : 01.55.48.06.90). Le 09/12 (14h et 20h30) au Théâtre de Chartres (28), le 17/01/26 (20h) au Théâtre du Val d’Osne à Saint-Maurice (94), le 23/01 ( 20h30) aux Passerelles de Pontault-Combault (77), le 30/01 (20h) au Théâtre de Chelles (77), le 06/02 (14h30 et 20h30) à l’Espace culturel Boris Vian des Ulis (91).

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Des sonnets au sommet !

Au théâtre de L’épée de bois (75) à la Cartoucherie, Alexandre Martin-Varroy présente les Sonnets de Shakespeare. Un spectacle musical de belle facture qui magnifie le propos du natif de Stratford. Avec Julia Sinoimeri, accordéoniste virtuose et Théodore Vibert, musicien expert en électroacoustique.

Alexandre Martin-Varroy a réalisé un spectacle musical autour des Sonnets de Shakespeare. Il en a retenu 30 sur les 154 qu’implique ce recueil, composé de longue haleine et dûment célébré comme né d’un génie poétique infiniment supérieur. C’est sous le titre If Music Be the Food of Love que s’offre généreusement cet objet théâtral, d’un tel raffinement qu’il en est peu d’exemples ces temps-ci. Alexandre Martin-Varroy est acteur et chanteur. Baryton à la voix ardente et sûre, il incarne le poète, dans la parole censée être adressée à un jeune homme aimé (irréprochable traduction de Jean-Michel Désprats, en alexandrins) qu’il alterne subtilement avec le chant, en langue anglaise, à partir de chansons de Shakespeare issues de maintes pièces, de Hamlet à la Nuit des rois, de Cymbeline à Comme il vous plaira et le Songe d’une nuit d’été

Le répertoire vocal, mis en musique par de grands compositeurs, magnifie littéralement la gravité essentielle de l’enjeu. Julia Sinoimeri, accordéoniste virtuose, vêtue de noir sous une haute couronne de cheveux roux, va et vient mélodieusement sur la scène où, côté jardin, Théodore Vibert, musicien expert en électroacoustique, semble inventer à vue des sons inouïs. Ce qui ne l’empêche pas, à point nommé, de prendre place dans le cadre doré où il figure « le frais ornement du monde », soit l’élu du poète. Cela se joue dans une scénographie (Aurélie Thomas) baignée d’une aura de mélancolie, sous de savantes lumières de clair-obscur (Olivier Oudiou), avec un lit où peut s’étendre le poète, ce rêveur sans trêve éveillé.

Une rare conjonction de talents a donc concouru à faire d’If Music Be the Food of Love un enchantement sombre, dans lequel l’amour en énigme frôle sans fin le désir de mort, ce dans un monde de tout temps irrespirable. Le souffle de William Shakespeare parvient encore à lui faire rendre gorge, par sa grâce éternelle, à toujours explorer. Hugo disait : « Shakespeare ne ment pas… Il est tout le premier saisi par sa création. Il est son propre prisonnier. Il frissonne de son fantôme et il vous en fait frissonner. (…) Shakespeare incarne toute la nature. (…) Il a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même temps, c’est vous ». On ne saurait mieux dire. Jean-Pierre Léonardini

If Music Be the Food of Love, Alexandre Martin-Varroy (spectacle musical en français) : Du 04/12 au 21/12, du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 16h30. Théâtre de l’Épée de bois, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris (Tél. : 01.48.08.39.74). Les 08 et 09/12, 20h30, au Théâtre Montansier, 13 rue des Réservoirs, 78000 Versailles, (Tél. : 01.39.20.16.00).

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Jacques Copeau et les Copiaus

Le 01/12, au théâtre du Vieux-Colombier (75), la Comédie Française s’associe à la célébration du centenaire des Copiaux ! Créateur du théâtre parisien en 1913, Jacques Copeau fonde la troupe des Copiaus en 1925. La même année, il achète une maison à Pernand-Vergelesses (21) qui devient lieu de rencontres. Une soirée pour une levée de fonds en vue de la restauration de la demeure.

En 1913, lançant un « appel à la jeunesse », Jacques Copeau rassemble autour de lui une troupe engagée, comprenant Charles Dullin et Louis Jouvet, et propose une programmation extrêmement riche, avec une alternance de quinze pièces en huit mois. Au retour d’un long séjour à New-York de 1917 à 1919, le Vieux-Colombier reprend une intense activité, marquée par la fondation d’une école novatrice. Mais, en 1924, Jacques Copeau décide de s’éloigner de Paris et installe en Bourgogne sa « communauté théâtrale ». Formée d’une partie de sa troupe et des élèves de l’école, elle sera en 1925 à l’origine de la troupe des Copiaus, ainsi surnommée par le public bourguignon. Cette année-là, Copeau achète une maison familiale à Pernand-Vergelesses, un village vigneron qui devient le camp de base de la troupe, pionnière de la décentralisation.

2025 marque ainsi le centenaire des Copiaus et de la maison Jacques Copeau, qui organise une série d’événements mettant en avant l’identité de ce lieu unique au croisement de la création, de la transmission et du patrimoine. Monument historique, labellisée Maison des Illustres, elle participe au travail de mémoire et à la connaissance critique de l’œuvre de Copeau et de ses filiations multiples, en France et dans le monde. La Comédie-Française s’associe à ce centenaire lors d’une soirée, le 01/12, au Théâtre du Vieux-Colombier avec des prises de parole, des lectures et des chansons en présence de multiples personnalités du monde du théâtre : Cécile Suzzarini, présidente de la Maison Jacques Copeau, Jean-Louis Hourdin et Cyril Teste, ses actuels conseillers artistiques, des membres de la Comédie-Française, dont l’administrateur général Clément Hervieu-Léger et le doyen Thierry Hancisse, ou encore Marcel Bozonnet, François Chattot, Anne Duverneuil, Hervé Pierre, Jean-Marc Roulot, Daniel Scalliet, Mathilde Sotiras, Hélène Vincent, Mathias Zakhar…

Cette soirée anniversaire est également l’occasion d’une levée de fonds pour ce grand chantier de réhabilitation de la maison de Pernand-Vergelesses. La demeure est située au cœur des Climats du vignoble de Bourgogne, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. L’association Maison Jacques Copeau a pour mission de préserver et mettre en valeur ce patrimoine. L’ensemble des bâtiments qui composent le site va faire peau neuve. Ils s’organisent autour d’une belle demeure bourguignonne du XVIIIe siècle surplombant des jardins en terrasse, entourée de bâtiments plus modestes d’époques diverses, des appartements occupés par les artistes en résidence au bureau construit en 1984 par Paul Chemetov.

Jean-Louis Hourdin, la demeure au label Maison des Illustres

La restauration de la maison principale est au cœur du projet : la présence de Jacques Copeau, de sa famille et de la troupe des Copiaus y sera magnifiée. La chambre-bureau de Copeau et celle de son épouse, témoins préservés de leur présence, retrouveront leur aspect authentique. Trois extensions contemporaines, inspirées des rustiques cabotes bourguignonnes (ancien abri de pierre pour vignerons), offriront de nouveaux espaces aux artistes en résidence pour leur travail de création. Un autre chantier de culture ! Yonnel Liégeois

Maison Copeau, 4 rue Jacques Copeau, 21420 Pernand-Vergelesses (Tél. : 03.80.22.17.01). Courriel : contact@maisonjacquescopeau.fr

Copeau et les Copiaux : 100 ans d’une aventure théâtrale fondatrice. Le lundi 01/12 à 19h, entrée libre sur réservation. Deuxième salle de la Comédie-Française depuis 1993, le Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris (Tél. : 01.44.58.15.15).

La maison en chantier

En juillet 2025, la maison Jacques Copeau a fermé ses portes pour se réparer, se réinventer, s’embellir. Le chantier de réhabilitation mêle intimement l’indispensable restauration patrimoniale (monument historique oblige !) et les transformations qui apporteront au projet de la maison un nouveau souffle : mieux accueillir les artistes et les visiteurs, aménager de nouveaux espaces de travail, prendre soin des jardins, répondre aux défis climatiques…

L’association Copeau a besoin de soutien, elle lance une grande collecte via la Fondation du patrimoine pour boucler le financement. Chaque euro récolté se changera demain en traverses de charpente pour durer, en tavaillons de châtaigner pour dialoguer avec la pierre, en laine de bois pour isoler, en enduits à la chaux pour faire respirer les murs, en papiers peints ressuscités… Grâce à chacune et chacun, citoyenne et citoyen, une nouvelle page de l’histoire de la maison Jacques Copeau va s’ouvrir !

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Gérard Philipe, l’acteur engagé

Le 25/11/1959, à la veille de ses 37 ans, Gérard Philipe décède d’un cancer fulgurant. Plus tôt, la coqueluche du TNP et vedette de cinéma avait renoncé à briguer un second mandat à la tête du SFA-CGT, le Syndicat Français des Acteurs. Itinéraire d’un comédien engagé

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Il y a plus d’un demi-siècle, le 25 novembre 1959, disparaît Gérard Philipe à l’âge de 37 ans, éternel jeune premier dans l’imagerie collective ! « Le Cid » au théâtre, « Fanfan la tulipe » au cinéma : des rôles, parmi d’autres, qui l’élèveront à jamais au rang de mythe dans le cœur des foulegerards qui, en banlieue et en province, se pressent aux soirées organisées par le TNP de Jean Vilar. Au début des années 50, Gérard Philipe a conquis le statut de vedette internationale incontestée. Tant au grand écran que sur les planches…

En coulisses, ce que nombre de nos concitoyens ignorent encore de nos jours, le comédien revêt d’autres habits pour arpenter les boulevards parisiens et manifester son soutien à la cause : celle de la paix avec les signataires de l’Appel de Stockholm, celle des comédiens et acteurs pour le respect de leurs droits. Depuis ses premiers engagements professionnels, l’ancien résistant et libérateur de Paris au côté de Roger Stéphane a rejoint les rangs de la CGT en 1946. D’abord par conviction, ensuite en réaction aux propres engagements de son père : collaborateur notoire avec l’occupant nazi, réfugié en Espagne et condamné à mort par contumace en 1945 ! Enfin son épouse, Anne, une intellectuelle de gauche sinologue et cinéaste, a certainement exercé une influence décisive sur lui. Entre eux, s’est instauré un équilibre exemplaire entre vie de couple et vie mondaine ou militante, préservant l’une par rapport à l’autre.

Si le SNA (syndicat national des acteurs) a échappé aux soubresauts de la scission de la CGT au lendemain de la Libération grâce à l’intervention de Jean-Louis Barrault et d’autres (Fernandel, Serge Reggiani, François Périer, Charles Vanel…), il en va tout autrement au mitan des années 50. L’élection de Gaby Morlay à la présidence en 1954 marque une forte poussée de conservatisme. Entre anciens et modernes, une nouvelle bataille d’Hernani s’engage : les jeunes multiplient les grèves de lever de rideau alors que les caciques paralysent l’action syndicale avec leurs luttes intestines ! Contre l’immobilisme, la fronde s’organise et cherche son leader.

Bernard Blier pense à Gérard Philipe, qu’il a rencontré sur le tournage du film « Les Grandes manœuvres ». Le futur « Prince d’Avignon », après réflexion, apporte son exceptionnelle popularité médiatique à la cause des minoritaires et organise l’offensive. Pétitions, motions, démissions massives au SNA et rencontre avec Benoît Frachon n’y changent rien : au regret de devoir quitter la CGT, Philipe et sa troupe fondent en août 1957 le CNA, le Comité national des acteurs dont il assume la destinée.

Et de lancer son cri dans l’arène publique. « Les acteurs ne sont pas des chiens », déclare-t-il en octobre 1957. « Qu’on soit acteur, fonctionnaire, commerçant ou ouvrier, les difficultés de transport, de logement, d’alimentation sont identiques… À partir de là, on songe aux rapports qui existent entre employeurs et employés et la lutte syndicale devient nécessaire… Le chômage engendre une misère morale déplorable. Quand le comédien ne joue pas, il est malade, déprimé, inquiet. Sa vie est continuellement remise en question. Il devient hypersensible. Il joue aujourd’hui, mais il sait que la stabilité n’existe pas dans ce métier… ». Et de poursuivre : « Le théâtre ne doit pas appartenir à ceux qui ont les moyens d’attendre ou la chance de trouver un second métier conciliable avec les impératifs de notre condition ». À cette époque, Gérard Philipe décrit déjà avec clarté la place de l’artiste dans la société. « L’amélioration des conditions sociales du comédien demeure le souci essentiel du syndicat », affirme-t-il en conclusion. « Que le public nous aide et prenne nos problèmes au sérieux… Plus le comédien sera assuré de la défense de ses intérêts, plus il sera détendu et épanoui ».

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Un paradoxe : la majorité des scissionnistes demeurent proches de la CGT, leur initiative vise exclusivement à ébranler les conservatismes du SNA. Alors en charge des questions culturelles à la confédération, Henri Krasucki suit l’affaire de près ! Pour Gérard Philipe, cette situation ne peut s’éterniser d’autant que Force Ouvrière use de tous les arguments pour envenimer le débat ! Dès janvier 1958, le président du CNA présente au SNA un projet de réunification, Yves Robert s’emploie en coulisses pour aplanir les différents entre les deux organisations. La polémique fait rage au sein du Conseil du SNA, à la veille d’adopter la procédure de réunification. « Pensez que Gérard Philipe est homme d’entière bonne foi, dont l’action est de jour en jour plus constructive et admirable », souligne Louis Arbessier à l’adresse des dignitaires de la profession. Le 15 janvier 1958, au Théâtre des Bouffes Parisiens, sur les cendres du CNA et du SNA naît le SFA, le Syndicat français des acteurs dont Gérard Philipe assume seul la présidence six mois plus tard !

Et d’engager alors un combat syndical de tous les instants : pour élargir les droits des artistes, réformer le théâtre en province, animer la grève dans les théâtres privés… Une activité syndicale débordante qui agace Vilar, patron du TNP, priant par écrit « Monsieur le président… de ne point faire de réunion syndicale dans un théâtre et à l’entracte d’une œuvre dont vous avez la responsabilité scénique ».

En avril 1959, débordé par ses engagements théâtraux et cinématographiques, tant en France qu’à l’étranger, Gérard Philipe annonce qu’il ne renouvellera pas son mandat à la tête du SFA. Sept mois plus tard, il est hospitalisé et décède d’un cancer du foie. Gérard Philipe ? « Un homme entier, porté par une certaine utopie hors de tout académisme », souligne Noëlle Giret, commissaire de l’exposition que lui consacra la BNF. « Au-delà du personnage, la figure de Gérard Philipe symbolise avant tout une aventure humaine, un vrai condensé de l’histoire sociale et culturelle de France ». Sa grâce demeure, la clairvoyance de son combat aussi. Yonnel Liégeois

Cahiers de la Maison Jean Vilar, N°108  « Spécial Gérard Philipe ». La revue du SFA, « Plateaux » n°198. Le dernier hiver du Cid, de Jérôme Garcin (Gallimard, 208 p., 12€99).

De la cigale à la fourmi…

Jean-Louis Barrault, Fernandel, Jean Marais, Serge Reggiani, Michel Piccoli, Danièle Delorme, Bernard Blier, Yves Montand, Jean le Poulain… Au fil des pages du remarquable ouvrage de Marie-Ange Rauch, De la cigale à la fourmi, histoire du mouvement syndical des artistes interprètes français (1840-1960), défilent les noms illustres d’artistes et comédiens qui ont marqué une époque de la culture française autant que les batailles syndicales des années 50-60. L’historienne leur redonne vie, sous un jour nouveau et souvent méconnu : leur activité militante au service d’un art qu’ils désiraient populaire.

Certes, au firmament de ces étoiles de la scène ou du grand écran, Gérard Philipe en est la figure marquante. Marie-Ange Rauch dresse le portrait d’un homme exigeant et féru de convictions. Acteur mythique de l’après-guerre, le héros du Diable au corps et de La Chartreuse de Parme ne s’est pourtant jamais laissé griser par sa notoriété internationale. Un homme à la conscience intègre, discret, travailleur acharné et militant infatigable.

De la cigale à la fourmi retrace les grandes heures de ce syndicalisme original, d’hier à aujourd’hui, quand les stars du soir se font petites mains en coulisses pour gagner l’adhésion de leurs partenaires. Un engagement promu sur les planches, un document historique d’une lecture facile et rafraîchissante.

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Donne-moi la main…

Au théâtre Charles Dullin du Grand Quevilly (76), Florian Pâque propose Dans le silence des paumes. Tout en sensibilité et poésie, le portrait d’une mère de famille dont les années de dur labeur ont usé et abîmé le corps, surtout les mains. Un hommage à toutes ces femmes qui ont consacré leur vie à l’avenir de leur progéniture.

Deux-trois tables basses avec leurs jolies lampes de chevet, tout autour des chaises éparpillées dans le salon, dans un coin un imposant fauteuil d’un vert criard… L’ambiance est calme, détendue, le public s’installe avec curiosité. Plongée dans une intimité sereine, quelques places demeurent libres, réservées probablement aux hôtes des lieux !

Prendre un enfant par la main…

La lumière se fait plus discrète en cet appartement où nous accueillent les trois enfants devenus grands : une fête, un anniversaire ? Nul ne sait le motif des retrouvailles, ils sont bien là en tout cas, s’adressant à l’absente, l’inconnue, la distante qui ne leur a jamais donné la main : la mère, dont ils vont nous narrer l’existence, brisant les non-dits et le silence des paumes. En direct ou descendue des cintres en off, à tour de rôle leur voix va décrire leur colère et frustration, d’abord, devant cette génitrice qui n’a jamais daigné poser ce geste de tendresse, prendre son enfant par la main, au contraire de toutes les mamans venues conduire ou rechercher leur progéniture à l’école. Incompréhension, désillusion devant ce fauteuil toujours vide…

« Nous sommes restés sans réponse jusqu’au soir de sa vie », témoignent fille et garçons avec une certaine pointe d’amertume. Jusqu’à ce jour, où là devant nous, spectateurs captifs d’une histoire prégnante et embuée d’émotion, « dans ce salon sans souvenirs, nous avons glissé notre visage dans les mains de notre mère »… Des mains crevassées, usées par le travail, parcheminées par le quotidien ménager, honteuses et indignes à caresser de peur de blesser, surtout d’être rejetées et remisées au rang d’intouchables ! Au passage à la vie d’adulte pour les trois protagonistes, au soir de la vieillesse pour l’absente dont la présence se fait de plus en plus vivifiante au creux du vert fauteuil, l’amertume fait place à la tendresse, le rejet à l’amour filial.

Les flacons de produits d’entretien deviennent lumières d’espoir et de reconnaissance à toutes ces femmes dont la vie exemplaire demeure reléguée dans l’anonymat le plus mortifère. Pourtant héroïnes jour après jour pour que l’enfant grandisse et s’épanouisse, leurs mains toujours disponibles pour servir et protéger. Du théâtre hors les murs, au plus près du public qui communie à la respiration des trois comédiens, un texte et une mise en scène de Florian Pâque qui transpire de poésie et de sensibilité. Un vibrant hommage à ces oubliées de l’histoire, mères et travailleuses contraintes à la double peine, usine – bureau/maison, chevalières de l’amour silencieux. Yonnel Liégeois

Dans le silence des paumes, Florian Pâque : Théâtre Charles Dullin, Grand Quevilly, les 25 et 26/11. Les ateliers Médicis, Clichy-sous-Bois, le 02/12. Le Bellovidère, Beauvoir, du 05 au 07/12. L’Athénée Royal, Herstal, le 19/12. Le Théâtre à Domicile, Liège, les 19 et 20/12. Le Théâtre Durance, Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban, du 02 au 06/03/26. Le Maïf Social Club, Paris, du 26 au 29/03/26. Le texte (72 p., 12€) est disponible aux Éditions Lansman.

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Mauvaises filles pour Bon Pasteur

Au Quai d’Angers (49), Marcial Di Fonzo Bo propose Au Bon Pasteur, peines mineures. L’histoire poignante de « mauvaises filles » placées par la justice dans les couvents de l’institution religieuse, un « seule » en scène d’Inès Quaireau d’une incroyable puissance.

En ce jour de septembre 1954, plaisir et joie ont déserté la vie d’Annette, 16 ans, gamine d’Aubervilliers (93). Son père l’a signalée à la protection de l’enfance, elle franchit la porte de la maison du Bon Pasteur d’Angers, tenue par les religieuses de la congrégation de Notre-Dame de Charité. Nue dans le grand couloir, fouillée, examinée par un gynécologue qui a « introduit ses doigts dans mon sexe, sans gant », elle s’est vue remettre trois robes : une pour le travail, l’autre pour les sorties et la troisième pour la prière. Une ambiance carcérale qui ne dit pas son nom, des centaines de jeunes filles « rebelles, aguicheuses, vicieuses » placées par décision de justice ou à la demande des familles en vue de modeler corps et esprit dans le respect de la norme sociale. Au programme d’Au bon Pasteur, peines mineures, travail, prière et pénitence. Le texte de Sonia Chiambretto est puissant, poignant. Au Bon Pasteur d’Angers et d’ailleurs, de prétendues « mauvaises filles » à d’authentiques mauvaises sœurs…

Avec force réalisme et conviction, Inès Quaireau narre le quotidien de ces filles en rébellion, exploitées et humiliées, qui n’espèrent qu’en la fuite… Bouillonnante de vie et d’espoir, vivace et alerte, la jeune comédienne vitupère contre un système qui avilit plus qu’il ne libère. Qui partage aussi les projets d’avenir de gamines victimes de la précarité, de conditions familiales et sociales indignes d’une société prospère. Le principe des gouvernants d’alors ? Rendre cette population invisible plutôt que favoriser leur insertion, une supposée protection qui se mue en punition et condamnation… Dans une mise en scène alerte et colorée de Marcial Di Fonzo Bo pour chasser le pathos, une interprète qui prête langue et corps à ces filles presque du même âge qu’elle. Un spectacle d’une profonde intensité où, avec humour et ironie souvent, elle salue leur combativité et leur soif d’existence, dénonce des principes éducatifs hors d’âge, propices aux pires dérives. Un vrai cri du cœur, la foi en la jeunesse ! Yonnel Liégeois

Au Bon Pasteur, peines mineures : les 24 et 25/11 au Qu4tre-Université d’Angers, les 29 et 30/01/26 au Quai-CDN d’Angers, Cale de la Savatte, 49100 Angers (Tél. : 02.41.22.20.20).

Disponible sur France.TV jusqu’au 23/12, Affaires sensibles : Fabrice Drouelle consacre son émission aux Filles oubliées du Bon Pasteur. Des années 40 jusqu’en 1980, 40 000 jeunes filles ont été placées par la justice dans les couvents de la Congrégation du Bon Pasteur. Une institution qui faisait office de « maison de redressement ». Des centaines d’anciennes pensionnaires se battent aujourd’hui pour dénoncer les mauvais traitements infligés par les religieuses. Auditionnées lors de l’affaire Bétharram par la Commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, avec leur association Les filles du Bon Pasteur, elles demandent des excuses officielles de l’État et la reconnaissance de leur statut de victime. Pays plus prompts que la France, Irlande et Pays-Bas ont agi en conséquence : excuses des gouvernants et versement d’indemnités réparatrices.

À lire, pour découvrir principes et dérives du Bon Pasteur : Mauvaises filles incorrigibles et rebelles (Véronique Blanchard et David Niget, éditions Textuel), Cloîtrées, filles et religieuses dans les internats de rééducation du Bon Pasteur d’Angers, 1940-1990 (David Niget, Presses universitaires de Rennes).

À voir, le film remarquable de Peter Mullan : Les Magdalene Sisters. Couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise 2002, il narre l’histoire authentique de ces institutions religieuses chargées de punir les femmes « déchues » d’Irlande. La pénibilité du travail de blanchisserie symbolisait la purification morale et physique dont les femmes devaient s’acquitter pour faire acte de pénitence. Quatre congrégations religieuses féminines (les Sœurs de la Miséricorde, les Sœurs du Bon Pasteur, les Sœurs de la Charité et les Sœurs de Notre-Dame de la Charité du Refuge) avaient la main sur les nombreuses Magdalene laundries réparties sur l’ensemble du pays (Dublin, Galway, Cork, Limerick, Waterford, New Ross, Tralee, et Belfast). À voir aussi Mauvaises filles, le film d’Émérance Dubas, l’histoire secrète des Magdalene Sisters françaises.

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MaKbeth, de sang et de fureur

Au théâtre du Rond-Point (75),le Munstrum théâtre présente Makbeth. Avec un K à la place du C, une version délirante d’une des plus célèbres pièces de Shakespeare… À partir d’un travail artistique méticuleux, d’un jeu d’acteur grand-guignol, se construit un spectacle gore où l’hémoglobine coule à flot. Paru sur le site Arts-chipels, l’article de notre consœur et contributrice Mireille Davidovici.

Sur la lande brumeuse, les combats font rage. Corps à corps sanglants, jets de grenades, explosions, incendies… Ambiance guerre de tranchée et film de cape et d’épée, avec costumes moyenâgeux, dans l’esthétique de la série Games of Throne. Un corps est planté dans la terre, tête en bas, pieds au ciel. Des bras volent dans les airs. Un soldat agonise tripes à l’air, le tout enveloppé de généreuses volutes de fumée… Certaines scènes rappellent les Désastres de la guerre de Goya. Une vision essentiellement picturale, à l’instar de tout le spectacle, succession de tableaux magnifiques. Quand les armes se sont tues, commence la pièce — que la superstition veut « maudite » — de Shakespeare, avec l’apparition, sur la route de Macbeth et Banquo, d’une créature surnaturelle indéterminée. Elle annonce au premier qu’il sera général puis roi, au second qu’il sera père de rois. La prophétie réjouit Lady Macbeth mais angoisse déjà son époux, saisi de mauvais pressentiments : « Macbeth a tué le sommeil ! ». On connaît la suite : le couple n’épargnera personne, l’assassinat de Duncan, roi d’Écosse étant le prélude à une sauvagerie en chaîne et un délire paranoïaque qui atteindront, dans cette adaptation, des sommets apocalyptiques.

Entre tragédie et parodie

Ionesco avait modifié la graphie de son adaptation avec un double « t » final, ici c’est un « K » qui s’introduit dans le titre. Pour Louis Arene, qui signe la mise en scène, cette incongruité indique un décalage par rapport à l’œuvre originelle, une distanciation qu’opère aussi la traduction de Lucas Samain. On peut y voir aussi une allusion à Kafka ou encore un respect de l’orthographe du vieil anglais, qu’on trouve dans les Chroniques de l’historien anglais Raphael Holinshed, publiées en 1577, source majeure des pièces de Marlowe et de Shakespeare dont MacbethLe Roi Lear et Cymbeline. Pour insuffler une dimension comique à cette tragédie, l’une des plus sombres de l’auteur élisabéthain, l’adaptation se nourrit d’anachronismes, de situations et de personnages nouveaux. En particulier le fou qui traverse la pièce, sorte de transfuge du Roi Lear, personnage ambigu, sage, sarcastique et assassin à ses heures. Acrobate hors pair,Erwan Tarlet virevolte, en tutu et basket et, entre deux pirouettes, va même s’adresser, dans un mélange de français et mauvais anglais, aux universitaires spécialistes de Shakespeare qui se seraient fourvoyés dans cette salle : « Vous n’êtes pas au bout de vos peines ! » « C’est un spectacle triste ! » conclut-il.

Louis Arene et Lionel Lingelser, directeurs de la compagnie alsacienne, se taillent la part du lion en jouant Makbeth et sa Lady. Celle-ci n’apparaît pas en drag-queen, mais en reine d’une élégance débraillée : elle déambule, affublée d’une tente Quechua en guise de traîne, sous laquelle se réfugie son timoré d’époux. La troupe, comme d’habitude, nourrit son imagerie foisonnante, par une recherche esthétique sur les costumes, postiches, et ne lésine pas sur les effets spéciaux. Dans ce spectacle monstre, les masques permettent de naviguer entre le rire et l’effroi avec une grande souplesse. Ainsi, le roi Macdunn n’est qu’un tyran obèse, affublé d’un ventre en mousse flasque. Sous ses allures de baudruche, il est aussi redoutable que stupide, à la manière du Père Ubu.

Une mascarade grandiose

De même qu’il y a confusion des esthétiques, le spectacle joue sur la confusion des genres : coiffes et maquillages outrés gomment les différences entre les sexes. Les interprètes, avec leurs prothèses ont une neutralité marionnettique. Les corps se démembrent, les viscères et le sang gicle avec effets grand-guignolesques. Les mains rouges du couple maudit maculent leur corps entier, souillent leurs vêtements. Au comble de la fureur meurtrière des protagonistes, l’hémoglobine coule à flot. Et au final, Makbeth plonge littéralement dans un bain de sang, avant d’être pendu, tête en bas, comme un vulgaire quartier de bœuf, par des créatures maléfiques, émanation tentaculaire de l’être prophétique apparu au début de la pièce. Devenu meurtrier par un concours de circonstances, le Makbeth du Monstrum devient une bête sanguinaire, un assassin en série. Les acteurs à l’énergie sans limites nous entraînent dans un univers cauchemardesque et fantasmagorique. Ils donnent un élan joyeux à la noirceur shakespearienne en mêlant au-delà de l’absurde, kitch, cruauté et exhibitionnisme. Ce sordide délirant et poétique, loin de toute vulgarité, force sur la veine comique, qui n’est nullement dans la pièce d’origine mais lui donne une résonance contemporaine. On peut cependant regretter l’excès d’effets spéciaux, les scènes répétitives, qui alourdissent la représentation.

Dans une transe joyeuse, un chaos dévastateur, ce théâtre de la cruauté transforme la catastrophe en rire. Sous cette avalanche d’images et de gags forcenés s’ouvrent les portes d’un enfer : celui de la guerre et du crime, l’antichambre du pouvoir qu’a si bien montrée William Shakespeare. Tout comme ses personnages, les puissants d’aujourd’hui commettent des massacres de masse, parfois au nom de la civilisation et de la démocratie.

Un Makbeth d’aujourd’hui

« Nous montons Makbeth, car la douleur de ce monde est insupportable. […] Au-delà de la fable politique, c’est aussi nos ténèbres individuelles que la pièce nous incite à contempler »écrit Louis Arene. « La catharsis nous permet l’empathie, la consolation, nous donne la force de regarder les monstres en face […] mais nous montons aussi Makbeth car au Munstrum, notre quête est celle de la Joie », poursuit le metteur en scène. Le public ne s’y trompe pas. Saisi de rire et d’horreur, il réagit au quart de tour à ce théâtre de genre, il remercie la troupe en se levant dans un tonnerre d’applaudissements. Mireille Davidovici, photos Jean-Louis Fernandez

Makbeth, le Munstrum théâtre : jusqu’au 13/12 au Théâtre du Rond-Point, du mercredi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h30 et le dimanche à 15h. Les 5 et 6/03/26 au Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan. Les 11 et 12/03 à la MC2 de Grenoble.

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