En décembre 2012, sur l’ancien carreau de mines, était inauguré le Louvre-Lens. Entre Paris, Ostende et Bruges, ou plus simplement sur la route de Lille et de la côte d’Opale, Lens se révèle une belle étape estivale. Pour découvrir le pays minier et cette nouvelle aile du musée national.
Que l’on y vienne par route ou chemin de fer, ce qui frappe d’emblée, pourvu qu’on l’approche à pied, c’est l’intimité avec laquelle le tout nouveau Louvre-Lens s’inscrit dans cet espace qui depuis tant d’années semble avoir été oublié. Plus vraiment regardé, lu et aimé. Cela est particulièrement sensible lorsqu’on y descend, venant de la gare, par le chemin piétonnier aménagé sur l’ancienne voie ferrée par laquelle les wagonnets acheminaient le charbon extrait de la fosse et qui maintenant nous amène doucement vers le parc.
D’un peu haut, en léger surplomb, se présente alors, à terre, comme une flèche brisée dont les différents segments s’articuleraient les uns aux autres, figurant encore des embarcations flottantes, légèrement aboutées les unes aux autres, au cœur d’un marécage noir et vert. Acide. Autre figure, celle de l’aile argentée qu’un ange aurait perdue en chutant là, trouvant son écrin et telle une aiguille légèrement aimantée, oscillerait, cherchant son nord et son heure, là-bas au loin, vers les deux terrils jumeaux de Loos noirs profonds et, certains jours d’hiver, mouchetés de neige. Ils paraissent hauts. Horizon ainsi fléché.
Apparemment aussi mal agencé que les pièces d’un jeu de dominos, le tout se présente comme aléatoire, hésitant. Cela n’est pas vraiment construit, c’est juste posé. Cela repose, tout simplement, délicatement et participe de la même humidité, du même humus. Humilité de ce lieu. Et maintenant que nous y sommes, que nous sommes en bas, impression que cela nait du terrain et de l’atmosphère. Pas d’idée de pesanteur, mais au contraire, de flottements, de pulsations. Les matériaux, le verre et l’aluminium anodisé, véritable peau se combinant pour jouer d’effets et de reflets font que l’on hésite entre transparence et miroir. Tout renvoie à la luminosité des ciels et de la terre d’ici. Et ce doit être beau en toutes saisons. C’est la lumière « juste » qui est rendue, rehaussée finement, par touche, d’un ton de gris. Cette peau est elle-même une toile de peintre. Cette lumière « naturelle » claire, douce, extrêmement douce, qui ne produit pas d’ombres sur les œuvres, nous la retrouverons dans le bâtiment principal, juste soutenue par l’apport d’un éclairage très discret.
Tout cela est extrêmement beau, délicat, fragile, fluide, léger. Rien de prestigieux, d’intimidant. Aucune violence. Pas d’arrogance. Les architectes de l’agence SANAA, tous deux japonais, Kazuo Sejima et Ruye Nishizawa, ont finement et sensiblement compris ce territoire, son histoire, ils ont su faire oublier l’architecture pour servir le lieu qui l’accueille. Pourtant leur architecture est tout, sauf « minimaliste ». Elle est subtile et résultat d’un long travail d’épure. Incurvation des surfaces. Choix des matériaux. Circulations limpides, fluidité des espaces. Jeux des transparences, des reflets, des arrêtes et des courbes. « Nous sommes fortement influencés par l’architecture japonaise. Nous avons juste essayé de ne jamais la citer directement ». Dans son apparente simplicité, le Louvre-Lens s’impose dans une élégante perfection. En parfaite osmose avec ce qui l’entoure, il compose une peinture à la respiration apaisante.
Rien qui ne s’apparente, ici ce serait odieux, à une autre beauté que celle là. Ce serait alors une beauté faite pour un autre pays que celui-ci. Le pays minier, l’agglomération de Lens étaient structurés socialement, culturellement par la mine. Le charbon. L’habitat, le carreau, le chevalement. Celui de Loos-en-Gohelle, voisin, est à deux pas. Il signe une autre présence artistique, plus ancienne, celle de cette fabrique théâtrale atypique « Culture commune », la scène nationale qu’anime Chantal Lamarre. Qui mieux qu’elle connait ce territoire ? Elle qui s’emploie à recoudre le tissu social et culturel en puisant dans la mémoire et l’imaginaire pour venir à bout de tous les traumatismes et dépasser les visions trop souvent cataclysmiques que l’on a de ce pays.
Le vaste terrain où nous sommes, vingt hectares, celui de la fosse de Lens 9-9 b, est légèrement rehaussé du fait de l’exploitation minière qui a cessé ici en 1960. La nature l’a reconquis, il est aujourd’hui légèrement et parcimonieusement boisé. Ce parc, dessiné par la paysagiste Catherine Mosbach, se présente comme un poumon entre ville et musée. Pas vraiment des friches, c’est qu’elles sont ici en sous-sol. Remontant et trainant à la surface, crasses et déchets exposent l’histoire géologique, l’exploitation minière et industrielle du lieu. Ce qui apparait là, ce sont débris de pierres, de briques, de houilles, des schistes, des poussiers, de la terre noire, grasse, mouillée. Cela ne sera pas nié. Là, le musée étend son corps de tout son long sur 360 mètres. C’est son lit somptueux.
Plus loin, alentour le cadastre est lâche, clairsemé, ce qui était actif semble à peine respirer, mais c’est en souffrance surtout. La mer s’est donc retirée laissant là en archipel terrils, maisons, corons, demeures de maîtres et des ingénieurs aussi. On a du mal à trouver du sens dans ce territoire brouillon qui pourtant séduit d’un coup lorsqu’on y décrypte en filigrane le signe des luttes qui fut les siennes et celui des solidarités qu’il a porté. Le Louvre-Lens, son architecture aide à cela. On sent dans l’air la culture vive qui est la sienne. La vie est là. Cris des enfants, clameurs et chants des supporters du Racing club de Lens, le club aux écharpes Sang et Or. Du stade Bollaert, le fameux chaudron, montent souvent les rumeurs. Il est mitoyen.
La surprise ne vient pas d’abord des sublimes beautés des collections que la nouvelle aile du Louvre offre ici en réparation à l’injustice faite à cette population : même quand le travail était là, elle en était écartée, alors qu’en d’autres lieux les biens culturels sont plus habituellement partagés. De cela, elle souffre encore pourtant. Pas seulement parce que privée des richesses artistiques. Non, c’est l’opprobre de cette mise en exil qui perdure et qui fait mal. Cette impression d’être indigne, d’être mis au ban, relégué en banlieue, est si intégrée que l’on entend toute sorte de déclinaison du « ce n’est pas pour nous ». Cette ouverture à l’universel, elle a su le trouver ailleurs en-elle-même et singulièrement par l’accueil vivifiant des cultures des immigrations. De cela, s’est nourrit la vie de l’esprit. Le premier miracle ? C’est l’architecture qui l’offre en donnant à voir magnifiquement le pays minier depuis la splendide et circulaire baie vitrée du hall d’accueil central, en en proposant une image miroir sur les murs d’aluminium non pas enjolivée, lisse, mais aléatoire, embuée, troublant notre perception. Nous cherchons à ajuster notre vue en approchant le bâtiment. Juste une image qui « réfléchit » la beauté si singulière de ce territoire, comme l’a compris l’UNESCO en inscrivant le bassin minier à l’inventaire du patrimoine culturel mondial. Discerner à quel point c’est beau ici, si on sait y voir ! En ouvrant sur ce monde chaotique une large fenêtre, Le Louvre-Lens fait naitre un paysage commun. Il vient structurer l’espace, proposer du sens. Ce musée signe ce territoire. Il n’y avait plus vraiment de point de vue ici depuis le démantèlement du chevalement pour accrocher son regard, voir vraiment. Maintenant se dégagent des perspectives, bien horizontales, pour un regard aimant, caressant, qui ne domine jamais mais ouvre sur des triangulations.
Avec cette nouvelle aile, le Louvre trouve bien à Lens le lieu approprié pour sortir de ses murs et renouveler, consolider ses missions, comme le rappelait alors Henri Loyrette, son Président-Directeur, en les confrontant à un nouveau terrain. Le Louvre-Lens est tout, sauf un dépôt d’œuvres. C’est l’approche des collections, des actions d’éducation et de médiation artistique qui sont réinterrogées. La présentation des collections, ici temporaire, transversale, réunit ce qui à Paris est séparé en départements. En proposant un parcours chronologique construit à partir des collections du Louvre et très significatif de l’étendue de leurs richesses, la « Grande galerie du temps » témoigne de cette volonté. Cependant, le cheminement est sinueux et n’enferme pas dans la linéarité. Il s’agit d’une proposition artistique qui permet de conjuguer synchronie et diachronie. Il est toujours possible à chacun d’aller à son rythme dans ce grand espace, au gré de sa fantaisie, et de se laisser aller à des navigations imaginaires pour construire son propre musée. Pour autant, nous ne sommes pas sans carte. C’est un des apports majeurs du Louvre-Lens que d’offrir un parcours pédagogique structurant, n’enfermant pas mais faisant appel au savoir sensible des visiteurs.
La galerie est spacieuse et lumineuse, elle se donne à voir dans sa totalité d’un seul regard dés l’entrée et on y descend très agréablement. Encore l’idée d’archipel qui vient, mais d’un autre cette fois où, près des œuvres, des grappes humaines attentives circulent et se constituent autour d’accompagnateurs. Bien que les audio-guides soient remis à l’entrée, beaucoup préfèrent l’accompagnement de médiateurs dont la conviction réjouit. Ils communiquent mieux l’enthousiasme. Les questions fusent. On est curieux. Les yeux ne trompent pas. Ils sont admiratifs, de ceux qu’on ouvre aux feux d’artifices. On est un peu ébloui, étourdi. On poursuivra par un parcours plus indéterminé. La muséographie permet de repérer au loin une œuvre qu’on approchera tout à l’heure. Au-delà du coup de foudre, il faudra d’autres promenades pour se livrer à des délectations plus tranquillement ! « Cet accrochage m’a réconcilié avec le Louvre », chuchote un visiteur déjà connaisseur du Louvre-Paris. « Là bas, avec tous ces départements je m’y perds. C’est trop vaste. Je n’arrive pas à embrasser le panorama des collections et à me situer. C’est un peu fastidieux de chercher à s’y retrouver. Ici, on comprend. On voit les choses dans le temps. La confrontation des civilisations différentes aide aussi ».
Sont là proposées, pour cinq années durant, des pièces connues et maitresses du Louvre, comme « La liberté guidant le peuple » de Delacroix, peinture emblématique s’il en est, mais qu’on voit ici avec un autre regard. Sous l’éclairage d’ici, elle apparait alors plus pâle, moins brillante mais plus lumineuse. La mise en espace est bien différente puisqu’elle clôt le parcours et ferme frontalement la perspective, qui est aussi celle de la période historique que recouvre le Louvre. L’interrogation sur la place centrale qui lui est ainsi donnée peut être légitime. Mais ici, à Lens, nous ne la contesterons pas, elle symbolise artistiquement la force d’un peuple, lui permettant d’inscrire son propre chemin dans la grande histoire. Très précisément de faire peuple. En arrière de la galerie, le pavillon de verre attenant propose durant un an, comme en coulisse de la galerie, « Le temps à l’œuvre », une belle réflexion artistique sur la perception du temps.
Au pavillon des grandes expositions temporaires (deux par an), est présentée depuis mai « L’Europe de Rubens ». Plus de six mois après son ouverture, le succès du Louvre-Lens ne se dément pas. Comme au stade voisin, c’est en famille et avec les amis qu’on vient. Dans le hall d’accueil sont projetées des vidéos renvoyant à l’histoire minière subtilement et sensiblement toujours présente. Il offre des salons pour des rencontres, une salle hors-sac, un centre de ressources et à sa proximité, six laboratoires d’expérimentations pédagogiques. Au sous-sol, les réserves aux salles vitrées et transparentes sont ouvertes à la visite sous conditions. Des bornes et des établis-vidéo permettent d’approcher le travail muséal.
Jean-Paul Decourcelles, élu à la Ville de Lens, naturellement se félicite. « Avec plus de 500 000 entrés dont beaucoup de Lens et de sa région, la population de Lens s’approprie le Louvre ». Reste une question : l’arrivée du Louvre-Lens suffira-t-elle pour redynamiser l’économie de la région, revitaliser sa société ? Non, pense-t-il avec Jean-François Caron, élu de Loos-en-Gohelle, « il faudra d’autres apports tout aussi déterminants, nous pensons seulement que c’est un point d’appui solide pour les trouver. Une force pour agir, donner confiance, nous réconcilier avec nous-mêmes ». Jean-Pierre Burdin
Le musée du Louvre-Lens est ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 18h (Dernier accès à 17h15). L’exposition « L’Europe de Rubens » se déroule jusqu’au 23/09. Accueil des groupes dès 9h. Accès par la rue Paul Bert ou par la rue Georges Bernanos
(Parkings stade Bollaert et Dumortier à Lens et parking Jean-Jaurès à Liévin).
Bravo pour cet article qui permet d’appréhender l’esprit du lieu.Dommage toutefois qu’il ne renvoie pas à davantage de liens.
jdt
Cher Ami,
Merci pour votre attention soutenue aux publications de Chantiers de culture.
Vous avez raison, votre remarque est justifiée et je vais tenter d’y remédier. Une tâche délicate cependant, l’article de Jean-Pierre Burdin s’apparente plus à une méditation sensible, à une déambulation poétique sur un lieu, un site qu’à une description froide et technique. Aussi n’est-il pas aisé de renvoyer à des liens d’emblée pertinents et illustratifs.
Avec mes amitiés, Yonnel Liegeois