Le retour des rentiers, selon Piketti

C’est, en cette rentrée, un beau pavé dans la mare. Renouant avec son champ de recherche privilégié, l’étude des revenus, des patrimoines et des inégalités, l’économiste Thomas Piketti nous livre un ouvrage de pas moins de huit cents pages qui devrait faire date. Sous un titre ambitieux, « Le capital au XXIème siècle« , le propos ne l’est pas moins.

 

CapitalThomas Piketti se propose d’analyser la dynamique de la répartition des revenus et des patrimoines du XVIIIème siècle à nos jours et tente d’en tirer des conclusions prospectives pour le siècle à peine entamé. Rien de moins ! Disons-le d’emblée, l’entreprise est une réussite. D’abord parce que l’ouvrage mobilisant théorie économique, connaissances historiques mais aussi littérature et séries télévisées se lit comme une formidable histoire de l’argent et de ses représentations. Ensuite, parce que loin de la leçon économique de haute chaire, sûre d’elle-même et dominatrice, il souligne l’imperfection de ses données et analyses, la fragilité de ses prévisions et plaide pour une approche pluridisciplinaire qui ne laisse pas l’étude de l’économie aux seuls économistes…

Car la dynamique de la répartition des richesses met en jeu de puissants mécanismes qui vont bien au-delà de ceux généralement analysés par la science économique. Pour le dire autrement, la répartition des richesses ne répond à aucun déterminisme économique, son histoire est avant tout politique. Piketti montre ainsi ce que la réduction des inégalités observées au cours d’une partie du XXème siècle doit aux deux guerres successives, à la crise de 1929, aux politiques publiques qui en ont résulté et aux luttes sociales qui les ont accompagnées. Plus généralement, cet immense travail statistique qui couvre, sur plusieurs siècles et dans le détail, les cas de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, permet de mesurer combien les institutions politiques et économiques locales, mais aussi les représentations que se font les acteurs de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, jouent un rôle essentiel dans la dynamiques des phénomènes sociaux. Car chaque pays, selon son histoire et ses compromis démocratiques, va répondre différemment à une loi essentielle du capitalisme de marché qui pousse à la concentration des patrimoines.

Cette loi est simple : sur le long terme, un siècle et davantage, le rendement du capital après impôt est de l’ordre de 4 à 5% par an quand la croissance moyenne des pays riches est de 1 à 2%… C’est cette dynamique, accentuée par les déréglementations fiscales et financières , qui creuse à nouveau les inégalités et qui pourrait bien être le scénario des décennies à venir, consacrant le retour des rentiers et redonnant à l’héritage l’importance qu’il avait, ou peu s’en faut, au temps de Balzac…

pikettiReste que s’il est tentant d’interpréter l’état actuel des sociétés développées sous les espèces d’un spectaculaire retour en arrière – les inégalités de revenus, et plus encore de patrimoines, ayant presque retrouvé leur niveau d’il y a un siècle – la rupture qui est à l’oeuvre ne saurait, nous semble-t-il, s’appréhender comme une simple répétition de l’histoire. C’est en effet, et l’Europe en est un saisissant exemple, le coeur même de la fabrique de nos sociétés démocratiques qui est aujourd’hui menacé par le retour du creusement des inégalités et la montée en puissance de nouvelles représentations du juste et de l’injuste qui l’accompagne. En ce sens, l’ouvrage de Thomas Piketti, qui présente avec clarté et intelligence l’ensemble des données et qui avance des préconisations – certes discutables – pour que le XXIème siècle ne soit pas celui du triomphe des inégalités, est un puissant appel au développement du débat. C’est le plus bel éloge que nous puissions lui faire. Jean-François Jousselin

« Le Capital au XXIème siècle », de Thomas Piketti. Ed. du Seuil, 800 p., 25€.

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