Texier, le swing sous le bonnet

Bonnet ou béret toujours vissés sur le crâne, malgré ses airs de dandy à la barbe poivre et sel, le contrebassiste Henri Texier a vraiment une tête de parigot ! Normal pour un môme natif du quartier des Batignolles…

 

 

Texier1L’homme, d’ailleurs, est fier de ses racines. Fils de prolo, fils de cheminot, ça laisse des traces à défaut d’emprunter ensuite la même voie… Se souvenant encore aujourd’hui des propos de sa maman l’incitant à jouer du piano, elle qui s’avoua toujours frustrée de n’avoir jamais appris la musique… Henri Texier, las, le reconnaît sans détour : il détestait le piano ! Pour la bonne cause : avec des copains de lycée, grâce à la radio et à un tonton, pas flingueur mais chauffeur de bus et surtout batteur à ses heures, il avait déjà découvert le jazz et Sydney Bechet. Il s’essaye alors à tous les instruments. Pour s’amouracher de la contrebasse et ne plus jamais s’en lasser, « une révélation » selon ses dires. À défaut de réviser et réussir son bac, il épluche alors les petites annonces à la rencontre d’autres musiciens, sème la panique dans le quartier quand sa chambre d’étudiant est élue lieu de répétition, participe à ses premiers concerts où il découvre les musiciens de jazz antillais.

Au début des années 60, repéré par Jef Gilson, il enregistre aux côtés de Michel Portal, commence à franchir les portes des clubs parisiens, accompagne Bud Powell et Bill Coleman, participe à de nombreux festivals et fonde son premier groupe. Sa conviction est faite : il sera musicien professionnel ! Une évidence formulée avec audace en 1967, lors de son incorporation, face à l’adjudant-chef qui lui demande la nature de sa profession… Le choc, pourtant, un an plus tard, lorsqu’il se rend aux États-Unis pour le festival de Newport : il découvre, avec stupeur, qu’il n’est ni noir ni américain ! Que faire, sinon d’être soi-même ? “ Je me retrouvai devant un grand vide, seul face à la création. Pourtant, je dois l’avouer, je n’ai jamais douté de mon avenir ”. Et nous non plus, près de cinquante ans plus tard ! De l’Afrique au Japon, de New York à Hong Kong, il n’y a guère de salles de spectacles ou de clubs de jazz où l’homme n’a point fait entendre sa petite mélodie. Les « festicultivaliers du jazzcogne » d’Uzeste sont nombreux à échanger les souvenirs de soirées à n’en plus finir avec Texier et son pote Bernard Lubat. « Vraiment un festival inspirant, et inspiré, où l’on est dans une autre relation avec le public, je suis un fervent militant d’Uzeste« , confesse l’artiste.

texier2Qu’on se le dise : Texier et sa contrebasse, c’est un pic, c’est un roc, c’est un promontoire ! Un virtuose “ phénoménal ” où musicien et instrument ne semblent faire qu’un, où l’archet glisse des mains pour s’en aller caresser les cordes avec tendresse et sensualité. Depuis lors, il ne cesse de se produire au côté des plus grands noms du jazz, qu’ils soient français ou étrangers. Formant son propre groupe et jouant en quartet, quintet ou sextet au gré des concerts et des enregistrements, telle cette “Alerte à l’eau » parue chez Label Bleu, mieux encore son dernier CD, At « L’improviste« , sorti en mars 2013. Avec, dans la formation, Sébastien Texier, le fiston dont il ne craint la concurrence : il s’éclate à la clarinette et au saxophone alto plutôt qu’à la contrebasse !

Face à la crise de l’intermittence, Henri Texier avoue d’ailleurs ses craintes pour l’avenir. “ Beaucoup de jeunes et bons musiciens sortent des écoles : où vont-ils pouvoir s’exprimer demain ?, comment vont-ils pouvoir vivre de leur métier ? Quand je regarde en arrière et compare à l’aujourd’hui, on ne trouve pas plus de boîtes ou de clubs de jazz. Hier, on y passait plusieurs semaines d’affilée, aujourd’hui c’est au maximum deux ou trois concerts pour les musiciens de notoriété ”. Yonnel Liégeois

2 Commentaires

Classé dans Musique et chanson, Rencontres

2 réponses à “Texier, le swing sous le bonnet

  1. HARIVEL

    Merci d’avoir ravivé ma mémoire. Que de souvenirs à l’époque où je trainais dans les clubs parisiens… Quel grand artiste, monsieur Texier, bravo !
    Une remarque : Ce n’est pas la crise de l’intermittence mais la crise de rire ! Le ministère de la Culture a vu pour la première fois son budget baissé, qu’est-ce qu’on rigole ! Sans un budget conséquent de l’état et des collectivités territoriales, les artistes n’auront plus assez de travail et de ce fait plus assez d’heures déclarées pour prétendre aux allocations chômage. Nous verrons alors que l’intermittence n’a plus lieu d’être et le patronat fera tout pour supprimer ces annexes 8 et 10 qui participent pourtant à l’exception culturelle de notre pays.

    • Cher ami,
      Je suis bien d’accord avec vous : l’expression « crise de l’intermittence » est malvenue, une formule dont il vaut mieux rire ! Votre commentaire, en tout cas, place la question au coeur de la problématique dont Chantiers de culture tente de se faire l’écho : musiciens, artistes et comédiens ne sont pas de purs génies qui créent entre amour et eau fraîche, ils sont aussi des travailleurs comme tous les autres ! Avec un Code du travail pour garantir leurs droits, une juste rémunération pour vivre et non survivre lorsqu’ils sont dans le temps de la création et pas encore dans la représentation. Aussi, je partage pleinement votre point de vue sur la pérennité essentielle des annexes 8 et 10, qui régissent leur statut de salarié, concrétisation emblématique de l’exception culturelle à la française. Y.L.

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