Alain Serres, vingt ans à la Rue…

Éditeur indépendant, Alain Serres a fondé « Rue du monde » en 1996. Depuis vingt ans, la maison d’édition n’a cessé de défendre une vision de la littérature jeunesse engagée et de semer ses petits cailloux. Comme autant de graines d’où germeront les citoyens de demain.

 
Cyrielle Blaire – Qu’est-ce, selon vous, un bon livre pour enfant ?
alain1Alain Serres – Les livres pensés de façon moralisatrice, les livres didactiques où l’on donne des leçons, cela fait de très mauvais livres. On a vite fait d’enfermer l’enfant dans quelque chose de très réducteur. Mais le livre pour enfants, c’est à prendre au sérieux ! Les enfants aiment les livres mille-feuille où il faut chercher plein de pistes. On se régale dans la lecture quand on invente sa propre histoire, quand on se pose des questions. Nous pensons qu’il faut donner à l’enfant toutes les clefs du monde, lui en faire partager la complexité, ses contradictions, ses mystères, car c’est comme ça qu’on grandit vraiment. Et puis on veut contribuer à faire des gamins gourmands de vie, exigeants, porteurs d’un esprit critique. On a plus que besoin dans nos sociétés de citoyens créatifs et imaginatifs qui mettent le monde à l’envers. Et puis, si il rencontre des bouquins poil à gratter, il va aimer le cinéma différent, aller voir le spectacle vivant. Les enjeux sont là !

C.B. – Peut-on tout aborder dans les livres pour enfants, même les sujets difficiles ?
A.S. – Les enfants veulent regarder par le trou de la serrure. Et ils ont compris que le livre était un univers un peu pirate qui ose dire des choses. Dans nos livres, on va évoquer l’amour, la haine, les guerres, la part d’ombre de l’humain. Si le livre jeunesse veut revendiquer le statut de littérature, il faut qu’il transgresse tous les tabous et tous les modèles. Même si ce n’est pas facile de convaincre sur toute la chaîne du livre, convaincre le libraire, le documentaliste… Car il y a encore beaucoup de tabous en ce qui concerne l’enfance. Mais, moi, j’aime bien mettre les pieds dans le plat. Nous éditons par exemple un livre qui épingle les papas alain2machos, « Terrible ». Et bien le ministère de l’Éducation au Mexique a décidé de l’offrir à toutes les écoles du pays ! Avec de belles productions artistiques, audacieuses, on peut faire des livres qui remettent en cause. Et qui disent à l’enfant qu’on espère qu’il va bouger le monde pour plus de solidarité, plus de liberté, plus d’égalité, de compréhension entre gens très différents. Notre maison porte des engagements mais sans oublier l’art et la littérature, en portant des vibrations artistiques et littéraires, pas en portant des slogans.

C.B. – Les maisons d’édition indépendantes jouent-elles un rôle d’aiguillon ?
A.S. – Oui. Si on regarde un peu l’histoire du livre jeunesse, durant de nombreuses décennies, il n’a été qu’un livre pensé pour éduquer l’enfant d’abord autour de la religion, puis des valeurs morales, des valeurs républicaines, de la connaissance et des savoirs. Et puis il y a eu une explosion à la fin des années 70. On a commencé à jouer des rapports textes-images différents, à faire entrer de vrais sujets dans les albums pour enfant, et ce mouvement était porté surtout par de petites maisons. Les grandes maisons, elles, suivent le mouvement, mais pas forcément de la même manière ! On croirait que le livre jeunesse est neutre mais absolument pas. Derrière des sujets qui paraissent anodins, il y a aussi de l’idéologie, des points de vue sur le monde. Les stéréotypes perdurent. Quand il s’agit de faire la cuisine c’est encore aujourd’hui la maman qui va s’y coller et c’est le papa qui va aller travailler… Propos recueillis par Cyrielle Blaire

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Classé dans Littérature, Rencontres

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