En décembre 2015, l’historien Patrick Boucheron livrait sa « Leçon inaugurale » au Collège de France. Magistrale, nous faisant voyager dans le Moyen Age tout en soulignant la gravité du présent. Grâce au web, nous y avons accès comme à de nombreux cours : une plongée revigorante dans le savoir.
« Ce qui surviendra, nul ne le sait mais chacun comprend qu’il faudra pour le percevoir et l’accueillir, être calme, divers et exagérément libre ». Les derniers mots de l’historien Patrick Boucheron, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France le 17 décembre, donnaient le frisson.
En charge de la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle », le médiéviste nous replongeait dans les méandres du Moyen Age, dans l’histoire longue autant que déconcertante parce que faite de discontinuités et de complexités, loin des certitudes impatientes que certains voudraient nous imposer. « Nous avons besoin d’histoire car il nous faut du repos, une halte pour reposer la conscience », déclarait-il. Avant de poursuivre, « tenter, braver, persister, nous en sommes là. Il y a certainement quelque chose à tenter. Comment se résoudre à un devenir sans surprise ? » Ce fût un moment d’apaisement que d’entendre de telles paroles en pleine actualité tourmentée. Un moment qui ne se conjugue pas au passé ! Grâce à Internet, son discours est encore accessible. Et il en est de même pour une majeure partie des cours donnés au Collège de France.
Mathématiques, physique, chimie, biologie, histoire, archéologie, linguistique, orientalisme, philosophie, sciences sociales, littérature… Dans tous les domaines, le savoir de ce haut lieu de la pensée nous est offert. En effet, les cours du Collège de France sont ouverts à tous, gratuitement, sans inscription préalable. Alors, il suffit de nous laisser embarquer pour se nourrir des connaissances de ces professeurs érudits, s’efforçant d’être compréhensibles par le plus grand nombre. Mieux, plus de 6000 de leurs cours ou séminaires peuvent être visionnés sur la toile. Et l’on se prête au jeu aisément, naviguant dans les propos d’Henry Laurens sur l’histoire contemporaine du monde arabe, ceux de Dominique Charpin sur la civilisation mésopotamienne ou d’Alain Supiot sur la justice sociale internationale. Le voyage est plein de surprises avec les interventions de professeurs invités nous faisant prendre sans cesse des chemins de traverse comme autant de hauteur et de recul sur l’actualité immédiate.
Ainsi, en surfant dans les cours de Pierre Rosanvallon sur l’histoire de la démocratie, on découvre l’obsession des chefs au XXe siècle au cours d’un exposé brillant d’Yves Cohen. Une hantise que l’on retrouve simultanément dans l’armée, l’industrie ou l’enseignement, en France, en Allemagne, en Russie comme aux États-Unis. On affine l’approche de cette réforme hiérarchique en écoutant Armand Hatchuel évoquer la figure d’Henri Fayol et sa théorie du chef d’entreprise à la fin du XIXe siècle. On puise encore dans les réflexions passionnantes du politologue Loïc Blondiaux sur « la démocratie à venir et à refaire ». Un réquisitoire sur l’impuissance de nos gouvernements qui n’affichent leur capacité d’action que sur les problèmes de sécurité ou d’immigration, là où ils ont encore prise. En fait, quand l’État policier prospère sur le déclin de l’État social.
Alors, pas d’hésitation, il est hautement recommandé d’aller butiner dans cette caverne inestimable qu’est le Collège de France ! On en ressort ragaillardi et rassuré sur l’énergie déployée par tant de penseurs en action, soucieux de partager leur savoir. Amélie Meffre
En savoir plus :
Dans la dernière livraison du mensuel « Sciences Humaines » , l’historien Patrick Boucheron livre un entretien exclusif sous le titre « A quoi sert l’histoire ? ». Qualifié « d’historien de la respublica » par son compère Roger Chartier, « il est aussi un historien indiscipliné », soutient Martine Fournier en préambule à son article, « qui s’amuse à manier les anachronismes délibérés, et à subvertir les règles de la méthode historique ». Un grand érudit, amateur de littérature autant que d’histoire, directeur de la collection « L’univers historique » aux éditions du Seuil et membre du comité éditorial de la revue L’Histoire.
À signaler encore, sur les travées du Collège de France, l’original et émoustillant cours de littérature d’Antoine Compagnon, « Les chiffonniers littéraires : Baudelaire et les autres »… Enfin, à ne pas manquer le 17 mars, la leçon inaugurale d’Alain Mabanckou, professeur de littérature francophone à l’Université de Californie Los Angeles (UCLA) et prix Renaudot 2006 pour ses Mémoires de porc-épic, sur le thème « Lettres noires, des ténèbres à la lumière » : une déambulation littéraire, artistique et historique sur « la négritude après Senghor, Césaire et Damas », une plongée dans la littérature d’Afrique noire francophone. Yonnel Liégeois