Thérèse Clerc, disparue le 16 février dans sa maison de Montreuil en Seine-Saint Denis (93), n’était pas une sainte, elle était beaucoup mieux : une femme engagée, gaie et pugnace. Qui a lutté pendant quarante ans et a porté à bout de bras de nombreux projets.
Thérèse Clerc, une femme extraordinaire dans l’ordinaire d’une vie, vécut deux existences, l’une et l’autre bien différentes mais aussi bien remplies : la première, très sage quand elle se marie à 20 ans, fort ignorante et vierge évidemment comme il se doit à l’époque… Elle aura 4 enfants en 10 ans. C’est une femme au foyer dans les conditions ordinaires du Paris des années 50 : eau sur le palier, WC communs et lavage des couches dans une grosse lessiveuse qu’elle descend vider dans la cour. Sous la lessiveuse, pourtant, couve un tempérament qui ne supporte pas l’injustice, et notamment celle faite aux femmes.
Thérèse Clerc ne se satisfait pas des réponses des prêtres-ouvriers qui ne dénoncent que l’exploitation des hommes au travail, comprenant à demi-mot que la femme est bien la prolétaire de l’homme. Elle refuse la soumission que lui préconise le vieux curé de la paroisse. L’ouragan de 68 dispersera les dernières timidités de la jeune bourgeoise, lectrice et vendeuse de « Témoignage chrétien », l’hebdo des « Cathos de gauche ».
Dès lors, elle sera de tous les combats humanistes et féministes. Elle milite pour le Mouvement de la Paix, le P.S.U. et s’investit à fond au M.L.A.C, le Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception fondé en 1973. Dans une ivresse de liberté nouvelle, elle est alors divorcée et travaille comme vendeuse. La belle Thérèse découvre les joies de l’engagement collectif, le goût du débat d’idées et les plaisirs du corps. Plaisirs qui riment alors trop souvent pour les femmes avec angoisse de la grossesse, douleurs et risque d’avortement. En juin 2008, à la veille de recevoir des mains de Michèle Perrot, l’historienne du féminisme, sa médaille de Chevalière de la Légion d’honneur en présence de Simone Veil, elle évoque cette période avec Jacky Durand pour un portrait dans le quotidien Libération. « … J’allais aux réunions à Jussieu. C’est la première fois que j’entendais le mot « patriarcat ». On parlait aussi des avortements clandestins qui étaient à l’époque la première cause de mortalité des femmes entre 18 et 50 ans. Elles subissaient l’aiguille à tricoter, le curetage à vif, parfois la septicémie ». Elle pratiquera de nombreuses interruptions de grossesses clandestines chez elle, dans son appartement de Montreuil, « on se formait les unes les autres… ».
Thérèse n’arrête pas là son combat, ou plutôt ses combats : elle fonde à Montreuil « La Maison des Femmes », qui ouvre ses portes en 2000. Une maison destinée à toutes celles qui sont notamment victimes de violence, y compris la douleur permanente consécutive à l’excision ou l’infibulation… Quelques semaines avant sa mort, la maison a été rebaptisée à son nom. En sa présence.
Entretemps, cette joyeuse « grand-mère indigne » de 14 petits-enfants découvre une situation qui la scandalise : celle de nombreuses femmes âgées qui survivent à peine avec une retraite minuscule, rançon de salaires faibles et de carrières professionnelles souvent en pointillé à cause des maternités… Qui, de plus, souffrent souvent d’un isolement social. Elle veut les aider et, avec deux amies, elle lance un projet très innovant. Avec quelques idées fortes : mieux vieillir ensemble mais surtout vieillir libres, autonomes, solidaires et citoyennes ! Voilà notre infatigable combattante qui enfourche un nouveau cheval de bataille nommé « Babayagas », du nom des sorcières des vieilles légendes russes… La chevauchée sera très longue, près d’une quinzaine d’années, pour sauter enfin les obstacles du financement du projet. La « Maison des Babayagas », utopie réaliste s’il en est, sera inaugurée en fanfare le 28 février 2013. Avec, comme refrain pour toute ligne de vie, « Vivre vieux, c’est bien. Vivre bien, c’est mieux ! ». Satisfaite, malgré la tristesse d’une dissension dans le groupe fondateur, Thérèse continue sa vie de femme libre, assumant ses amours saphiques devant la caméra de Sébastien Lifshitz pour « Les invisibles », un documentaire consacré aux homosexuels nés entre les deux guerres.
C’est une sacrée femme, une « flamme forte » qui s’est éteinte à 88 ans. Qui aurait pu adouber cette maxime à sa propre vie : « Vivre et aimer librement, vieillir et mourir debout ». Chantal Langeard
A lire : « Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs » par Danielle Michel-Chich. La biographie de l’initiatrice de la « maison des Babayagas », inaugurée à Montreuil (93) en février 2013.