Directeur de l’Olympia, le Centre dramatique national de Tours (37), Jacques Vincey met en scène L’Île des esclaves de Marivaux. En deux versions, l’une en salle et l’autre foraine. Sans oublier le réjouissant Et là haut les oiseaux de la compagnie du théâtre El Duende à Ivry (94).
Jacques Vincey, qui dirige le théâtre Olympia (Centre dramatique national de Tours), a mis en scène L’Île des esclaves (1725) de Marivaux. C’est en deux versions, l’une « en salle », celle que nous traitons, et l’autre dans des conditions dites « foraines », plus légère, destinées à des lieux non voués au théâtre, tels que collèges, centres sociaux, prisons… Tout comme La dispute (1744), montée il y a trois ans par Vincey, L’Île des esclaves participe d’une expérimentation d’ordre social. On y voit Arlequin, assez largement affranchi des codes de la commedia dell’arte, échoué après un naufrage sur une île dans laquelle le magistrat Trivelin va organiser le jeu des rôles où les maîtres (Iphicrate et Euphrosine) deviendront donc esclaves tandis que ces derniers (soit Arlequin et Cléanthis, son double féminin) prendront leur place. Les valets s’exercent un temps à la cruauté et au mépris mais, in fine, dans une république
du bon vouloir, introduisant l’amour du prochain dans l’antagonisme des classes, ils inverseront le cours fatal de l’humanité.
Dans le dossier de presse, Jacques Vincey estime que Trivelin entend « rééduquer socialement et moralement les naufragés avec des méthodes dignes d’un commissaire politique : passage aux aveux, auto-expiation, chantage… ». Il y va fort, Trivelin ancêtre de Po Pot ! Il faut raison garder. On sait que Rousseau, vingt ans avant de publier Du contrat social (1762), consulta Marivaux.Élégante esthétique de scène (scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy), avec un flot de mousse simulant l’écume marine. Costumes immaculés (Céline Perrigon), maquillage et perruques (Cécile Krestschmar) ont belle allure. Cinq jeunes comédiens (Blanche Adilon, Thomas Christin, Mikaël Grédé, Charlotte Ngandeu et Diane Pasquet), frais sortis des écoles, font déjà bien leur métier, si même on souhaiterait plus d’âpreté dans les conflits. En seconde partie, ils ont carte blanche pour signifier ce qu’ils retirent de l’expérience consistant à jouer Marivaux, sa langue châtiée, ses arguties prodigieuses. Alors, c’est très évasif. On dirait que ça leur cloue le bec… L’une s’exprime par écrit interposé sur des panneaux, tandis qu’un autre se met à taper dur sur une batterie… Un peu court tout çà même si, dans la salle, les élèves des lycées et collèges s’y retrouvent. Question de générations, sans nul doute. Jean-Pierre Léonardini
Du 5 au 9/11 au Préau, Centre dramatique national de Normandie-Vire. Les 13 et 14/11 à L’Avant-Seine, Théâtre de Colombes. Le 19/11 à MA scène nationale – Pays de Montbéliard. Le 22/11 à L’Entracte, Scène conventionnée de Sablé. Le 26/11 au Théâtre de Chartres. Le 29/11 à L’Échalier à Saint-Agil. Du 3 au 5/12 au Théâtre de Thouars. Du 17 au 20/12 au Théâtre – Sénart, Scène nationale. Du 23 au 31/01/20 au Centre dramatique national de Tours.
À voir aussi :
– Et là haut les oiseaux : du vendredi au dimanche, jusqu’au 14/12 au Théâtre El Duende d’Ivry-sur-Seine (94). C’est frais, c’est fort et beau, c’est drôle et intelligent, c’est émouvant ! Imaginez une troupe de théâtre sans grands moyens, la compagnie El Duende justement dans son quotidien (!), que le ministère de la Culture invite à monter un spectacle en sept jours en contrepartie d’une belle subvention… Chiche, répond en chœur la bande de comédiens qui en a vraiment bien besoin ! Sept jours de création collective, sept jours de galère et d’errements, sept jours surtout d’imagination débridée pour accoucher d’un nouveau monde où chacun trouve et prend sa place… En dépit des coups de fils de l’autorité de tutelle informant régulièrement de la remise d’un chèque au montant toujours réduit ! Telle est la trame de ce marathon théâtral et musical qui, sans prétentions faussement déclarées, affiche de belles ambitions. Dans la pure tradition du théâtre populaire, où l’exigence le dispute à la qualité, qui aurait fière allure sur les planches des Tréteaux de France : qu’en pensez-vous, cher Robin Renucci ? Tant collectivement que dans les solos qui sont offerts à chacune et chacun, des comédiens qui brillent d’un talent incontestable, virtuoses dans les vocalises autant que dans leurs personnages de composition. D’une scène l’autre, par la seule magie du verbe et la force du rire, un succulent plaidoyer en faveur de la culture pour tous, la mise en images et en musique d’une société où les mots fraternité et solidarité ont de nouveau droit de cité. Courez-y vite, vraiment une superbe réussite ! Yonnel Liégeois
– Visions d’exil : organisé par l’atelier des artistes en exil, le festival Visions d’exil s’est ouvert au Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration. Pour s’étendre ensuite en d’autres lieux et se clôturer le 30/11… Au programme, théâtre-concert-danse-exposition-film-chanson, soirées littéraires et débats. En compagnie d’artistes touchés par l’exil, une manifestation pluridisciplinaire qui se saisit de la question de la langue pour sa troisième édition et choisit de la confronter à la création artistique sous toutes ses formes. Y.L.
– Les témoins : écrit et mis en scène par Yann Reuzeau, du vendredi au dimanche jusqu’au 21/12 à la Manufacture des Abbesses. À l’heure où l’extrême-droite s’empare du pouvoir en France, l’effroi s’immisce au sein de la rédaction du journal Les Témoins. L’avenir du titre est incertain, la liberté d’informer mise à mal, la crise couve entre peurs réelles et doutes existentiels. Du champ de bataille idéologique au champ de ruines des idéaux des journalistes, quoique d’une écriture pouvant paraître parfois un peu trop caricaturale, une mise en espace efficace et terrifiante de ce qu’il advient déjà de la presse en des pays pas si lointains, tels la Hongrie ou la Russie. Y.L.
– L’a-démocratie : de et par Nicolas Lambert, du jeudi au samedi jusqu’au 28/12 au Théâtre de Belleville. L’iconoclaste narrateur reprend sa trilogie qui décoiffe assurément ses auditeurs sous les trois couleurs de notre emblème national, Bleu-Blanc-Rouge : Elf, la pompe Afrique – Avenir radieux, une fission française – Le maniement des larmes. Trois mots-clefs entre humour et dérision, pots de vin et fausses factures, petits arrangements et grosses magouilles, pour dénoncer les trois maux qui gangrènent notre démocratie : pétrole, nucléaire, armement. En trois volets, un spectacle d’utilité publique construit sur des propos et documents authentiques. Y.L.