Valletti, de la tête au cœur

Jusqu’au 04 juillet, au Théâtre du Rond-Point, Hovnatan Avédikian met en scène la Baie des Anges. Une pièce de Serge Valletti qui côtoie le film noir, le drame, voire le mélo d’une histoire de famille corse. Sans oublier Hamlet, dans une mise en scène de Gérard Watkins, au Théâtre de la Tempête.

Serge Valletti a écrit Baie des anges. Ce texte, Hovnatan Avédikian le met en scène (1). La genèse de l’aventure n’est pas banale. En 2016, Hovnatan présente à l’auteur le producteur de cinéma Faramarz Khalaj, lequel lui confie l’histoire, taraudante, d’un ami cher qui s’est suicidé. Valletti l’écoute, l’enregistre, prend des notes. Le texte naît de cette commande affective. Il en est imprégné.

Ils sont trois en scène. Il y a Gérard, d’un « certain âge » : rôle créé par David Ayala, acteur puissant qu’une vacherie de cas contact a un temps empêché et qui, depuis, est en alternance avec Hovnatan. Nicolas Rappo joue Armand, « bien plus jeune ». Joséphine Garreau joue la Fille (« 19 ans »). Ils sont censés répéter la pièce en train de se faire et de quasi s’inventer à vue, dans un fatras de meubles recouverts de housses blanches (scénographie de Marion Gervais). Gérard et Armand cherchent un début impossible. Faut-il commencer comme dans Boulevard du crépuscule, le film de Billy Wilder, où le type mort dans la piscine raconte sa vie en voix off  ?

On embauche la Fille, découverte ondulant en ombres chinoises sur un écran en drap déroulé. Elle récite un poème de Baudelaire (il y en aura encore deux, fougueusement distillés avec une délicieuse pointe d’accent). Le récit en miettes prend corps à grand renfort de répliques coupantes et d’allusions drolatiques, bref tout ce qui fait le style Valletti, une sorte d’understatement (euphémisme) du Sud, où la mise en boîte généralisée côtoie le film noir, le drame, voire le mélo d’une histoire de famille corse où est maudite la femme qui n’a pas su garder son mari et dont le fils, qui a si bien réussi, met fin à ses jours à la date même du trépas de sa mère…

Le tout, de grandes secousses pathétiques en descriptions suaves de la nature niçoise, accouche d’un théâtre du feu de Dieu, au sein d’une poétique de scène qui enchante l’esprit. Grâce au plaisir du don prodigué par les acteurs, changeant d’humeur et de peau à tout berzingue au bal des mots dits, ponctués par à-coups d’incursions sonores hollywoodiennes (Luc Martinez, Éric Pedini), sous les lumières et les ombres tranchantes conçues par Stéphane Garcin.

Cela sent tout du long l’amitié sincère sans tambours ni trompettes, quand la tête passe généreusement par le cœur. Jean-Pierre Léonardini

(1) Jusqu’au 4/07, au Théâtre du Rond-Point (75), Paris 8e

à voir aussi :

Jusqu’au 10 juillet, au Théâtre de la Tempête : le fils du roi du Danemark, Hamlet, donne rendez-vous aux spectateurs de La Cartoucherie. Pour poser la question qui tue : tout est-il définitivement pourri dans ce royaume-ci et dans d’autres plus proches de nous qui, depuis, ont pris nom de république ? Une version décoiffante de la pièce de Shakespeare, orchestrée par le metteur en scène Gérard Watkins ! Dans une toute nouvelle traduction d’abord, ensuite en faisant endosser le rôle du prince à une femme : un retour à la tradition qui n’est pas exempt d’interrogations au temps présent… C’est la grande comédienne Anne Alvaro qui incarne « cet esprit chancelant au bord du gouffre » au cœur d’une troupe survoltée. La folie, miroir absolu de notre société comme monde instable et transitoire ? « That is the question » ! Yonnel Liégeois

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Classé dans La chronique de Léo, Rideau rouge

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