Peer Gynt sort du bois !

Jusqu’au 1er août, au Théâtre du Peuple de Bussang (88), Anne-Laure Liégeois propose Peer Gynt, la pièce d’Henrik Ibsen. Dans une mise en scène dépouillée, sans artifices mais non sans malice ! Avec une bande de comédiens, amateurs et professionnels mêlés, réjouissante et virevoltante à l’image de leur héros au tempérament controversé.

Dans notre imaginaire, s’imposent en mémoire les images d’un Peer Gynt flamboyant. Interprété par la troupe de la Comédie Française en 2012 sous la verrière du Grand Palais à Paris, dirigé par Eric Ruf avec un époustouflant Hervé Pierre dans le rôle-titre… Dix ans plus tard, la magie opère de nouveau ! Dans la cathédrale de bois de Bussang dédiée aux arts vivants, « Pour l’art et pour l’humanité », la metteure en scène Anne-Laure Liégeois relève le défi avec intelligence et talent. Dans une mise en scène dépouillée, sans artifices mais non sans malice… Comme le héros qui vagabonde d’un monde à l’autre, du royaume des trolls aux empires esclavagistes, le regard du spectateur erre entre rêve et réalité. De l’univers fantaisiste à la question existentialiste dont jamais Peer Gynt ne se départit : qui suis-je ? Comment devenir et rester moi-même, au gré des fluctuations de la vie ?

Du début à la fin de l’œuvre d’Henrik Ibsen, l’interrogation est lancinante. « Tu n’es qu’un bon à rien, fainéant et menteur », tempête la mère de Peer aux premières répliques, « je deviendrai riche et roi, tu seras fier de moi », rétorque le fils avec gouaille et conviction. Lui, l’enfant du peuple, fils de paysan miséreux, n’aurait-il donc pas droit de rêver à plus humaine condition, à un avenir dépouillé de ses guenilles et de la faim au ventre ? Ibsen sait de quoi il parle, il connaît bien cette campagne norvégienne en cette fin de XIXème siècle, lui le révolté abreuvé des idéaux révolutionnaires de la France de 1848. Il est aussi nourri de la littérature scandinave populaire enracinée dans les contes et légendes, dans les histoires de trolls et de figures fantasmagoriques. Per Gynt ? Le Don Quichotte nordique en quête de lui-même par monts et glaciers, vallées et forêts.

Un homme aux nobles idéaux qui bouscule les convenances, se moque des pouvoirs en place comme ce ridicule roi des trolls, vit dans l’instant au risque d’y perdre son âme, toujours en instance de rachat à chaque trahison et défection… Un être au tempérament complexe, certainement responsable mais pas forcément coupable, pétri de contradictions, jamais oublieux de ses rêves d’amour et d’humanité, pourtant sujet aux pires exactions pour atteindre son inaccessible étoile : se jouer de Solveig sa bien-aimée, faire commerce d’esclaves, se complaire de la mort des autres pour sauver sa peau… Ibsen nous entraîne sur ce chemin initiatique que tout humain se doit d’emprunter : au cœur de nos utopies et convictions, n’avons-nous jamais fauté ou trahi, saurons-nous jamais fauter ni trahir ? La vie n’est peut-être jamais un long fleuve tranquille.

Comme pour exorciser le dilemme, deux Peer Gynt foulent les planches de Bussang. L’un jeune l’autre adulte, Ulysse et Olivier Dutilloy, le fils et le père… Tous les deux habités par leur personnage, criants d’humour et de vérité, maniant drame et fantaisie sans vergogne, la parole ingénue du jeune intrépide face au regard attendri du patriarche désabusé. Les deux, à tour de rôle, se jouant d’un étrange praticable, mystérieux embarcadère pour passer d’un monde à l’autre, naviguer d’un continent l’autre. Peer Gynt ? Une histoire de famille au final, d’une génération l’autre… Celle d’une mère et de son fils, d’un amant et de sa belle, une affaire de reconnaissance et de transmission quand des parents songent à un avenir autre pour leurs enfants.

Sur le plateau de Bussang, la troupe s’en donne à cœur joie. Amateurs et professionnels comme le veut la tradition du lieu, tous excellents, Anne-Laure Liégeois les conduisant de cour à jardin de main de maître… Pas d’artifices, seul un oignon à peler pour illustrer la fuite du temps, une grande louche pour soupeser la valeur d’une vie, quelques tentures pour imager le parcours du combattant, la nudité du décor pour exhaler la tendresse des sentiments.

à l’heure où les lourdes portes du fond de scène s’ouvrent pour laisser le héros déchu disparaître dans les bois, la nostalgie nous surprend. « Ici, je respire librement dans le vent qui souffle. Ici, on entend le sapin murmurer. Ici, je suis chez moi », confesse Peer Gynt. Ici, pour si bon Festin, nous étions chez nous. Ici, invités à la table de Bussang, vous serez chez vous. Yonnel Liégeois, Christophe Raynaud de Lage pour les photos.

Jusqu’au 01/08, du jeudi au dimanche, 15h. Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, 40 rue du Théâtre, 88540 Bussang (Tél. : 03.29.61.50.48).

à voir aussi :

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, du 24/07 au 04/09, chaque week-end à 12h00. De Stig Dagerman, avec Simon Delétang pour récitant et le groupe Fergessen pour la création musicale. Un oratorio électro-rock, un texte court et de grande beauté : un hymne à la vie, une ode à la liberté ! « Je crois beaucoup à la spontanéité des formes imaginées sur le vif, dans la nécessité de s’exprimer coûte que coûte », confiait Simon Delétang, le directeur du Théâtre du Peuple lors de la création en 2020, en pleine pandémie. « S’il y a bien quelque chose qui ne s’éteindra jamais, c’est la foi en l’art et sa rencontre avec un public ». Y.L.

1 commentaire

Classé dans Festivals, Littérature, Rideau rouge

Une réponse à “Peer Gynt sort du bois !

  1. Communication - Elektronlibre

    Merci beaucoup, cher Yonnel, pour ton article ! Quel plaisir de te lire.

    Des bises avignonnaises.

    Manon

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