Grand homme de culture, fondateur du Théâtre de La Commune à Aubervilliers (93), Gabriel Garran est décédé le 6 mai à Paris. D’une incroyable puissance de vie, ce petit d’homme a inspiré moult créateurs, auteurs et artistes. Un héraut de la francophonie, du Maghreb au Québec, de l’Asie à l’Océanie.

Metteur en scène, écrivain et poète, Gabriel Garran était un homme d’une courtoisie exemplaire. C’est toujours avec le sourire qu’il accueillait d’une poignée de main chaleureuse en son TILF, le Théâtre international de langue française qu’il fonda en 1985 au Parc de la Villette, critiques, amis et public grand ou petit. Vingt ans plus tôt, éminent défricheur et baroudeur, avec la complicité du maire communiste Jack Ralite, il créait à Aubervilliers le premier théâtre populaire permanent en banlieue, le Théâtre de la Commune depuis lors devenu Centre dramatique national.

De son vrai nom Gabriel Gersztenkorn, l’œuvrier des planches est né en 1927 à Paris d’un couple de juifs polonais. Lorsque la guerre éclate, son père est déporté à Auschwitz, où il meurt. « Après ces années noires, le théâtre sera sa planche de salut », écrit notre consœur Armelle Héliot. Rappelant aussi que, du TILF au Parloir contemporain sa dernière compagnie, il n’aura de cesse d’arpenter les territoires de la francophonie. Prenant fait et cause pour les auteurs d’Afrique, du Québec, d’Haïti, du Maghreb… « De Sony Labou Tansi à Nancy Huston, en passant par Normand Chaurette, Marie Laberge, Koffi Kwahulé, tous ceux que l’on connaît aujourd’hui, que l’on retrouve à Limoges et partout ailleurs, sont là », constate l’ancienne critique dramatique du Figaro. « La disparition de Gabriel Garran laisse orphelins tous ceux qui se sont autoproclamés les « enfants d’Aubervilliers » ainsi que plusieurs générations d’artistes qui ont pu trouver auprès de lui une filiation artistique et populaire profonde », notent avec une infinie tristesse ses proches et complices de longue date. En 2015, il était récompensé de la grande médaille de la francophonie par l’Académie française. Sa devise ? « L’avenir du théâtre appartient à ceux qui n’y vont pas » !

Auteur de deux pièces de théâtre et de centaines de poèmes édités à tirage restreint, Gabriel Garran signait en 2014 une poignante biographie. Géographie française nous révélait le périple d’un enfant, fils d’immigrés polonais, au cœur de la tourmente et de la débâcle des années 40, au cœur surtout de la déportation ou de la clandestinité pour les juifs de France. Avec force émotion et une mémoire à fleur de peau, il nous livrait ses fragments de jeunesse qui le marqueront à tout jamais. En errance sur les routes de l’hexagone, un bel hymne à la révolte et à la liberté de tout temps menacée et, à la vie à la mort, sans cesse à reconquérir. Yonnel Liégeois