Pourvu qu’entre en scène Claude Simon

Ayant droit de l’œuvre de Claude Simon, Mireille Calle-Gruber publie La séparation. L’unique pièce de théâtre signée du prix Nobel de littérature 1985. Une écriture qui relève purement et simplement du tragique au plus haut prix.

On doit à Mireille Calle-Gruber une biographie magistrale de Claude Simon (Une vie à écrire). L’édition de La séparation est dûment complétée, sous le titre « Du train où vont les choses », d’une postface dans laquelle sont explorés, de manière exhaustive, les tenants et aboutissants d’une partition scénique qui fut représentée en 1953 à Paris, au Théâtre de Lutèce. Ce huis clos à la campagne, alors relativement mal accueilli, au cours duquel se déchirent deux couples, l’un d’âge mûr, l’autre plus jeune, tandis qu’agonise à côté une vieille femme, relève d’entrée de jeu du domaine des scènes de la vie conjugale. D’où, sans doute, les réticences initiales. On ne vit là qu’une resucée du drame bourgeois, d’autant plus décevante qu’on attendait autre chose de la part d’un adepte supposé du « nouveau roman », concept fourre-tout. À la lecture de la pièce, éclairée par l’érudition partageuse de Mireille Calle-Gruber, il apparaît que l’écriture profuse de Claude Simon, tramée des réminiscences autobiographiques d’un auteur à la pensée stoïcienne sans merci, violemment athée, attentif à la peinture noire de la mort dans ses attendus les plus concrets, relève purement et simplement du tragique au plus haut prix.

À partir de là, on saisit pleinement la validité magnifiquement désespérée de La séparation, chambre d’échos de la visée proprement spirituelle de celui qui, du Palace à la Route des Flandres, entre autres chefs-d’œuvre puissamment usinés, n’a cessé de scruter sans peur les fins dernières du métier de vivre jusqu’à l’ultime pourriture du cadavre. C’est flagrant dans des dialogues coupants où chacun, imperméable à la pluie verbale de l’autre, n’écoute que lui-même, aux confins parfois de l’hallucination. Et passent là-dedans des images inoubliables, déjà aperçues dans des fictions nourries de la vie dure de Claude Simon, tôt orphelin, marqué par la guerre, prisonnier évadé, authentique homme de l’être qui ne fut jamais un littérateur.

Il est bel et bien qu’on reparle à bon escient de Claude Simon (il n’aimait pas son prénom) et que paraisse aujourd’hui cette pièce. Grâce en soit rendue à Mireille Calle-Gruber. On souhaite ardemment qu’un metteur en scène à la hauteur s’empare de cette âpre réflexion en actes, littéralement sans merci, qui tranche encore, avec superbe, sur le tout-venant dramaturgique avec une insolente liberté de vision plastique. Jean-Pierre Léonardini

La séparation, Claude Simon (Les Éditions du Chemin de fer, 160 p., 17€).

La séparation est une œuvre à la beauté crépusculaire, qui conjugue l’effroi fasciné par la chair vouée à charogne et une lucidité de Jugement Dernier. Mais sans recours à Dieu. La puissance, morbide et vitale, qui habite le texte au dessin sobre est d’autant plus impressionnante qu’elle est feutrée. Tout y est cris et chuchotements, dans un huis clos familial proche d’un Bergman ou d’un Tchekhov. ” Mireille Calle-Gruber

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Classé dans Littérature, Pages d'histoire, Rideau rouge

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