Jusqu’au 11/12, au Théâtre de la Tempête, Guy Régis Junior propose L’amour telle une cathédrale ensevelie. L’auteur et metteur en scène haïtien signe le deuxième volet de sa Trilogie des dépeuplés, sur la dislocation de son pays et la dispersion des familles. Un uppercut poétique et politique.
Nous avons déjà recensé L’amour telle une cathédrale ensevelie. Toutefois, devant la puissance et la beauté du spectacle, c’est avec grand plaisir que nous publions la chronique de notre consœur, et contributrice à Chantiers de culture, Marina Da Silva. Y.L.
Lorsqu’on pénètre dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, à Paris, on arrive sur un autre rivage. Un sol de sable doré, délimité par une frontière d’eau. En fond de scène, la mer et ses vagues comme une grande langue qui vient lécher le sable. À jardin, le guitariste et compositeur haïtien Amos Coulanges ne quittera pas le plateau, accompagnant de ses rythmes et de son chant envoûtants l’oratorio douloureux de L’amour telle une cathédrale ensevelie, écrit et mis en scène par son compatriote Guy Régis Junior. Le spectacle a été créé fin septembre aux Francophonies de Limoges, au Théâtre de l’Union, et trouve ici un écrin qui le place dans un contact rapproché et puissant avec le public.

C’est le deuxième volet de la Trilogie des dépeuplés, une épopée sur l’arrachement et l’exil où Guy Régis poursuit sa radiographie poétique et non documentaire de l’effondrement de son pays et de la dislocation des familles. L’écran, si loin, si proche, nous fait pénétrer dans le salon d’un couple mal assorti, habitant au Canada. Lui, le retraité Mari (Frédéric Fahena et François Kergoulay, en alternance) ; elle, la Mère du fils Intrépide, magnifique et bouleversante Nathalie Vairac. Elle se tord de colère et de douleur. Elle a fui son pays dont la nostalgie l’empêche de vivre pour atterrir dans ce qui est censé être une vie meilleure, confortable, dans un appartement de Montréal. Elle a tenté d’accepter ce mari plus vieux qu’elle, qui l’achetait en quelque sorte, dans la perspective de faire venir son plus jeune fils. L’Intrépide. Celui-là même qui l’avait poussée à quitter l’île, douce mais misérable, qui n’est jamais nommée. Toutes les démarches administratives n’ayant pas abouti, il a pris la mer avec ses compagnons d’infortune.

Alors, « l’amour, monté haut comme une cathédrale, s’est pulvérisé comme poussière ». On passe de ce huis clos où une histoire intime se raconte à bas bruit pour revenir à la mer où les images vidéo de Dimitri Petrovic se mêlent à celles plus vraies que vraies du combat collectif des damnés de la terre sur des embarcations à la dérive. Des images tournées par Guy Régis et Fatoumata Bathily, et des extraits du film Fuocoammare, par-delà Lampedusa, de Gianfranco Rosi. Une petite foule d’hommes, de femmes et d’enfants y sont agglutinés au-delà de l’irreprésentable. Dans l’espace de sable des comédiens-chanteurs, Derilon Fils, Déborah-Ménélia Attal, Aurore Ugolin, Jean-Luc Faraux accompagnent leur lutte à mort dans un chœur créole de toute beauté. Leur chant dit à la fois le désespoir et la résistance. Lorsqu’ils scandent « Canada, Canada, Canada », le mantra du fils pour cette traversée, on mesure la détermination de ces êtres qui ont derrière eux « leur vie à effacer » et pour horizon cette projection dans un futur et un ailleurs. Marina Da Silva
Jusqu’au 11/12, au Théâtre de la Tempête (la Cartoucherie), route du Champ-de-Manœuvres, 75012 Paris (Tél. : 01 43 28 36 36). La Trilogie des dépeuplés est publiée aux Solitaires intempestifs.