Annie Ernaux, le Nobel qui dérange

Le jeudi 6 octobre, l’Académie royale suédoise a décerné son prix Nobel de littérature 2022 à Annie Ernaux. Dans un précédent article, Chantiers de culture se réjouissait fort, et s’en réjouit toujours, de cette haute distinction internationale attribuée pour la seizième fois à un écrivain français depuis sa création en 1901.

L’attribution de ce Nobel de littérature semble pourtant nourrir d’étranges incompréhensions ou interrogations ! Pour s’en convaincre, les échanges tenus au micro de France Culture dans l’émission Répliques en date du 26/11… Des propos commentés par Daniel Schneidermann dans les colonnes du quotidien Libération. Yonnel Liégeois.

Sur France Culture, Alain Finkielkraut et Pierre Assouline brossent le portrait d’une Nobel de littérature illégitime, nymphomane identitaire et débordant de ressentiment borné. Reste un mystère : elle est traduite dans 37 langues. Est-ce le monde qui est fou ou France Culture ?

Infortunée Annie Ernaux, qui a cru se voir décerner le Nobel de littérature. En réalité, ce Nobel n’était pas un «vrai» Nobel. C’était surtout un «non Nobel» non décerné à Salman Rushdie. C’est France Culture qui développe cette analyse. D’abord dans l’émission Signe des temps, le 27 novembre, la fake Nobel Ernaux (« écrivain des identités fixes, sociale et sexuelle, auxquelles est lié à peu près tout le monde ») est opposée au seul Nobel légitime Salman Rushdie, « écrivain du cosmopolitisme et de l’identité changeante ». Coupable, Ernaux, comprend-on, de n’être sortie de l’enfance à Yvetot que pour s’installer en mère de famille dans le Val d’Oise, et d’oser faire œuvre d’une vie si ordinaire.

Mais si elle n’était que banale !

Toujours sur France Culture, ils sont deux, pour instruire son procès dans l’émission Répliques, le 26 novembre. L’animateur et académicien Alain Finkielkraut, et l’écrivain (et ancien juré Goncourt) Pierre Assouline. Face à eux, dans le rôle de l’avocate commise d’office aux flags, rame Raphaëlle Leyris, journaliste au Monde. Après un début d’émission consacré à saluer l’œuvre, avec chaleur (Assouline) ou une tiédeur polie (Finkielkraut), commence donc le procès de l’autrice, et militante.

Passons d’abord sur quelques peccadilles. Assouline : « C’est une femme qui aime les hommes. Dès l’âge de 18 ans. Elle est tout le temps à la recherche de l’homme qui la fera vibrer ». Cette imputation de nymphomanie figure-t-elle dans la colonne actif ou passif ? Ce n’est pas précisé. Point de vue caractère, il y aurait aussi beaucoup à dire. Voilà une fille d’épicier que la culture a élevée jusqu’au Nobel, et elle ne manifeste aucune gratitude ? Finkielkraut : « Elle en veut à la culture. Elle en veut au monde cultivé. Elle est pleine non pas de gratitude mais de ressentiment ». Assouline, pédagogue : « C’est la dernière personne à qui vous pouvez demander de la gratitude. Tel que vous lui demandez, vous vous positionnez comme un dominant ». Finkielkraut, piqué dans son être-transfuge : « Je viens d’où je viens ». Bref, « vraiment dommage », cette ingratitude.

Mais au-delà de ces mauvaises notes de conduite, le plus lourd est à venir. D’abord, ce soutien à Mélenchon. A-t-on idée ? Au lendemain de sa nobelisation elle a manifesté, bras dessus bras dessous avec l’insoumis, pour… le pouvoir d’achat ! Alors que tant de nobles causes n’attendaient qu’elle ! Finkielkraut : « Elle n’a pas dédié son prix Nobel à Salman Rushdie, ce qu’elle aurait pu faire. Elle est allée manifester contre la vie chère ». Assouline révèle avoir un jour demandé à l’écrivaine comment elle pouvait soutenir Mélenchon. « Sa seule réponse : « Jusqu’à mon dernier souffle je vengerai ma race ». Politiquement elle est bornée. Comme Sartre ».

Tout faux, sur tous les sujets !

Prenez la lutte contre le voile. Assouline : « Elle n’est pas Charlie. Elle dit : « Je suis pour qu’on laisse la religion musulmane tranquille ». Comme si c’était ça le sujet. Pour elle, les musulmans sont les humiliés permanents. Toujours cette vision binaire ». A ce propos, n’a-t-elle pas jubilé le 11 septembre 2001 ? Retraçant l’attentat contre les Twin Towers, elle écrivait dans les Années : « Le prodige de l’exploit émerveillait. On s’en voulait d’avoir cru les Etats-Unis invincibles. […] On se souvenait d’un autre 11 septembre et de l’assassinat d’Allende ». « Le prodige de l’exploit émerveillait », répète Finkielkraut, incrédule. Il faudra, dans les jours suivants, que la spécialiste de littérature Gisèle Sapiro rappelle la distinction entre le « on » – description de réactions collectives – et le « elle » par lequel l’autrice parle d’elle à la troisième personne.

Tout cela ne serait encore rien. Le pire du pire, c’est son engagement dans le mouvement de boycott d’Israël. Etrange obsession. Quand il y a tant de dictateurs corrompus dans le monde, pourquoi justement s’engager, « comme par hasard, contre la seule démocratie du Proche-Orient» ? Assouline : « Si un jour il y avait une enquête à faire, il faudrait retourner au café-épicerie d’Yvetot et se demander quel genre de conversations il y avait dans ce café dans les années 50. Il y a un fond de sauce raciste là-dedans, qui demande à être exploré », glisse-t-il. Comment insinuer, sans le dire bien entendu, que la nouvelle nobélisée frise l’antisémitisme.

Reste un mystère. Cette nymphomane identitaire, débordant de ressentiment borné, est traduite dans 37 langues, rappelle Pierre Assouline. Délectable silence pensif d’Alain Finkielkraut : « 37 langues, en effet, c’est très impressionnant ». C’est même incompréhensible. Le monde est fou, hors de France Culture. Daniel Schneidermann

10 Commentaires

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10 réponses à “Annie Ernaux, le Nobel qui dérange

  1. C. Guerrin

    Très juste et très nécessaire chronique. La démolition en règle d’Ernaux, par Assouline et Finkielkraut notamment sur France Culture (et ne parlons pas du Fig-Mag, de Causette et des zemmouriens médiatiques), c’est la plus belle démonstration de la légitimité de son Nobel.

  2. Benquet

    Qui n’a pas connu les bas fonds de la société ne peut comprendre les prises de position de cette femme . Et le fait de critiquer Israël (cette « démocratie  » qui bafoue les droits des Palestiniens) est taxé d’antisémitisme : assez de malhonnêteté intellectuelle !

  3. georges NEUMANN

    J’adore lire ses livres, et le Nobel récompense une œuvre.

  4. Les transfuges de classe comprennent Annie Ernaux. Les autres cherchent des arguments, comme l’accuser de nymphomanie parce qu’elle aime les hommes. Les autres arguments sont de la même veine…Annie Ernaux a 82 ans. Il faut comprendre que la Palestine reste un combat de sa jeunesse et qu’elle lui reste fidèle.. Bien sûr, d’autres combats méritent qu’on les soutienne…. Sur Charlie, là, elle dérape.

  5. Sandra von Lucius

    Pour ce qui est de l’accusation de France Culture, je salue leur effort de donner la parole à tous, même aux néoconservateurs.

    Vous omettez de citer les autres programmes de France Culture ( La compagnie des œuvres, par exemple ) qui consacrent plusieurs heures à son travail d’écrivaine.

    Le mieux serait de la lire, elle, ou par exemple son discours à la remise du Nobel : du grand art.

  6. Sandra von Lucius

    Grande lectrice d’Ernaux depuis longtemps (autant impressionnée que critique sur son œuvre, reconnue dans le monde littéraire aux niveaux national et international depuis longtemps, au moins depuis le prix Renaudot que lui a valu « La place », en 83-84 je crois), je ne comprends pas les procès que lui/se font « ces gens »… Ou je comprends trop bien les critiques, les accusations des « néoconservateurs » ( les passéistes, traditionalistes, puristes, essentialistes, nationalistes, etc.) pour qui Ernaux serait non seulement plus que « banale » mais pire, elle serait politiquement « binaire et bornée ».
    La critique cinglante de ces « lettrés » porte donc essentiellement, voire exclusivement, sur ses positions politiques, faisant fi de toute littérature : ce pour quoi elle a reçu le Nobel quand même… quitte a tordre et décontextualiser ses propos, oublieux de toutes les « règles basiques » en littérature, comme les différents niveaux de compréhension… Ils se fixent sur un passage des Années : « on était émerveillés… » 11 septembre. Elle parle du « ressenti collectif ». Ils prennent vraiment « émerveillés » à la lettre ces lettrés ???? ils croient vraiment ou veulent vraiment nous faire croire qu’Ernaux soutient les terroristes (islamistes ou autres), les admirent ????? défend et glorifie leurs crimes ????
    Ah, l’art de la nuance….
    Je crois que personne…. ne remet en cause son statut d’écrivain/e. Assouline, dans l’émission de Finkielkraut, fait d’ailleurs à l’auteure l’un des plus beaux compliments à mon avis que l’on peut faire à un écrivain : il admet que le style ( « plat », comme elle dit, mais c’est plus compliqué que ça…) d’Ernaux est reconnaissable entre tous, peut-être comme le « style » de Houellebecq, d’Angot, de Céline….
    Oui, Ernaux fait partie de ces écrivains qui a trouvé sa, une « voix » pour dire le « banal », tous ces « je » que l’on n’entend pas, les « invisibles », les « petites gens » à qui elle offre un « destin », « une vie » même de rien, dignes d’entrer en littérature.

  7. Pascal SOLAL

    Entendre un intellectuel de la droite identitaire fustiger chez une femme de gauche les « identités fixes », ça vaut son pesant de cacahuètes !

  8. Adde

    Ça vous dérange une autrice populaire ? Et les hommes ne sont-ils pas souvent à courir après les femmes ?

  9. Serge LG

    Bien que partageant la teneur de ce billet, je désapprouve totalement le fait d’en faire un pamphlet contre France Culture. Cette radio, avec toutes ses imperfections, reste un des seuls lieux où la diversité des opinions peuvent s’exprimer, un oasis pour la démocratie.

    • En relayant cette chronique, un commentaire factuel et ponctuel, Chantiers de culture se propose de donner un exemple des nombreuses critiques émises contre le prix Nobel de littérature 2022 : une femme, écrivaine, en plus cataloguée à gauche ! Il n’est nullement question de fustiger, encore moins de condamner, France Culture dans son ensemble.

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