Au cinéma Luminor (75), le 11/03 à 11h, les réalisatrices Isabelle Ingold et Viviane Perelmuter présentent Ailleurs, partout. Réalisé à partir d’images de caméras de surveillance, le film retrace le parcours de Shahin, un jeune Iranien parti pour l’Angleterre. Un usage original de l’image et du son, étonnant et bouleversant.

J’ai vu une première fois le film Ailleurs, Partout au Lavoir Numérique de Gentilly, en mai passé. Je l’ai beaucoup aimé. Il m’a beaucoup touché, profondément bouleversé. Pourtant il ne cherche pas à nous subjuguer, à nous laisser submerger par l’émotion. Au contraire, il nous délivre de ces pièges en renouvelant et en élargissant nos capacités d’attention, de présence, notre vocabulaire sensible. Il nous rend « voyant ». Tout est là, bien en germe dans le réel mais encore nous faut-il le voir et saisir pour s’y rendre présent. Ce cinéma-là le fait excellemment. On marche et piétine sur tant de débris que l’on n’imagine même pas ce qui pousse, germe. Ce n’est pas un film qui nous la fait à l’estomac : ni sentimentalisme, ni pathos ni même d’empathie du moins comme on l’entend trop souvent, mais plutôt l’écoute.

Qu’est ce que voir, écouter vraiment le monde d’aujourd’hui, y compris et peut-être même dans ces déchets (récupération sublime des images des caméras dites de sécurité), dans les plis des déserts urbains ? Ici, ces déchets nous disent des choses belles et dures, ils parlent. Il se dégage une poésie nouvelle, inédite, qui ouvre sur une joie spacieuse. Qui a dit que le bonheur était gai ?, relevait un jour Godard. La joie, c’est autre chose encore. Elle se révèle dans la parole, cette espèce de foi en la parole et l’écoute du monde jusque dans sa respiration, ses silences, ses spasmes… Le monde n’est pas muet. Il est riche de virtualités, pour autant qu’on s’y rende présent. Juste une présence, juste le pur accompagnement sur le chemin. Je considère Ailleurs, partout comme un très grand film. Il change notre regard sur le monde parce qu’il fait du cinéma de notre temps avec les images-mêmes que ce monde produit et qu’habituellement on ne voit pas vraiment. Et pourtant elles en disent des choses !

Ce film n’est pas un documentaire ou, justement, il l’est pleinement parce que c’est aussi une création plastique. Pas dans l’ornement, le décor ou l’accompagnement musical… La poésie est une poignée de main, de mémoire, affirme Paul Celan. Au cœur de ce film, tout est dans le regard que la caméra porte, dans le montage des images, dans le phrasé et le ton, le grain des voix. Jean-Pierre Burdin
Ailleurs, partout (2020, 63mn, couleur), d’Isabelle Ingold et Viviane Perelmuter. Projection-débat, le 11/03 à 11h au cinéma Luminor (20 rue du Temple, 75004 Paris. M° Hôtel de Ville).